L’Union européenne a-t-elle donnée naissance à un nouveau modèle d’administration ?
La chute de la Commission Santer en 1999 est l’occasion
de la première réforme de l’administration de la Commission depuis l’entrée en
vigueur du traité de fusion des institutions communautaires en 1967. Depuis mars
1999, la Commission et ses services, en plus du « déficit démocratique » de la
Communauté européenne, se voient également reprocher son « déficit de gestion ».
La Commission est analysé non plus uniquement en tant qu’institution mais
également comme le cœur de l’administration européenne. Si beaucoup
reconnaissent le caractère très particuliers de l’Union européenne, « objet
volant non identifié » selon Amato ( vice-président de la Convention sur
l’Avenir de l’Europe), qui n’est ni un Etat nation, ni un Etat fédérale, ni une
confédérartion d ‘Etats, ni même une organisation internationale, son
administration serait pour eux la simple reproduction de l’administration de ses
Etats membres. Il suffirait donc pour la réformer de lui appliquer les les
solutions qui parviennent à améliorer l’administration de ses Etats mermbres.
Dès lors, l’Union européenne reproduit-elle ou ne reproduit-elle pas
l’administration de ses Etats membres ? En d’autres termes, l’Union européenne
a-t-elle, ou n’a-t-elle pas, donnée naissance à un nouveau modèle
d’administration ?
I. Si l’administration européenne a emprunté de
nombreux traits aux systèmes administratifs de ses Etats membres…
L’administration communautaire a
été créée par des hommes qui avaient pour la plupart une expérience directe de
leurs administrations nationales et parfois d’organisations internationales.
Cette expérience leur a servi de source d’inspiration ; il n’est donc pas
étonnant de retrouver les modèles européens, classique et suédois,
d’administration dans le modèle d’administration communautaire.
A. Une variante du modèle européen classique d’administration
1.
les bases du modèle comme source d’inspiration de l’administration
commuanautaire
L’étude comparative des administrations européennes fait
apparaître un modèle classique, adopté par la plupart des Etats membres exceptés
par la Suède et la Finlande. Certains de ces éléments se retrouvent dans
l’administration de l’Union européenne. Ce modèle d’administration a été observé
et théorisé par Max Weber il y a un siècle environ. En y ajoutant les
particularités des institutions politiques, six éléments principaux du modèle
classique européen de système politico-administratif peuvent être dégagés : la
soumission à la loi et au droit, la démocratie représentative, la responsabilité
ministérielle, l’administration instrumentale, la structure administrative
hiérarchisée, la fonction publique professionnelle.
La soumission au droit est le
fondement même du type de pouvoir « légal rationnel » selon Weber. Le caractère
instrumental de l’administration repose sur la distinction entre pouvoir
bureaucratique et autorité constitués, entre fonctionnaire et politique comme
dans l’Union européenne. La hiérarchisation, au-delà de la structure pyramidale
de l’organisation repose sur le principe de la spécialisation : l’administration
fonctionne sur la base de règlements impersonnels et conduit à l’allocation de
compétence d’exécution précise aux bureaux. Le modèle repose enfin sur une
professionnalisation comprenant dix caractéristiques : l’obéissance aux seuls
devoirs objectifs de la fonction ; l’insertion dans une hiérarchie ;
l’attribution de compétences précises, le recrutement par une sélection ouverte,
la qualification professionnelle, la rémunération proportionnelle au rang
hiérarchique, le caractère de profession principale voire unique, la possibilité
de carrière, l’absence d’appropriation des emplois, une discipline et un
contrôle stricte.
Ces éléments adaptés dans la
majorité des pays de l’Union européenne, se retrouve également dans
l’administration communautaire des origines. Aujourd’hui il reste des traces du
modèle weberien plus dans la fonction public que dans la structure
administrative communautaire.
