L’Europe de l’emploi et des affaires sociales
Les bâtisseurs de l’Europe
d’après-guerre ont estimé que c’était la croissance économique, stimulée par la
création d’un marché commun, qui générerait le progrès social, et non l’inverse.
Au fur et à mesure de la construction européenne, les pays européens se sont
dotés de normes et d’objectifs sociaux comparables, de telle sorte que l’on peut
faire référence à l’existence d’un modèle social européen.
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Mais ce modèle social européen
n’est cependant qu’une agrégation de modèles nationaux (I). L’Europe s’est
récemment fixée des objectifs ambitieux en matière de politique sociale (II),
elle ne possède cependant pas les instruments à la hauteur de ses ambitions
(III).
I. L’Europe sociale : une agrégation de modèles nationaux
Il existe plusieurs obstacles au développement
d’une construction sociale européenne, parmi lesquels on compte la défense des
prérogatives par les Etats membres, la séparation des domaines social et
économique dans le système institutionnel de l’Union, et l’absence d’action
sociale et civique de haut niveau. Toutes les composantes communes sont assurées
par des modèles nationaux spécifiques qui n’accordent pas la même place à la
politique de l’emploi et aux affaires sociales, et ce dans plusieurs domaines:
- La protection sociale :
L’hétérogénéité a toujours été de mise dans ce domaine.
Pour
n’évoquer que les systèmes de protection sociale, on distingue le système
bismarkien du système béveridgien.
Ces deux systèmes n’ont cessé de se décliner et de
se sophistiquer au fil du temps parmi les pays européens. Peu de similitudes
existent d’un Etat à un autre concernant la couverture de certains risques, la
structure des prestations ou encore le mode de financement et le mode de gestion
des systèmes.
-La santé :
Elle n’a pas le même prix partout en Europe. Certes il existe depuis quelques
années une certaine convergence, avec une couverture croissante de la
population, mais cela ne suffit pas à masquer des divergences importantes au
regard du critère de gratuité. Ces divergences résultent des différents types de
structure des systèmes sur l’organisation du secteur santé.
-Les systèmes de
retraites : Là encore
les systèmes sont très disparates. Certains ont adopté un modèle reposant sur un
système universel de sécurité sociale avec une ouverture au droit de pension
uniforme pour l’ensemble des résidents, et d’autres ont préféré un modèle
d’assurances sociales ouvrant droit à une pension proportionnelle au revenu.
Si la plupart
des Etats ont réformé leurs systèmes de retraite en raison des problèmes liés à
la démographie, ces systèmes restent divergents et n’ont aucune raison de
converger à court ou à moyen terme.
-L’emploi :
Si les préoccupations de l’Union européenne se sont accrues en matière d’emploi,
il n’existe pas encore de véritable politique européenne de l’emploi, la
compétence nationale prévaut en effet dans ce domaine, et l’action que peut
mener l’UE ne vient que soutenir celle des Etats membres, sans moyens
supplémentaires, ni compétences particulières.
-La lutte contre
l’exclusion et les discriminations :
Plusieurs pays ont fait de la lutte contre l’exclusion et les discriminations
une priorité de leur politique, avec des dispositifs assez ambitieux. C’est le
cas de la France, du Royaume-Uni ou encore des Pays-Bas. En revanche le débat
reste faible dans d’autres pays, comme en Allemagne ou dans les pays
scandinaves.
II. Des objectifs ambitieux en matière sociale
Le conseil
européen des 23 et 24 mars 200 à Lisbonne a donné une forte impulsion à l’Europe
sociale, en assignant à l’UE un objectif stratégique sur dix ans. Au nombre des
préconisations du Conseil européen, cinq d’entre-elles ont trait à la politique
européenne de l’emploi et des affaires sociales.
A. La protection sociale
Le Conseil
européen de Lisbonne a préconisé la modernisation et la garantie à long terme
des régimes de protection sociale et a invité les Etats membres à lutter contre
l’exclusion sociale. L’Union européenne a inscrit la convergence des systèmes de
protection sociale à son agenda politique et joue le rôle de catalyseur et de
diffusion de l’information entre Etats membres.
