Peut-on parler d’une « européanisation » des politiques publiques nationales ?
Politique publique :
tout ce que les gouvernements choisissent de faire ou de ne pas faire, suite
d’actions ou d’inactions que les autorités publiques choisissent
d’adopter pour régler un problème ou un ensemble de problèmes.
A l’heure où on
s’intéresse à l’élargissement de l’Union Européenne et à la réforme de ses
institutions, il peut être intéressant de s’interroger sur son impact au niveau
des pays membres, c’est-à-dire comment elle se définit et se concrétise au
niveau national. Comment réalise-t-elle l’intégration des pays qui la
composent ? Est-ce que cela passe par la définition et la réalisation de
politiques publiques communes ? Pour répondre à cette question, il faut donc
étudier si il existe des signes dans les choix et les orientations des
politiques publiques nationales qui témoignent d’une harmonisation, d’une
convergence des politiques nationales entre elles dirigées par l’Europe. Peut-on
parler d’une européanisation des politiques publiques nationales ? Ainsi après
avoir étudié, les types de politiques proposées par l’Union et leur difficiles
mises en œuvre au niveau national, on étudiera les processus et les cadres
d’élaboration des politiques publiques nationales pour voir en quoi ils
s’harmonisent dans le référentiel européen.
I) Un nouveau cadre d’élaboration des politiques
A)
Des politiques européennes de plus en plus nombreuses et variées
1. On peut parler
d’européanisation des politiques publiques nationales dans le sens où l’on voit
se développer de plus en plus de politiques publiques communes, ou de politiques
européennes dans des domaines très variés.
En effet, on peut voir que le
premier pilier de l’Union européenne, qui concerne les compétences
communautaires concernent aujourd’hui 1)l’agriculture (la PAC),2) le
commerce (réalisation de l’UEM),3) les transports (politique européenne des
transports), mais aussi depuis l’Acte unique de 1986,4) la cohésion économique
et 5)sociale (politique régional), 6)l’environnement, la recherche, le
développement. Le traité d’Amsterdam a aussi organisé le passage des aspects
relatifs à la libre circulation des personnes du troisième pilier (Justice et
affaires intérieures) vers le pilier communautaire : « visas, asile,
immigration, et autres politiques liées à la circulation des personnes ». Ces
questions sont donc « communautarisées », c’est-à-dire qu’elles sont gérées en
commun par les institutions européennes et imposées aux Etats membres. Elles
font l’objet de politiques communes . On appelle « politique commune » les
politiques qui s’appliquent dans les domaines où la communauté dispose
d’une vocation globale d’intervention pouvant aboutir à l’abandon par les Etats
membres de leur compétences. Ce terme est normalement réservé aux politiques qui
ressortent de la compétence exclusive de la Communauté.
La méthode communautaire repose
sur l’idée que l’intérêt général des Européens est mieux assuré lorsque les
institutions communautaires assument pleinement leurs rôles, respectant le
principe de subsidiarité. Selon ce mode de décision, les décisions sont prises à
la majorité qualifiée au sein du Conseil européen et de la Commission.
2. Cependant dans une
acceptation plus large, le terme de « politique commune » concerne l’ensemble
des domaines d’action de la sphère communautaire. On a donc une politique
commune de la concurrence ou de la politique régionale, …
De plus, le traité de
Maastricht énumère, outre les dispositions relatives à l’Union économique et
monétaire, pas moins de 20 domaines ouverts à l’intervention de la Communauté :
protection des consommateurs, formation, santé, culture, compétitivité de
l’industrie,…
Toutefois le traité prend
soin d’utiliser les termes de « contribution » ou de « mesure » pour ces
domaines, réservant la notion de politique commune pour les politiques
instituées par les traités de Paris et de Rome. En effet, dans tous les domaines
qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive,
la Communauté intervient conformément au
principe de subsidiarité.
Ainsi
la Communauté multiplie les orientations, les
conseils, les « recommandations » et « les avis »(
les recommandations et les avis ne lient pas [les Etats membres sur les
résultats à atteindre] art 249 TCE). Elle
définit donc des lignes de conduite,
de convergence pour tous les Etats membres dans divers domaines, ce qui
contribue, même si la Commission n’a pas la contrainte pour les faire appliquer,
à une certaine harmonisation des politiques puisque les différents représentants
des Etats membres les élaborent ensemble. Ainsi on peut noter l’existence de
« politique européenne » de l’audiovisuel, de l’éducation, de l’énergie, de
l’environnement, de la concurrence, de la culture, des consommateurs,
industrielle, spatiale,…
3. l’Union Européenne peut définir aussi des
politiques par la méthode intergouvernementale (pilier deux et trois).