2. une structure
administrative et une fonction public de type weberien à dominante germano et
franco-britannique
L’administration de la haute
autorité de la CECA a été mise en place par une équipe s’inspirant de
l’expérience de Jean Monnet à la tête du Commissariat au Plan, et donc d’un mode
d’organisation opposé à la hiérarchie verticale et à la spécialisation si
typique du modèle weberien. Une structure flexible et un personnel peu nombreux
provenant des différents Etats membres reproduisent l’expérience française de
l’«administration de mission ». En revanche, ce n’est pas le cas dans la
Commission de la CEE, qui fusionnera avec la haute autorité ; la Commission ne
répond plus à l’ « administration de mission » mais correspond à une
administration de gestion avec une structure très hiérarchisée et un effectif
important ; seuls les Commissairs réuni en collége forme une instance
horizontale. Si beaucoup affirment que la Commission est organisée sur le modèle
français avec comme preuve à l’appui l’existence des cabinets des commissaires,
la structure organisationnelle de la Commission ainsi que son système de
fonction publique sont plus proches de l’administration allemande ou du civil
service britannique. En Allemagne et au Royaume Uni, comme d’ailleurs dans
tous les autres Etats membres de l’Union, à part la France et l’Autriche, le
secrétariat général est une figure centrale de l’organisation administrative :
le Staatsekretär allemand et le Permanent secretary britannique,
sont les véritables patrons des ministères. La Commission reproduit ce modèle en
ce sens que les politiques communautaires sont rarement mises en œuvre par la
Commission elle-même : Il n’existe pas de « services extérieurs de la Communauté
européenne » dans les Etats membres : ce sont les administrations nationales qui
sont les principaux services d’exécution des politiques communautaires. Le
système communautaire ressemble de ce point de vue au système fédéral allemand,
où la législation fédérale est mise en œuvre par les administrations des Länder.
Comme celles des « Länder » en Allemagne, les administrations nationales des
Etats membres ont également fortement contribué à la préparation des
réglementations communautaires. Le conseil fédéral a un rôle comparable au
Conseil des communautés, bien que plus réduit.
En ce qui concernent la fonction
publique, deux traits caractéristiques sont souvent mentionnés comme
typiquement français : l’existence d’un statut et le recrutement par concours
comme dans le modèle weberien. La fonction publique communautaire est une
fonction publique entièrement sur épreuves, comme en France et en Belgique, avec
un mécanisme de recrutement comme en Italie, si bien que la sélection est
distincte du recrutement proprement dit comme en Allemagne. Il faut noter que le
statut, en tant qu’instrument législatif existe partout en Europe jusqu’à la
réforme italienne de 1993. Ce n’est donc pas un trait typiquement français. La
fonction publique communautaire est unitaire comme la fonction publique
allemande, divisée seulement en catégorie horizontale A, B et C mais les
carrières se font souvent de fait sans mobilité latérale d’une direction
générale à l’autre. Les emplois de directeurs généraux et de directeurs sont
souvent pourvus par des nominations extérieures par la prise en compte de la
nationalité. Le système de fonction publique communautaire n’a donc rien à
envier à celui de l’Etat belge ou allemand eux même d’inspiration weberienne. Le
concours de la fonction publique communautaire correspond à un mécanisme de
sélection :qualification sans garantie de recrutement qui s’inspire pour partie
au système allemand de la qualification par des examens d’Etat et pour partie
des anciennes formes italiennes de concours destinés à créer des réserves de
recrutement. L’exemple de la fonction publique démontre clairement que
l’administration européenne s’est inspirée de nombreuses sources différentes
essentiellement d’inspiration weberienne , dans l’ensemble représentative d’une
communauté élargie, et que le choix ont été le résultat d’un compromis entre
différentes délégations nationales.
