La prise de décision dans l'Union européenne
Le système
institutionnel de l’Union européenne est souvent perçu comme un objet juridique
extrêmement complexe, qui ressemble peu aux modèles classiques des Etats
démocratiques modernes ou des organisations internationales telles que l’ONU.
Les rôles et les fonctionnements respectifs des organes propres à l’Union sont
la plupart du temps méconnus des citoyens européens, pour qui « Bruxelles » est
un centre de pouvoir lointain aux contours vagues. L’ouvrage que nous allons
étudier présente le processus de décision propre à l’Union européenne, afin de
déterminer quels sont en sont les véritables lieux de pouvoirs. Parmi la
multiplicité des acteurs politiques, économiques et sociaux européens et
nationaux, qui décide véritablement dans l’Union européenne ?
Nous
« planterons le décor » dans une première partie, en présentant les éléments qui
constituent le cadre de la prise de décision européenne, avant de décrire le
processus de décision lui-même, tel qu’il est établi dans les traités. Enfin,
nous mettrons en évidence la manière dont le processus est influencé par des
acteurs extérieurs au système institutionnel de l’Union européenne.
I. PRESENTATION DU CADRE DECISIONNEL EUROPEEN
L’ouvrage propose
tout d’abord une présentation du cadre dans lequel il convient d’étudier le
processus de décision en tant que tel, en présentant les éléments
« juridiques », tels qu’ils apparaissent dans les traités relatifs à l’Union
européenne. Après avoir apporté des précisions importantes quant à la définition
de la décision européenne elle-même, nous nous intéresserons aux acteurs les
plus évidents du processus, les centres de décision propres à l’Union
européenne, afin de comprendre leur fonctionnement et leurs pouvoirs et intérêts
respectifs.
A. Quelques précisions sur
la notion de décision européenne
Les enjeux de la décision
dans l’Union européenne
En adhérant à l’Union européenne, les
Etats acceptent des règles et un processus d’intégration continue auxquels ils
sont obligés de se soumettre. En effet, les traités n’ont pas prévu de procédure
d’exclusion, dans le cas où un Etat déciderait de ne pas accepter d’appliquer la
règle européenne de façon délibérée. Un tel Etat serait mis à la marge des
discussions politiques et perdrait les bénéfices de l’appartenance à l’Union,
sans pour autant être libéré d’un certain nombre de contraintes. Par ailleurs,
il faut noter que les accords d’adhésion sont établis pour une durée illimitée.
De ce point de vue, un Etat ne peut envisager sa sortie de l’Union sans dommages
considérables à la fois politiques et économiques : une fois intégré au
processus de construction européenne, un Etat membre doit donc faire tout son
possible pour participer de façon active au processus de décision, afin de
l’orienter dans la direction qui lui est la plus favorable.
Pour bien
comprendre tout l’enjeu de la décision européenne, il faut garder à l’esprit la
caractéristique du droit communautaire lui-même. La jurisprudence de la Cour de
Justice des Communautés européennes a fait de lui un instrument extrêmement
efficace de l’intégration, en établissant les principes d’effet direct et de
primauté sur les droits nationaux. Par l’arrêt Van Gend en Loos de 1963, les
décisions communautaires se sont imposées de façon directe dans les ordres
juridiques nationaux, sans faire l’objet de transcription législative
particulière dans chaque Etat. Cet arrêt a eu notamment pour conséquence
d’impliquer les particuliers, d’une part en tant que bénéficiaires directs de
droits établis par la Communauté, qu’ils peuvent faire valoir auprès de leur
justice nationale, devenant ainsi les premiers garants de l’application
effective de la décision européenne, et d’autre part en tant que sujets des
obligations juridiques relatives contenues dans ce même droit. Comme les Etats,
les particuliers ont tout intérêt à rester vigilants face à la prise de décision
européenne, dans la mesure où celle-ci peut avoir dans leur vie professionnelle
et quotidienne des conséquences directes et irréversibles. Par ailleurs, depuis
l’arrêt Costa v. ENEL, rendu en 1964, le droit communautaire prime sur les
droits nationaux, qui ne peuvent mettre en œuvre aucune législation postérieure
pour en supprimer les effets.
Les enjeux de la
décision européenne sont donc d’une importance extrême pour tous ceux qui en
subissent les effets : les Etats comme les particuliers ont intérêt à faire
entendre leurs intérêts au cours de l’élaboration d’une telle décision,
incontournable et irréversible.
La définition juridique de
la décision européenne
Il convient ici de présenter de façon
plus précise la décision communautaire en tant que telle, ses différentes
sources et ses différentes formes. Tout d’abord, le droit communautaire, nourri
par les décisions prises par les institutions communautaires investies du
pouvoir de décision par les traités, repose sur cinq sources distinctes :
- le droit primaire,
« charte constitutionnelle » de la Communauté, composé des traités institutifs
et de leurs révisions et les traités d’adhésion. Les traités fondateurs ont une
prééminence hiérarchique sur tous les autres textes, et ne peuvent faire l’objet
d’un contrôle contentieux.
- Le droit dérivé,
constitué des actes des institutions, tels que définis dans l’article 249 TCE,
sur lesquels nous reviendrons plus loin.
- Le droit issu des accords
externes, c’est-à-dire issu des accords par les Communautés avec des pays ou
organisations tiers.
