Regards portés sur la politique de la ville
Introduction
Depuis de nombreuses années, les responsables
politiques dénoncent les inégalités et les malaises des villes modernes et
cherchent à y remédier par la Politique de la Ville . La plupart des pays
d’Europe sont confrontés à ces mêmes problèmes, qu’ils essayent de traiter par
des méthodes diverses. Comment la presse juge-t-elle la politique de la ville ?
Quels aspects en perçoit-elle ? La considère-t-elle comme efficaces ?…Telles
sont les questions qu’on peut se poser. Mais il semble qu’il n’existe pas de
véritable politique de la ville, mais plutôt des politiques de la ville, voire
dans la ville, au niveau local et non au niveau global. De plus, la situation
varie beaucoup selon les pays d’Europe.
A la lecture des dossiers
de presse, depuis une dizaine d’années, trois enjeux principaux apparaissent :
par ordre d’importance croissante, une volonté d’améliorer le cadre de vie, la
nécessité de juguler le développement anarchique de la ville, et enfin la
nécessité de résoudre les problèmes sociaux qui se posent dans la plupart des
villes, ce qui inciterait à la création de politiques plus globales.
I.
L’amélioration du cadre de vie
A. Des actions ponctuelles
1. La construction de monuments comme faire-valoir
politique
Les artistes et intellectuels de la capitale
espagnole, relayés par la presse barcelonaise, ont dénoncé il y quelques années
le « mauvais goût persistant de leur municipalité » (Courrier International,
juillet 1995). Il est vrai que la politique urbanistique de la ville ne cesse de
susciter la polémique. Son objectif était de doter la capitale espagnole de
monuments qui la symboliseraient dans le monde entier. Mais ses détracteurs
dénoncent l’absence de projet cohérent et le manque de sens esthétique des
autorités locales. Ils en veulent pour preuve l’installation d’une fontaine en
rocaille, l’exposition de sculptures d’un artiste colombien controversé alignés
le long d’une artère, mais tournées vers la chaussée et non pas vers les
promeneurs. Les madrilènes eux-mêmes ont commencé à protester après l’apparition
de 1500 nouveaux éléments de mobilier urbain qui ont « envahi » la ville. Le
quotidien national El Pais n’hésite pas à écrire : « ce qui, à Madrid, est cru,
violent et excessif, devient à Barcelone fortuit et paisible, amorti par la
prudence provinciale et le traditionalisme éduqué d’une ville qui se respecte »…
Au-delà de l’anecdote se dessine une vision de
la politique urbaine, autour de grands projets artistiques ou esthétiques, qui
dépend beaucoup de la personnalité des maires. En France, une telle vision a
plutôt été le fait de l’Etat qui a impulsé la politique des grands travaux à
Paris. Un autre exemple caractéristique de l’importance décisive des ambitions
du maire peut être trouvé dans la ville de Marbella que son maire, Jesus Gil y
Gil, a, au début des années 1990, largement contribué à embellir en plantant des
centaines d’arbres, en installant de nouvelles fontaines ainsi qu’une promenade
maritime en marbre. Ces actions, menées d’un style autoritaire, étaient alors le
moyen de se faire connaître et d’entamer une rapide carrière nationale.
2 .Organiser les transports
Dans la plupart des grandes villes d’Europe,
l’organisation du trafic automobile apparaît comme un enjeu politique très
important. Les citadins se plaignent des nuisances causées par les voitures mais
répugnent à cesser d’utiliser la leur. Les maires doivent donc arbitrer entre la
nécessité économique de permettre le trafic automobile et le désir des habitants
de voir leur ville moins envahie par les voitures. Ces décisions sont prises au
niveau local et obéissent souvent à des motivations purement politiques.
