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Les cours d'économie du forum des étudiants de Sciences Po
NB : Toutes les indications de pages entre parenthèses renvoient aux Mémoires.
1 / L’homme, Jean Monnet (1888-1979), et l’impératif Européen
1.1 / Biographie
Fils de négociant de Cognac, il prit très jeune l’habitude de voyager pour prospecter des marchés lointains, ralliant gaiement Etats-Unis et Grande-Bretagne, avide de nouveaux horizons. En 1914, à 26 ans, il crée un pool interallié des transports maritimes. En 1919, il devient Secrétaire général adjoint de la SDN, poste qu’il abandonne rapidement. Il est ensuite banquier aux Etats-Unis, jusqu’à la crise de 1929, puis participe au financement du réseau ferroviaire en Chine. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le voilà proche conseiller de Roosevelt et organisateur du Victory Program. Après la guerre, il est chargé par De Gaulle d’élaborer le premier Plan français. De son bureau de Commissaire général au Plan, il griffonne quelques lignes, destinées à Robert Schuman. Celui-ci les répète mot pour mot le 9 mai 1950 dans le salon de l’Horloge, ainsi que le 20 juin, à destination des ministres des 5 pays qui l’avaient rejoint. L’aventure Européenne commençait. Monnet fonde en 1955 le Comité d’Action pour les Etats-Unis d’Europe, formidable réseau d’influence transfrontalier qui connaît une activité très intense jusqu’en 1975. Ses cendres ont été transférées au Panthéon en 1988.
1.2 / Modestie et ambition
Il faut cependant souligner un point ambigu de sa personnalité. A la lecture de ses Mémoires, on ne peut s’empêcher d’être étonné par sa modestie et sa simplicité. « Un personnage plein de sagesse que j’ai connu aux Etats-Unis, Dwight Morrow, avait coutume de dire : « il y’a deux catégories d’hommes : ceux qui veulent être quelqu’un et ceux qui veulent faire quelque chose. » […] Bien des gens remarquables ont pour souci principal de se composer une figure et de jouer un rôle. […] Mais en général, c’est une autre espèce de gens qui créent l’action et mettent le mouvement dans les choses, et ceux-là cherchent avant tout les endroits et les instants où l’on peut intervenir dans le cours des événements. Ce ne sont pas les endroits les plus visibles et les instants les plus attendus, et qui veut les saisir doit renoncer à occuper le devant de la scène. » (p. 610-611) Cette modestie est latente dans l’intégralité de ces Mémoires, et de sa vie : Monnet n’est pas un homme de grands discours, bien qu’il manie la rhétorique de manière impitoyable, mais plutôt un partisan des négociations discrètes dans un bureau ordinaire. Pourtant, son ambition était démesurée. Le mot « Europe » évoque chez lui une véritable foi, un sacerdoce : il s’est dévoué corps et âme à l’édification de cette improbable entité pendant un quart de siècle, de 1950 à 1975. Lorsqu’il emploie pour la première fois l’expression « Communauté Européenne », il évoque moins un groupement d’Etats qu’une Communauté de fait d’individus: « nous ne coalisons pas des Etats, nous unissons des hommes » (Discours, Washington, 30 avril 1952). Dans cette entreprise, il n’a jamais craint l’échec, il a toujours su que sa démarche aboutirait, du moins le laisse-t-il entendre. La crainte de l’échec est, selon-lui, pire que l’échec. Il prit chaque obstacle qu’il rencontra comme preuve de son avancée : « ces obstacles sont les aspérités auxquelles peut s’attacher l’action » (p. 70). Comment, dés lors concilier cette modestie exemplaire et cette grande ambition, que d’aucun qualifieront de « visionnaire » ?