Ce sont :la politique étrangère et de sécurité commune, qui définit la position
de l’UE en politique extérieure, et donc par ricochet certains aspects de la
politique extérieure des Etats membres, et la politique des domaines concernant
la « Justice et Affaires Intérieures ».
Cette méthode peut
faciliter aussi l’harmonisation des politiques dans la mesure où ce sont les
faiseurs des politiques publiques nationales eux-mêmes qui s’accordent entre
eux. Ils sont donc susceptibles de mieux prendre en compte les directives et les
orientations définies par l’Union européenne puisque ce sont eux-mêmes qui les
décident.
Dans ce sens on peut dire
que la méthode intergouvernemental constitue un moyen efficace d’harmonisation
des politiques car elles lient les pays entre eux par des disciplines communes
et une confiance mutuelle. Ainsi par exemple, que dans le cadre de la politique
de Justice et affaires intérieures, les Etats membres sont obligés de
s’informer, de se consulter mutuellement dans les domaines de la politique
d’asile et de la politique d’immigration, de la coopération policière et
douanière, de la lutte contre la drogue et la fraude international et finalement
de la coopération judiciaire civile et pénale, afin d’adopter des positions et
des actions communes, de coordonner leurs actions d’instituer une collaboration
entre les services compétents de leurs administrations.
Dans le cadre des
politiques gouvernementales, on ne parle pas de politique commune mais
d’ « action commune », ou de décisions-cadres : elle sont fondées sur les
orientations générales arrêtées par le Conseil européen, cela permet d’affirmer
le niveau des chefs d’Etat et de gouvernement dans la conduite de la PESC.
è
Ainsi on peut voir que l’Union européenne dispose de toute une série de
procédures et d’instruments qui visent à organiser la coordination et
l’harmonisation des politiques publiques nationales dans de nombreux domaines,
c’est-à-dire qu’elle définit et propose des lignes de conduite dans certains
domaines qui sont élaborés par l’ensemble des pays membres au sein de l’UE.
B) Une mise
en œuvre qui reste national
1. Le problème qui se pose
à l’union Européenne est celui de la mise en œuvre des politiques publiques qui
sont décidées au niveau européen.
En effet,
La Communauté dispose,
dans le cadre des politiques communes ou des domaines qui relèvent de sa
compétence exclusive, de moyens de faire
appliquer ses décisions,
procédure de mise en demeure et de sanctions prévues par les traités.
Par exemple le
mécanisme de l’avis motivé (articles 226 du
traité CE) permet à
la Commission de contraindre tout état
membre manquant à une de ses obligations, à revenir dans le droit chemin, le
litige pouvant remonter jusqu’à la cour de justice de la Communauté,
mais le processus le plus important restant celui de la primauté du droit
communautaire dans l’ordre juridique interne des Etats membres pour certaines
décisions (le règlement ou la directive), c’est-à-dire que les Etats sont dans
l’obligation d’intégrer le droit communautaire dans leur propre droit interne,
même si celui-ci est en contradiction avec le droit communautaire et donc de le
faire appliquer. Cela contribue à une harmonisation des législations nationales
et donc dans une certaine mesure à une harmonisation des différentes politiques,
harmonisation dans le sens où ce sont les droits nationaux qui abandonnent leurs
particularités pour appliquer et être tous conformes au droit communautaire, ils
tendent donc à devenir identiques ou au moins à respecter aux mêmes valeurs et
aux mêmes principes.
- De même,
on peut voir aussi que la mise en œuvre des
politiques communes dépend d’organisations communautaires indépendants :
dans un premier temps, la Commission, qui a pour fonction d’exécuter et de
contrôler les décisions mises en œuvre par le conseil des ministres, mais aussi
certains organismes communs indépendants : la mise en œuvre de la PAC repose par
exemple sur les organisations communes de marché (OCM) qui assurent les trois
principes de la PAC.