- Le droit complémentaire,
composé des actes qui ont pour objet le prolongement des objectifs définis par
les traités, tels que les conventions communautaires (entre Etats membres) et
les décisions et accords pris par les représentants des gouvernements des Etats
membres au sein du Conseil.
- La jurisprudence de la Cour
de Justice.
Le terme de
« décision » peut être source de confusion dans la mesure où, si l’ouvrage
l’emploie au sens large du terme, « acte politique sur fondement juridique », la
« décision » européenne est caractérisée de façon très précise dans l’article
249 TCE, qui définit les « actes », moyens offerts aux institutions par les
traités en vue d’atteindre « l’efficacité des mécanismes et institutions
communautaires ». Il faut distinguer en réalité parmi ces actes les
règlements, de portée générale, obligatoirement, entièrement et directement
applicables dans les Etats membres, les directives, qui imposent des
objectifs mais laissent à chaque Etat le soin de prendre ses propres
dispositions, les décisions, obligatoires pour les Etats auxquels elles
s’adressent précisément, et les recommandations et avis, qui n’ont
pas de caractère obligatoire. Pour simplifier cette présentation, on utilisera
le terme « décision » au sens d’un « acte », autre que recommandation ou avis.
Il faut mentionner
par ailleurs d’autres actes, actes « sui generis », qui sont susceptibles de
créer des effets de droit, tels que l’approbation par le Conseil d’accords
internationaux, les « communications » de la Commission en matière de
concurrence, et les « livres blancs », analyse d’un problème général par la
Commission. Enfin, il existe des actes « atypiques », non prévus explicitement
par les traités, tels que des actes internes relatifs au fonctionnement des
organes institutionnels, par exemple, ou encore les « déclarations communes » à
plusieurs institutions (Commission, Conseil et Parlement, selon les dispositions
du traité de Nice), ou « accords interinstitutionnels », notamment dans le
domaine budgétaire.
Les décisions,
directives et règlements, tels que décrits dans l’article 249 font l’objet de
conditions de formes : ils doivent être tout d’abord motivés, selon un arrêt
jurisprudentiel de la Cour de Justice qui visait à limiter les risques
d’arbitraire dans la prise de décision. Par ailleurs, tous les actes des
institutions doivent être publiés et/ou notifiés dans toutes les langues
officielles de la Communauté, et selon leur destinataire dans le Journal
officiel des Communautés européennes.
B. Présentation des
acteurs institutionnels européens
Le Conseil européen
L’ « institutionnalisation » des
sommets réunissant les chefs d’Etat et de gouvernement européens depuis 1961
s’est faite progressivement, jusqu’à devenir l’actuel Conseil européen.
La raison d’être de ces sommets s’est affirmée dans la pratique au cours des
années. Sur la base de la coopération politique, les Chefs d’Etat et de
gouvernement, accompagnés des ministres des Affaires étrangères, se sont donné
pour but d’ « assurer le développement et la cohésion d’ensemble des
Communautés », en procédant à des « échanges de vue informels dans un cadre
strictement privé », des « délibérations » destinées à aboutir à des décisions,
et pour « régler des problèmes restés en suspens à la suite de délibérations à
un niveau inférieur ». Officialisé par l’Acte Unique, c’est par le TUE que le
Conseil européen se voit reconnue sa fonction essentielle : « donner à l’Union
les impulsions nécessaires à son développement et définir les orientations de
politique générale ».
Le Conseil
européen s’est d’abord imposé comme une nécessité pour sortir par le haut du
blocage du système décisionnel causé par le « compromis du Luxembourg ». Pour
relancer la construction, il fallait par ailleurs un organe suprême capable de
prendre les nécessaires décisions politiques.
Son irruption
dans le paysage institutionnel européen, et son mode de fonctionnement
intergouvernemental ne sont pas allés sans conséquences sur les compétences
respectives de la Commission, dont il a remis en cause le monopole de la
proposition, et dans une certaine mesure, le mode de fonctionnement, et du
Conseil, dont il s’est approprié une part du monopole de la décision politique.
Dans la
pratique, le Conseil européen est un véritable centre de décision, qui
fonctionne traditionnellement sur le mode du consensus, néanmoins, plus
récemment, conformément à une disposition du TUE, des décisions relatives à
l’Union économique et monétaire ont été prises à la majorité qualifiée. Ensuite,
la traduction juridique des décisions politiques prises par le Conseil européen
est du ressort du Conseil des ministres. Outre les quatre réunions régulièrement
organisées chaque année, le Conseil européen peut se réunir pour des motifs
extraordinaires (Dublin, 1990, après la chute du mur de Berlin, par exemple).
Ses pouvoirs
décisionnels sont essentiellement ceux de l’arbitrage et de l’impulsion : il
arbitre, en tant qu’instance d’appel du Conseil des ministres, et constitue le
centre d’impulsion de la construction européenne, reflétant par les discussions
qui se déroulent en son sein les débats plus généraux sur l’Union européenne.
Par la portée générale de ses attributions, le Conseil européen est à l’origine
des grands événements de la construction européenne. Plus précisément, le TUE
lui accorde deux fonctions :
- Orientation des politiques
économiques des Etats membres et de la Communauté ;
- Définition des principes et
des orientations générales de la politique étrangère et de sécurité commune
(deuxième et troisième piliers).
