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Nation-contrat |
Nation-génie |
Auteurs de référence |
Seyès, Renan |
Fichte, Herder |
Peuple |
de citoyens |
des ancêtres |
Fondement de l’adhésion |
Volonté |
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Principe vital |
Civisme territorial |
Populisme généalogique |
Principes de référence |
Droits de l’homme |
Langue, race, culture |
Nationalité |
par le droit du sol |
par le droit du sang |
Origine philosophique |
Les Lumières |
Le Romantisme |
Pays de référence |
France, Italie, Amérique |
Allemagne, Est Europe |
1. La nation-contrat: l'identité nationale comme résultante d'une volonté
La nation-contrat part de la définition révolutionnaire de 1789 où la nation "est un corps d'associés vivant sous une loi commune et représenté par la même législature" (Seyes). C'est un édifice que tous et chacun bâtissent ensemble à partir d'un lien contractuel. L'identité nationale, c'est donc le fait de se reconnaître comme voulant faire partie d'un même corps: l'ensemble des individus fait exister la nation en remettant la souveraineté à la volonté générale. La nation est un "communauté démocratique" (Alain Renaut) définie par une adhésion volontaire à des principes publics (réf: les droits de l'homme). Alain Finkielkraut: "on est français par la volonté, parce qu'on le désire". L'identité nationale en ce sens là se fonde sur un projet collectif autour de l'idée du "vouloir vivre ensemble". Ernest Renan, conférence de la Sorbonne Qu'est qu'une nation? , 11 Mars 1882 « La nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu’on a faits et de ceux qu’on est disposé à faire encore. Elle suppose un passé ; elle se résume dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune. L’existence d’une nation est (pardonnez-moi cette métaphore) un plébiscite de tous les jours, comme l’individu est une affirmation perpétuelle de la vie. » .
Csq: la conception de la nationalité. Elle n'est pas naturelle, elle est volontaire: elle peut être acquise ou perdue. C'est le droit du sol (jus solis). On peut obtenir la nationalité française, autrement dit la reconnaissance de l'identité nationale en naissant sur le sol français.
Transmission de l'identité nationale entrant dans le cadre du processus de socialisation. L'intégration passe par l'école laïque et avant le service militaire: ainsi est associé à l'acquisition de la citoyenneté l'acquisition d'un certain savoir- scolaire et d'un certain savoir-faire militaire. Remarque: déf. de la nationalité comme volontaire mais école et service militaire obligatoire!
2. La nation-génie: l'identité nationale fondée sur le passé, transmis par hérédité
Texte de réf: le "Discours à la nation allemande" prononcé par Fichte pendant l'hiver 1807-1808 à la suite de l'humiliante défaite de la Prusse à Iéna face aux troupes napoléoniennes.
La nation est fondée sur la tradition et les liens hérités du passé. Ce sont des liens naturels organiques fondés donc sur des attributs naturels (langue, race) et culturels (sanctionnés par la tradition). la nation est vue comme un "esprit du peuple" (volksgeist) par Johann Herder (une autre philosophie de l'histoire,1774) Elle n'est plus un principe mais plutôt une "âme collective", unissant culturellement, à partir d'une langue commune par exemple, les hommes en un corps politique et social. L'appartenance à ce corps ne se décide pas: elle procède d'une nécessité identitaire., s'inscrivant dans l'histoire et la géographie. En ce sens l'identité nationale est fondée sur des critères objectifs (langue, religion, ethnie…), qui transcende la volonté des individus. Cela conduit à une autre conception de la nationalité: celle-ci ne peut-être acquise qu'à la condition d'être né allemand (droit du sang, jus sanguinis). L'Allemagne a modifié en 1999 son code de la nationalité en ouvrant plus largement aux personnes sans origine allemande la possibilité d'acquérir la nationalité allemande.