Les questions
de protection sociale sont régies par le vote à l’unanimité.
B. Le droit du travail
La Charte
communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs (1989) fixe les
grands principes sur lesquels se fonde le modèle européen du droit du travail.
N’étant pas contraignante, elle a avant tout une portée symbolique.
Si le vote à la majorité
qualifiée couvre certains sujets comme la libre circulation des travailleurs,
les conditions de travail, l’information et la consultation des travailleurs,
l’égalité entre hommes et femmes, la non-discrimination au travail, des pans
entiers du droit du travail sont soumis à la règle de l’unanimité. C’est le cas
de la protection face aux licenciements, ou des politiques publiques de
l’emploi.
D’autres
échappent complètement à la compétence communautaire, comme le droit syndical,
de grève, de lock-out, ou les rémunérations.
C. La politique de l’emploi
Le Traité
d’Amsterdam a fait de l’emploi une « question d’intérêt commun ».
Le Conseil
européen de Lisbonne a préconisé une stratégie européenne de l’emploi, déjà
lancée par le sommet du Luxembourg en 1997, et qui a pour objectif de porter le
niveau d’emploi de 61% à 70% d’ici 2010. Le plein emploi est un objectif
communautaire appuyé sur une croissance d’au moins 3%, et sur des réformes du
marché du travail. A cela s’ajoute l’adaptation des systèmes d’éducation et de
formation aux besoins de la société de la connaissance et à l’amélioration de la
qualité de l’emploi, ainsi qu’un engagement pour une politique active de
l’emploi associant étroitement les partenaires sociaux.
L’élan donné
à Lisbonne s’est notamment concrétisé par l’adoption à Nice de l’Agenda social
(2000-05), qui a retenu un large éventail d’actions visant à réaliser le
potentiel de plein emploi. De même le Conseil européen de Stockholm en 2001 a
ajouté deux objectifs intermédiaires en matière de taux d’emploi global et des
femmes (il doivent atteindre respectivement 67% et 57%) et un objectif
supplémentaire concernant le taux d’emploi des travailleurs âgés ( 50% en
2010).
Le Conseil de
Barcelone de 2002 a confirmé que le plein emploi était un objectif fondamental
de l’UE, tout en demandant le renforcement de la stratégie pour l’emploi prévue
par le processus de Lisbonne.
Malgré la
volonté du groupe de travail « Europe sociale » d’étendre le champ du vote à la
majorité qualifiée concernant plusieurs aspects de la politique sociale, la
Constitution n’apporte aucune avancée significative en la matière, se heurtant à
l’opposition du gouvernement allemand.
III. Des faibles instruments : les quatre fonctions
de l’Europe sociale
Si les
objectifs du processus de Lisbonne ont donné une forte impulsion à l’Europe
sociale, sa vertu reste cependant très politique compte tenu de la faiblesse des
engagements et des moyens qui accompagnent ces objectifs.
L’Europe
sociale n’est pas une réalité univoque, homogène et transposable, mais c’est une
construction tout autant qu’une dynamique. L’Union n’a pas voulu trancher au
profit de tel ou tel modèle social national, mais a cherché à accorder ses
compétences en s’appuyant sur la coordination des politiques et des normes
acceptées et appliquées par tous.
A. La fonction de redistribution
La fonction
redistributive de l’UE s’exerce principalement par le biais des fonds
structurels, qui sont un élément essentiel d’une politique sociale à l’échelle
européenne. Leurs effets ont permis le rattrapage économique en Irlande, au
Portugal, en Espagne et en Grèce, conduisant ainsi à une convergence effective.
Cette convergence économique réelle des Etats membres masque cependant un
accroissement des inégalités entre régions. L’élargissement de l’Union constitue
un nouveau défi pour l’Union à 25 en matière de fonction de redistribution.
