Vers la fin des Etats-nations ? Vers un Etat Européen ?
Introduction :
Question la plus discutée
aujourd’hui en Europe occidentale, à la fois par les intellectuels et les
responsables politiques. Souvent à l’origine des perceptions les plus vives de
l’opinion publique européenne. C’est lourd de polémique, parce que l’on pressent
bien que se clot une longue période historique d’affirmation et de développement
des Etats souverains à cause d’un certain nombre de facteurs.
Il faut discerner plusieurs
aspects :
- Examiner les processus en
cours depuis 1945 et encore plus depuis le traité de Maastricht et qui affecte
les Etats-nations, comprendre où on en est
- Il faut élargir la réflexion à
la question de la citoyenneté et comprendre si nous sommes en train de passer
d’une citoyenneté nationale à une citoyenneté européenne.
I. La fin des E-N ?
Qu’entend-on du côté de ceux qui
arguent en cette voie ? Ils ont 3 principaux arguments
1. Etat-Nation et Mondialisation
L’E-N est remis en cause par la
mondialisation des activités culturelles et économiques. Cet argument est
essentiellement avancé en Europe. Aux USA, on ne considère pas que cet argument
remette en cause l’hégémonie US, au contraire. En Europe, le monde est devenu un
village planétaire, le capitalisme est devenu un « capitalisme de casino » (S.
Strange), conséquence logique : E-N n’ont plus aucune prise sur cette
mondialisation.
Il y a donc une
déterritoralisation de l’économie, et une nouvelle territorialisation qui
échapperait aux frontières étatiques et qui ferait que l’E-N est menacé.
Cf Kenichi Ohmae, « the end of nation-state », 1995 : très
critiqué. Il prend l’exemple: grâce aux NTIC, on peut imaginer qu’une
entreprise moderne a son siège à Singapour (faible niveau d’imposition et
excellentes infrastructures), fait projeter sa production en Inde (ingénieur peu
cher), services financiers à Hong-Kong, fabrication au Vietnam, vend aux USA et
en Europe: c’est le monde du futur, il n y a plus de territoires nationaux. Une
entreprise peut se projeter partout dans le monde, dans tous les secteurs
d’activité. Elie Cohen fait une critique en règle : ce scénario du futur est
outrancier, excessif par rapport aux réalités économiques. Seul un nombre infime
d’entreprise fait cela.
Pourtant, Marx décrivait en 1850
une réalité qui s’est réalisée : industrialisation et pouvoir généralisé du
capitalisme… Il aurait eu 0 à Sciences Po car trop prophétique ?
L’E-N est simplement remise en
cause par delà les activités sociales et la culture
2. E-N et européanisation
Politique d’intégration
européenne : inédite. Nous devons cependant la restituer dans l’histoire de la
même façon que Pomian : c’est la TROISIEME unification européenne ! Elle est
bien inédite, mais ce n’est pas la première tentative. 1ère :
christianisme. 2ème : lumières.
Pomian rappelle qu’il y a déjà
eu deux échecs… donc cette fois ci n’est pas forcément inéluctable.
Cette troisième unification est
plus poussée dans certains secteurs. Elle est délibérément choisie par les E-N
et se produit par des limitations (et non abandons) de souveraineté : dans le
domaine de la défense (dans le cadre de l’OTAN, une alliance plus générale, en
1949, et son organisation militaire intégrée) (cette limitation dans les
domaines de défense n’est pas ressentie comme un traumatisme, à part en France
et en Italie, à cause des PC et du gaullisme, au départ tout de même une
relative indifférence. Ce n’est que depuis quelques années que les opinions
européennes commencent à se saisir de la question de la défense, en se rendant
compte que les politiques d’alliances choisies par les Etats implique aussi les
populations, cf la crise des Euromissiles pendant les années 80, manif en
Hollande, Allemagne, Belgique… et autre exemple : les crises en Ex-Yougoslavie,
faut-il intervenir ?), dans le domaine commercial et économique (certains
secteurs entiers de la politique sont transférés : frontières abolies, monnaies
abandonnées, il faudra faire le rapport de l’opinion publique à l’introduction
de l’euro, mais nous n’avons pas encore assez de recul : problème de la
complexité et des augmentations de prix).