L’un des moyens les plus souvent utilisés pour
réduire la place de la voiture dans la ville est le développement des transports
en commun. Certains maires ont même décidé de les rendre gratuits pour inciter
les habitants à les utiliser : c’est le cas du maire de Châteauroux, par exemple
(cf. le Monde daté du 3 décembre 2002). Mais cette mesure est
difficilement applicable dans les grandes villes, et de plus son efficacité est
discutable : il n’y a pas réellement un transfert de la voiture vers les
transports en commun, mais plutôt un transfert piéton/transport en commun.
D’autres villes, comme Paris, cherchent plutôt à
créer des quartiers réservés aux piétons, suivant l’exemple des villes
allemandes. Le Monde du 23 novembre 2002 a consacré un article aux
projets du maire de Paris pour réduire la place de la voiture dans la ville
grâce à la mise en place de « quartiers verts », où les sens interdits doivent
décourager le transit des automobilistes sans toutefois empêcher la desserte
locale. Dans le même ordre d’idées, la ville de Londres a récemment décidé de
faire payer des contraventions plus élevées dans le centre-ville, pour essayer
d’y atténuer un peu l’emprise de la voiture.
Mais ces projets ne s’inscrivent que rarement
dans une perspective de transformation totale de la ville et restent le plus
souvent soit des actions ponctuelles, soit des objectifs à atteindre dans un
avenir indéfini. Il n’existe pas encore, sauf exceptions, de réelle politique
interurbaine des transports, ce que déplorait Bertrand Delanoë dans Le Monde
du 23 novembre.
B. Des plans plus ambitieux : remodeler la ville
1. L’exemple de l’ex-RDA
Les cités dortoirs d’Allemagne
de l’Est, construite pendant la période communiste, accueillent entre un
cinquième et un quart des Allemands de l’Est contre 3 % en ex RFA. La presse de
l’Ouest n’a cessé de décrier l’architecture de ces blocs en préfabriqués,
présentés comme le symbole d’un habitat socialiste inhumain et de mauvaise
qualité, condamnés à créer des quartiers à problèmes. Pourtant cette campagne de
presse ne reflète guère la réalité : une étude sociologique menée à intervalles
réguliers depuis 1979 témoigne de l’adhésion d’une majorité des habitants à leur
quartier.
Le principal problème des
nouveaux Länder n’est pas à proprement parler ces cités mais l’exode massif de
leurs habitants vers l’Ouest qui laisse plus d’un million de logements vides.
Les experts conseillent d’en détruire un tiers, voie dans laquelle se sont
engagées de nombreuses municipalités qui démolissent d’un côté ces banlieues
tout en reconstruisant des logements individuels neufs un peu plus loin.
De plus, les bâtiments nécessitent une profonde
rénovation (par exemple, ils sont mal isolés, et laissent passer le froid et
l’humidité) si ces quartiers veulent conserver des habitants dont le pouvoir
d’achat a augmenté. Ce vaste chantier attire les urbanistes allemands pour qui
l’ex-RDA fait figure d’eldorado, comme le raconte l’une d’entre eux : « On peut
réellement créer quelque chose de nouveau ici, s’engager vraiment ». Ainsi à
Grünau, la création d’une ceinture verte a permis d’améliorer la qualité de vie
du quartier, tandis que l’interdiction de la circulation automobile dans une
grande partie de la ville a permis de créer de vastes zones piétonnières qui
attirent les commerces de proximité.
2. L’exemple de Barcelone
Cet exemple est
particulièrement intéressant car Barcelone a profité d’accueillir les Jeux
olympiques de 1992 pour attaquer de grands travaux et apparaît comme l’un des
grands chantiers urbains de ces vingt dernières années. Sa renaissance avait
commencé avec l’après-franquisme, mais ce sont bien les JO qui ont permis de
« transfigurer » la ville qui souffrait de plusieurs maux. Le plus apparent
était d’être un port coupé de sa façade maritime par une zone industrielle
peuplée de hangars, d’usines et de voies ferrées. Ensuite venait le problème de
l’émiettement de cette ville qui s’étend sur 98 km2 et dont les
faubourgs s’étaient développés sans aucun plan d’urbanisme. Enfin, la ville
avait besoin de nouveaux moyens de communication et de nouveaux équipements de
communication.