- Pour la politique
commerciale commune, La Commission joue un rôle déterminant dans les
négociations relatives à cette politique ainsi que de son exécution, sous
l’égide de la Direction générale Commerce, mais elle est en réalité limitée dans
l’indépendance de son action car elle est aussi sous le contrôle du comité
spécial de l’article 133, composé de hauts fonctionnaires nationaux désignés par
le Conseil.
On aborde ici un point
particulier de l’organisation de l’UE et qui explique son incapacité à mettre en
œuvre les politiques communautaires :
l’importance des comités dans la prise de décision et surtout dans la mise en
application des politiques.
En effet, selon l’article 155 du TCE, La Commission détient des pouvoirs
d’exécution qui lui sont délégués par le Conseil de l’Union européenne. Elle est
soutenue dans cette tache par différents comités, mais certains de ces comités
composés d’experts nationaux peuvent, en cas d’avis défavorable sur un projet de
mesure de la Commission, demander l’avis et l’accord du Conseil européen,
redonnant ainsi la décision au Etats membres et destituant la Commission de son
pouvoir d’exécution. C’est le cas par exemple pour l’exécution de la PAC.
2. De
plus parce que les politiques publiques
européennes résultent de compromis et d’interactions complexes, parce que les
institutions communautaires sont dépourvues de « services extérieurs »
efficaces, la mise en œuvre redonne une marge de manœuvre aux acteurs nationaux.
Les acteurs nationaux responsables de la mise en œuvre peuvent être tentés de
reprendre à la base ce qu’ils ont perdus au sommet.
Les voies de cette
résistance passive sont multiples : retards dans l’application des directives,
interprétations laxistes, fraudes tolérées ou délibérées, détournement des
objectifs, mauvaises volonté de l’appareil judiciaire, voir refus pur et simple
d’appliquer la politique.
Ces problèmes peuvent même
apparaître dans le cadre de décisions prises de manière intergouvernemental,
c’est-à-dire censées faire objet de consensus.
Par exemple, dans le cadre du Pacte de sécurité
et de croissance,
mis en place entre les pays de la zone euro, sous instigation de l’Allemagne qui
avait peur que certains pays utilisent l’instrument budgétaire de manière
exagérée, les Etats participants à l’euro sont liés par un Pacte sanctionnant
ceux d’entre eux qui auraient des « déficits excessifs ». Selon ce pacte , tout
Etat ayant un déficit supérieur à 3% de son PIB est mis sous surveillance, il
peut être contraint par le Conseil des ministres de faire près de la BCE un
dépôt non productif d’intérêt, qui peut être retenu comme une amende si le
déficit n’est pas corrigé. Ce pacte montre bien les accords et les garanties que
s’accordent entre eux les pays, ce sont les dirigeants nationaux qui les
décident. Pour rester cohérent, ils sont donc tenus de prendre en compte dans
leur politiques publiques nationales de toutes ces décisions prises en commun et
garantis par une confiance mutuelle sous peine de remettre en question tout la
construction européenne. Cependant on peut voir que au-delà de cette contrainte
morale, le ministre français des Finances, Francis mer, a annoncé en octobre
qu’il refusait de réduire son déficit en dessous de 3% pour 2003, considérant
que il y avait en France « d’autres priorités, par exemple celle qui consiste à
augmenter les dépenses militaires ». La comitologie (multiplication du nombre et
de l’influence des comités), la relative liberté des Etats dans l’application
des décisions européennes qui ne sont pas toutes contraignantes et obligatoires,
expliquent la faiblesse des politiques publiques européennes et la non
convergence qu’on peut encore observer au sein des politiques des Etats membres
dans les domaines qui font l’objet d’une politique commune ou d’une élaboration
d’une politique en commun.
3.
C’est pour cela aussi que les politiques
européennes sont condamnées à être des politiques de régulation («regulatory
policies » par rapport à des « distributive ou redistributive policies », selon
la typologie classique élaborée par Ted Lowi).
Parce que la Communauté n’est pas un super Etat, parce qu’elle ne dispose que de
ressources limitées au regard des budgets nationaux, elle a du privilégier les
politiques réglementaires.