La culture administrative de
l’Union européenne est quant à elle hétérogène à dominante franco-germanique. Si
les structures organisationnelles de l’administration communautaire sont
relativement homogènes jusqu’au début des années 90, ce n’est pas le cas des
fonctionnaires européens. A l’origine nationale des fonctionnaires, il faut
ajouter une forte différence de culture de service à service. Les services de la
CECA ont longtemps gardé une culture d’équipe qui leur vient du Luxembourg et
leur méthode de travail sont tirés de la culture française.
Les trois premiers
élargissements, dont l’adhésion du Royaume Uni, ont entraîné des réformes
radicales du système administratif communautaire et l’administration européenne
trouve de plus en plus ses appuis dans le modèle suédois d’administration.
B. Une variante du modèle suédois d’administration
1. Les bases du modèle comme
source d’inspiration de l’administration communautaire
Agé de deux siècles, ce système
est composé de six éléments indissociables et très cohérents : la soumission au
droit comme dans les autres pays d’Europe, le système des agences
administratives dont l’autonomie par l’absence de tout pouvoir hiérarchique du
gouvernement sur les administrations est garantie par la constitution suédoise.
La collégialité exclusive des décisions du gouvernement, les ministres suédois
n’ayant aucun pouvoir de décision individuelle et n’étant pas à la tête de
l’administration centrale ; ces trois premiers points se retrouve dans
l’administration de l’Union européenne : elle est soumise au droit, basée sur un
système d’agence et repose enfin sur un système de collégialité des décisions.
Les trois autres points du modèle suèdois concernent la transparence résultant
de la liberté de la presse et d’expression garantie par la Constitution et qui
comporte un droit d’accès aux documents administratifs ; la responsabilité
individuelle des fonctionnaires, contrepartie de leur inamovibilité par le
gouvernement ; l’ombudsman aux pouvoirs garantis par la Constitution qui peut
notamment déclencher des poursuites contre les fonctionnaires devant les
juridictions ordinaires, y compris les juridictions pénales.
La logique de séparation du
modèle administratif suédois apparaît à l’opposé de celle du modèle
d’intégration classique européen. Alors que le modèle classique est fondé sur
l’idée d’un pouvoir exécutif unitaire composé d’un sommet politique et d’une
base administrative, le modèle suédois est fondé sur une séparation stricte
consacrée par la Constitution entre le gouvernement et les autorités
administratives comme théoriquement dans le modèle administratif communautaire.
2. La séparation entre
élaboration et mises en œuvre des politiques
La constitution suédoise
interdit toutes immixtions des ministres dans les décisions administratives : il
n’y a pas de séparation entre les membres du gouvernement et dirigeants
d’agences administratives, les liens ne sont fondés que, d’une part sur les
affinités politiques, d’autre part sur des circulaires à caractère très
générale ; il ne viendrait pas à l’esprit d’un ministre suédois d’essayer, même
indirectement, de dicter sa conduite à une agence dans un cas particulier. Les
décisions du gouvernement ont un caractère collégial comme à la Commision, ce
qui est la conséquence nécessaire de l’indépendance des autorités
administratives et politiques. En effet, le seul domaine où le gouvernement
dispose d’un pouvoir juridique de décision sont l’exercice de l’initiative
législative et budgétaire, l’exercice du pouvoir réglementaire et l’exercice du
pouvoir d’annulation des décisions individuelles des agences, pouvoir très
encadré et qui dans la pratique s’apparente à un contrôle juridictionnel de
légalité. Il s’agit là de décision qui sont également prise de manière
collective dans tous les pays européens, en général en réunion de cabinet ou de
conseil des ministres. Si les ministres suédois n’ont pas des pouvoirs de
décision individuelle, c’est parce que les fonctions correspondantes à ce
pouvoir dans le modèle classique européen appartiennent en Suède aux agences.
