Citoyenneté et nationalité : complémentarités et différences
La citoyenneté peut se définir comme la possession de
droits et de devoirs au sein d’une société politique ; au sens « moderne », le
droit de participer activement à la détermination du bien vivre ensemble, par la
voie de la représentation, de l’échelon le plus réduit à l’échelon le plus
large. La nationalité est l’appartenance juridique à une communauté résidant sur
un territoire définit par l’Etat qui y exerce son autorité. Avec William Rogers
Brubaker, on peut caractériser ces deux notions comme des concepts de « clôture
sociale », définissant des limites à la participation de certains extérieurs à
certaines interactions sociales. Ces clôtures sont arbitraires, elles répondent
à un problème constant rencontré par toute tentative d’organisation de la vie en
commun: celui de la tension entre l’altérité (économique, sociale, culturelle),
et la civilité, « reconnaissance tolérante et généreuse d’un attachement commun
à l’ordre social et d’une responsabilité commune envers lui en dépit de la
diversité », selon L. Fallers. La remise en cause des limites définies à un
moment donné est consubstantielle à la réapparition de ce problème sous une
nouvelle forme: ici, le mode d’accès aux espaces européens, l’accommodation d’un
consensus résiduel, aussi bien pour les « étrangers » non-européens que pour les
nationaux dans leurs pays respectifs ou autres pays européens ; celui de la
participation de ces individus à la citoyenneté démocratique moderne en Europe,
et cela à un moment où la nationalité comme sentiment commun s’estompe et que la
citoyenneté et ses attributs pratiques sont de plus en plus revendiqués.
Fondamentalement, il s’agit de savoir quel type d’identité peut légitimer
l’exercice de la citoyenneté démocratique européenne. Si l’histoire des Etats
modernes va dans le sens d’un raffermissement du lien entre nationalité et
citoyenneté, le défi de la construction d’un espace politique européen
transcendant des Etats incapables de résoudre individuellement les crises
sociales qui les traversent amène à repenser la légitimité de ce lien et à
proposer de nouvelles alternatives quand au lieu d’identification des citoyens.
I – De la Révolution française au traité de Rome : le
renforcement du lien entre nationalité et citoyenneté.
A / Ses fondements théoriques et leurs limites.
1. Une réciprocité très forte.
Jean Leca explique que l’ensemble des Etats-Nations
d’Europe naissent ainsi d’une combinaison d’«artificialisme contractualiste » et
de « naturalisme communautariste » : à l’image de leurs Constitutions
respectives, ces nouvelles organisation politiques sont fondées d’une part
contractuellement, et à certains égards potentiellement inclusives de tous ceux
qui n’y revendiquent pas leur place comme conquérants ; d’autre part,
pré-contractuellement, moralement, dans une « communauté de caractère,
historiquement stable, associant des hommes et des femmes spécifiquement engagés
les uns envers les autres et dotés d’un sens spécifique de leur vie commune » (Walzer) ;
sous cet angle nécessairement exclusives d’extérieurs trop différents. C’est la
présence constante de ces deux conceptions qui permet de saisir l’évolution du
lien entre citoyenneté et nationalité : il est autant exact de dire que la
nationalité fait la citoyenneté, que l’inverse. Ernest Renan – que l’on ne
retient généralement que pour illustrer l’aspect volontariste- combine
harmonieusement ces deux propositions : le poids du passé est autant important
que le « plébiscite de tous les jours ».
2. Qui s’illustre dans les différentes Constitutions
républicaines.
Le 26 août 1789, « les représentants du peuple français,
constitués en Assemblée Nationale », proclament la déclaration des droits de
l’homme et du citoyen. Alors que l’ordre ancien reposait sur les privilèges
accordés aux nobles selon les lois de l’hérédité, la bourgeoisie française
déclare les hommes « libres et égaux en droits ». L’exercice de la citoyenneté
démocratique, à travers la représentation des citoyens par les associations
politiques nationales, n’a pour but que « la conservation des droits naturels et
imprescriptibles de l’homme », à savoir « la liberté, la propriété, la sûreté et
la résistance à l’oppression ». De plus « nul corps, nul individu n’émanant pas
expressément de la Nation ne peut exercer d’autorité sur les citoyens
français ». La Révolution française inaugure l’association étroite entre
nationalité et citoyenneté : la nationalité apparaît comme une condition
nécessaire de la citoyenneté, et en même temps cette dernière est le leitmotiv
avoué de l’affirmation de la nationalité. Ainsi, outre-atlantique, avec la
Déclaration d’Indépendance américaine, où « citizenship » est synonyme de
nationalité ; ailleurs en Europe, avec le mouvement des nationalités qui
s’enclenche en 1848, les peuples prennent conscience de leurs droits légitimés
par l’affirmation de l’existence de leurs différentes nationalités.