Face à l’incapacité
juridique et structurelle de l’Union à exécuter les politiques élaborées et
décidées à Bruxelles, les institutions européennes sont condamnées à décider (ou
à ne pas décider), à contrôler, mais sont pratiquement interdite de mise en
œuvre. Cependant ce constat ne doit pas forcément être considéré comme une
faiblesse, il entraîne beaucoup de conséquences qui peuvent être bénéfique pour
l’UE et pour son action sur les politiques publiques des pays membres. Par
exemple, elles ne coûtent pratiquement rien à Bruxelles (pas de frais de mise en
œuvre) elles peuvent donc être multipliées à l’infini.
C)
Transformation du processus de décision et du cadre d’élaboration
des politiques publiques
1. En réalité le
confinement de l’action communautaire dans le champ des politiques
réglementaires donne aux institutions de Bruxelles un rôle politique crucial :
la part noble du travail politique (la
décision de la politique) semble avoir été dévolue à la Commission et au Conseil
au détriment des Parlements nationaux qui protestent. C’est ce que semble
signifier l’étendue de l’agenda politique européen.
En effet, jusqu’à présent
les acteurs nationaux des politiques publiques (politiciens, fonctionnaires,
groupes d’intérêt…) possédaient globalement la maîtrise de la formulation des
problèmes et surtout leur codification. Il est désormais évident que dans un
nombre de domaines toujours plus grand, que ce processus de définition des
problèmes , objet d’une intervention publique est transféré au point de vue
européen. C’est au sein des instances de
l’Union que vont être formulé les termes et les conditions de l’intervention
publique. Toutes les
politiques qui concernent de près ou de loin le marché unique sont concernés.
Par un effet d’engrenage, la reconnaissance par les Etats membres de ce macro
objectif pour les politiques publiques va de facto s’accompagner de
l’acceptation de la capacité pour les instances européennes d’inscrire une
multitude de problèmes dérivés sur l’agenda. Le cas le plus spectaculaire étant
celui des politiques de la concurrence (la Commission intervient maintenant pour
interdire cartel, fusion,…) et des politiques industrielles (les formes de
l’action publique en direction de l’industrie sont de plus en plus définies à
Bruxelles).
Quelle que soit la réalité
du pouvoir politique de Bruxelles, la perception dominante au niveau des
décideurs nationaux (parlement et administration) est désormais d’agir sous
contrainte, donc il y a harmonisation des politiques au niveau de l’élaboration
et des cadres de pensée.
2. Ainsi Bruxelles va
changer le processus de décision des politiques publiques. En effet, l’important
maintenant pour les Etats est d’intervenir au niveau de l’élaboration des
politiques, au premier niveau. Ce cadre
d’élaboration des politiques communautaires est l’occasion pour chaque acteur de
chercher à imposer les mesure les plus conformes aux intérêts, aux pratiques,
aux habitudes du secteur ou du pays qu’il représente.
Par exemple, le choix du pot catalytique comme solution à la pollution
automobile n’est pas seulement technique, il représentait aussi la victoire de
l’industrie allemande, la mieux préparée à répondre aux besoins du marché. Ainsi
dans ce conflit sur les règles, la
maîtrise du processus décisionnel communautaire devient crucial. La solution la
plus efficace passe par le contrôle des tous premiers échelons de l’élaboration
d’une politique :rapports, commissions, groupes de travail deviennent des
éléments cruciaux en définissant la nature du problème à traiter et l’éventail
des solutions à apporter.
C’est pourquoi on peut observer dans toutes les administrations des pays
membres, organes essentielles des politiques publiques, une tendance à
l’européanisation. C’est-à-dire que les administrations ont compris qu’elles ne
pouvaient plus ne pas compter sur l’Europe et qu’elles devaient même l’installer
au cœur de leur procédure de décision pour pouvoir influencer dès le début
l’élaboration d’une politique. Ainsi on voit se développer dans tous les pays
européens des bureaux européens au sein des ministères, des organismes chargés
d’assurer la communication entre les instances nationales et européennes
(délégations permanentes des pays à Bruxelles), des spécialistes de questions
européennes, … On peut parler en ce sens
d’une européanisation des politiques publiques nationales puisque au sein même
des décideurs et des acteurs des politiques publiques nationales la dimension
européenne est prise en compte et valorisée.
C’est ce que montre les transformations qu’ont subi les administrations des
différents pays.