3. E-N, le local et le régional
Avant, remise en cause « par le
haut », ici : « par le bas ». Dans la plupart des pays Ouest-Européens,
revendications d’autonomie des pouvoirs locaux et régionaux.
Il y a un double mouvement :
-Régions qui veulent être
d’avantage dans l’Europe en ayant la tentation de se passer de l’échelon de
l’E-N. Elles sont tentées de frapper directement à Bruxelles. Elles veulent plus
de subventions et plus de pouvoir. Elles cherchent à démontrer leur pouvoir par
la reconnaissance de leur langue dans leur propre région, cf le Catalan.
-Nationalisme de dissociation :
fondés sur une unité régionale, qui revendiquent une unité régionale très très
forte pour ne pas dire l’indépendance (Catalogne, Gallicie, Flandre, Ecosse,
Corse, Savoie, Lombardie, Venitie, …) Ces mouvements nationalitaires se
développent dans des Etats de droit démocratiques, sont souvent l’expression de
régions riches qui veulent accroître leur enrichissement. Il est difficile de
considérer ces mouvements comme archaïques : ils sont à la tête d’une économie
en pleine expansion, se situent à la fois dans l’héritage des Lumières et à la
croisée de l’héritage du romantisme : ils veulent l’égalité en se dissociant des
autres composants d’un même état. Cela remet en cause les fondements des E-N.
Ceux-ci sont confrontés à un certain nombre de dilemmes, entre ne rien changer,
s’adapter (vers un fédéralisme, une dévolution des pouvoirs vers les régions :
cf Allemagne, Belgique, Espagne, et l’Italie et l’UK sont en route, la France se
retrouve en porte à faux !). En reprenant les travaux de Alain Diecckhof, on
peut se demander si on ne va pas vers des Etats de type multinational, fondés
sur l’existence d’un pacte politique commun mais avec de multiples espaces
d’identification culturelles ayant des identités locales. Cela signifierait que
l’on sortirait du modèle classique de l’Etat-Nation, avec une possibilité
d’autodétermination de chacune des composantes des Etats.
C’est un syndrome qui parcourt
l’Europe et renvoie à une interrogation sur les transformations de la
démocratie.
4. Les E-N résistent encore
Pour une relecture des E-N :
Les partisans de l’E-N
rappellent que l’UE n’intervient pas dans tous les domaines. On pourrait faire
la liste : elle ne contrôle pas la répartition de l’ensemble de la défense
nationales, n’intervient pas dans les relations professionnelles, elle
n’intervient pas dans les relations sociales (religion, morale, relations entre
les sexes), dans la politique étrangère, la vie politique et le calendrier de
cette vie politique, l’organisation des partis, leurs débats, leurs leaders…
C’est vrai qu’il y a une européanisation croissante, que les idées circulent
dans les espaces politiques (cf à gauche le débat sur le modèle Blair et à
droite le débat sur le modèle Thatcher). Malgré ces européanisations, il reste
une prépondérance des systèmes politiques nationaux. On voit de plus en plus de
parlements nationaux qui refusent d’être désaisis de leurs compétences, le débat
sur l’Europe est de plus en plus réouvert dans tous les pays. Par conséquent,
les E-N résistent encore
5. Il y a deux écoles.
La première insiste sur le
développement du supranationalisme en Europe, sur ce qu’on a vu en 1 2 et 3. On
va vers un effacement des politiques des E-N, c’est une tendance et choisi
délibéremment par les élites pour des raisons stratégiques : question allemande,
problème soviétique, philosophie politique : fédéralisme, et économiques :
assurer la croissance et le bien-être des européens.