B) Limites de l'opposition: l'identité nationale comme fait de partager une même spiritualité
Les auteurs de référence ne sont pas aussi tranchés, et finalement pas si éloigné
Fichte propose en réalité une refondation des solidarités sociales qu'il imagine dans une nation allemande qu'il appelle de ses vœux. ce n'est donc pas une simple fidélité au passé qui fera la nation, mais la volonté solidaire d'un peuple. Il privilégie le rôle de l'éducation capable en s'appuyant sur la spontanéité de l'enfant de donner un cadre solidaire et qui fonde un lien social national. mais cette construction nouvelle d'une nation ne peut pas être totalement artificielle; elle doit s'appuyer sur un peuple déterminé par l'histoire , incarnation de la vie, un peuple-souche. Cette notion ne s'appuie pas sur une identité ethnique naturelle mais sur un "esprit" qui définit le peuple allemand. « Quiconque croît à la spiritualité et à la liberté de cette spiritualité, celui-là, où qu’il soit né et quelle que soit sa langue, est de notre espèce. Il nous appartient et fera cause commune avec nous. » Ce n’est ni le droit du sol ni le droit du sang, c’est le droit de l’esprit. Il parle de « communauté rationnelle » où on partage une même façon de penser. On est loin du Volksgeist.
Renan développe dans la première partie de « Qu’est-ce qu’une nation ? » une critique des analyses qui réduisent la nation à un critère traditionnel : le principe dynastique (ex de la Suisse, des Etats-Unis...), la race (« il n’y a pas de race pure[...] Les plus nobles pays sont ceux où le sang est le plus mêlé » plus une critique de la polysémie du mot race selon qu’on part de la nature ou de la culture - ce qui ne l’empêchera pas dans ses premiers écrits de prôner une hiérarchie des races), la langue (la Suisse, la Belgique, les Etats-Unis...), l’intérêt, la géographie...Fondamentalement Renan ne récuse en particulier aucun de ces facteurs mais il les mêle dans « un principe spirituel » (comme Fichte !) mais en y ajoutant ce qui est essentiel à ses yeux : la volonté de chaque participant à la nation.
Fichte et Renan ne sont pas si éloignés. Ils participent de deux « synthèses nationales différentes ». (Fichte est la première pierre d’un mouvement extraordinaire du XIXème siècle de constitution d’une nouvelle nation ; Renan exprime la volonté de la France républicaine de refonder son unité et son identité nationale après la défaite de 1870 et les annexions qu’elle a entraînées. C’est que les réalités historiques nationales ne sont pas aussi tranchées. Dans la revendication nationale allemande il y a quelque chose de l’éveil des nationalités, ferment révolutionnaire du milieu du siècle et il ne manque pas de références républicaines contre la domination prussienne et les projets de Guillaume II. Quant à la France, elle n’a pas seulement produit Renan ou Durkheim mais aussi Barrès et sa flamme patriotique et chauvine sans parler de la fascination nationaliste sur des esprits éclairés comme Péguy. Finalement, on peut conclure que l'opposition traditionnelle entre conception "à la française" et conception "à l'allemande" n'a de valeur que pédagogique (sauf pour les conceptions de l'acquisition de la nationalité et attitude face de l'immigration), et pour ce qui concerne l'identité nationale, on aboutit à la conclusion que c'est un même esprit commun qui la fonde. Mais quel esprit, de quoi est-il fait?
II. Ethnie construite ou culture, l'identité nationale se fonde sur la conscience d'appartenir à une communauté
A. La nation comme ethnie, comme langage ou comme culture
Texte de réf: The ethnic Revival 1981, The ethnic Origins of Nations 1986 d'Anthony Smith
Pour lui la réalité première: liens et appartenance ethnique fondés sur la communauté et l'affectivité. Il y a un noyau dur de l'ethnie, complexe de mythes, de souvenirs, de valeurs et de symboles ("un système mythico-symbolique") qui assure la permanence historique de l'ethnie. La nation a dans le contexte de la modernité utilisé les liens ethniques pour constituer des entités politiques soudées autour d'un territoire donné. La congruence entre l'ethnie et le territoire est souvent approximative. Cette nation produit un Etat qui utilise cette ethnicité d'origine pour fondé un lien national qui le légitime. Smith présente l'ethnicité comme critère fondamental ou le plus fréquemment présent, ce qui est souligné par les termes "familiaux" "Patrie", "Mère patrie" "Father land" "Mother Country" "Heimat" voire "Home land". Mais c'est une ethnicité construite. J.W Lapierre signale (comme dans les travaux pionniers de Maurice Halbwachs) que "l'identité collective se rapporte à une mémoire collective qui permet au groupe contemporain de se reconnaître, par le biais d'un passé commun, du souvenir, de la commémoration, de l'interprétation et de la ré interprétation". Il y a une sélectivité de la mémoire, tant au niveau individuel que collectif (rôle des intellectuels dans "l'interprétation sélective de l'histoire"). Exemple : identité française par rapport à Vichy.