Dans le modèle classique, le mode de contrôle essentiel de l’administration est
le contrôle interne : le ministre et l’administration forment un tout, toute
décision est attribuée à l’Etat, et les mesures d’ordre interne ne sont pas
soumises aux contrôles externes du parlement et des tribunaux. Dans le modèle
suédois, les agences et les ministres sont dissociées. C’est donc de l’extérieur
des agences seulement que le contrôle peut être effectué : le gouvernement
n’ayant pas nécessairement les moyens de tirer profit de son droit d’accès aux
documents administratifs, c’est la presse qui est chargé de cette fonction.
Afin de consolider
l’indépendance des autorités administratives la Suède a posé le principe
d’inamovibilité des fonctionnaires. Il est impossible de faire fonctionner le
pouvoir hiérarchique dans le modèle suédois : les ministres non seulement se
voient interdire toute injonction aux dirigeants d’agences dans le cadre de
dossiers particuliers, mais ils n’ont pas de pouvoir disciplinaire. Les seules
armes d’un gouvernement confronté à des décisions qu’ils estiment contraire à sa
politique sont l’annulation des décisions non conformes à la législation et la
révision des lois et règlement. Le gouvernement dispose d’un pouvoir juridique
de décisions dans l’exercice de l’initiative législative et budgétaire et dans
l’exercice du pouvoir réglementaire. En vertu de la Constitution l’ombudsman ne
peut pas contrôler les décisions prises par les autorités administratives ni
directement, ni indirectement par la mise en jeu de la responsabilité
ministérielle. Il a pour fonction première d’assurer par ses pouvoirs
d’investigation que l’administration assure la liberté de la presse qui est la
plus importante loi constitutionnelle du citoyen.
Ces deux modèles
d’administration, classique et suédois, sont donc une source d’inspiration du
modèle administratif communautaire. L’analyse des systèmes de l’Union européenne
à la lumière des deux modèles européens, classique et suédois, fait apparaître
toutefois des différences notables ; ces dernières font de l’administration de
l’Union européenne un modèle unique.
II. …elle constitue un modèle d’administration
inédit.
A.Un modèle spécifique à la communauté européenne
1.Les spécificités du modèle
d’administration communautaire
En reproduisant le modèle du
secrétariat général comme figure centrale de l’organisation administrative, deux
particularités de la Commission sont oubliées : la Commission ne prend que des
décisions de nature collégiale, et il n’y a pas de principe de délimitation
interne verticale des compétences comme il figure dans le droit constitutionnel
allemand. Quant aux système clos ou de carrière, la caractéristique la plus
importante de la fonction publique française est ignorée du système
communautaire : l’organisation en corps.
Une agence centralisée de
recrutement telle que la civil service commission ou le secrétariat
permanent au recrutement de la Belgique ne se retrouve pas au niveau
communautaire.
Contrairement au modèle suédois,
le système communautaire a en outre un caractère mixte en ce qui concerne les
rapports entre autorité politique et administrative. Le collège des commissaires
devrait sans aucun doute être considéré comme une autorité politique sui
generis ; l’intégration avec l’administration est forte et l’administration
de la Commission est devenue au fil du temps plus structuré et plus complexe.
Selon Bénédicte Carémier, elle a évolué vers une administration de gestion et
les considérations d’ordre politique ne lui ont pas été étrangères, elles l’ont
même influencée. Elle qualifie l‘ eurocratie d’ administration
politique pour illustrer l’ambiguïté de l’administration. En effet, une
des caractéristiques de la Commission est de réaliser en son sein la jonction de
considérations politiques et administratives. Les acteurs des traités ont
marié dans la Commission le mobile administratif et le mobile politique. B.
Carémier parle même d’administration politisée en ce sens que les fonctionnaires
nationaux défendent leurs intérêts nationaux à la Commission au détriment d’un
intérêt réellement communautaire. L’indépendance entre les autorités chargées
d’élaborer les politiques et les autorités chargées de leur mise en œuvre est
d’un autre type que de celui de la Suède, dans la mesure où les gouvernements
des Etats sont directement membre du Conseil. La création d’une dizaine
d’agences européennes depuis le début des années 90 semble aller dans le sens
d’une plus grande séparation entre élaboration et mise en œuvre des politiques.