Par le traité d’Amsterdam, il
obtient deux nouveaux champs d’intervention :
- en matière d’emploi : chaque
année, examen d’un rapport du Conseil et de la Commission, sur lequel rend des
conclusions consensuelles, bases de travail pour les propositions de la
Commission aux Etats.
- Une « clause d’appel » pour
les coopérations renforcées dans les trois piliers.
Le triangle institutionnel
Le Conseil des ministres est
avant tout le législateur de la Communauté, bien qu’il partage de plus en plus
cette fonction avec le Parlement européen, ce qui complique le processus
législatif. Il possède par ailleurs des attributions exécutives en tant
que représentant de la Communauté sur la scène internationale. On a ici un
premier aperçu de la complexité d’un système décisionnel européen qui ne
pratique pas une séparation des pouvoirs « classiques ». La confusion qui en
découle est cependant manifestement amenée à disparaître, sous la pression du
Parlement qui revendique le renforcement de ses pouvoirs, et selon les
dispositions du Livre blanc sur la gouvernance européenne.
Juridiquement, il
n’y a qu’un Conseil, qui rassemble pour chaque Etat « un représentant au niveau
ministériel, habilité à engager le gouvernement de chaque Etat membre »,
cependant il se réunit selon l’ordre du jour dans un formation adaptée.
Néanmoins, si un débat dans l’une des formations ne trouve de solution
décisionnelle que quelques temps plus tard, une fois la réunion terminée, une
autre formation peut entériner la décision, sans la discuter elle-même, ce qui
illustre l’unicité du Conseil. Si un problème ne trouve pas de solution, il fait
l’objet d’un renvoi auprès du conseil européen.
Seul le
ministre concerné est habilité à voter, il ne peut déléguer son vote qu’à un
autre ministre du Conseil. Le vote a lieu à l’unanimité, à la majorité simple ou
qualifiée, compte tenu d’un accord sur la pondération des voix respectives des
Etats. De plus en plus de domaines passent dans le champ du vote à la majorité
qualifiée, mais cinq d’entre eux restent soumis à un vote à l’unanimité :
fiscalité, politique sociale, politique de cohésion, politique de l’asile et de
l’immigration et politique commerciale.
La
Commission est composée, jusqu’à l’effectivité de l’élargissement, de vingt
membres, dont au moins un par nationalité. Le Président, comme le collège des
commissaires, est choisi par les chefs d’Etat et de gouvernement des Etats
membres, choix qui doit être approuvé dans les deux cas par le Parlement. Les
« portefeuilles » sont répartis entre les commissaires, donnant à ceux-ci
l’autorité sur une ou plusieurs Directions générales. Leur mandat est de cinq
ans, qui coïncide avec la législature du Parlement. Les commissaires doivent
agir en toute indépendance, notamment vis-à-vis des Etats, et doivent prendre
leurs décisions au nom de « l’intérêt général des Communautés ».
La Commission
a pour mission d’assurer le bon fonctionnement et le développement du marché
commun. Dans cette perspective, en tant que gardienne de la légalité
communautaire, elle contrôle tout d’abord l’application du droit communautaire,
ce qui lui donne des pouvoirs divers : collectes d’information, octroi de
dérogations aux traités, sanctions à l’encontre des entreprises ne respectant
pas les règles du marché commun, et poursuite des infractions au droit
communautaire par la procédure de recours en manquement. Elle dispose par
ailleurs du quasi monopole du droit d’initiative : dans le cadre des
Communautés, elle choisit le moment de la mise en route du processus de
décision, et contrôle celui-ci dans la mesure où le conseil ne peut amender ses
propositions qu’à l’unanimité et où elle peut modifier ses propositions jusqu’à
ce que le Conseil ait statué. Dans les autres cadres (deuxième et troisième
piliers, UEM), elle dispose toujours d’un pouvoir de proposition mais le
partage selon les cas avec les Etats et le Parlement. La Commission est
également une instance d’exécution, normative et matérielle (budget
communautaire, notamment), du droit communautaire. C’est le Conseil qui délègue
à la Commission une partie importante de son pouvoir d’exécution ; délégation
qui s’accompagne d’une surveillance par le recours à la procédure des comités.
Enfin, la Commission détient la fonction de représentation de la Communauté tant
dans l’ordre interne que sur la scène internationale.
Le Parlement
européen, dont les 626 députés (732 avec l’élargissement) sont élus au
suffrage universel, pour un mandat de cinq ans, a conquis de haute lutte le
renforcement de ses pouvoirs au sein de l’Union européenne. Il est en terme de
débats et de clivages tout à fait différent des parlements nationaux : des
groupes politiques se sont progressivement créés, par-delà les affinités
nationales, ou promouvant au contraire des intérêts particuliers à certains
Etats.
Il est, avec le
Conseil des ministres, investi d’une fonction législative, ainsi que d’un
pouvoir de proposition auprès de la Commission. Ce pouvoir passe par trois
procédures :
- La codécision, qui lui
donne un droit de veto sur les projets du Conseil, dans des domaines établis par
l’article 251 TCE, et étendus par le traité de Nice. Si le Parlement amende un
texte proposé par la Commission, et si le Conseil n’approuve pas les
amendements, celui-ci retransmet au Parlement un nouveau texte, fruit d’une
position commune. Dans le cas où le Parlement rejette à la majorité absolue
cette nouvelle proposition, le texte est réputé non adopté. Si le Parlement
propose des amendements à cette nouvelle proposition, et si le Conseil, auquel a
été transmis le texte amendé, n’approuve pas tous les amendements, un comité de
conciliation est convoqué par le président du Conseil, qui réunit autant de
membres du conseil que de membres du Parlement, ainsi que des représentants de
la Commission, qui participent à l’effort de conciliation des deux parties. Dans
le cas d’absence de position commune, le texte est réputé non adopté.