L ‘apparition du SGCI
(secrétariat général du comité interministériel) pour la France est un bon
exemple de cette européanisation, il est chargé d’assurer en premier lieu une
communication permanente entre les administrations françaises et européennes, il
faut que telle ministère soit toujours au courant de ce qui se dit au sein des
institutions communautaires sur son sujet pour pouvoir réagir vite et dans la
bonne direction afin d’agir sur l’élaboration des politiques européennes. Enfin
il est chargé aussi d’assurer la coordination interministériel de la politique
et des décisions européennes de la France pour que celle-ci apparaisse avec une
position claire, ferme et cohérente.
Ainsi On semble
pouvoir parler d’une « européanisation » des politiques publiques européennes
car les politiques réglementaires qui sont décidées au sein des instances
communautaires ou par une coordination des Etats membres entre eux touchent de
plus en plus de domaines et de compétences qui relevaient auparavant des
compétences de l’Etat régalien, mais aussi parce l’Union européenne semble être
devenue le lieu de définition des politiques publiques. Les Etats si ils veulent
bénéficier des politiques européennes et ne pas subir les réglementations
qu’elles imposent, doivent participer aux débats sur l’élaboration des
politiques et donc être conscient de ce qui se passe au niveau européen et
l’intégrer dans leur politique. Cependant ce mécanisme est plus complexe, car on
peut se demander pourquoi les Etats membres se soucient tellement de ce qui se
passe au niveau européen étant donné le peu de moyen dont disposent les organes
communautaires pour faire appliquer leurs directives. On peut donc se demander,
au delà d’une européanisation dans l’élaboration des politiques, comment l’UE a
pu aller aussi loin dans la réalisation de certaines politiques.
II) L’impact croissant des politiques
communautaires
A)
Une
nouvelle représentation des intérêts au sein des politiques publiques nationales
1. On peut s’étonner que
avec si peu de moyens logistiques, si peu d’instruments de contrôle, sans
policiers ni militaires, la Communauté est pu faire autant et dans des domaines
aussi variées. Cela peut s’expliquer par l’imbrication des acteurs et des règles
institutionnelles.
2. Premièrement
les règles des traités et surtout
l’interprétation qu’en a donnée la Cour font de chaque acteur un défenseur
potentiel des politiques communautaires.
En effet, la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes a
donné à la notion d’effet direct une acceptation très large dès l’arrêt
fondateur Van Gend & Loos (CJCE, 26/62, 5 février 1963). L’effet direct
correspond au fait que sous certaines conditions, certaines dispositions du
droit communautaire peuvent créer des obligations et/ou des droits dans le chef
des particuliers, droits et/ou obligations que ces derniers pourront invoquer
(et se faire opposer) dans les juridictions nationales.
L’effet direct constitue
une composante essentielle de l’efficacité du droit communautaire. En
impliquant les particuliers, non seulement comme bénéficiaire du droit
communautaire mais comme acteurs de la mise en œuvre de ce droit,
l’arrêt donne à l’individu communautaire un réel
pouvoir de contrôle sur le zèle des Etats membres à appliquer le droit
communautaire. Les
particuliers sont concernés par la décision européenne et sont juridiquement,
politiquement et économiquement dans la nécessité de tenir les propagandistes de
cette décision comptable de leurs actes.
C’est pourquoi les groupes de représentation d’intérêts privés sont si actifs
auprès des institutions communautaires, parce qu’ils se placent dans cette
perspective.
Ainsi même si chaque
citoyen européen n’est pas un plaideur qui s’ignore, il suffit de quelques
requérants décidés, de groupes de pression informés, d’acteurs économiques
capables d’affronter le coût de longues procédures pour lancer un défi à
l’inaction ou à la mauvaise volonté des Etats. Cet effet direct du droit
communautaire implique donc une nouvelle organisation des groupes d’intérêt, qui
sont aussi des acteurs importants des politiques publiques. On ne peut pas dire
que le développement des eurogroupes se substitue à l’action des groupes
d’intérêt nationaux pour influencer les politiques, mais on voit ces groupes
d’intérêt nationaux intégrer la dimension européenne dans leur stratégie
nationale pour gagner plus de poids et d’influence.
Le nouveau cadre d’action
proposé par l’UE affecte les liens privilégiés entre les groupes d’intérêt
concernés qui veulent influencer les politiques publiques et les administrations
responsables, puisque il y l’ajout supplémentaire de la variable européenne.