1.3 / Rationalité et pragmatisme
Jean Monnet était avant tout un homme rationnel et pragmatique. Certes, il plaçait une confiance démesurée en la construction Européenne, mais en tant que moyen, et non en tant que fin. « Faire l’Europe, c’est faire la paix. » (Discours, Aix-la-Chapelle, 17 mai 1953) Il considérait dès ses débuts l’Europe comme le principal instrument de réconciliation franco-allemande. Son grand dessein fut de mettre fin aux conflits séculaires qui agitèrent l’Europe. On y compte en effet en moyenne une guerre tous les 30 ans depuis le XVIème siècle, c'est-à-dire une ruine économique quasi-cyclique. La création d’une Communauté européenne visait à une solidarité de fait entre les peuples, de telle sorte qu’ils ne puissent plus agir qu’ensemble. Pourtant, dans son optique rationnelle, Monnet avait conscience des limites de son entreprise. « L’inachevé est dans la nature, et c’est un grand art, ou une grande sagesse, que de savoir ranger son pinceau, ou mettre fin à une forme d’action. Gardons nous toujours du perfectionnisme. » (p. 612) Il avait à l’esprit que chaque pas franchi était un pas de moins vers l’unification totale, c'est-à-dire l’unification politique. Pour franchir chaque pas, une méthode pratique était nécessaire.
« Il y a une méthode pour construire l’Europe – il n’y en a pas deux dans un temps donné » (p. 609)
2 / La méthode Monnet
2.1 / Les fondements idéologiques de la méthode
En 1945, à l’issue de la guerre, deux alternatives s’offraient aux partisans d’une Europe unie. D’une part, les constitutionalistes, qui désiraient rédiger une constitution pour l’Europe à l’image de la constitution Américaine de 1776, ainsi qu’une pensée dérivée, moins ambitieuse, qui désirait créer l’Europe « par en haut », par des traités et des institutions. D’autre part, les fonctionnalistes, qui désiraient créer une Europe de fait, « par en bas », en partant de produits élémentaires, tels le charbon et l’acier, dont il fallait réorganiser la production et l’approvisionnement après-guerre. Cette seconde option avait pour principal avantage de contourner les obstacles majeurs qu’étaient les souverainetés nationales et leurs remises en cause. La méthode Monnet combine ces deux pensées. Monnet voulait d’abord construire une Europe économique, de laquelle découlera un ordre juridique, qui lui-même aboutira sur une osmose politique. Le volet politique est un peu flou, puisqu’à la fois de nature fédérale et intergouvernementale. Monnet ne se prononce pas sur la question « car il n’est pas possible d’imaginer aujourd’hui les décisions qui pourront être prises dans le contexte de demain. » (p. 615) Il s’agit d’entériner les bases de l’Europe dès ses débuts dans des traités et des institutions afin d’en garantir l’évolution et la stabilité. Entre les nations, Monnet se prononçait en faveur d’une primauté du droit sur la force, d’une égalité des droits, de délégations de souveraineté : c’est le seul moyen d’assurer une force durable aux institutions nouvellement créées. Jean-Louis Bourlanges, dans Le Diable est-il européen ?, nous rappelle que « l’idéologie fondamentale de Monnet n’est ni la social-démocratie, ni même le libéralisme, mais bien le saint-simonisme, c’est-à-dire une idéologie technicienne qui proclame que le décideur public n’est pas celui qui s’attache à dégager le point de vue rationnel, à reconnaître le vrai – c'est-à-dire la bonne solution – et à convaincre les autres de l’accepter. Idéologie technocratique qui conduit à consacrer la compétence et l’indépendance d’esprit plutôt que la représentativité comme principe de légitimation du pouvoir. » C’est ceci que J.-L. Quermonne nommera la légitimité de l’expertise.
2.2 / « Une fois que vous avez trouvé le début, il n’y a plus qu’à continuer » (p. 279)
La méthode Monnet fut en pratique une méthode employée lors de négociations à propos de l’Europe, et grâce à laquelle son auteur arriva presque toujours à ses fins. Elle consiste tout d’abord à dramatiser l’enjeu initial, par exemple en rappelant la position de l’Europe entre les deux blocs Est et Ouest, afin d’acculer le politique à la décision. « Les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise. » (p. 129) Ensuite, il suffit de suggérer au politique ladite décision, longuement préparée et travaillée par l’équipe Monnet, où tout détail est pris en compte et traité. Monnet était un homme extrêmement minutieux et n’avait pas peur du travail : il avait conscience qu’il fallait proposer une solution complète en toute situation, dû-t-il y sacrifier une nuit. Enfin, pour être sûr de l’acception de son projet, l’équipe Monnet travaillait dans le plus grand secret, ne laissant filtrer que d’infimes détails, afin de ne rendre publique qu’un document finalisé. Cette méthode était éprouvée, et entrait en action à chaque opportunité, afin d’imposer au pouvoir décisionnel les vues du Comité. C’est pourquoi De Gaulle surnomma Monnet « l’Inspirateur ». Cependant, l’attente d’une circonstance favorable peut être longue, « A Cognac, on sait attendre. C’est la seule manière de faire un bon produit. » (p. 44) La méthode Monnet, c’est aussi la patience et l’opiniâtreté : il faut avoir l’audace de saisir les moments opportuns quand ils se présentent.