3. Mais qui d’emblée n’a pas la même portée pour tous.
Comme le souligne Danièle Lochak, la citoyenneté est avant
tout « un concept juridique flou », deux types de « réserves » venant contredire
ce lien nécessaire entre les deux notions : d’une part le temps écoulé, d’un
siècle et demi en France, entre l’affirmation de ce lien et l’établissement du
suffrage universel féminin ; d’autre part, on définit moins, dans les
constitutions révolutionnaires le national que les conditions d’accès à la
citoyenneté. Pour Robespierre, il faut défendre la patrie si l’on est fidèle à
ses principes. On accorde la même place à la filiation, à la naissance et à la
résidence en France. Dans le sens de la tradition cosmopolite de la fin du
XVIIIè siècle, certains étrangers siègeront même à la Convention. Mais en même
temps, la Constitution de 1791 opère une distinction entre citoyens actifs et
passifs, c’est-à-dire que seuls certains nationaux sont pleinement citoyens. En
1793, le corps électoral masculin obtient le suffrage universel mais cette
fois-ci la nationalité redevient le premier critère. Avec l’arrivée de Napoléon,
la France fait la guerre au nom de la liberté des peuples, mais l’on restreint à
nouveau l’électorat dans le territoire national. Il semblerait donc impossible
d’accorder la citoyenneté à un tout sans que celui-ci soit délimité par un
territoire, et inversement de faire participer des individus extérieurs à ce
territoire sans restreindre le droit de certains nationaux. Ce dilemme atteint
son apogée lorsque les Etats-Nations d’Europe cherchent à définir le statut de
leurs colonies : certains colonisés sont français, mais citoyens de seconde
zone, comme le sont le Algériens au lendemain de la seconde guerre mondiale ;
plus tard, d’autres sont citoyens tout en appartenant aux classes supérieures
des colonisés. Cela se traduit par exemple dans la loi-cadre Deferre de 1956.
Les Etats-Unis constituent l’exemple le plus aboutit : dans ce pays
d’immigration les distinctions entre différents citoyens sont très fortes, les
hommes blancs propriétaires étant les premiers à pouvoir voter. En fait, ces
différences de statuts différents citoyens ne viennent pas contredire le lien
entre citoyenneté en nationalité, ils s’expliquent par le fait que la
citoyenneté, revendiquée pour les droits qu’elle confère, ne peut l’être de la
même manière par tous les citoyens, divisés par leurs situations sociales. Afin
de rendre celles-ci plus convergentes, et donc le statut de citoyen plus
homogène, la nationalité apparaît alors comme indispensable pour que les
citoyens intègrent l’idée qu’ils forment un tout, malgré ce que leur révèle leur
quotidien.
B – Ses nécessités pratiques et leurs conséquences.
1. La menace des « classes dangereuses ».
Ce sont les socialistes français qui relèvent les premiers
les différences entre théorie et pratique dans l’exercice de la citoyenneté, et
cela au delà des contradictions propres au textes juridiques : dans une édition
de la Nouvelle Gazette Rhénane datée de 1848 Karl Marx rapporte la préoccupation
des représentants des couches populaires françaises, qui au lieu de ne voir que
des citoyens, doivent se résigner à admettre l’existence de « bourgeois » et de
« prolétaires ». Ce constat empirique constitue l’ébauche d’une explication des
différences en droit, puis en fait, entre les nationaux : la Révolution
française ne serait que l’expression du nouveau règne de la bourgeoisie, la mise
en place de la « superstructure » institutionnelle nécessaire à la conservation
de l’ « infrastructure » définie par le mode de production capitaliste.
Initialement les révolutionnaires français et américains s’empressent de
restreindre l’extension du suffrage parce qu’ils n’en ont tout simplement pas
intérêt. Corrélativement le fait que l’on finisse par instaurer le suffrage
universel, en plus des libertés « formelles » préalablement revendiquées,
apparaît comme l’expression d’un compromis nécessaire permettant de perpétuer un
mode de production qui discrimine certains nationaux. Il en est de même pour la
reconnaissance progressive de certains droits longtemps revendiqués, comme le
droit de grève, de la liberté syndicale. C’est dans la même logique qu’en
Prusse, Bismark amorce le processus le développement du « Wellfare State », qui
atteint son paroxysme avec l’instauration de la cogestion dans les entreprises
en 1945 ; qu’en même temps De Gaulle instaure la sécurité sociale universelle en
France. Le concept de nationalité permet donc l’institutionnalisation de la
lutte des classes dans des territoires clairement définis, ce qui vient
contrecarrer les prétentions internationalistes du socialisme.