L’agenda politique qui ne dépend plus seulement du pays concerné par la
politique publique, et qui est donc beaucoup plus instable et aléatoire, semble
échapper aux acteurs politiques nationaux et oblige les groupes d’intérêt à
gagner une dimension communautaire qu’ils n’avaient pas. Les relations directes
entre administration et groupe de pression concerné par une politique n’est plus
possible puisque le cadre d’action et d’élaboration intègre maintenant l’Union,
plus tous les autres pays membres, plus tous les autres groupes de pression du
même secteur.
èOn
semble donc pouvoir conclure à une européanisation de politiques publiques
nationales, car si sur le court terme,
les politiques communautaires sont souvent mal appliquées, sur le long terme,
les changements intervenus sont impressionnants et cela souvent grâce à l’action
de groupe de pression organisée.
Cela est du au rôle majeur
accordé par l’effet direct du droit communautaire aux acteurs politiques
nationaux, véritables gardiens du droit communautaire. Ainsi parce que ceux-ci
face au nouveau cadre d’action proposée par l’Europe ont perdu leur influence
sur les politiques publiques nationales, puisque le niveau d’élaboration des
politiques est passé du coté européen, ils vont être obligés de s’agréger en
réseau européen ou d’intégrer une dimension européenne dans leur revendications,
mais aussi et surtout parce que ils peuvent utiliser maintenant la dimension
européenne pour faire pression sur les politiques publiques nationales, d’autant
plus que la CJCE les a fait garant du droit communautaire. Tout cela concourre à
favoriser et à renforcer l’européanisation des politiques, puisque tous les
acteurs extra gouvernementaux nationaux vont utiliser le même droit
communautaire pour faire pression sur les pouvoirs publiques nationaux.
B) L’harmonisation des
politiques nationales comme processus de construction de l’UE
1. Le processus de la
construction européenne peut aussi être considéré en lui-même comme une
« européanisation » des politiques publiques nationales.
En effet, qu’est-ce que l’Europe sinon une
coordination et une harmonisation progressive des politiques nationales dans
différents domaines,
c’est-à-dire la prise de conscience et la mise en œuvre de critères et
d’orientations communes dans certains domaines. Ainsi le traité de Paris de 1951
est à l’origine une mise en commun et une gestion commune des ressources de
charbon et d’acier. De même, le traité de Rome, six ans plus tard, prévoit une
coopération économique pour établir une union douanière et un marché commun.
Aujourd’hui les domaines concernées par l’Union sont de plus en plus variés :
cohésion sociale et économique, défense commune, politique régionale,…Le projet
européen a toujours été celui d’une coopération et d’une coordination des
politiques nationales. C’est une autre question de savoir si celle-ci est
confiée à des institutions communautaires indépendantes (politique commune) ou
réalisées par les Etats eux-mêmes (intergouvernementalisme).
2. Il est intéressant de voir l’exemple de la
politique économique et monétaire européenne.
En effet, elle montre bien le mouvement général que suit la répartition des
compétences au sein de l’Union et comment on passe d’une coopération à une
politique commune. L’origine de l’UEM remonte au début des années 1970. A
l ‘époque l’objectif était d’instaurer une coordination des politiques des Etats
membres et d’assurer une stabilité monétaire. Ce processus aboutira à la mise en
place du système monétaire européen en 1979. L’UEM a été défini parle traité de
Maastricht, qui a prévu trois étapes pour sa mise en place : la première étape
libéralisa la circulation des capitaux ; la deuxième (1er janvier
1994) renforça encore la coordination des politiques économiques avec
l’obligation de respecter les critères de convergence. L’objectif était de
montrer que les contraintes liées à la participation à la monnaie unique
n’étaient pas soumises aux jeux politiques nationaux . Tous les Etats membres
ont accompli des efforts considérables pour les remplir, ils ont subordonnés
leurs politiques publiques à ces critères pour être capables d’instaurer une
monnaie unique au 1er janvier 1999. Aujourd’hui non seulement ils ont
une politique monétaire collective, c’est-à-dire que les Etats nationaux n’ont
plus aucun moyen d’action sur leur politique monétaire, mais ils sont aussi
soumis au pacte de stabilité et de croissance qui reprend les critères de
convergence. Leurs politiques économiques sont donc largement limitées et
unifiées.
La politique économique et
monétaire telle qu’elle existe aujourd’hui résulte donc d’un long processus
régulier de coordination, de coopération et de communautarisation.