Un historien
anglais s’y oppose : Alain Milward, de la LSE : « The frontier of national
sovereignty ; history and theory ». Evidemment il y a eu abandon d’une
partie de la souveraineté des E-N, mais cet abandon participe en fait d’une
stratégie de renforcement des E-N afin d’accroître avec leur prospérité (due à
l’Europe) leur capacité d’intégration politique. En 1945, il faut rebâtir
l’Europe, et la paix, la croissance, l’emploi, le welfare l’attende. La CEE
résulte des E-N qui recherchent de la prospérité et ainsi augmentent leur
légitimité nationale. La politique intérieure nationale reste en fait
déterminante. Toute action en direction de l’Europe de chaque E-N est déterminée
avant tout par la recherche d’objectifs nationaux, et résulte du choix des
électeurs nationaux, qui sont prêts à faire de l’Europe tant que ça leur
rapporte. C’est en panne aujourd’hui, car les opinions ne suivent plus…
Sa faiblesse, c’est que cette
thèse est avant tout économiste et relativise les choix idéologiques. Elle pose
tout de même le problème, et le débit est vif : nous sommes dans une situation
d’entre-deux, une situation malaisée. Nous ne sommes plus dans les E-N et pas
encore dans l’Etat européen ! Nous sommes dans un cirque, le trapéziste est
parti et n’a pas encore atteint l’autre trapèze… On se demande tous si il va
tomber !
II. Citoyenneté nationale et
citoyenneté européenne
1. Approche théorique et
définitions de la citoyenneté
Si on pense citoyenneté,
évidemment, nous avons tous en tête Thomas Marshall. Un petit rappel tout de
même : conférence d’Oxford en 1949, publiée en 1950 : « Citizenship and social
class », grand retentissement en Europe, qu’est-ce que la citoyenneté ?
C’est tout d’abord une dimension
civile, qui émerge au XIXème siècle : liberté de la personne, de penser, de
croyance, de circuler…
C’est ensuite la dimension
politique, cf l’Antiquité : les citoyens ont des droits et des devoirs
politiques qui passent par la représentation.
C’est également au lendemain de
la guerre la citoyenneté sociale : c’est le welfare, un consensus qui est
en train de solidifier l’Europe occidentale après la guerre.
2. Citoyenneté et nation
Def de Marshall : cadre de
l’E-N… Ici, tout est un petit peu plus compliquée.
Si on pense au rapport entre
citoyenneté et nation, on se demande comment on obtient cette citoyenneté. Il y
a deux modèles : droits innés (du sang) et acquis (du sol). Cela est au cœur des
réflexions sur la citoyenneté.
Cependant, on a trop souvent
négligé l’acculturation. On peut distinguer deux grands cas de figures : un cas
exclusif et un cas inclusif.
Le cas exclusif : la citoyenneté
précise une obligation culturelle exclusive : Allemagne et France. En France, on
peut même jusqu’à aller parler de (selon le sociologue Alain Tourraine) génocide
culturel, tellement on a imposé un modèle culturel aux bretons et aux basques…
Historiquement, cependant, il y a eu une forte résistance des petits pays.
Néanmoins, il y a une dépolitisation des groupes culturels restreints.
Le cas inclusif : la citoyenneté
offre une gamme d’affirmations culturelles très diversifiée. UK ou PB : respect
des formes culturelles primaires.
Aujourd’hui, des questions se
posent : peut on maintenir cette distinction droit du sol/du sang ou va-t-on
vers une convergence ? Plutôt une convergence… Sur la question de la culture, la
dissociation entre les deux modèles tend de plus en plus à se diminuer, la
question se pose avec force acuité en France et monte dans d’autres pays.
3. La citoyenneté européenne
Elle est affirmée sur nos
passeports, reconnue par chaque pays.
Il y a aussi une citoyenneté de
réciprocité, ce qui nous distingue des non-européens.
C’est enfin une citoyenneté sans
nation, et c’est le fond de nombreux débats.
- Citoyenneté européenne ne
semble pas passer par une citoyenneté sociale et économique. Contenu politique ?
voir habermas !
- Contenu culturel ?
Homogénisation ? Sur quel modèle ? Sur quelle valeur ? Ou alors sur la
diversité : respect de toutes les différences, de toutes les diversités… c’est
impensé pour le moment ! Faut-il ou non se référer à la religion dans la charte
des européens ?
- Est-ce qu’elle va être capable
de trouver des identifications ? Ce qui fait vibrer les gens, voir Weber et
Mauss… Drapeau européen ? Hymne européen ? La citoyenneté européenne n’a pas
encore accouché d’un sentiment européen. Les citoyens européens, 64%, se
considèrent comme appartenant d’abord à leur propre pays, puis à leur région
22%... 14% se sentent européens…