Les JO ont tout d’abord été l’occasion de se doter de nouvelles
infrastructures telles qu’un nouvel aéroport, un périphérique d’une quarantaine
de kilomètres ainsi que de nouvelles voies de communication pour désengorger le
centre, un système de télécommunication moderne, une capacité hôtelière
augmentée de 25 %.
Ces travaux se sont poursuivis selon quatre principes : redonner
leur valeur aux espaces publics, ce qui signifie que la mairie acquière
suffisamment d’espaces pour y intervenir ; redonner vie aux zones périphériques
délaissées ; aménager les espaces publics selon une certaine unité ; et enfin
entraîner le secteur privé dans cette voie qualitative. Ils ont en outre été mis
en œuvre sous le contrôle omniprésent des trois architectes en chef qui avaient
établi un cahier des charges très précis à destination des entreprises de
bâtiment qui définissait précisément les règles jusqu’à la taille des immeubles
et aux matériaux à utiliser.
La presse française a salué unanimement cette métamorphose,
nécessaire pour une ville qui entend conserver son statut de capitale espagnole
de la culture et devenir une métropole incontournable du sud de l’Europe. Le
Monde notait par exemple que si « cela n’est pas, ou n’est plus, dans le
goût français que de se plier ainsi à un urbanisme planifié, (…) on voit bien
ici à quel point le talent et l’imagination peu06 60 68 77 56vent servir la
ville lorsqu’ils sont habilement encadrés ».
Une telle affirmation n’était sans doute pas infondée lors de la
décennie précédente ; la situation a également considérablement évolué en France
où l’extension anarchique des villes a remis au goût du jour les plans
d’aménagement.
II. Lutter contre
un accroissement incontrôlé des villes
A. Face à l’extension anarchique des villes…
1. Les entrées de ville ou « le grand bazar de la
laideur » (Le Figaro, 24 juin 1996)
Toute la presse est unanime
pour dénoncer cette « exception française » dans le mauvais terme, à savoir la
dégradation des entrées de ville. Les entrées d’agglomération sont décrites
comme des zones uniformes, où l’on retrouve partout « la même succession de
boîtes multicolores posées au plus près des axes routiers – autoroutes, rocades,
échangeurs -, la même forêt d’affiches et d’enseigne » (Le Monde, 4
novembre 1998).
La physionomie actuelle des entrées de ville
est le résultat d’un long processus, amorcé dans les années 1960, où les
intérêts économiques des grandes surfaces et ceux des communes ont convergé. En
périphérie urbaine, les promoteurs ont trouvé des terrains plus vastes et moins
chers qu’en centre-ville, des règles d’urbanisme moins contraignante, voire
inexistantes, une bonne visibilité depuis les voies d’accès et une adaptation
parfaite à l’automobile. Quant aux petites communes, elles y ont vu l’occasion
d’accroître leurs ressources grâce à la taxe professionnelle, qui fournit en
moyenne le quart de leur budget, et de développer l’emploi local.
Pour autant, cette pollution
visuelle n’est une fatalité puisque les autres pays européens ont réussi à s’en
protéger : en Grande-Bretagne, le « green belt act » protège les périphéries
urbaines, en Allemagne, une loi draconienne a été mise en place à l’égard des
petites et grandes surfaces commerciales.
Dès lors la presse s’attache à trouver les
responsables de ce « massacre » français (le vocabulaire employé à l’encontre de
cette urbanisation débridée est particulièrement virulent) et le pouvoir
politique est mis en cause. L’Etat n’a pas instauré de lois aussi strictes que
celles votées dans les pays voisins et les maires des communes périurbaines ont
laissé se développer ces zones commerciales en fournissant les permis de
construire. Enfin, l’échec de la planification commencée dans les années 1960
est patent.
