Europeanization => Policy Misfit => adaptational pressures on Domestic Policies |
2. « Structural mismatch »
D’autre part, certains auteurs démontrent que le « mismatch » ne concerne pas uniquement la relation entre les politiques européennes et les politiques nationales, et qu’il peut également, et surtout, exister dans la superposition des structures institutionnelles européennes et nationales. Christopher Knill et Andrea Lenschow[11] étudient ainsi la façon dont les administrations nationales parviennent à s’adapter ou non aux législations européennes notamment dans le cas de directives sur l’environnement. En comparant l’Angleterre et l’Allemagne, ils mettent en évidence le fait que l’Angleterre a mieux adapté ses structures administratives aux lois européennes car l’Angleterre a une tradition réformatrice bien plus grande que l’Allemagne, qui, elle, est freinée par le conservatisme de son appareil administratif.
Lisa Conant[12] examine également le degré d’adaptabilité entre l’UE et les institutions nationales. Selon elle, la différence qui existe entre la tradition juridique des pays et la structure juridique de l’UE est la source première des « adaptational pressures ». Elle part du principe que les intérêts sociétaux sont mieux défendus dans une structure politique qui disperse le pouvoir. A l’échelle européenne on assiste à une grande dispersion du pouvoir[13], donc les groupes d’influence y ont la possibilité d’être très présents ce qui leur permet de participer au système judiciaire européen. La France, avec son pouvoir politique fortement centralisé, contraste énormément avec la grande répartition du pouvoir européen. Cette différence structurelle crée un environnement peu favorable à la formation de groupes d’intérêts actifs, ce qui induit la faible participation française au droit communautaire. L’Allemagne, par contre, est beaucoup plus proche structurellement parlant de l’UE, le pouvoir politique étant divisé entre institutions centrales et institutions des Lander selon les principes du fédéralisme en vigueur. Les cours allemandes participent le plus activement dans dialogue judiciaire européen. Le grand nombre de recours à l’art. 177 devant la CJCE par la Cour de Justice allemande et le petit nombre de recours français attestent de cette différence d’adaptabilité et donc de participation.
Dans chacun de ces cas, l’européanisation par la mise en place d’institutions destinées à se superposer aux institutions nationales existantes souligne le fait que dans de nombreux pays, il y a un énorme « misfit » (inadaptation) qui pour être comblé nécessite une grande intervention.
Europeanization => Structural misfit => adaptational pressures on Domestic Structures |
Le tableau n°1 résume les « fits » et « misfits » expérimentés par les pays qui font l’objet des différentes études de cas.
A l’analyse de ce tableau les auteurs arrivent à la conclusion que l’Union Européenne met en place des politiques et des structures institutionnelles qui ne sont pas isomorphes aux états membres. Ceci remet donc sérieusement en cause la théorie d’intégration appelée « liberal intergovernmentalism » défendue par Andrew Moravscik[14].
Une fois ces « fits » et « : l’analyse des impacts de ce processus sur les structures nationales. Cette analyse est misfits » identifiés, les auteurs en viennent à la troisième étape de la dynamique engendrée par le processus d’européanisation d’autant plus intéressante qu’elle souligne le rôle des « mediating factors » dans l’activation de micro-dynamiques internes à chaque pays.
III. Les résultats de l’adaptation et le rôle des « mediating factors »
Les impacts du processus d’européanisation sur les structures et politiques des états membres sont extrêmement variés, comme le soulignent les études de cas. Il est impossible d’en venir à une conclusion unique. L’européanisation en imposant de nouvelles institutions et directives engendrent des pressions que les auteurs appellent « adaptational pressures » qui sont alimentées, défendues, promues par ce qu’ils appellent des « mediating factors » qui sont eux-mêmes engendrés et motivés par le processus d’européanisation. Ces facteurs sont de différents types et cautionnent ou luttent contre le processus. Ils ne sont pas toujours victorieux dans leur entreprise d’adaptation ou de blocage.
Beaucoup de pays ont été pendant longtemps très allergiques au changement. Ce fut le cas de la France qui a mis du temps à appliquer la Directive concernant l’égalité des traitements entre hommes et femmes (1976). Il en fut de même avec l’Allemagne qui a mis près de 10 ans avant de respecter la Directive sur l’eau potable, et qui résiste toujours à la loi EMAS (Environmental Management and Auditing System). L’Italie a connu des pressions dans quasiment tous les domaines de politiques européennes. Les transformations institutionnelles n’ont été possibles que dans les domaines des télécommunications et des finances publiques.
Le tableau n°2 présente une synthèse des évolutions des structures nationales en fonction des différents facteurs de médiation.
Si les auteurs avouent ne pas être en mesure de fournir un schéma global explicatif des changements et des résistances opérés dans la dernières phase de la dynamique, ils parviennent néanmoins à identifier quatre types de « mediating factors » qui y ont participé.
1. « Multiple veto points »
L’existence de plusieurs « points de veto » dans la structure institutionnelle d’un pays, en permettant à des acteurs de résister au changement, est en fait l’une des causes principales du manque d’adaptation institutionnelle. Trois des six cas de résistance aux pressions européanisantes – la libéralisation des transports routiers et ferroviaires italiens et la politique d’environnement en Allemagne – ont été mises à mal par les vetos de certains acteurs nationaux. L’Allemagne tout comme l’Italie possède une structure politique qui permet à une multitude d’acteurs sociaux et politiques de bloquer les réformes. En Allemagne, c’est la décentralisation qui permet cette intervention, tandis qu’en Italie c’est davantage le clientélisme. Cette possibilité de blocage peut être, cependant, surpassée comme l’ont prouvé les réformes des télécommunications et des finances publiques en Italie.