L’initiative
communautaire EQUAL (2004-06) illustre très bien la fonction de redistribution
de l’UE. Elle cofinance des partenariats de développement (PDD) transnationaux
et novateurs qui favorisent la lutte contre les discriminations et les
inégalités dans le monde du travail. Le budget, provenant du Fonds Social
Européen (FSE) est de 3 milliards d’euros, dont 320 millions sont destinés à la
France.
B. La fonction législative
Le
développement de la fonction législative souffre des modalités de décision en la
matière. Si le vote à la majorité qualifiée couvre certains sujets, des pans
entiers de la politique sociale sont soumis à la règle de l’unanimité. D’autres
échappent complètement à la compétence communautaire.
L’article
137.5 du TCE dispose que « les dispositions arrêtées (…) ne peuvent empêcher de
maintenir ou d’établir des mesures de protection plus stricte ». On ne peut pas
revenir sur le droit acquis.
L’élaboration
progressive d’un droit du contrat de travail a en outre instauré un corpus de
règles applicables à tous les travailleurs. De nombreuses directives visent
l’information et la consultation des représentants des travailleurs, le maintien
des droits en cas de changement d’entreprise ou encore la relation de travail.
C. La fonction d’animation
Pour
certaines compétences, l’Union dispose comme seul instrument d’un rôle
d’animation des échanges entre les Etats membres, il s’agit là d’une forme
nouvelle de gouvernance sociale à l’échelle européenne. C’est une fonction
d’impulsion et de catalyseur. L’Europe développe ainsi sa capacité d’animation
au travers de la coordination des politiques nationales. C’est le cas pour la
stratégie européenne pour l’emploi, visant à la coordination des politiques, qui
s’appuient sur :
- Les
lignes directrices pour l’emploi sur la base d’une proposition de la
Commission ;
- Les plans
d’action nationaux, chaque Etat élaborant un plan d’action national ;
- Le
rapport conjoint sur l’emploi, après examen par la Commission et le Conseil des
plans d’action ;
- Les
recommandations : le Conseil peut décider, à la majorité qualifiée, sur
proposition de la Commission, d’adopter des recommandations spécifiques.
D. L’apport de la fonction jurisprudencielle
Depuis les
années 1990, la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) s’est
intéressée aux directives « sociales » ainsi qu’aux principes généraux tirés de
la Charte sociale et la Charte des droits fondamentaux, privilégiant une
acceptation dynamique de l’acquis communautaire. Ces droits fondamentaux visent
l’information et la consultation des travailleurs au sein de l’entreprise, la
négociation et les actions collectives, l’accès aux services de placement, la
protection contre les licenciements injustifiés, les conditions de travail
justes et équitables, l’interdiction du travail des enfants et la protection des
jeunes au travail, la protection de la vie familiale, la sécurité sociale et
l’aide sociale, la protection de la santé, l’accès aux services d’intérêt
économique général, la protection de l’environnement et des consommateurs.
L’élargissement constitue un
défi supplémentaire pour l’Europe de l’emploi et des affaires sociales, car le
modèle communiste a engendré une faible culture des droits fondamentaux et une
forte culture égalitaire. L’immersion brutale dans l’économie de marché l’a mise
à l’épreuve, avec une augmentation des inégalités et une baisse des minima
sociaux, ce qui crée une tension perceptible.
De plus, les perspectives démographiques de
l’Europe vont peser de plus en plus sur la question de l’emploi. Si aujourd’hui
il y une insuffisance de l’offre d’emploi, l’Europe va devoir faire face à un
déficit de demande, et l’équilibre des régimes sociaux sera d’autant plus
déstabilisé.
Bibliographie :
- Dumont, J-P., Les systèmes de
protection sociale , Economica, 1995
- Meyer, a., L’Europe sociale,
La Documentation française, 1998
- Quelles solidarités pour
l’Europe, 2004
- Questions d’Europe, le débat
économique et politique, 2004
www.europa.eu.int > Commission européenne> Emploi & affaires sociales