Texte de réf: L'Imaginaire National Benedict Anderson, 1996
La croyance nationale satisfait un besoin humain qui est celui d'appartenir à une communauté cohérente et stable. Le sentiment national se diffuse grâce aux médias: Anderson choisit le "roman nationaliste" (dont l'intrigue se déroule dans un espace commun reconnu) et le journal, organisé selon le principe de la "conscience du calendrier", comme étant deux véhicules parfaits" pour la formation d'une conscience nationale". L'identité nationale repose sur ce sentiment d'appartenir à une communauté "imaginée". La construction au niveau collectif de l'identité nationale repose en ce sens là sur la communication, et donc sur le langage, vecteur de la conscience.
Une certaine homogénéité culturelle
A travers l'analyse de Ernest Gellner Nations and nationalism 1983
Par une approche historique, on constate que l'identité nationale collective s'est formée avec le développement de l'industrialisation. La nation est en effet un phénomène très récent, spécifiquement moderne.
La nation est définie par une culture partagée c’est à dire un système d’idées et de signes, d’associations et de modes de comportement et de communication ; mais attention ce sont les hommes qui font les nations en se reconnaissant comme appartenant à la même nation ; ce sont « des artefacts produits par les convictions, la solidarité et la loyauté des hommes ». Donc à la fois du domaine du fait objectif et de la représentation collective.
Dans la société agraire, on a une société hiérarchique où l’élite est très minoritaire et où il y
multitude et hétérogénéité culturelle. Le bouleversement de la société agraire produit sur le plan
culturel un phénomène d’homogénéisation culturelle. La communication nécessaire entre les
hommes de la société industrielle nécessite à travers des travaux différents une unité de sens. La
division du travail croissante favorise la mobilité sociale et émerge une culture de plus en plus
homogène. L’éducation unifiée et monopolisée joue un rôle essentiel ; l’Etat moderne c’est le
monopole de l’éducation.
Pour Gellner la société industrielle se caractérise par trois traits
une connaissance universelle de l’écriture,
une compétence scientifique et technique
la mobilité sociale, l’éducation et l’anonymat
Tout cela crée une homogénéité culturelle qui favorise le nationalisme c’est à dire la convergence du principe nationale et du principe étatique.
Une telle conception amène à rejeter comme idéologiques et non sociologiques les conceptions volontaristes et culturalistes de la nation qui s’opposent traditionnellement. D’une part la volonté caractérise trop de groupements sociaux pour être une caractéristique propre des nations. D’autre part la culture commune est un concept flou et confus, alors que lorsque l’homogénéité culturelle se lie à la formation d’un Etat elle prend une consistance qui la rend reconnaissable. Ce n’est donc pas une identité culturelle précédente et inscrite dans la nature et la culture d’un peuple qui génère le nationalisme ; c’est l’inverse : c’est la mobilisation nationaliste qui crée la nation. Les nationalismes du Tiers-Monde en témoignent particulièrement. Gellner développe par exemple l’exemple de la nation algérienne.
Importance de la langue. rôle des médias en tant qu'ils sont eux-mêmes le msg ("la langue et le style")
Théorie culturelle des liens sociaux dans la société industrielle, où la langue joue un rôle décisif. Ou encore théorie culturelle de l'identité nationale présentant la culture comme conditionnée par le développement industriel.
B. L'identité nationale n'est pas statique, quel que soit son fondement
Critique formulée par Philip Schlesinger : "Soulignant l'importance de la transition de la société "agro-alphabétisée" à l'Etat-nation, par le biais de l'industrialisation, Gellner a tendance à considérer la création d'une culture nationale comme donné un fois pour toutes." Pb de la persistance des cultures nationales dans le temps: Schlesinger fait remarquer à juste titre que "diverses identités collectives peuvent s'opposer à la culture nationale officielle"
On en déduira que pour qu'il y ait identité le matériau ethnique, linguistique ou autre est à retravaillé continuellement par des processus tel que la construction de l'Etat, l'individualisation et surtout l'intégration dans un tissu de relations indirectes sur une grande échelle.
cf. Ecole de la construction nationale, K.Deutsh "Une communauté nationale repose sur l'intensité des interactions entre ses membres": on ne s'identifie à une nation que parce qu'on y est intégré. Quel que soit le critère retenu comme étant au fondement de l'identité nationale, celle-ci ne peut être effective qu'à la condition que les membres de la nation vivent en interaction.