- L’avis conforme, que le
Parlement doit exprimer dans certains cas, notamment l’adhésion de nouveaux
membres, la conclusion d’accords internationaux, par exemple, mais également
lorsqu’il s’agit de « suspendre certains des droits » d’un Etat membre coupable
« d’une violation grave et persistante » des droits fondamentaux.
- La consultation,
fréquente au sein du pilier communautaire, notamment sur les questions relatives
à la lutte contre les discriminations et la politique sociale.
Par ailleurs,
le Parlement dispose du pouvoir hautement symbolique de donner son approbation
sur le choix du Président de la Commission ainsi que sur le choix du collège des
commissaires ; d’un pouvoir de contrôle, à la fois politique, par les questions
écrites et orales à la Commission ainsi que la possibilité de voter une motion
de censure contre lui, et juridique, par les voies de recours devant la Cour de
Justice. Enfin, il a certains pouvoirs budgétaires, et dispose d’un droit à
l’information dans le cadre des deuxième et troisième piliers et de l’UEM.
Cette brève
présentation du cadre européen dans lequel se déroule le processus de décision
nous permet déjà de comprendre toute la complexité du système, qui constitue un
ordre juridique inédit, par la nature du droit communautaire, et par le jeu
subtil des attributions respectives des institutions, toutes mues par des
intérêts différents, voire contradictoires (intégration contre sauvegarde de la
souveraineté nationale, par exemple) ; ordre juridique en constante évolution au
fil des traités. Le processus de décision lui-même est la parfaite illustration
de cette complexité.
II. LE PROCESSUS DECISIONNEL, SELON UNE
PERSPECTIVE EUROPEENNE ET INSTITUTIONNELLE
L’ouvrage
considère l’expression « prise de décision » au sens le plus large du terme, en
y incluant la « genèse » du texte, ainsi que son application. Si le Conseil a le
quasi monopole de la décision en tant que telle, les autres institutions ont des
rôles très importants dans les phases antérieures et postérieures à cette prise
de décision. On distingue ici une phase préparatoire, l’élaboration de la
proposition de la Commission, et une phase proprement décisionnelle, la prise de
décision son exécution. Cette partie est celle de la description du processus,
dans ses aspects les plus évidents, selon les règles officielles établies par
les traités.
La proposition
L’initiative de la
Commission
Nous l’avons vu, le Conseil ne peut
amender une proposition de la Commission qu’à l’unanimité, et celle-ci peut
modifier sa proposition jusqu’à la décision du Conseil. Les pouvoirs de la
Commission sont donc déterminants dans le processus de décision, ce qui peut
justifier les accusations de concentration de pouvoirs dont elle fait l’objet.
Le fait qu’elle puisse constamment modifier sa proposition fait d’elle une
véritable instance de négociation, de conciliation : elle consulte ainsi les
gouvernements pour les amener à s’accorder sur une position commune ; elle peut
prendre également en compte les avis du Conseil, du COREPER, et du Parlement. Il
faut remarquer d’ailleurs que très peu des textes qu’elle présente au Conseil et
au Parlement sont issus de sa propre initiative, hors phase préalable du « Livre
blanc ». La plupart de ses propositions sont issues de programmes préétablis, de
demandes expresses du Conseil, d’actes obligés en vertu des traités,
d’applications d’accords internationaux ou d’applications de décisions de la
Cour de Justice. Par ailleurs, par le TUE, le Parlement a lui aussi un droit
d’initiative : à la majorité, il peut proposer à la Commission un texte qui sera
soumis par elle au Conseil.
Les consultations
relatives à la proposition de la Commission
Dans
l’élaboration de ses propositions, la Commission procède à de nombreuses
consultations, souvent informelles, recherches, expertises. Elle met souvent au
point des « livres blancs », qui sont en quelque sorte une annonce de programme,
dont la préparation est souvent confiée à des cabinets d’audit, et qui servent
de base de travail pour guider la Commission pendant plusieurs années. La
procédure de consultation se déroule souvent de la façon suivante : avant-projet
élaboré par la Direction générale concernée, qu’elle communique aux autres
Directions générales ; remaniements ; présentation aux commissaires ; adoption
de cet avant-projet (« livre vert ») ; conférence de présentation et
publication ; discussion par le Conseil, le Parlement, et les organismes
concernés, séminaires nationaux ; élaboration de la proposition par la
Commission. Cette phase d’élaboration est plus ou moins longue ; elle est aussi
la plus propice, nous le verrons, par la multiplication des consultations et des
discussions, à l’intervention des lobbies à Bruxelles.
La Commission
peut, et doit, dans certains cas, prendre en compte des avis, formels ou
informels, obligatoires ou facultatifs, dont l’importance est majeure pour les
organes qui n’ont pas de pouvoir de décision propre. En cas d’avis obligatoire,
il s’agit d’un véritable processus de codécision, qui implique en cas d’ « avis
conforme » l’instance consultée dans la décision. Cette fonction consultative
est exercée par le Parlement, nous l’avons vu, ainsi que par le Comité
économique et social et le Comité des régions, la Banque centrale européenne.