Toutefois il existe un risque de confusion au moins entre deux types d’agences.
Si l’office des traductions ressemble à une pure agence d’exécution à la mode
britannique, elle ne dispose cependant pas d’une autonomie égale aux agences
suédoises. L’agence du médicament semble être une réplique des agences de
régulation à l’américaine, mais elle n’en a aucunement les pouvoirs. En ce qui
concernent la collégialité des décisions de la Commission qui rappelle le modèle
suédois, l’absence de réflexion pour la prendre en compte dans l’organisation
interne des services souligne l’originalité de l’administration de l’Union
européenne. Pour ce qui est de la transparence dans l’administration de l’Union
européenne, le cadre européen met à jour l’opposition entre la conception
suédoise et les autres conceptions : en Suède elle est fondée sur le caractère
communicable de tout document transmis d’une agence à une autre ; à l’inverse
dans le système européen, ce sont les documents en provenance des
administrations nationales, donc d’ « agences extérieures » qui sont les moins
susceptibles d’être communiqués, du fait du respect de la souveraineté.
Dès lors, si le modèle
d’administration de l’Union européenne n’est ni totalement celui du modèle
classique européen, ni totalement celui du modèle suédois d’administration, quel
est-il ?
2. Le modèle
d’administration de l’Union européenne
La comparaison du système
communautaire d’administration aux systèmes nationaux d’administration permet la
compréhension de ce qu’est la communauté européenne et donc de ce qu’est son
administration. La communauté européenne n’est ni un Etat fédéral, ni une
organisation internationale, ni même une confédération d’Etat nation mais bien
un système particulier dont il ne suffit pas de constater le caractère sui
generis . L’une des principales difficultés d’analyse du modèle
d’administration de la communauté européenne provient de la propension de la
majorité du grand public à projeter l’image de la communauté européenne, comme
une sorte de super-Etat de dimension européenne. La perception la plus répandue
du système communautaire est celle d’une pyramide qui prolonge simplement la
représentation pyramidale de l’Etat nation selon la structure hiérarchique
wéberienne. Dans cette perception, la communauté prend la place de l’Etat au
sommet de la pyramide, alors que l’Etat est relégué à la place de collectivités
territoriales au rang supérieur, sous laquelle se trouvent d’autres
collectivités intermédiaires et de bases. Cette représentation pyramidale manque
de pertinence pour la Communauté qui n’est pas « une » mais « plurale » dans un
contexte international et dont la structure administrative n’est pas
hiérarchisée comme dans un Etat nation. Ceci ressort de l’analyse des
institutions communautaires en tant que système politico-administratif et de
l’étude des relations entre ces institutions et les administrations des Etats
membres de la Communauté européenne.
L’une des confusions le plus
souvent commise est d’assimiler la Commission des communautés européennes à une
gigantesque administration centrale de niveau européen baptisée « eurocratie ».
La Commission européenne, en tant qu’organisation, est une toute petite
bureaucratie et elle n’est pas placée dans la même position que l’administration
nationale par rapport à leur gouvernement, dans le processus de décision
européen.
Si la Commission a un monopole
de droit de l’initiative législative, la Commission européenne n’est pas membre
d’un gouvernement européen qui présenterait ainsi des projets de loi à un
parlement européen. L’organe de décision principal reste le Conseil. Or le
Conseil ne peut aucunement être comparé à un gouvernement : il est certes
composé de ministres, mais ceux-ci sont responsables devant leur parlement
national et non collectivement responsable devant le Parlement européen. Chaque
ministre, même s’il peut considérer les services de la Commission comme ses
services au niveau communautaire, désire avoir l’avis circonstancié de ses
propres services nationaux sur le projet de la Commission qui est en
discussion, avant d’accepter de prendre part à une décision collective du
Conseil, qu’elle soit unanime ou qu’elle se fasse par la voie d’un vote.