En effet, on a pu observer au cours de l'histoire que l'identité nationale était d'autant plus intériorisé lors d'actions collectives cf. en tant de guerre ou pour les nations sans Etats lors de mouvement de revendication. Selon Gellner, l'identité nationale a pu être le résultat d'une invention d'histoire, d'un passé, d'un patrimoine national (ex: Vercingétorix érigé en héros national, alors lui-même ne se savait pas français!), par quelques intellectuels ou politiciens. Or, si la presse et l'école ont permis de diffuser l'identité nationale, celle-ci n'a été réellement intériorisée que lors de grandes actions collectives (ex: la Grande Guerre au son de la patrie en danger, jouant surtout sur la défaite de 1870: la nation mutilée; revendication de l'autonomie au Pays Basque ou en Catalogne…). La pérennisation et l'intériorisation de l'identité nationale repose donc, dans une certaine mesure, sur des actions collectives amenant les individus à se définir par différenciation, voir en opposition par rapport à l'Autre. (Les Allemands, le pouvoir central espagnol).
Dans cette perspective activiste de l'identité nationale, en perpétuel changement, on comprend que la culture de base puisse changer, se diversifier, voire éclater. D'où la possibilité d'une remise en question, et même d'une crise de l'identité nationale.
III. De la pluralité des cultures vers une crise de l'identité nationale?
Phénomènes d'acculturation, qui peuvent modifier la culture de base nationale, mais aussi résurgence d'identité culturelle régionale…pluralité de cultures qui peuvent remettre en question l'identité nationale. Mais ce qui est réellement déstabilisant, c'est que par de là le fondement de l'identité nationale, qui globalement est culturelle, il y a la raison de sa pérennisation, de son existence: l'Etat-Nation, et son expression, la citoyenneté. Giddens ne pouvait penser la nation en dehors de l'Etat: la remise en question de la souveraineté nationale ébranle incontestablement l'identité nationale, qui finalement repose sur la citoyenneté.
A. Problèmes des régionalismes et de la construction européenne
Pbs régionalisme: trois exemples
Pays Basque et Catalogne sont deux des autonomies espagnoles à statut spécifique (la troisième est la Galice), avec une langue, une police, un parlement qui leur sont propres. Il existe au pays basque un très fort nationalisme qui, depuis plusieurs années, a trouvé une forme d'expression dans le terrorisme orchestré par l'ETA (Euskadi Ta Askatuna, le Pays Basque et la liberté). Il existe également deux partis nationalistes: Batasuna (très proche de ETA), et vient d'ailleurs d'être dissout et le PNV (parti nationaliste basque). Au delà de ces formes "institutionnelles" du nationalisme basque, il faut dire que si la population est lasse des attentats, la revendication de l'autodétermination reste populaire parmi les basques. Il y a donc au Pays Basque un sentiment "nationaliste régional" (la maladresse de la formule soulignant l'ambiguïté du problème).
Le nationalisme catalan s'exprime avec plus de subtilité. Cependant, Jordi Pujol, Président de la Généralité de Catalogne, est un authentique nationaliste. Le 3 Sept 1991 il dit que "La Catalogne est une nation", et a tenté de se servir de l'Europe (et de l'eurorégion Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées, Catalogne) comme manière d'affirmer encore plus la Catalogne. Il a en effet tenter d'installer une "ambassade" catalane à Bruxelles, cependant vit rebaptisé "Bureau de représentation de la Catalogne" sous la pression de Madrid…
Enfin la Corse: il existe un nationalisme corse, mais il fait beaucoup moins l'unanimité de la population qu'en Catalogne ou qu'au Pays Basque. Cela dit, par comparaison, la question corse est autant problématique dans la mesure où la France est un pays de tradition jacobine et centralisatrice. En 1991, l'Assemblée Nationale a voté un projet de loi sur le statut de la Corse. L'article 1 comportait la notion de "peuple corse, composante du peuple français" Cet article 1 a été jugé anti-constitutionnel.
Ces trois exemples illustre la concurrence qu'exerce le niveau régional vis à vis de l'Etat-Nation du point de vue de l'identité.
Pbs par rapport à l'Europe: les Etats remettent à une entité supra nationale une part de leur souveraineté. Or l'Etat-Nation, tel qu'il se présente dans l'ensemble des pays européens, est ce qui fait exister la nation en tant que telle, ce qui lui donne un cadre formel et permet l'expression de l'identité nationale par l'exercice de la citoyenneté.