Lorsque le
projet de proposition est mis au point, le Secrétaire général de la Commission,
chargé de la préparation et du déroulement des travaux de la Commission, le
présente aux cabinets des commissaires, qui procèdent aux derniers remaniements
techniques. Le projet fait l’objet d’un vote à la majorité simple, ou d’un
consensus, au sein du collège des commissaires, réuni tous les mercredis. Il est
alors transmis officiellement au Parlement et au Conseil.
La décision
L’adoption de la
proposition par le Conseil
La proposition une fois adoptée par la
Commission est transmise via le Secrétariat général du Conseil aux
représentations permanentes des Etats membres à Bruxelles, qui diffusent le
texte aux capitales, afin de déclancher les examens nationaux nécessaires. La
présidence convoque alors le groupe de travail le plus adapté au problème, parmi
la cinquantaine de groupes existants, parmi lesquels on peut citer le comité
spécial agricole (CSA), ou le Comité de la protection sociale, par exemple. Dans
le cas d’une question trop technique, elle forme un groupe de travail ad hoc.
Ces groupes de travail, formés de représentants des représentations permanentes
des Etats membres, de la Commission et du Secrétariat du Conseil, instruisent la
proposition de la Commission. Un dialogue s’instaure entre la Commission, le
groupe de travail et la Présidence du Conseil, qui aboutit soit à un accord sur
tout ou partie du texte, soit à un blocage. Intervient dans ce second cas le
COREPER (Comité des représentants permanents), instance immédiatement
supérieure, qui cherche une solution. Il transmet alors au Conseil la
proposition en point A, lorsqu’il a trouvé une solution, et c’est le cas le plus
fréquent, et qu’il ne reste qu’à l’entériner, ou en point B, lorsqu’en l’absence
de solution, le Conseil doit établir lui-même une solution. Il faut remarquer le
rôle tenu par le Secrétariat général du Conseil, qui préside les débats, dirige
les discussions et facilite la recherche du compromis.
La Présidence décide
alors de la formation dans laquelle le Conseil doit se réunir :
- Formation normale, dite
« plénière », avec six membres par délégations, ministre inclus.
- Formation restreinte, avec
trois membres, dont le ministre, formation qui présente l’avantage de la
concentration, et qui est choisie pour des problèmes plus techniques. Les allées
et venues sont fréquentes, dans la mesure où les délégations sortent pour
discuter avec les conseillers ou téléphoner aux capitales pour discuter du
compromis obtenu.
- Formation super-restreinte,
dans laquelle seul le ministre négocie, souvent dans le cas des dossiers les
plus difficiles. Ce sont les « marathons agricoles », par exemple, qui mettent
en scène les négociations ardues et sous forte pression entre des ministres qui
doivent, outre leurs qualités de négociateurs, posséder de réelles capacités
d’endurance physique…
- Plus rares, les Conseils
« Jumbo », qui réunissent plusieurs formations, dans le cas de problèmes plus
importants et qui relèvent de plusieurs types de compétences.
- Enfin, les Conseils dits
« informels », plus conviviaux, mais moins bien préparés, sans ordre du jour, et
coûteux.
Le Conseil statue à la majorité
qualifiée ou à l’unanimité. Lorsqu’il statue sur une proposition de la
Commission, la majorité qualifiée suffit ; pour amender le texte, l’unanimité
est en revanche nécessaire. Dans les autres cas, les votes à la majorité
qualifiée posent des conditions de nombres de voix ainsi que d’Etats, pour
éviter la marginalisation des petits pays. L’unanimité a longtemps prévalu du
fait du « compromis du Luxembourg », et reste de mise dans le cadre des
coopérations intergouvernementales. Dans la pratique, il est rare que le Conseil
procède à un vote formel, car il se veut davantage un lieu de compromis,
synthèses de positions nationales. Dans la plupart des cas, les négociations ont
lieu ainsi : réunions bilatérales entre la Présidence et les Etats membres avant
le Conseil ; réunion du Conseil en formation plénière ; choix entre la technique
du « confessionnal » (entretiens entre la présidence et chacune des
délégations), une réunion en formation restreinte ou super-restreinte ; fin de
la négociation en générale en formation restreinte ou plénière.
L’exécution de la décision
Le pouvoir d’exécution des décisions
du Conseil appartient à la Commission, à deux conditions. D’une part, c’est le
Conseil qui décide des domaines dans lesquels il délègue son pouvoir
d’exécution, et d’autre part, la Commission est étroitement encadrée par des
comités. Ces comités sont composés de fonctionnaires des représentations
permanentes ou des ministères nationaux concernés, sous la présidence d’un
membre de la commission. Ils ont pour mission de contrôler l’application
matérielle des actes communautaires et les mesures d’orientation prises par la
Commission. Ce système, la « comitologie », n’a été officialisé qu’avec l’Acte
unique. Ces comités, instruments de contrôle du Conseil, disposent de plusieurs
procédures contraignantes pour la Commission :
- Les comités consultatifs
rendent des avis, qui ne lient pas la Commission.
- Dans d’autres cas, lorsque la
Commission s’écarte d’un avis des comités dit de gestion, elle peut demander au
Conseil de différer l’application de la mesure, afin de laisser le temps au
Conseil de mettre au point une nouvelle mesure.