Cependant, et malgré ce tapage médiatique et
politique autour de la laideur de ces zones commerciales, il faut bien noter,
comme le fait remarquer dans une interview du Monde daté du 4 novembre
1998 Patrice Goulet, responsable du département création-diffusion de l’Institut
français d’architecture, la pollution visuelle ne concerne pas que les entrées
de ville et leur présence ne doit pas occulter d’autres problèmes tels que « le
déséquilibre des villes, la disparition des terres agricoles, la fragilité des
petits commerces, de la domination de la voiture, de l’invasion du virtuel. Sans
compter que les habitants « plébiscitent les parcs commerciaux » et une
politique d’aménagement ne peut se faire sans tenir compte de cette réalité.
2. La croissance rapide des villes : l’exemple de
Paris
Les villes nouvelles de la banlieue parisienne
ont accueillie 55 % de la croissance démographique régionale au cours des 25
dernières années. Quelques chiffres peuvent donner un aperçu de l’urbanisation
galopante en l’Ile de France : la grande couronne couvrait environ 600 km carré
en 1960, plus de 950 km2 en 1975 et a dépassé les 1200 km2
à la fin des années 80. Toutes proportions gardées, ce phénomène se retrouve
dans de nombreuses agglomérations française dont la population s’est accrue
rapidement.
Les pouvoirs publics ont voulu canaliser cette
croissance rapide par des politiques dont le bilan est contrasté : les divers
plans d’urbanisme mis en place (schémas directeurs et plans d’occupation des
sols) ont permis de préserver de grands espaces naturels, ils se sont avérés peu
efficaces pour enrayer le « mitage » des espaces agricoles en limite de
l’agglomération et en milieu périurbain, pas plus qu’ils ne sont parvenus à
empêcher l’aggravation des inégalités entre l’est et l’ouest de la région. En
effet, les terres agricoles ont continué au cours de la décennie 1990 à être
absorbées par de nouvelles constructions résidentielles à un rythme à peine
moins soutenu que dans les années 1980 alors que les villes nouvelles attirent
plus l’emploi que l’habitat. Ce qui pose le problème des déplacements en voiture
et des risques de ségrégation sociale.
En somme, l’urbanisation « en tâche
d’huile »semble être devenue une réalité malgré les plans d’urbanisme.
B. … des tentatives de contrôle
1. Des initiatives isolées
Les lois s’étant révélées insuffisantes, les
réponses à l’extension galopante des villes sont venues d’initiatives locales
aux visions très différentes. Ainsi l’ancien maire de Nîmes, Jean Bousquet, a
créé une agence d’urbanisme dans sa ville chargé de réfléchir pour toutes les
communes environnantes. A Amiens, Gilles de Robien a exigé des enseignes
commerciales qu’elles se plient aux exigences d’un cahier des charges visant
l’unité des coloris et du paysage. On se rapproche donc dans ce cas du modèle
espagnol d’impulsion donnée aux politiques urbaines par leur maire.
Ces mesures témoignent de la volonté de passer d’une urbanisation
appuyée sur une réglementation restrictive (limitation de la hauteur des
bâtiments, de la surface constructible) à un système plus projectif. Selon Oriol
Bohigas, urbaniste et architecte qui a supervisé la transformation de
Barcelone de 1980 à 1984, « la voie normale pour
le développement d’une ville doit être le plan. C’est l’administration
municipale […] qui doit décider des programmes, mener l’urbanisation, acheter
les terrains, avant de les livrer aux promoteurs avec un cahier des charges
précis ».
2. Repenser le niveau d’intervention des politiques
urbaines
Une des causes majeures de l’anarchie qui règne
dans le développement urbain est la division des agglomérations en nombreuses
municipalités qui rend plus difficile toute coordination car entre les
différentes communes, les intérêts divergent, par exemple « les élus qui hurlent
contre la laideur des zones commerciales périphériques sont presque toujours les
élus de centre-ville », note Patrice Goulet. C’est pourquoi les procédures
d’intercommunalité ont été encouragées ces dernières années. La loi Chevènement
a ainsi instauré une taxe professionnelle unique au sein des communautés
d’agglomération afin de lutter contre la pression des PME, PMI et des surfaces
commerciales qui savent parfaitement jouer de la concurrence entre communes pour
obtenir des espaces constructibles au moindre coût.
