Le système local en France

 

 

Objectif du livre : exposer un état problématique du système local français.

Albert Mabileau est professeur à l’université de Bordeaux I et a fondé le CERVL (Centre d’Etude et de Recherche sur la Vie Locale)de l’IEP et du CNRS.

 

Constat : Il n’y a pas en France de gouvernement local.

En effet, en France, la République est une et indivisible, le principe le plus important est celui de la souveraineté nationale. Donc les autorités locales sont considérées comme le prolongement dans l’ensemble du pays  d’un système de gouvernement  qui n’a de réalité qu’au niveau de la Nation et de l’Etat  (ex : préfet = représentant de l’Etat dans son département en charge des intérêts nationaux).

 

L’organisation de l’espace local est complexe car doit répondre à deux objectifs différents difficiles à concilier :

- La reconnaissance des communautés sociales formées au cours des siècles, c’est-à-dire respecter l’identité locale de la population,

- Mais l’organisation locale doit permettre aussi le contrôle politique du gouvernement  et de l’Etat sur l’ensemble du territoire.

 

 

Chap 1 : Le local et le National

Obj : quels rapports entretiennent le niveau local et le niveau national en France ?

 

Un rapport ambivalent à l’Etat

- La politique du pays est élaborée et déterminée au niveau national et plus spécialement du gouvernement. Le niveau local serait alors uniquement un instrument d’exécution de la politique gouvernementale. C’est le schéma tel que le livre le centralisme jacobin. Cette emprise du pouvoir central se justifie : l’Etat se réserve la maîtrise du champ politique au nom de l’intérêt général.

- Cependant les relations centre-périphérie s’inscrivent dans un modèle qualifié d’ « asymétrie interdépendante », c’est-à-dire les autorités locales peuvent exercer une pression importante sur le pouvoir central pour obtenir des objectifs précis. Cependant l’intensité de cette pression et la capacité à obtenir la prise en considération des intérêts locaux dépendent surtout des acteurs qui en sont les promoteurs et de leur stratégie (importance du préfet, des groupes d’intérêt,…) .

- Comment se fait la communication entre les deux niveaux de gouvernement ?

Le cumul habituel des mandats locaux et nationaux, qui est une spécificité entièrement française, est un outil de communication très efficace dans le sens où il établit des relations étroites entre responsables locaux et élites politiques nationales. En fait la prise de conscience du compromis indispensable entre les impératifs nationaux et les intérêts locaux s’opère au sein du même personnel politique.

 

Le changement à l’ombre des réformes institutionnelles

Albert Mabileau étudie dans cette partie les réformes fonctionnelles qui ont touchées les structures locales depuis le XIX e siècle. En effet, les Français ont été dans l’incapacité de réformer de manière structurelle le système local, on a en général préféré les réformes fonctionnelles qui permettent au pouvoir central de parvenir à ses fins en modifiant le processus de décision, en multipliant les contrôles ou en procédant à des interventions financières. C’est ce que révèlent pour lui les étapes successives de l’organisation du territoire qu’il étudie en détail.

 

La décentralisation à la mesure de l’autonomie locale

Le changement survenu avec la loi du 2 mars 1982 sur « les droits et libertés des communes, des départements et des régions » ne touche pas aux structures territoriales mais attribue de nouveaux  rôles aux élus locaux : le préfet perd les exécutifs régional et départemental au profit des présidents de conseil régional et général. Le problème est que la décentralisation n’établit nullement un « pouvoir local » qui ferait contre-poids de manière efficace au pouvoir central. Elle permet seulement la reconnaissance de l’émergence de pouvoirs locaux, dont la multiplicité interdit leur érection en un pouvoir territorial fort qui ferait équilibre à l’autorité de l’Etat. Ainsi il est clair que la décentralisation a reconnu la légitimité du  gouvernement local, mais son autonomie est limitée. Si le champ d’action des collectivités locales s ‘est élargi (planification, développement économique, aménagement rural,…), la capacité décisionnelle des autorités locales n’a pas fait l’objet des même mesures. Ainsi dans son acception juridique, la tutelle des autorités locales a disparu puisque le préfet n’exerce plus de contrôle à priori sur les actions des collectivités mais on lui a substitué en réalité un contrôle de légalité à posteriori. De plus des contrôles plus masqués se sont mis en place avec l’adoption de nouvelles procédures dans les relations entre les collectivités locales et l’Etat, les contrats de plan Etat-région.

 

Chap 2 : Les institutions

 

Albert Mabileau étudie dans ce chapitre l’organisation interne du système local et donc les différents niveaux de pouvoir local et leurs relations.