- Les comités de réglementation
sont plus contraignants dans la mesure où la Commission ne peut s’écarter de son
avis qu’au prix de démarches lourdes et complexes qui mettent en jeu le Conseil
et le Parlement.
On se rend
compte ici du rôle fondamental du Conseil des ministres, qui détient à la fois
un pouvoir de proposition, d’amendement (à l’unanimité), de décision, et qui
contrôle étroitement l’exécution des décisions qu’il prend. Le Parlement, s’il
n’a pas les prérogatives d’une assemblée nationale « classique », a obtenu des
pouvoirs cependant importants, et qui sont encore appelés à croître, si l’on se
fie aux ambitions de « démocratisation » de l’espace politique européen
défendues aujourd’hui. La Commission corrélativement, voit ses pouvoirs
diminuer. Ceci posé, il est encore malaisé de déterminer qui, véritablement,
possède le pouvoir dans l’Union européenne. Les décisions qui sont prises
révèlent finalement tout un jeu d’intérêts et d’influences variés : en effet, du
fait même de sa complexité, le processus décisionnel offre de nombreuses
opportunités d’immiscions à un certain nombre d’acteurs dont l’existence n’est
souvent pas prévue dans les traités : à chaque consultation, à chaque
négociation, la possibilité est donnée à de nombreux acteurs de faire entendre
leur voix. La décision ne se prend pas uniquement dans le cadre étroit que nous
venons de décrire, mais se construit, dans la pratique, en intégrant des
instances extérieures, aux pouvoirs réels.
III. DES ACTEURS MOINS VISIBLES, DES MODALITES DE
POUVOIRS DIFFERENTES
Nous l’avons dit,
l’ouvrage a pour objet de déterminer les acteurs décisionnels réels, les lieux
de pouvoirs réels dans le cadre de l’Union européenne. Nous nous sommes
cantonnés pour l’instant à l’étude du système décisionnel proprement européen
(organes agissant dans le cadre de l’Union européenne) et institutionnel. En
réalité, l’auteur met en évidence de nouvelles sortes d’acteurs, aux rôles non
négligeables dans le processus de décision. D’une part, les Etats, représentés
notamment par le Conseil, mettent en place toute une organisation afin de mener
leur politique européenne propre ; organisation dans laquelle différents organes
nationaux se distinguent par le pouvoir décisionnel qu’ils détiennent au niveau
européen. D’autre part, le jeu des groupes d’intérêts à Bruxelles constitue une
forme d’influence indéniable sur le processus de décision.
Les organes nationaux dans
le processus de décision européenne
Les administrations
nationales
Les administrations nationales
détiennent une part considérable de pouvoir dans les affaires communautaires.
Chacun des Etats membres, pour faire face à la place croissante des affaires
européennes dans leurs activités gouvernementales, a mis en place des structures
institutionnelles qui leur sont propres, adaptées à leur politique européenne.
L’ouvrage présente des exemples de politiques européennes menées par différents
Etats.
On peut tout
d’abord s’intéresser à la manière dont la France participe au processus
décisionnel. La clef de voûte du système mis en place par la France est le SGCI,
Secrétariat général du Comité interministériel pour les questions de coopération
économique européenne. Il est placé sous la tutelle directe du Premier ministre,
et centralise toutes les informations, les documents, qui proviennent des
institutions et organes européens et français concernant l’Union européenne. Il
a pour mission la coordination interministérielle dans la préparation et la mise
en œuvre des politiques communautaires ou de l’Union. Il est le passage, le lieu
de rencontre obligé entre les institutions française, concernant la politique
européenne, et entre Paris et la représentation permanente à Bruxelles.
On peut découper les
mécanismes de la politique française à Bruxelles en quatre phases :
- Toute proposition de la
Commission est transmise à la représentation permanente à Bruxelles, qui la
transmet à son tour sans délai au SGCI.
- Toutes les administrations
concernées (ministères, Secrétariat général du Gouvernement, assemblées
parlementaires) reçoivent à leur tour de la part du SGCI toutes les informations
relatives à la proposition, ainsi qu’une convocation pour une réunion ou une
demande de position ministérielle. Les réunions se font sous la présidence d’un
chef de secteur ou d’un secrétaire général adjoint en fonction de l’importance
et du caractère plus ou moins technique du dossier.
- Ces réunions peuvent aboutir à
un consensus, alors la position est rapidement communiquée à la Représentation
permanente. Le cas échéant le Premier ministre doit arbitrer. Ces réunions
s’accompagnent d’un travail de recherche d’information et de négociations
nombreuses entre toutes les administrations concernées. Dans le cas de Conseil
particulièrement importants, un Comité interministériel se réunit autour du
Premier ministre, pour définir une position commune française, en consultation
avec la Présidence française.
- Cette position est communiquée
à la Représentation permanente à Bruxelles, qui peut entamer les démarches
officielles au sein du Conseil, d’où le caractère déterminant du choix des
fonctionnaires choisis pour représenter la France dans les négociations à venir.
La phase politique proprement dite n’intervient que lors de la réunion du
Conseil, et de la participation du ministre lui-même. Celui-ci réunit auparavant
un certain nombre de ministres et d’experts concernés par les questions à
l’ordre du jour, et des représentants du SGCI, sur la base de dossiers préparés
par le SGCI. Accompagné d’une délégation plus ou moins restreinte, il se rend à
la table des négociations du Conseil, disposant d’une marge de manœuvre plus ou
moins large, en contact dans tous les cas avec l’ambassadeur, l’Elysée et
Matignon. La Représentation permanente assure la diffusion aux administrations
françaises d’un compte-rendu des négociations.