Ensuite, le processus de décision communautaire est pour une large part un
processus de négociation plus ou moins longue, au sein de groupes de travail
composés de fonctionnaires nationaux, puis au COREPER, composé des représentants
permanents des Etats membres auprès des communautés. Il ne s’agit pas pour
autant d’une négociation intergouvernementale classique, car la Commission est
présente à tous les niveaux de réunion, par ces fonctionnaires dans les groupes
de travail du Conseil, ou qui sont consultés en tant qu’experts par la
Commission au cours du processus de préparation de sa propre décision relative à
la proposition qu’elle compte soumettre au Conseil.
Le système d’administration
communautaire est également original en ce qui concerne les mécanismes de
régulation et de contrôle. Le système institutionnel communautaire a pour
conséquences que la Commission, qui doit négocier avec les administrations
nationales dans la phase de décision d’une politique doit aussi négocier avec
elle, par le biais de son administration, dans la phase de mise en œuvre, sans
que cela ne lui soit trop facile. Les mécanismes de régulations européens eux
même originaux, révèle l’originalité de l’administration de l’Union européenne.
Alors que dans les Etats nationaux, la régulation est opérée par les services
ministériels ou, de plus en plus souvent, par des autorités administratives
indépendantes comme c’est le cas aux Etats-Unis, la presque totalité des
mécanismes de régulation de politique communautaire reposent sur le système dit
de la comitologie . Ce terme désigne le phénomène des comités de
représentants des Etats membre, que le Conseil a pris, l’habitude depuis
longtemps d’installer auprès de la Commission pour l’application des mécanismes
de régulation propres aux politiques communautaires. Ces comités consultatifs
ont pour fonction de conseiller ou de surveiller la Commission lorsqu ‘elle
exécute les décisions du Conseil. Contrairement aux groupes de travail du
Conseil, présidence du Conseil, les comités en question sont présidés par un
fonctionnaire de la Commission. Mais c’est souvent aux seules prérogatives de la
Commission. Le système présente l’avantage d’obliger l’administration
communautaire à prendre en compte les différents intérêts nationaux, aussi bien
dans l’application d’une politique que dans sa préparation.
L’administration de l’Union
européenne peut dès lors être comprise dans son système politique et beaucoup
parlent de « système politico-administratif », caractérisé, selon la formule de
Jacques Ziller, de « fédéralisme inversé sans fédéralisme administratif ».
Fédéralisme inversé : le
système institutionnel communautaire se rapproche du système institutionnel de
la République fédéral d’Allemagne : au conseil fédéral s’apparente le Conseil
des Communautés, et à la Diète fédérale s’apparente le Parlement européen. La
similitude ne va pas plus loin, en ce sens que la Commission ne peut guère être
comparée au gouvernement fédéral et qu’il n’existe pas de fonction de chef de l’Etat,
inutile du fait que la Communauté n’est pas elle-même souveraine, et qu’elle
reste composée d’Etats souverains. Similitude limitée avec le fédéralisme
allemand, mais inversion des positions institutionnelles par rapport à
l’Allemagne : dans le cadre communautaire, c’est le Conseil qui l’emporte sur le
Parlement comme organe de décision, alors que dans le cadre allemand, la Diète
est prééminente, et le chancelier et le pouvoir fédéral émanent d’elle ce qui
donne une légitimité beaucoup plus forte à l’administration fédérale qu’à
l’administration de la Commission.
Pas de fédéralisme
administratif : contrairement au cas des Etats-Unis d’Amérique ou de la
France, l’administration communautaire ne met pas en œuvre les politiques
communautaires et l’administration nationale les politiques nationales. La
répartition des rôles entre l’administration communautaire et les
administrations nationales gardent un poids singulièrement fort par rapport au
« centre » communautaire, car elles mettent en œuvre à la fois les politiques
nationales et les politiques communautaires, alors que dans les pays pratiquant
l’option égalitaire ou le fédéralisme administratif comme la France, les
collectivités locales n’ont qu’une part très réduite dans la mise en œuvre de
ces politiques par rapport à l’Etat.