 

Niveau d’administration territoriale et différenciation des fonctions

La France est le seul pays d’Europe occidental a disposé de quatre niveaux de pleine administration, qui sont toutes uniformisées : uniformité horizontale (chaque collectivité de même niveau est organisée de la même manière dans sa structure et son fonctionnement ex : Paris est administré de la même manière qu’une commune rurale !!) et uniformité verticale (système d’administration est équivalent à tous les échelons territoriaux et comporte un exécutif et un organe belligérant). Ces quatre niveaux sont : la commune, le département, la région et l’Etat. On va donc étudier les différents niveaux de pouvoir local pour apprécier leurs particularités.

 

La commune. L’identité locale et la distribution des services

- L’identité locale se cristallise autour de la commune (lieu où s’exprime la culture paroissiale), c’est la plus ancienne des institutions locales ( mises en place en 1789 sur la base des paroisses de l’ancien régime).

- Donc dispose d’un grand nombre de ressources : la proximité des responsables politiques avec leurs administrés, système de gestion très performant,  la commune peut  être considérée comme la cellule de base de la démocratie, bref elle dispose d’une assise politique et sociale importante, ce qui peut expliquer la pérennité des structures municipales dans l’organisation territoriale.

- Cependant beaucoup de communes ont perdu de leurs substances car incapables de fournir les services élémentaires de la vie quotidienne à leurs habitants. La capacité d’action des municipalités -et le niveau des services qu’elles proposent sont bien les critères discriminants des variations du gouvernement municipal. On voit apparaître une nouvelle division, malgré postulat d’uniformité entre les centres urbains disposant d’une autonomie réelle d’administration et un arrière-pays rural soumis à l’assistance de l’Etat. Donc classement des gouvernements municipaux selon leur rapport à l’Etat et leur efficacité dans leur fonction de prestation de biens et services.

 

Le département, médiateur des localités et dépositaire de la solidarité locale

- Dispose d’une situation privilégiée depuis la décentralisation de 1982, puisque c’est le président du conseil général qui est maintenant son exécutif et plus le préfet, donc c’est la fin de l’irresponsabilité des élus départementaux.

- Il a une situation importante d’abord par son champ d’intervention qui en fait le médiateur de la société locale. Nouvelles relations instaurées entre le conseil général et les localités, il s’agit plus aujourd’hui d’une assistance, d’une tutelle apportée par le département aux collectivités. Bien sur cette tendance est plus vraie pour les communes rurales ou les villes moyennes que pour les grandes villes autonomes.

- Le département a surtout un rôle privilégié dans l’organisation de la solidarité locale, dans le sens où il s’agit à la fois d’une assistance apportée par le département aux collectivités de niveau inférieure et une procédure qui associe les demandes et les intérêts de celles-ci. (ex : Création de services sociaux directement pour les administrés ou collaboration avec les centres communaux d’Action sociale (CCAS).

 

La région, l’aménagement du territoire et le développement économique et social

Elément relativement récent  (1972) pensé dans le cadre d’une modernisation du système local.

Elle a été créée au départ comme relais des politiques gouvernementales d’aménagement du territoire, et de planification (années 60), mais son évolution a été vers toujours plus d’autonomie (devpt progressif de politiques régionales autonomes années 80) qui font que la région est devenue aussi un instrument d’expression des demandes locales.  Elle a donc acquis un statut sociologique puis juridique d’institution locale.

La région a profité de la décentralisation qui a consacré son autonomie : « le rôle de la région est de promouvoir le développement économique, social, sanitaire, culturel et scientifique de la région », donc éventail très large dans ses possibilités d’intervention aujourd’hui.

La région est LA structure territoriale en devenir :

Ses interventions se sont accrues et diversifiées (en particulier dans le domaine économique)

L’identité régionale commence à s’affirmer

Le développement européen s’est cristallisé sur la région, plus que sur les Etats nations (programme de développement régional du FEDER- fonds européen de Développement économique régional).

D’où de nouveaux  problèmes qui se posent sur la taille des régions et sur les ressources surtout de chacune d’elle, si elles sont destinées à constituer des territoires relais pour la construction européenne. Nv enjeu : l’ajustement démographique, économique, territorial des structures locales

 

Les relations entre les gouvernements locaux

 

Le problème des relations entre collectivités locales n’était pas déterminant avant 1982, parce que le préfet se situait au centre du système et pouvait à tout instant arbitrer entre les élus locaux. La décentralisation et la marginalisation du préfet placent en rapport direct communes, départements et régions, devenus les composantes d’un gouvernement local.

Le problème est d’autant plus complexe en France que la loi d’application de la décentralisation de janvier 1983 proclame l’interdiction formelle de toute tutelle d’une collectivité sur l’autre, les trois niveaux d’administration sont entièrement situés sur le même plan, donc il y a la nécessité de définir des « relations intergouvernementales », c’est-à-dire une certaine collaboration entre centres de pouvoir qui ne peuvent s’ignorer. Cependant ces relations sont à tirer de l’expérience et de la pratique car il n’existe aucune distinction précise dans les textes.