Si le système
français était fortement inspiré de la tradition de prééminence de l’exécutif,
héritée de la Constitution de 1958, en Allemagne, ce système est fondé sur le
fédéralisme et la concertation. Un organe semblable au SGCI n’existe pas, pas
plus qu’un système permanent de coordination générale. On désigne un ministère
qui prend en charge l’organisation, la coordination interministérielle, et qui
définit une position commune, au niveau des groupes de travail, au cours de
réunions non institutionnalisées avec les ministres et les représentants des
Länder. Au niveau du COREPER, c’est le ministère de l’Economie qui réunit de
façon hebdomadaire un certain nombre de représentants de la Chancellerie et de
différents ministères pour harmoniser les positions à communiquer à la
Représentation permanente. Il faut noter la particularité de la répartition de
la prise en charge des affaires européennes entre les différents ministères : le
ministère de l’Economie prend en charge la coordination des affaires
économiques, le ministère des Affaires étrangères, les affaires extérieures de
la Communauté et la PESC, les ministères de l’Intérieur et de la Justice, la JAI.
Dans le cas d’un blocage au niveau ministériel, c’est le Comité des secrétaires
d’Etat pour les Affaires européennes, qui doit trouver un accord sur la base du
consensus. Il faut enfin remarquer le rôle du Bundesrat, parfaitement informé et
qui dispose d’un pouvoir consultatif, et des Länder, qui défendent eux-mêmes
leurs intérêts à Bruxelles dans le cas de négociations concernant leur domaine
exclusif de compétences, via la Europakammer.
Le
Royaume-Uni a quant à lui mis en place un Secrétariat européen, proche du
Premier ministre, où ont lieu les arbitrages ultimes, lorsque les ministères en
charge de la coordination ne parviennent pas à trouver un accord. Le rôle
essentiel du secrétariat européen, est l’examen de questions de fond relatives à
l’Union européenne. Le fonctionnement de la Représentation permanente
britannique est également particulier : il met l’accent sur la collecte
d’informations et les enquêtes à Bruxelles même, mais ses membres passent par
ailleurs beaucoup de temps à Londres, afin de ne pas couper les administrations
nationales de la politique européenne. La diffusion, et le partage entre toutes
les administrations, systématiques, de toutes les informations provenant de
Bruxelles sont une caractéristique du système britannique qui est attaché aux
notions de transparence et de consensus. Enfin, les assemblées nationales sont
activement impliquées dans le contrôle de la construction européenne.
Les Parlements nationaux
Aujourd’hui, la plupart des Parlements
des Etats membres ont un vrai rôle à jouer dans le processus décisionnel
européen. Longtemps, certains d’entre eux, et c’est notamment le cas français,
se contentaient d’un rôle consultatif très discret, rendu de plus difficile par
un accès malaisé aux informations. Depuis le traité de Maastricht
cependant, des mesures ont été prises : les commissions parlementaires
chargées des questions européennes ont vu leurs pouvoirs accrus, en ce qui
concerne le droit à l’information et les pouvoirs consultatifs.
Ainsi, en France, le
Parlement a longtemps été mis à l’écart des affaires européennes, mal informé,
indifférent, à l’exception de son rôle de transcription des règles
communautaires.
Dominait donc sans partage
l’exécutif à Bruxelles, allant jusqu’à prendre lui-même des décisions de nature
législative.
Cependant, en
1979, avec l’élection du Parlement au suffrage universel, des « Délégations
parlementaires pour les Communautés européennes », sans réel pouvoir. Avec
l’accroissement du nombre des directives communautaires dans les années 1980 et
la mise en place du marché unique, ces délégations ont vu leur rôle renforcé,
afin de faire face à l’augmentation du rythme de travail et la nécessité d’avoir
des compétences techniques bien différentes de celles requises dans les
Parlements nationaux. Avec la révision constitutionnelle de 1992 (article 88-4),
et sa réforme en 1994, le Parlement a obtenu une plus grande place au sein des
négociations du conseil : d’une part, un accès plus large aux informations
relatives aux dossiers traités par le Conseil, notamment en ce qui concerne les
dispositions de nature législative, la PESC et la JAI, et d’autre part, par le
biais d’une circulaire, simple engagement de la part du Gouvernement vis-à-vis
du parlement, le premier demandait au Conseil, pour le second, un délai d’examen
des propositions communautaires.
Cependant, le
Parlement, auquel était accordé le droit à l’information relative aux
« propositions d’actes communautaires », s’est vu refuser un droit de regard sur
les propositions relevant des deuxième et troisième piliers, et sur les
propositions d’acte ne relevant pas de l’article 249. Par ailleurs, face au flux
des textes communautaires à portée législative, le Parlement n’a toujours pas à
ce jour mis au point d’organisation efficace et l’efficacité de son action en
souffre de façon évidente.
Cependant le
Parlement a profité de la réforme constitutionnelle nécessaire à la mise en
œuvre du traité d’Amsterdam pour obtenir un droit de regard sur les dossiers
relatifs aux trois piliers, et sur tout type juridique de document, en
particulier les « livres verts », « livres blancs », et le programme de travail
annuel de la Commission. En définitive, on parle de « contrôle-influence », pour
caractériser le pouvoir du Parlement sur le gouvernement dans le domaine des
affaires européennes, pouvoir qui reste tout de même très limité.