D’autre outils intercommunaux ont depuis été mis en
place, comme le schéma de cohérence territorial (SCOT) en 2000 qui a comme
objectif de chapeauter les politiques d’habitat, de déplacements, d’équipement
commercial, d’environnement ainsi que les plans locaux d’urbanisme (PLU). Son
périmètre d’action est défini par le préfet dans le cadre et avec l’accord des
structures intercommunales existantes, avant de faire l’objet d’une enquête
publique. L’agglomération de Montpellier, qui accueille chaque mois 1200
nouveaux arrivants, avec comme conséquence un développement mal contrôlé,
apparaît comme un cas d’école pour la mise en place de ce nouveau schéma
directeur. L’agglomération cherche à limiter la « consommation » de terrain, ce
qui nécessite une reconversion des friches industrielles ainsi que des
opérations de réhabilitation. Or, de telles expériences de requalification sont
très rares en France, alors que d’autres pays comme la Grande-Bretagne y sont
plus habitués, mais pourraient se développer avec la diminution des surfaces
constructibles et les problèmes de transport que pose l’urbanisation « en tâche
d’huile ».
Cependant l’intercommunalité n’est pas dénuée de
tout heurt comme le fait remarquer Le Monde du 13 mars 2002, ainsi à
Montpellier plusieurs maires ont opposé leur refus au nouveau SCOT, à la fois
par crainte de l’influence de la grande ville de la personnalité, réputée
autoritaire, de Georges Frêche, maire (PS) de Montpellier depuis 1977.
III.
Lutter contre les problèmes
sociaux
A. Les banlieues en Europe : des problèmes communs…
1. Des origines similaires
La plupart du temps, les problèmes sociaux,
l’insécurité, la violence sont, dans la presse, associés aux banlieues, ou plus
généralement aux quartiers défavorisés. Comme le montre un article publié dans
Politis le 2 mai 1991, les problèmes que connaissent ces quartiers ont
des causes communes aux différents pays d’Europe. S’il n’y a pas de déterminisme
ethnique à l’exclusion, il n’y a pas non plus de « fatalité liée à
l’architecture » ; de plus, ces quartiers de taille diverses ont des modes de
gestion différents : propriété publique ou privée, occupants propriétaires ou
locataires…En revanche, ces quartiers ont pour caractéristique commune d’être
éloignés de la ville : mauvaise desserte ou barrière physique (voie ferrée,
autoroute, ou friches industrielles) . Le taux de chômage y est aussi plus
élevé, pour cause d’un manque de formation, d’une faiblesse des qualifications
professionnelles…Les facteurs d’exclusion sont multiples mais ne sont nulle part
le monopole d’une communauté particulière.
D’autre part, « ces ghettos de pauvres »
apparaissent comme la contrepartie des « ghettos de riches », ainsi que le
montre un article publié dans Réforme le 24 février 1996 : tout se passe
comme si les villes avaient besoin de ces espaces en marge pour valoriser leur
propre image. Les quartiers défavorisés sont rejetés par les autres,
hyperprotégés et sécurisés, qui s’approprient de plus en plus d’espace au
détriment des quartiers pauvres. La presse insiste donc sur l’établissement
d’une société duale et sur les risques d’explosion qu’elle implique.
2. Des évolutions semblables
Le débat sur les logements sociaux relève de la
même problématique : de plus en plus, on assiste dans toute l’Europe à un
processus de libéralisation de ce type de parc immobilier. Le 6 février 2001,
Le Monde publiait un article de Yann Maury, chargé de recherche au CNRS,
dans lequel celui-ci expliquait les perspectives du logement social en Europe.