Plutôt que de traiter ces deux questions séparément, essayons de les rejoindre. Max Gallo, est à ce sujet très explicite. Dans un article publié dans Le Monde le 11 Février 1998 ("la corse n'est qu'un symptôme"), suite à l'assassinat du préfet Erignac, il parle d'une "crise de la nation française" plus que d'une crise de la société corse. selon lui, "la logique européenne conduit explicitement à une Europe fédérale des régions", ce qui conduirait à la perte de souveraineté nationale et à ce qu'il ne reste de la réalité des nations que des "références muséographiques".
D'après sa conception du problème, deux phénomènes se dégagent, et sont d'ailleurs étroitement lié. Tout d'abord, la nation est en crise (symptômes: désagrégation de la scté nationale par le chômage et la misère, violence endémiques dans des "ghettos"é liées à la baisse des capacités d'intégration de la nation, cerise de la représentation politique nationale: nombre croissant d'abstentionniste…). Et ensuite, il y a une volonté délibérée des politiques de laisser se désagréger la nation: "Et pour couronner le tout, choix unanime des élites politiques et culturelles de renoncer à la souveraineté monétaire." Il a également cette "phrase choc": "Qu'on ose au moins nous dire , puisque c'est le choix qui a été fait par la plupart: oui, la nation française de "papa" est morte, oui, nous voulons l'Europe fédérale des régions". En effet, la résurgence des "nationalismes régionaux" est pour lui la conséquence de l'Europe, car cette dernière affaiblit le rôle d'identifiant de la nation, qui se comprend ici comme indissociable de l'Etat (c'est bien l'affaiblissement de la souveraineté étatique qui est à l'origine de la perte de sens comme référant de la nation). "On comprend, dans ces conditions, que les plus jeunes, en Corse ou ailleurs, cherchent un sens et un destin collectif hors de la nation française" dit-il: selon lui, la nation ne constitue plus, du moins pour une partie de la population, un référant satisfaisant pour la construction de l'identité collective.
On peut ne pas partager cette vision des choses, mais cette analyse à le mérite de mettre en parallèle origine et conséquence d'une crise de l'identité nationale.
Marcel Gauchet propose un analyse plus vraisemblable, plus fine aussi, dans un article publié dans Libération le 11 Mars 2001, intitulé "Des identités communautaires…sans communauté derrière". Il considère que "le jacobinisme qu'on nous impute correspond bel et bien à un sentiment relativement faible des appartenances locales et à un sentiment fort, malgré tout ce que l'on dit, de l'appartenance nationale"et qu'il n'existe pas d'identité européenne en tout cas pas de sentiment de masse. Quant aux identités infra nationales, même s'il prend le soin d'écarter le cas basque et le cas corse ("micro nationalisme réels…mais dont on sait qu'ils ne touchent qu'une minorité, certes parfois très déterminée"), Marcel Gauchet nous dit: "Les identités nouvelles n'affichent pas de véritable consistance collective; elles reposent sur des affirmations individuelles". Marcel Gauchet rappelle que "les identités sont d'abord une manière pour les individus de se définir subjectivement. " Elle fonctionne par "appropriation subjective d'une réalité objective qui est ethnique, religieuse, sexuelle…Du dehors on voit le découpage des populations. On oublie le moteur personnel. Au surplus l'identification se fait toujours, point important sous le signe de la minorité." cf. la naissance à la modernité de l'idée de nation, l'invention d'un patrimoine commun chez Giddens: c'est en effet une minorité qui, au départ, prend conscience d'un certain nombre d'intérêts stratégiques et va construire, puis diffuser par les différents moyens de communications un patrimoine qui sera alors dit commun et sur lequel pourra s'asseoir le concept et la réalité de l'Etat-Nation. Giddens dans Les conséquences de la modernité définit le nationalisme: "[Il est] la sensibilité culturelle de la souveraineté et va de pair avec la coordination du pouvoir administratif à l'intérieur des limites de l'Etat-Nation". Le sentiment national est donc une construction artificielle née de la volonté d'une minorité dans le but de légitimer le pouvoir de l'Etat-Nation.