2. Les menaces extérieures.
Rétrospectivement les conquêtes napoléoniennes peuvent
apparaître comme les ambitions territoriales d’une grande puissance, ou comme la
volonté de la classe bourgeoise d’étendre à l’Europe sa domination
institutionnelle, tout dépend sous quel angle on aborde la question. Mais dans
tous les cas force est de constater qu’elles se font en réaction aux menaces à
la république perpétrées par les monarchies qui l’entourent : la nationalité
apparaît ici comme le seul moyen de préserver les acquis de la citoyenneté.
D’autant plus que ces acquis ne sont pas du même ordre pour tous les citoyens :
on ne peut espérer avoir accès à plus de droits si on ne défend pas ceux que
l’on a déjà ; on prend conscience de la préciosité de ces droits lorsque l’on se
compare aux étrangers. A cet égard , la lecture que donne Raymond Aaron 1re
Guerre Mondiale, si on considère les puissances européennes en présence, est
pertinente : d’une part, des démocraties libérales, notamment la France,
L’Angleterre, de l’autre des systèmes politique à caractère non-démocratique,
avec l’ empire austro-hongrois et la Prusse. Lors de la guerre froide, c’est
encore deux conceptions de la citoyenneté qui s’opposent. On associe plus que
jamais cette dernière à la nationalité à laquelle elle correspond : hormis les
lois votées aux Etats-Unis qui emploient le concept « d’anti-américanisme » pour
désigner les « rouges » de nationalité américaine frappés d’ostracisme, toute
revendication nationale ou projet politique contraire aux intérêts des nations
les plus puissantes est suspectée pour le type de citoyenneté qu’elle entend
promouvoir.
3. Les paradoxes de l’après-guerre.
La fin de la seconde guerre mondiale semble marquer une
rupture dans la conception du lien entre citoyenneté et nationalité aussi bien
aux niveaux juridique que cognitif : elle est certes le point de départ de la
décolonisation, qui peut apparaître comme l’aboutissement du lien entre
nationalité et citoyenneté en comparaison aux ambiguïtés soulevés par les
différentes juridictions coloniales. Mais apparaissent au même moment : une
ébauche de « citoyenneté modiale » avec la participation de nombreux Etats à
l’ONU ce qui mènera à la création de tribunaux pénaux internationaux qui
rappellent leurs droits et devoirs à des nationaux de tous les pays ; des
projets politiques européens qui, même s’ils n’ont au départ qu’un caractère
essentiellement économique, mèneront inéluctablement à des interrogations quand
à la création d’une citoyenneté européenne permettant une adéquation du cadre
référentiel professionnel (libre circulation des hommes, des capitaux) des
acteurs, et de leurs possibilités de participation à l’élaboration de règles
transcendant l’autorité de leurs Etats respectifs. On en arrive au constat que
différents degrés de citoyenneté se superposent.
Mais cette situation concerne surtout les Etats occidentaux
déjà « avancés » en termes d’attributs accordés par la citoyenneté, et donc
capables d’unir leurs conceptions du rôle du citoyen dans la société. Ce sont en
même temps ces attributs qui sont revendiqués par la plupart des immigrants qui
quittent les pays décolonisés pour les anciennes métropoles. Paradoxalement, les
avantages sociaux-économiques de la citoyenneté sont les plus recherchés, alors
qu’ils n’ont été permis que grâce à l’exercice des droits élémentaires conférés
par la citoyenneté. La spécificité historique de chaque nationalité – française,
italienne, …- revendiquée importe peu à ceux qui la revendiquent, et pourtant
l’intégration des valeurs qu’elle a produit reste la condition nécessaire de
l’exercice d’une citoyenneté au sens plein du terme, c’est-à-dire la
participation active à la vie politique préalable à de nouveaux progrès que la
citoyenneté permet d’institutionnaliser. Cet exercice est aussi défaillent chez
les nationaux non-immigrés. Le problème concerne donc aussi bien les « anciens »
que les « nouveaux » citoyens.
Il faut donc se demander quelle conception de la
nationalité dans le cadre de l’Europe permettrait de concilier dans les
représentations de tous les résidents, cet exercice démocratique préalable et le
maintient des avantages qu’il a permis d’acquérir.
II- Peut-on dissocier nationalité et citoyenneté à
l’heure de l’Europe : association des Etats ou création d’un nouvel Etat ?