2.3 / Une méthode pour l’action
Monnet se prononçait en faveur de l’action : « Très tôt, j’ai eu l’instinct, qui m’est devenu une règle de conduite, que la réflexion ne peut être séparée de l’action » (p. 39) Selon lui, seule l’action concrète compte, il se « méfie des idées générales » (p.612). Sa méthode s’appuie sur la nécessité de la confiance entre les différents protagonistes. Monnet était très sensible à cette notion de confiance qui permettait d’établir de bonnes relations personnelles et d’éviter tout malentendu. Il commençait par écouter les revendications de ses interlocuteurs, patiemment, en leur accordant une extrême importance. Pour y répondre, il n’utilisait que des idées simples, qui selon lui possèdent plus de force, et faisait ainsi ressortir l’intérêt commun que tous trouvent dans ses propositions. Monnet crée une solidarité de fait qui rassure ses interlocuteurs et peut alors agir sur l’environnement des problèmes, par exemple stipuler les compétences exactes de la Haute Autorité. Monnet possédait un grand pouvoir de persuasion, en partie basé sur la clarté de ses bilans d’ensemble et l’utilisation positive des crises. Pour lui, une idée n’est rien tant qu’elle n’a pas été discutée autour d’une table, tant qu’il n’a pas eu à la défendre de toute la force de sa conviction. C’est cela qu’il nomme l’action : tout mettre en œuvre pour arriver en pratique à ses fins et ne pas en rester à un vague projet théorique. Grâce à cette action, l’approfondissement et l’élargissement de l’Europe pouvaient continuer de façon inéluctable, grâce à un engrenage : chaque étape appelait de façon quasi-systématique la suivante. C’est ainsi qu’il est logique de passer d’un marché commun du charbon et de l’acier à marché commun général, puis à un marché unique. Cet approfondissement économique nécessitant toujours plus de règlements et directives, il est nécessaire qu’un ordre juridique européen apparaisse. Monnet insiste fortement sur cette nécessité. C’est ainsi que doit naître un ordre politique européen.
En conclusion, il est légitime de se demander si la méthode Monnet est encore possible aujourd’hui, ou si au contraire elle a atteint ses limites. Il est impossible de trancher clairement, mais le cours de J.-L. Bourlanges est éclairant sur ce point. Dans la mesure où nous avons assisté à une démocratisation de l’idée européenne, la pensée technocratique est aujourd’hui mon prégnante. L’engrenage a joué son rôle jusqu’à un certain point, permettant la création d’un marché unique puis d’une monnaie unique, mais a toujours échoué devant le passage à l’Europe politique… Les perspectives d’élargissement ne sont guères rassurantes quant à un approfondissement prochain en ce sens. La méthode Monnet était certes très efficace lors de petites négociations (6 Etats membres), car les positions ne peuvent pas diverger de façon trop radicale, ce qui n’est plus le cas à 15 et le sera encore moins à 25. Les limites de la méthode Monnet ont peut être été atteintes devant cette difficulté toujours croissante à définir l’intérêt commun, entre autres en matière de politique de sécurité et de défense. C’est pourquoi l’Euro est une avancée majeure : la monnaie est la première concession d’un droit régalien des Etats à l’Europe. Tous les Etats ne l’ont pourtant pas appliqué, il n’est aujourd’hui pas évident de savoir si celui-ci débouchera sur une réelle intégration politique ou servira uniquement à desservir des intérêts économiques.
Bibliographie : D. HAMON et I.S. KELLER, Fondements et étapes de la construction européenne, PUF, 1997 J. MONNET, Mémoires, Fayard, 1976 J. MONNET, Repères pour une méthode, Fayard, 1996 (compilation de citations et textes de Monnet) La construction européenne a-t-elle encore un sens ? Cours d’histoire de D. HAMON en Classe Préparatoire Economique et Commerciale, Lycée Henri IV, Paris, année scolaire 2001-2002 |