Les lois de janvier et juillet 1983 se contentent d’instituer des « blocs de compétence » qui vont déterminer les secteurs d’intervention des collectivités. Mais si l’attribution de compétences spécifiques donne à chaque collectivité une légitimité supplémentaire dans l’action dont elle est chargée, en réalité les responsables locaux disposent d’une latitude de choix ouverte à toutes les initiatives.

 

L’attribution des compétences et les relations entre les différentes collectivités va en fait beaucoup dépendre de leurs disponibilités financières.

L’impératif d’une coopération entre institutions locales est apparu dès l’après-guerre au niveau communal, face aux efforts à fournir pour la reconstruction économique et sociale et face à l’éparpillement des communes, la coopération intercommunale a donc été progressivement formalisée. Il ne s’agit pas d’une réforme structurelle, mais plutôt d’une solution pragmatique et souple.

Très préoccupante est la concurrence que la décentralisation a finalement établie entre le département et la région. Mode de relation qui  s’établira entre les deux structures est d’une importance capitale parce qu’hypothèque l’articulation entre le pouvoir central et le système local.

 

 

 

Chap 3 : Le pouvoir, les notables en situation

 

Obj : qui détient le pouvoir local en France aujourd’hui ? Quels sont le rôle et la légitimité des acteurs locaux en France ?

 

La notabilisation du système local

 

Dans acception traditionnelle, le notable se caractérise par une double spécification : d’abord sa notoriété résultant de son appartenance à des catégories socioprofessionnelles valorisées qui lui donnent un statut remarqué au sein de la société locale et son réseau de relations personnelles qui lui permettent de jouer un rôle de médiateur et d’intervention auprès de l’administration. Cette interprétation du notable est un peu dépassée aujourd’hui, parce que l’éventail des catégories sociales d’appartenance des élus locaux s’est considérablement élargi. Cependant cela n’empêche pas les élus d’acquérir ensuite par les fonctions qu’ils exercent le réseau de relation et le statut social inhérent à la notabilité.

Mais quoi qu’il en soit, « la classe des notables » occupe encore aujourd’hui la position centrale dans le système local qu’elle a ravie au préfet. C’est un effet immédiat de la décentralisation d’avoir établi la responsabilisation des élus. Il faut reconnaître la pérennité du système notabiliaire en France. En effet, le pouvoir local est caractérisé par une très forte personnalisation (beaucoup plus qu’au niveau national)( les électeurs désignent d’abord une personnalité). En corollaire, le système notabiliaire français assure  une stabilité inhabituelle au système locale et donc une remarquable continuité du pouvoir. Cela s’explique par certains processus électoraux très importants au niveau local (la prime au sortant et l’hérédité politique.

On peut parler de l’avènement d’une nouvelle classe politique locale. Changement de génération (ex : 1989 15% de nouveaux maires dans les villes de 20000 habitants), mais cela ne signifie pas que le profil des notables ait changé, le processus de reproduction des élites politiques locales se poursuit largement. Les seules altérations visibles concernent l’origine socio-professionnelle des élus (retraités, ingénieurs, salariés du privé, fonctionnaires).

 

Les rôles intermédiaires

 

Autour des notables, qui occupent position centrale, il existe d’autres acteurs qui ont leurs ressources propres, qui répondent à des enjeux particuliers. Trois grandes catégories d’acteurs se profilent : le préfet, les experts, les acteurs périphériques du champ social.

Le statut du préfet a perdu sa position stratégique depuis 1982 et  traverse une crise d’identité avec la décentralisation. Il exerce dans son département les prérogatives régaliennes de l’Etat, en particulier maintien de l’ordre public, mais est assure aussi la mise en œuvre sur le territoire des politiques impulsées par l’Etat (ex : distribution subventions pour l’économie). Il peut intervenir aussi en correction pour assurer la négociation et la concertation entre toute les collectivités entre elles.

Les experts sont de plus en plus nombreux parmi le personnel politique local ; mais ils correspondent à un autre système de légitimité, dans le sens où ne disposent pas de la légitimité démocratique incarnée par les élus, ni la légitimité de l’Etat incarné par le préfet, Il s’agit plutôt d’une « légitimité managériale » où les élites locales sont appréciées en fonction de leur capacité à promouvoir des actions et à produire des biens et des services compétents.

Augmentation et diversification des acteurs qui se mobilisent pour s’immiscer dans le système local : institutions para-communales, entreprises, groupements professionnels.