La France se définit par son système centralisé. De nombreuses études de cas ont démontré que la résistance aux pressions européanisantes n’a pas pour uniques causes les vetos de certains acteurs mais aussi la structure centralisée de certains états. Comme Lisa Conant[15] le remarque, c’est précisément la concentration extrême du pouvoir français qui empêche certains acteurs d’avoir une influence et, dans le cas étudié par l’auteur, d’avoir accès au système juridique européen. La Grande-Bretagne par contre, est un système pluraliste qui permet aux intérêts sociaux d’être représentés. Un certain nombre d’institutions britanniques servent de médiateurs. Par exemple, le British Equal Opportunity Commission (EOC) a permis aux associations de défense des droits des femmes de faire appliquer la directive européenne sur l’égalité des salaires. En France, il y a absence d’institutions de la sorte, ce qui rend quasi-impossible l’évolution des structures existantes.
3. La tradition politique
Les traditions politiques sont aussi des éléments clés qui permettent de comprendre pourquoi dans certains états, il n’y a pas d’évolution. Les régions espagnoles et les länder allemands ont très peu utilisé les opportunités conférées par l’européanisation pour faire échec à la politique étatique. Cela parce qu’il y a, dans ces entités, toute une notion de « comportement approprié » à respecter dans les relations entre acteurs et institutions étatiques.
4. Les lobbies
Le processus d’européanisation n’a pas pour unique impact de faire pression sur les institutions, il suscite et renforce également les groupes d’intérêts locaux qui se chargent par la suite de se faire les relais de l’impact européen. Dans le cas de la libéralisation des transports, le processus d’européanisation a renforcé les groupes d’intérêts (type lobbies) français, allemand et italiens qui étaient favorables à la libéralisation et à la dérégulation. De même, les directives européennes sur l’égalité des salaires et des traitements entre hommes et femmes a donné une opportunité aux organisations féministes de Grande-Bretagne de persévérer dans leur lutte. L’européanisation est donc souvent au niveau domestique, une légitimation des causes défendues par certains acteurs nationaux.
Ainsi, on comprend bien la dynamique ternaire du processus d’européanisation qui en faisant pression pour l’adaptation des structures nationales aux politiques et système européens, aspire à créer une convergence des différentes structures étatiques des pays membres. En ce qui concerne la réalité de cette convergence, les résultats des études de cas menés dans cet ouvrage sont assez clairs et peuvent se résumer en trois points :
- L’adaptation des institutions nationales, quant il a eu lieu, a donné lieu à un mouvement de convergence structurelle des différentes structures étatiques des pays membres
- ci n’implique pas une homogénéisation soudaine des Cependant, il convient de relativiser la convergence remarquée. Celle structures ni le complet rejet des « styles » administratifs nationaux. La France n’a pas abandonné son identité nationale en participant à l’identité collective européenne. De même, les traditionnelles tensions qui existent entre les régions espagnoles et le gouvernement central n’ont pas disparu avec la mise en place du régionalisme coopératif. Les exemples sont divers et tendent tous à nuancer la réalité de la convergence.
- Enfin, dans le cas comparatif des deux processus d’européanisation (par mise en place de politiques et par mise en place d’institutions), il apparaît justifié d’affirmer que la convergence est plus probable et manifeste dans le cadre d’une européanisation par voie de politiques.
En conclusion, les auteurs soulignent le fait que leur ouvrage paru en 2001 n’est nécessairement que l’introduction à une réflexion dont seul le temps permettra l’approfondissement.
« Whether or not Europeanization will ultimately lead to structural convergence is open to debate. Whether or not it will finally transcend the nation-state is also a matter of contention. As we demonstrate, Europeanization transforms the domestic structures of the nation-states and the meanings attached to them. In short, Europeanization matters. »
[1] Dans la série des « Cornell Studies in Political Economy » édité par Peter J. Katzenstein, 2001
[2] « Europeanization and the Courts : Variable Patterns of Adaptation among National Judiciaries » Lisa Conant
[3] « The Europeanization of Gender Equality Policy and Domestic Structural Change » James Caporaso et Joseph Jupille
[4] « Differential Europe : National Administrative Responses to Community Policy » Adrienne Héritier
[5] « Institutionnal Reform in Telecommunications : The European Union in Transnational Policy Diffusion » Volker Schneider
[6] Article renforcé par la Equal Pay Directive (EDP) de 1975 et la Equal Treatment Directive (ETD) de 1976.
[7]« The Europeanization of Gender Equality Policy and Domestic Structural Change » James Caporaso et Joseph Jupille
[8] « Differential Europe : National Administrative Responses to Community Policy » Adrienne Héritier
[9] « Institutional Reform in Telecommunications : The European Union in Transnational Policy Diffusion » Volker Schneider
[10] « Italy Pays for Europe : Political Leadership, Political Choice and Institutional Adaptation » Alberta Sbragia
[11] « Adjusting to EU Environmental Policy : Change and Persistence of Domestic Administration » Christoph Knill et Andrea Lenschow
[12] « Europeanization and the Courts : Variable Patterns of Adaptation among National Judiciaries » Lisa Conant
[13] « action must typically be initiated by the European Commission, adopted by overwhelming to unanimous agreement in the Council of Ministers, approved by the European Parliament in some instances, and ultimately implemented by member states » schématise Lisa Conant.
[14] Cette théorie stipule que l’Union s’est créée après un marchandage intense entre les états membres prêts à tout pour préserver leurs préférences nationales, ce qui laisserait penser que l’Union européenne n’est finalement que la stricte transposition à l’échelle européenne de structures et de politiques ayant fait leur preuve à l’échelle nationale.
[15] « Europeanization and the Courts : Variable Patterns of Adaptation among National Judiciaries » Lisa Conant