A/ L’Union européenne aujourd’hui.
1. Plusieurs nationalités, une seule citoyenneté ?.
Depuis la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales signée à Rome en 1950, le principe de
citoyenneté européenne a fait son chemin, lentement mais sûrement. Il peut se
lire implicitement dans la Déclaration commune du Parlement européen , du
Conseil et de la Commission sur la démocratie en 1997 ; dans celle du Conseil de
Copenhague de 1978 ; ou dans la Déclaration des libertés et droits fondamentaux
adoptée par le Parlement européen le 12 avril 1989. Mais la première référence
expresse aux droits et libertés fondamentales apparaît dans le traité de
Maastricht (article F dans les dispositions communes) bien que celui-ci,
contrairement aux constitutions nationales, ne débute pas une déclaration des
droits. Il reconnaît aux ressortissants européens vivant dans un pays de
nationalité différente que la leur le droit de vote aux élections
infra-étatiques et supra-étatiques. Avec le traité d’Amsterdam, on peut
constater une violation des droits de l’homme grave et persistance de la part
d’un Etat membre. Outre le droit à la protection diplomatique, le droit de
pétition peut être considérer comme une traduction de la volonté de valoriser
les initiatives des citoyens. Cependant de nombreuses décisions sont prises à
l’échelon national, et la citoyenneté liée à la nationalité intervient pour de
nombreuses décisions.
2. La persistance du cadre national.
Aujourd’hui la plupart des attributs socio-économiques de
la citoyennetés sont du ressort des Etats, tandis que des grands principes aux
législations concernant des domaines précis, les décisions, notamment
économiques, sont prises au niveau européen. Il semblerait que les différents
Etats entendent maintenir leur prérogatives dans tel ou tel domaine le plus
longtemps possible, jusqu’à ce que lui transfert au niveau européen s’avère
nécessaire pour la perpétuation de l’union. En même temps, le lieu
d’identification des différents individus demeure avant tout le cadre national.
En témoignent les journaux télévisés nationaux, les journaux nationaux : la
barrière n’est pas que celle de la langue, les informations véhiculées
concernent majoritairement les citoyens de même nationalité que leurs
diffuseurs. Or précisément, le fait que l’ensemble des problèmes qui y sont
traités ne soient pas englobés dans un cadre européen, au moment même où ce
cadre voit son importance grandir dans les prises de décisions, expliquerait le
fait que les citoyens trouvent de moins en moins d’avantage à participer à la
vie démocratique nationale et encore moins européenne : la première reste
conditionnée par la seconde mais cette dernière ne fait pas partie du quotidien
auquel se réfèrent les citoyens. Ceux-ci expriment alors d’autant plus
difficilement leurs problèmes, et s’identifient de moins en moins aux décisions
censées les résoudre.
3. Ses incapacités à répondre aux besoins des citoyens.
Alors que l’on parle d’une disparition progressive de
l’Etat-providence, les Etats nationaux demeurent le lieu de régulation sociale
des problèmes économiques qui animent la société européenne. Or on se rend
compte que cette régulation sociale devient peu à peu inopérante, ce qui se
traduit par une inefficacité croissante des mécanismes traditionnels de
l’Etat-providence. De fait la volonté des Etats de maintenir leurs prérogatives
sociales ne permet pas de répondre aux besoins des citoyens qui trouvent leur
origine dans un contexte plus global devant lequel les Nations prises
individuellement se révèlent impuissante. Ce qui signifie que le lien entre
nationalité et citoyenneté n’est plus perçu comme bénéfique par les nationaux
des différents pays, auxquels a manifestement échappé l’enjeu d’un transfert de
souveraineté ne s’accompagnant pas d’une révision totale des mécanismes de
régulation. Il faut donc repenser le concept même de nationalité, qui n’est
étroitement lié à la citoyenneté que par la souveraineté qu’il confère
traditionnellement aux différents peuples. Quels sont les projets qui vont dans
ce sens ?
B/ La citoyenneté européenne à l’épreuve.