Le lobbying européen
Présentation d’une
pratique particulière du pouvoir dans l’Union européenne
Le lobbying est
parfaitement reconnu et considéré comme l’une des expressions de la démocratie
dans certains pays du monde, tels que les Etats-Unis ou le Canada, où il fait
l’objet d’une réglementation spécifique, notamment pour garantir la transparence
de ces pratiques. Il permet intégrer aux processus décisionnels des intérêts et
des acteurs qui en sont normalement exclus, et de promouvoir de fait un certain
dialogue social, allant dans le sens de la démocratie, selon la conception du
lobbying qui prévaut dans ces pays. En Europe, seuls l’Allemagne et le Danemark
ont mis au point des législations comparables. Dans les autres Etats, dont la
France, le lobbying est une réalité dont on parle peu, et qu’on considère
souvent comme une atteinte au jeu de la démocratie, dans la mesure où elle remet
en cause l’indépendance des représentants politiques élus.
. Au moins 500
fédérations européennes et internationales seraient également représentées à
Bruxelles.
. Le vote à
l’unanimité au sein du conseil, qui prévalait alors, simplifiait beaucoup sa
pratique : un seul Etat pouvait bloquer tout le système. Cependant avec l’Acte
unique et l’extension du vote à la majorité qualifiée, le parlement est devenu à
son tour une cible intéressante pour les groupes d’intérêt.
En 1992, la
Commission publie une communication intitulée « un dialogue ouvert et structuré
entre les groupes d’intérêt et la Commission », dans laquelle elle distingue
deux catégories de groupes d’intérêts :
- Organisations sans but
lucratif : associations, fédérations nationales, européennes ou internationales,
qui sont souvent des organisations professionnelles. On peut citer ici l’ERT (European
RoundTable), qui a pour but d’améliorer la compétitivité européenne en
développant le marché unique. Organisée en groupes de travail thématiques, elle
propose des rapports au Conseil européen et aux institutions de l’Union, et
organise des rencontres avec les représentants des Etats membres.
- Organisations à but lucratif :
conseillers juridiques, agences de relations publiques, consultants, qui
défendent les intérêts de tierces parties.
En termes de forme, ces lobbies
sont variés : bureaux d’avocats spécialisés ou généralistes, représentations
syndicales, patronales, régionales, associations non gouvernementales, par
exemple.
Les objectifs sont
en revanche les mêmes : influencer, à tous les niveaux possibles, le processus
décisionnel : les groupes d’experts et les fonctionnaires de la Commission à un
stade primaire, le Parlement et le COREPER ensuite. Elles ont pour cela deux
méthodes, employées en parallèle :
- La recherche et la diffusion
d’informations pour informer tous les acteurs du processus décisionnel,
« institutionnels », ou lobbies, et influencer leur point de vue sur les
dossiers concernés, en leur fournissant des rapports techniques et des études
prospectives.
- Proposer des amendements,
obtenir une dérogation, une autorisation particulière ou un financement, et
remporter des appels d’offres, tout l’art consistant à s’adresser au moment et à
la personne pertinents, en développant des réseaux, par des séminaires, visites,
courriers, galas, et « petits cadeaux ».
Le cas particulier du
lobbying français à Bruxelles
Le lobbying, tel que
nous venons de le décrire, est une pratique que les Français ont mis du temps à
adopter, la considérant comme antidémocratique. Les premiers lobbies français à
Bruxelles datent de la fin des années 1980, avec l’irruption des régions, des
professions, des syndicats. On ne peut pas parler cependant d’un système
cohérent et efficace : ces groupes agissent de façon individualiste, malgré la
création en 1989 du Cercle des délégués permanents, qui regroupe les intérêts
français, et qui a pour objet d’améliorer la communication entre ses membres, la
Représentation permanente et les instances communautaires, et paraissent moins
influents que les lobbies d’autres nationalités, notamment en ce qui concerne la
défense des intérêts des PME, qui n’ont pas les moyens de se défendre
individuellement à Bruxelles. Les PME peuvent toutefois agir par le biais des
fédérations professionnelles et des chambres consulaires, et trouvent un relais
efficace à leurs actions dans la représentation permanente.
En conclusion
générale, on peut tout d’abord remarquer l’extrême complexité du système
décisionnel européen dans tous ses aspects : la multiplicité des lieux de
décision, dispersés entre Bruxelles, Luxembourg, Strasbourg et les capitales
européennes, multiplicité et variété des acteurs, officiels et officieux,
diversité de leurs pouvoirs et de leurs moyens d’actions,… Cette complexité est
surtout problématique d’un point de vue démocratique, dans la mesure où le
citoyen doit se soumettre à des décisions dont il ne connaît pas l’origine (le
mythe du technocrate bruxellois et ses décisions arbitraires), et qui ne lui
paraissent pas de fait légitimes. A bien des égards, au cours de l’élaboration
des décisions européennes, les arbitrages qui sont faits ne reflètent pas les
intérêts majoritaires des peuples (groupes d’intérêts privés, Etat qui défend
des intérêts purement nationaux, par exemple). Les décisions sont le fruit d’une
confrontation permanente d’intérêts et d’influences contradictoires, au sein
desquels il est difficile de déterminer ceux qui prévalent, et donc, qui,
réellement, détient le pouvoir.