Un modèle nouveau de régulation

 

 La question est : existe-t-il un pouvoir local ou des pouvoirs locaux ? En fait, l’existence d’un pouvoir local généralisé et intégrateur résulte beaucoup plus pertinemment de la réunion d’éléments spécifiques qui forment un ensemble organisé et coordonné traduisant l’émergence d’un véritable « système de pouvoir » local.

Le modèle de « gouvernement local » est beaucoup plus proche du gouvernement présidentiel que du gouvernement parlementaire : pas d’équilibre des pouvoirs, prééminence de l’exécutif (renforcé par la décentralisation. On peut parler, en France, d’un modèle mayoral de gouvernement au niveau local, avec domination de l’exécutif, les assemblées locales ont surtout un rôle de ratification des décisions prises par le maire ou le président.

Le système local repose sur la polarisation des pouvoirs locaux qui comporte deux mécanismes apparemment contradictoires mais en fait complémentaires : la concentration du pouvoir et la dispersion des centres de décisions.

La concentration du pouvoir : désormais, dans une institutionnalisation de type présidentielle, les députés-maires des grandes villes, les présidents de conseil général, … constituent les figures de proue du pouvoir local (capacité d’action renforcée par la décentralisation, ont accès au pouvoir central, se situent au carrefour de plusieurs réseaux, …). Il est rare que le système soit monopolisé par un seul élu, même si l’un d’entre eux détient une position prééminente par rapport à ses collègues. Le système est ordinairement multipolaire, en raison de la fragmentation des lieux de pouvoir et de leur autonomie respective.

La dispersion des centres de décision : C’est par l’intermédiaire des réseaux de pouvoir que peuvent être incorporé dans le système un ensemble de centres de décisions. S’il existait déjà autrefois une dispersion du pouvoir local, depuis la décentralisation, c’est le pouvoir de décision  lui -même qui s’est dispersé, puisque ses détenteurs se sont multipliés appuyés sur des centres institutionnels consacrés et légitimes.

 

 

Chap 4 : La société locale

 

Obj : Les institutions locales sont le point de charnière entre la société civile et la société politique. Ainsi il est important d’étudier les relations qu ‘entretient le système politique locale avec sa popoulation, c’est-à-dire l’intégration des citoyens et leur participation au niveau local ?

 

A la recherche de la participation politique des citoyens

 

La participation politique à l’échelle locale est importante. Les Français ont toujours apporté un intérêt soutenu aux élections locales et dans l’ensemble la participation aux élections locales s’est accrue depuis la Ve République. Cela s’explique par le fait que plus de 2/3 des Français estiment que ce sont les élus locaux qui jouent le rôle le plus utile au détriment des parlementaires.

Les élections locales sont de plus devenues un enjeu politique. La manifestation la plus visible en est l’engagement des partis dans la bataille électorale. Les candidats « sans étiquette » ou d ‘ « Action locale » qui restaient encore à la fin ds années 60 ont pratiquement disparu.

On peut parler d’une nationalisation des élections locales, dans le sens où aujourd’hui les électeurs expriment dans les scrutins locaux leur mécontentement à l’égard du gouvernement en place.

Contradiction entre faible taux de participation des citoyens aux affaires locales et discours renouvelé sur « la démocratie de la participation ». C’est que la tradition locale en France a toujours été celle de la démocratie représentative, c-a-d de la démocratie sans le peuple, mais si il y a eu un mouvement pour une démocratie locale s’est heurtée à l’indifférence de la population. Pour eus les affaires locales constituent l’affaire des élus, quitte à les sanctionner aux prochaines élections.

Aujourd’hui la médiation n’est plus assurée par les notables, mais l’encadrement des citoyens est réalisé par deux structures : les associations par le biais de la société civile et les partis locaux au contact de la société politique.

 

L’intégration sociale des administrés

La décentralisation a renforcé la fonction d’intégration sociale confiée au système local, puisque la loi de 1982 établit le principe suivant lequel les collectivités locales assurent « la protection des intérêts économiques et sociaux de leur population. La relation entre la soci été civile et le système local en est donc renforcée.

Il existe trois types de politiques publiques au niveau local :

La localisation des politiques nationales 

L’encadrement des politiques territoriales 

Les actions ou les politiques d’initiative locale 

Problèmes croisés se posent aujourd’hui entre l’intégration du pouvoir dans la société locale et l’intégration des administrés dans leur environnement social.

En fait avec « la rhétorique décentralisatrice », il y a eu une prolifération des actions publiques locales quantitativement  et qualitativement, donc le gouvernement local a pu sembler être de plus en plus présent.

Parallèlement, l’expression des demandes sociales est extrêmement diversifiée : va de la demande individuelle spontanée à de demandes collectives sur un quartier ou un village entier organisées dans le cadre d’association ou de partis politiques.

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