1. L’associer à une nationalité européenne ?
A Alain Touraine qui défend la coexistence l’idée d’une
logique constitutionnelle européenne et de mécanismes nationaux de régulation
devant être rénovés et réhabilités, Jurgen Habermas oppose le constat du
dysfonctionnement de ces mécanismes, et de la possibilité de ne les corriger
qu’à la marge. Il défend l’idée d’ « patriotisme constitutionnel » qui
correspondrait à une volonté politique forte de faire du cadre européen le lieu
principal d’exercice de la citoyenneté. Il s’agit de récréer au niveau européen
ce que les Etats ont mis tant de temps à instaurer dans le national : par la
démocratie européenne, instaurer un système de solidarité au niveau européen,
bref recréer le « wellfare » au niveau européen. La volonté des citoyens étant
avant tout poussée par celle des politiques, des médias, seuls capables de
recréer un cadre d’identification calqué sur le lieu de résolution des problèmes
posés par la vie en commun. Il s’appuie avant tout sur le caractère
« artificiel » de la création des Etats-Nations, auxquels les individus se sont
référés une fois que leurs limites étaient clairement définies. Or, comme lui
reproche Dominique Schnapper, ce raisonnement philosophique kantien omet le
carctère « ethnique » de la citoyenneté, c’est-à-dire le versant historique de
l’idée de Nation, qui se traduit dans des interactions sociales au quotidien qui
ne se développeront pas d’elles-mêmes. Surtout si les citoyens ne sont pas
pleinement associés à la redéfinition du cadre en question . Mais le concept de
nation est-il vraiment le seul valable pour l’exercice de la citoyenneté ?
2. La citoyenneté au quotidien : pertinence et limites
du cadre local.
Comme le soulignait Renan, les nations sont un phénomène
essentiellement historique. Le problème est de trouver un lieu d’exercice de la
citoyenneté qui n’altèrerait pas une identité commune européenne, tout en
préservant cette dernière de toute forme de nationalisme. C’est le problème
fondamental des limites du cadre de la vie en commun qui se pose ici : sur quoi
les fonder ? A de nombreux égards on peut penser que l’exercice de la
citoyenneté au niveau municipal, si elle impliquait une participation active des
citoyens dans l’élaboration de leur vie en commun, serait un moyen de
réhabiliter l’exercice de la démocratie par l’ensemble des citoyens, et
d’empêcher de ne voir que dans celle-ci son aspect utilitaire. Car en effet les
solidarités que la citoyenneté met en œuvre dans le cadre national constituent
des corrections des effets des problèmes sociaux rencontrés par les citoyens,
non de leurs causes. Et c’est précisément le fait que les citoyens se sentent
impuissants face à ces causes qui explique le manque de participation à la vie
politique. Les transformations actuelles que connaît le Brésil illustrent bien
la possibilité d’expériences locales qui s’étendent à l’ensemble du pays : on
parle de la démocratie participative au niveau local. La question est de la
relayer au niveau central de l’Etat.
3. Comment le relayer au niveau européen ?
Au niveau européen, il s’agirait de relayer les expériences
qui peuvent être faites, de les coordonner par le moyen de la représentation :
ainsi les citoyens peuvent identifier l’impact de leur décisions à un échelon
réduit qui constitue leur quotidien et être informés des propositions et de
leurs traductions concrètes qui ont été faites ailleurs. Ces propositions
atteignent cependant vite leur limites tant que les acteurs détenant le plus de
ressources agissent dans une logique plus globale : la persistance d’une telle
logique implique une régulation elle-aussi globale, qui doit nécessairement
primer sur les initiatives locales lorsque celles-ci vont à l’encontre d’une
résolution de problèmes économiques répondant à l’intérêt général de l’espace
concerné. Les intérêts de la solidarité européenne dont parlait Habermas ne
doivent pas être limités par des avantages propres aux situations locales.
S’interroger si nationalité et citoyenneté peuvent être
dissociées implique avant tout d’étudier les liens entre ces deux concepts et
leurs évolutions dans le processus de création, d’affirmation puis de déclin
relatif des Etats-Nations dont ils étaient issus. On a vu que leur association,
initialement théorique, s’est raffermie peu à peu pour des raisons aussi bien
externes qu’internes, mais que c’est au moment où ces concepts paraissaient le
plus liées qu’il perdaient leur sens chez les individus qui les avaient
intégrés. Avec l’Europe ces deux concepts se sont dissociés d’eux mêmes, mais
cela appelle à une nouveau type d’identification des citoyens qui est loin
d’être unanime.
Eléments principaux de bibliographie :
Citoyenneté et nationalité, sous la direction de Dominique
Colas
L’Europe, la Nation, la démocratie : débat entre A.
Touraine, Dominique Schnapper, Jürgen Habermas dans Cultures en Mouvement
Comment sortir du libéralisme, Alain Touraine
Qu’est-ce qu’une nation ? Ernest Renan
L’Union Européenne, Christian Hen et Jacques Léonard
repères)
La Constitution, édition des Journaux Officiels
La lutte des classes en France 1848-1850, Karl Marx