Gauchet : "ce que les Français sont en train de découvrir, c'est que le pluralisme a forcément une traduction territoriale. il y a le pluralisme des opinions politiques, le pluralisme des acteurs sociaux, qui font valoir leurs intérêts, mais il y a aussi une inscription dans l'espace de la diversité collective que le processus démocratique a pour fonction de mettre en forme et de gérer."
B) Le défi d'une nation comme projet politique
Texte de réf: Dominique Schnapper La France de l’intégration Gallimard 1991
La communauté des citoyens Gallimard 1994
Sans renier nécessairement le processus historique et culturel sur lequel s’est forgé l’appartenance nationale, d’autres auteurs vont privilégier la transcendance citoyenne qui est au principe de la nation moderne et démocratique.
La nation historique moderne est alors posée comme avant tout une forme politique.
Et cette forme politique transcende les différences entre les populations, qu’il s’agisse des différences objectives d’origine sociale, religieuse, régionale ou nationale (immigration) ou des différences d’identité collective, et les a intégrées dans une unité organisée autour d’un projet politique commun. Dans cette conception la nation c’est la communauté de citoyens.
Dominique Schnapper pense elle aussi qu'il y a une crise de l'identité nationale, conséquente à la construction européenne, et que l'on risque d'assister à une "dépolitisation des démocraties libérale" car c'est au sein des nation que c'est constituer la citoyenneté."la citoyenneté "post-nationale" (…)agirait aussi dans le sens de la dépolitisation."
Or dans l' Europe politique entrée la première dans ce que Jürgen Habermas appelle l'"ère post nationale", pourquoi ne pas imaginé, au sens d'Anderson, une "communauté de citoyens" européenne. Puisque la nation chez D.Schnapper transcende les différences culturelles, quelles qu'elles soient, pourquoi ne pas envisagée une nation européenne, malgré ou plutôt avec le pluralisme culturel? D'une manière ou d'une autre, le problème de l'identité civique et du pluralisme culturel existe aussi bien au niveau national. Alain Policar, dans un article du 23 Mai 2001 dans Libération ("Identité civique et pluralisme") soulève le problème.
conception libérale: L'Etat doit s'abstenir de prendre position dans le conflit des conceptions du monde. Le juste a priorité sur le bien. Le souci est de proposer des valeurs morales impartiales, c.-à-d. ne portant pas atteinte aux opinions et aux intérêts minoritaires. L'objectif est de conjuguer l'égalité civile des citoyens avec le respect de leurs appartenances singulières, tout en affirmant la primauté de l'individu sur la communauté.
conception communautaire: il est essentiel de partager des valeurs communes pour que puisse se construire l'identité individuelle. Les communautariens décrivent un moi "enchâssé", autrement dit un individu qui, tenant son identité de la communauté dans laquelle il a été socialisé, est très largement incapable de s'arracher aux valeurs et au passé supposés le constituer.
"L'erreur symétrique du libéralisme procédural et de son adversaire communautarien est, me semble t-il, de confondre la problématique de l'identité avec celle de la constitution politique" En donnant la priorité aux devoirs civiques sur nos droits individuels, on peut vivifier une culture commune fondée sur la tolérance et le pluralisme. Il faut "concilier le souci du bien commun et l'attachement à la valeur centrale de l'autonomie individuelle. Pour cela il faut comprendre que "la question politique par excellence n'est aucunement celle de l'identité collective mais celle de l'action publique: la citoyenneté écrivait Hannah Arendt, ne se situe pas sur le registre de l'être mais sur celui de l'agir, l'espace politique étant "un espace public et non privé, un espace électif et non natif"". Il est donc parfaitement possible de penser une citoyenneté post-nationale, une identité civique post-nationale.