Selon lui, le logement social public est de plus en plus transféré vers le
secteur privé (ce que confirment d’autres articles) ; les gouvernements se
contentent désormais de fixer un cadre général d’intervention à des politiques
locales, régionales en Italie ou en Espagne, communales en Grande-Bretagne ou en
Allemagne . La plupart des articles se montrent très critiques à l’égard de
cette évolution, qu’ils estiment dangereuse à terme.
D’autre part, il s’opère pour la partie la plus
attractive des parcs locatifs d’important programmes de vente des logements
sociaux à leurs occupants, en particulier en Grande-Bretagne, en Italie, aux
Pays –Bas ou encore en Norvège. Cette politique a parfois provoqué des drames,
en particulier en Grande-Bretagne, lorsque les prix du marché s’effondraient,
contraignant les nouveaux propriétaires à la revente à perte, puis à
l’hébergement dans de nouveaux logements sociaux. A l’autre bout de la chaîne ,
le traitement des segments les plus fragilisés est de plus en plus confié au
secteur associatif. Pour Yann Maury, « le processus de l’exclusion sociale -qui
passe ici par le logement -est un processus inéluctable, qu’il s’agit tout au
plus de réguler, via des aides publiques toujours plus réduites. Comme le
rappelle La Croix du 18 février 1999, « dans toute l’Europe, le logement social
est à réinventer. Il n’échappe pas à la crise de l’Etat-providence, battu en
brèche par l’idéologie libérale et miné par sa propre incapacité à maîtriser ses
finances ».
La presse se fait donc l’écho des problèmes
rencontrés par les habitants des quartiers défavorisés et démontre ainsi
l’existence de problèmes sociaux communs à toute l’Europe.
B. …des solutions
différentes
1. L’inexistence des politiques de la ville en
Europe
Cependant, si tous les pays d’Europe connaissent
le même type de problèmes, les solutions qu’ils privilégient pour les résoudre
diffèrent d’un pays à l’autre. Tout d’abord, il faut noter que la plupart des
pays européens ne possèdent pas véritablement de politique de la ville, ainsi
que le rappelait un article publié le 18 janvier 1996 dans Le Monde.
Sur les quinze Etats de l’Union, « seuls la
France, les Pays-Bas et le Royaume-Uni cherchent à mobiliser l’ensemble des
acteurs sociaux pour lutter contre l’exclusion ». Ces pays sont les seuls à
disposer d’une politique au niveau global, dans les autres pays les initiatives
se limitent au niveau local ou régional. Le but de ces politiques globales est
de mieux articuler entre eux les différents domaines de l’action publique, en
particulier les champs de l’économique et du social et de permettre une
rénovation des systèmes de gestion des villes.
Aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni, cela s’est fait
par l’intermédiaire d’un renforcement des initiatives locales et d’une
dynamisation des acteurs locaux, tandis qu’en France ce renforcement a été
beaucoup moins important, ce que déplore l’article du Monde. La tradition
française en matière de politique de la ville est bien davantage
centralisatrice, voire autoritaire, ainsi que le rappellent les sociologues
Nicole Leguennec et Christian Bachmann (Réforme, 24 février 1996). D’où
le récent débat sur le renforcement de la démocratie locale par des référendums
locaux et sur le droit de vote des étrangers aux élections locales, dont la
presse s’est aussi fait l’écho (cf. le Monde du 6 décembre 2002). De
plus, la Croix daté du 18 février 1999 note que la France partage en
matière de politique de la ville des caractéristiques à la fois « sudistes et
nordistes » et en cumule les inconvénients : par exemple, un parc de logement
social « miné par le clientélisme », à la gestion beaucoup plus rigide qu’en
Europe du Nord.