Le système
politico-administratif de la communauté européenne peut donc être vu comme un
système polycentrique, ou mieux encore en réseau. Cela représente un défi
majeur tant pour l’administration de la Commission que les administrations
nationales : les mécanismes hiérarchiques propres au modèle weberien
d’administration, qui restent tout à fait appropriés pour l’exécution de
politique nationale ou locale caractérisées par leur stabilité, sont tout à fait
inappropriés à l’action communautaire.
L’analyse du modèle européen
d’administration dans son système politique et à la lumière des modèles
nationaux d’administration, fait apparaître son caractère composite et ses
lacunes. Ses limites démontrent clairement que le modèle d’administration
européen reste encore à inventer.
B. … qui reste encore à inventer
-
Les limites du modèle
d’administration communautaire
En ce qui concerne les
mécanismes de contrôle, le rapport des experts indépendants de 1999 a montré
les dysfonctionnements du contrôle hiérarchique interne à la Commission.
L’établissement d’un contrôle du Conseil sur le collège des commissaires ne
remédierait en rien à cet état de fait. Quant à la responsabilité personnelle
des fonctionnaires, elle pose de redoutables problèmes juridiques : peut-on
appliquer le droit belge ou luxembourgeois en matière de responsabilité civile
et pénale à des fonctionnaires disposant d’immunité et de privilèges liés à
leurs fonctions ? Comment développer un tel régime sur la base du droit
communautaire ? En matière d’effectifs, les services de la Commission sont de
très petites bureaucraties. Les conséquences de cette petite taille, outre le
fait qu’il ne peut s’agir de la bureaucratie envahissante souvent décrite, sont
de deux ordres. D’une part, les services de la Commission travail continûment
en excès de charge, ce qui s’oppose à des réformes en profondeur de
l’organisation administrative, qui nécessite du temps et un minimum de stabilité
de l’environnement. Or, l’administration communautaire, si elle a emprunté de
nombreux traits aux systèmes administratifs de ses Etats fondateurs, n’a pas
nécessairement retenu les aspects les meilleurs de ces systèmes. D’autre part,
les services de la Commission sont conduit à sous-traiter une assez grande
partie de leur travail dans un très grand nombre de domaines. Pour beaucoup il
en résulte un système opaque et technocratique.
Le plus grave apparaît être
l’absence de mécanisme claire d’imputation dans le système de décision européen,
aggravé par les effets pervers de la comitologie, comme le démontre la crise de
la vache folle. La chute de la Commission Santer conduit à penser que se met en
place un mécanisme de responsabilité sur le modèle des régimes parlementaires,
mais l’expérience des Etats membres montre, selon J. Ziller, le caractère
obsolète de la responsabilité ministérielle lorsqu’il s’agit d’assurer le
fonctionnement des administrations. Reste le médiateur européen. Le Parlement
n’a pas tiré lors de sa première législature pertinente les conséquences de ce
que le médiateur devrait être son délégué : le rapport qui aboutit à la chute de
la Commission Santer à porter essentiellement sur la mal administration et
relevait de ce fait naturellement des services du médiateur. Il a été confié à
un comité d’experts indépendants désigné conjointement par la Commission et le
Parlement, ce qui, selon J. Ziller, souligne les arrières pensés politiques
d’institutions plus soucieuses d’accroître ou de maintenir leurs pouvoirs que de
résoudre les problèmes d’administration.
2. …s’expliquent par la
coexistence de plusieurs niveaux internes à la structure administrative de la
Commission
Selon B. Carèmier, les
disfonctionnements observés dans l’administration de l’Union européenne prennent
leurs sources dans la coexistence de plusieurs niveaux internes à la structure
administrative de la Commission.