Quelle conclusion apporter alors à la question d'une identité supranationale, en l'occurrence européenne, (car il n'y a plus qu'un pas à franchir!) ? Reprenons l'analyse de Jürgen Habermas. Analysant les différents phénomènes liés à la mondialisation (plus de relations, réduction des frontières…), J.Habermas que nous allons vers une ère post-nationale, et qu'il serait nécessaire que "les Etats soient progressivement intégrés, d'une manière perceptible au niveau de la politique intérieure, aux procédures de coopération d'une communauté d'Etats ayant force d'obligation dans un esprit de cosmopolitisme." Or c'est bien ce qui se passe au niveau européen, bien que l'on oscille encore entre inter-gouvernementalisme et fédéralisme. J.Habermas considère qu'il ne faut rien attendre des gouvernements quant à la mise en place d'une véritable communauté internationale fondée sur une coopération nécessaire (car à cause des échéances électorales, ils doivent montrer une certaine indépendance) mais plutôt faire confiance aux populations: la question qu'il se pose, dés lors est celle de "savoir s'il est possible de faire surgir la conscience qu'une solidarité cosmopolitique est absolument nécessaire dans les sociétés civiles et les espaces publics politiques des régimes qui commencent à s'unir à grande échelle." J.Habermas a une analyse qui se place à l'échelle internationale, mais si l'on utilise son cadre d'analyse à l'échelle européenne, on peut faire deux remarques. La première est qu'il semblerait que les dirigeants ont pu tout de même poser les fondements institutionnels d'une "ère post-nationale" en Europe. La seconde est que, historiquement, les identités nationales se sont construites après l'Etat, après les institutions et de manière totalement artificielle. Il n'est donc pas évident que la conscience préalable des citoyens de leur appartenance à cette communauté supranationale qu'est l'Europe soit, absolument parlant, nécessaire. Au contraire, il est parfaitement concevable que l'identité européenne se construise après l'Europe ou du moins avec l'Europe en tant qu'institution. Or que constate-t-on? L'Union Européenne est pour le moins "construite" depuis maintenant une cinquantaine d'années et l'identité européenne n'est pas ce que pour appeler un sentiment dominant et encore moins un sentiment de masse dans nos sociétés. Ce n'est a priori pas un problème dans la mesure où les Etats existaient parfois des siècles avant la nation. Mais il ne faut pas oublier que le processus de "fabrication" de la nation s'est fait par une volonté étatique. Autrement dit, il faudrait et même il faut une volonté supra-étatique pour engager un véritable processus d'identification européenne. Et on retrouve ici le vieux mais néanmoins plus que jamais actuel débat sur l'alternative entre supranationalisme ou inter-gouvernementalisme, car il est évident que seul le mouvement fédéraliste peut penser engager délibérément un tel processus.
Conclusion
L'identité nationale, c'est le fait de se sentir comme partie intégrante d'un grand tout, et finalement, son fondement c'est la cohésion sociale. Et c'est peut-être par crise de la cohésion sociale, liée au chômage, aux inégalités croissantes …qu'il y a crise de l'identité nationale. Crise que l'on constate entre autre par l'expression d'un rejet, rejet de l'Europe, rejet de l'immigration contenu dans le vote du 21 Avril dernier. Le modèle de l'Etat-nation a fait que l'identité nationale a longtemps été associée à l'identité civique. Or le défi d'une Europe, puis peut-être un monde politique post-national est d'arriver à dissocier les deux, pour que l'identité nationale devienne identité culturelle, et que la citoyenneté s'exerce à un autre niveau, et que l'on aille ainsi, petit à petit, vers une identité post-nationale. Malheureusement, on constate que la tendance est à l'inverse: les micro nationalismes, au niveau infra-national revendiquent pour eux-même la souveraineté politique, et la pensée souverainiste a encore beau jeu dans la politique inter-européenne. Pourtant laisser les seules logiques économiques, commerciales et financière régir un monde qui a plus que jamais besoin de justice, d'égalité, et de projet commun est inacceptable. L'identité civique au niveau mondial, cosmopolitique et peut-être un jour "post-nationale" est devenue un impératif.
Bibliographie (non-exhaustive)
B.Anderson L'imaginaire national. Reflexions sur l'origine et l'essor du nationalisme 1983
K.Deutsch Nationalism and social Communications. An inquiry into the foundation of Nationality 1969
J.G Fichte Discours à la nation allemande (1807-1808)
E.Gellner Nations et nationalisme 1989
A.Giddens Les conséquence de la modernité 1994
J.Habermas Après l'Etat-nation. Une nouvelle constellation politique 1998
M.Halbwachs La mémoire collective 1984
E.Hobsbawn Nations et nationalisme depuis 1780, programme, mythe et réalité 1990
M.Mauss La nation in Œuvres t.3 1969
E.Renan Qu'est-ce qu'une nation? 1882
Dominique Schnapper La communauté des citoyens. Sur l'idée moderne de nation (1994)
A.D Smith The ethnic Origins of Nations 1986, National Identity 1991
Articles divers dans le dossier de presse sur l'identité nationale (n°107), dans la revue Hermès article intitulé "L'identité nationale: de l'incantation à l'analyse"