Au contraire, aux Pays-Bas, où les logements
sociaux représentent entre les 2/3 et les 3/4 des locations, associations et
municipalités sont les piliers de la répartition équitable de l’habitat. Les
loyers restent peu élevés, à la différence de ce qui se produit dans de grandes
villes comme Paris et surtout Londres, ainsi que le rappellent la plupart des
articles sur le sujet. Cette politique des Pays-Bas ne relève pas de la charité
mais de l’économie, selon M. Wilkes, chef de recherche et de développement du
Conseil du Logement, qui chapeaute la majorité des associations de logement dans
le pays. Pour lui, « L’Etat a toujours eu très peur que certaines personnes se
retrouvent en dehors de la société et ne consomment pas, ce qui serait
défavorable à l’économie ». La position des Pays-Bas représente donc une
synthèse entre les politiques libérales et interventionnistes.
2. Repenser la politique de la ville
Les inquiétudes sont donc nombreuses en ce qui
concerne l’avenir du logement social en Europe et sur les conséquences
qu’entraînerait sa disparition . Cependant, de nombreux articles mettent en
avant la nécessité de rénover ou de détruire les cités des années 70, dont
l’architecture est à l’origine selon eux des phénomènes de violence et
d’insécurité qui s’y produisent. Le débat est ouvert : pour résoudre les
problèmes sociaux, faut-il détruire ou réaménager les cités ? Les deux points de
vue sont défendus dans la presse ; néanmoins certains posent la questions
différemment et remettent en cause globalement les politiques des différents
gouvernements, qui seraient fondées sur des hypothèses erronées.
Pour Jean-Pierre Garnier, les politiques de la
ville répriment sans réfléchir ou se contentent de mettre en cause le cadre de
vie, « plutôt que d’admettre le caractère social et mondial des déterminants à
l’origine des faits classés dans la rubrique « violences et insécurités
urbaines » et d’agir en conséquence ». Selon lui, les politiques de la ville ne
prêtent pas assez d’attention aux déterminants sociaux des violences. Deux
hypothèses sont pour lui responsables de cet état de fait : le « spatialisme »
et son complément, le « localisme ». Le spatialisme postule un rapport causal
direct entre les formes spatiales et les pratiques sociales ; autrement dit, il
suffit de modifier l’habitat pour modifier les pratiques sociales. Le localisme
postule quant à lui qu’il faut étudier et traiter les problèmes là où ils se
manifestent, confondant problèmes de la ville et problèmes dans la ville : on
cherche à maintenir les problèmes dans la sphère locale pour éviter d’avoir à
les régler à un niveau plus global.
La presse met donc souvent
en cause les politiques de la ville, qu’elle juge inefficaces ou mal appliquées,
voire mal pensées.
Conclusion
Trois enjeux majeurs apparaissent donc à la lecture
de la presse : l’amélioration du cadre de vie urbain, la maîtrise de la
croissance de la ville et la résolution des questions sociales.
Dans la plupart des pays d’Europe, la politique de
la ville est abandonnée aux autorités locales. Seuls les Pays-Bas, le
Royaume-Uni et la France ont développé des politiques cohérentes au niveau
national. Cependant, la France représente un cas à part ; en effet, la plupart
des articles insistent sur la manière autoritaire et centralisée dont a souvent
été menée la politique de la ville en France. Au contraire, le Royaume-Uni et
les Pays-Bas ont développé une gestion plus contractuelle de ces problèmes. De
ce fait, en France, la plupart des initiatives sont prises au niveau local,
tandis que les vues générales restent trop vagues ou trop ambitieuses pour être
appliquées. Cette dichotomie entraîne de nombreux problèmes, parmi lesquels les
inégalités qui apparaissent entre les villes, la difficulté d’harmoniser la
gestion de communes pourtant voisines…
Dans l’ensemble, la presse salue les actions
locales, les politiques « dans la ville », mais se méfie des politiques « de la
ville », qu ‘elle juge souvent irréalistes ou simplement inadaptées. Mais en
même temps, elle souligne la nécessité d’avoir une vue d’ensemble de la
politique, une exigence qu’il faut aujourd’hui concilier, en France, avec la
décentralisation qui est en cours…