En premier lieu, s’est développé
une administration parallèle formelle/officielle qui s’insère toujours
dans le cadre des structures existantes ou par rapport à la dénaturation de ce
dernier. L’administration de la Commission a une vision théoriquement « neutre »
nationalement, c’est-à-dire communautaire, redéfinie en fonction de données
politiques. Ensuite une administration parallèle à caractère informel/officieux
qui consiste en un circuit échappant au cadre et procédure existante. Elle est
donc à la fois la création et le développement de réseaux nouveaux informels de
relation. En fait, cette administration parallèle a pour but, comme la première,
d ‘échapper aux blocages administratifs, au nom de la coordination, de
l’efficacité et de l’amélioration de la gestion administrative. Toutefois, elle
met généralement en jeu non plus des structures ou des ensembles, mais des
personnes. Les relations qui se tissent alors tentent de passer au-dessus de
l’organisation officielle. Or les structures administratives de la Commission
ont justement été mises en place pour éviter tout type d’influence qu’elle soit
nationale ou autre. L’ « eurocratie » est donc une zone de conflit entre
différents intérêts et surtout entre les Etats-membres et la Communauté. C’est
pourquoi il est possible d’affirmer qu’il n’existe pas réellement de fonction
publique communautaire. Il existe plutôt une juxtaposition de fonctions
publiques nationales transférées mais qui ne fusionnent pas. Par conséquent l’ eurocratie
est confrontée au défi qui consiste à faire coexister les intérêts nationaux et
supranationaux en une synthèse la plus harmonieuse possible. Il est d’ailleurs
possible de se demander si l’amélioration de la’administration communautaire ne
passe pas non plus par la création d’une fonction publique communautaire, à
l’abri de cette influence politique, économique ou autre.
Dans tous les cas,
l’administration da l’Union européenne admet des limites dans son fonctionnement
qui révèle son caractère inachevé. En ce sens, en plus, des futurs
élargissements, elle reste un modèle encore à inventer.
L’administration de l’Union européenne constitue un
modèle en elle-même dont la nouveauté et l’inédit l’emportent largement sur les
expériences connues. Cette singularité découle d’un double constat : d’une part
l’Union européenne ne s’assimile pas à un Etat national, d’autre part elle
bénéficie d’une légitimité fonctionnelle beaucoup plus grande que n’importe
quelle organisation internationale. L’administration européenne à grandi au fil
des traités et de l’élargissement des compétences des communautés et de
l’Union ; la juxtaposition de fonctionnaire de nationalités très diverses a
généré une culture administrative européenne détachée voire parfois éloignée,
des traditions et cultures nationale. L’absence d’une véritable responsabilité
politique de la Commission et la complexité du processus décisionnel européen
ont empêché le développement dans l’administration de l’Union européenne d’un
véritable pouvoir hiérarchique au bénéfice d’une décision collective et
circulaire : le « je » national est devenu un « nous » européen ; l’obligation
de travailler en onze langues les plus officielles, au moins pour l’instant,
implique en plus d’une charge financière conséquente, un réel ralentissement du
travail ordinaire de l’administration. Dans une décennie, l’Union européenne
aura sans doute intégrée d’autres Etats membres et nul ne peut dire quelles
seront les conséquences sur les structures et systèmes administratifs qui
entourent les institutions de l’Union européenne.
Bibliographie :
-Caremier(B.), « «l’Eurocratie » :
une fonction publique à la croisé du politique et de l’administratif », revue
de la recherche juridique, dtoit prospectif, 68(1), 1997, p229-86.
-Coll, « l’administration de
l’Union européenne revue française d’administration publique , n°95,
2000
- Ziler(J), Administration
comparées : les systèmes politico-administratifs de l’Europe des douze,
Paris Monchrestien, 1993.