Un autre exemple peut être
avancé : le domaine de la politique étrangère est de défense. Elle appartient
pour l’instant au pilier intergouvernemental et se contente de définir la
position de l’UE face aux questions internationales et à assurer l’intégrité et
le sécurité de l’Union, mais on parle aujourd’hui d’une politique de défense
commune. C’est donc la reconnaissance d’une compétence de l’Union dans le
domaine de la défense.
3. La difficulté résulte de ce que la
problématique de l’européanisation, de l’harmonisation des politiques publiques
nationales est étroitement liée à celle de l’intégration européenne ainsi qu’à
la problématique du statut de l’Union.
En effet, l’élaboration de politiques publiques communes impliquent des organes
indépendants pour les mettre en place, et donc des délégations de compétences de
la part des Etats, c’est-à-dire une perte de souveraineté. C’est en cela que
l’élaboration des politiques a toujours été freiné au sein du processus de
construction de la société européenne. Ainsi
différents courants de pensée se sont opposés
dans ce domaine. Le premier est fonctionnaliste : « le passage d’un marché
commun politiquement inspiré à une union économique et finalement à une union
politique entre Etats est automatique »
d’après eux par un effet de diffusion,
l’intégration serait vouée à se renforcer inéluctablement. Puis dans les années
1960, l’approche est remplacé par l’approche intergouvernementaliste de Stanley
Hoffmann. Pour lui loin de disparaître les Etats demeurent les maîtres des
avancées décisives de la construction européenne.
L’intégration résulte d’une politique inter étatique entre les Etats membres et
le pouvoir politique vient de la confrontation d’intérêts nationaux défendus par
l’élite nationale au sein d’institutions communautaires.
Dans cette approche, toute
la construction européenne n’est donc qu’une tentative d’harmonisation inter
étatique ou communautaire des politiques publiques nationales, d’abord dans le
domaine économique, puis social, pourquoi pas culturel et politique.
4. Cette logique semble
confirmée par un certain nombre de facteurs, en particulier, on peut voir que
le fonctionnement du marché contribue
aussi à l’application des politiques communautaires en dépit des résistances et
des réticences présentes.
En effet, il va y avoir une forte pression de la demande en faveur de
régulations qui établissent des règles du jeu communes.
L’apparente autonomie redonnée à chaque système
de politiques publiques national (chacun réglemente comme il l’entend pourvu que
ce ne soit pas en contradiction avec les principes et les règles de la
communauté et les produits et services doivent pouvoir circuler librement)
suscite de telles tensions pour les agents économiques qu’ils deviennent les
demandeurs les plus pressants de réglementation européenne pour éviter les
incertitudes de marchés fragmentés ou de régulations discordantes.
Ainsi le développement des politiques réglementaires ne résulte pas seulement
d’une volonté bureaucratique expansionniste, la demande de régulation de la part
des agents économiques et des acteurs sociaux est importante (ex : règles
concernant l’empaquetage de la margarine, la vente des produits pharmaceutiques
ou le prix unique de l’essence), d’où l’importance et l’influence que tentent de
gagner les groupes d’intérêt, surtout économique au niveau européen.
èAinsi
l’Union Européenne semble prise dans un processus de coordination et de
réglementation commune toujours croissant. L’établissement du marché commun
impose un espace libre et ouvert pour tous les biens, services et personnes,
donc une abolition des frontières, donc une politique commune sur l’immigration,
une défense commune des frontières périphériques, une réglementation commune sur
la production, la vente, l’emploi demandé par les producteurs eux-mêmes et ainsi
de suite. Cependant on peut se demander si des politiques publiques peuvent
vraiment être développé dans tous les domaines. L’exemple de l’UEM n’est pas
forcément extensible à tous les domaines d’intervention publique. Ainsi si le
domaine économique si prête bien celui de la culture pose déjà plus de problème.
La problématique des politiques publiques européennes doit aussi être pensé en
fonction du domaine d’intervention.
C)Le cadre cognitif
européen, facteur principal d’ « européanisation »
1. Enfin on peut parler
aujourd’hui d’une « européanisation « des politiques publiques nationales, même
si celle-ci ne se voit pas encore effective dans tous les domaines, parce que
les faiseurs des politiques publiques
nationales ont pris conscience que aucun domaine de politique publique ne peut
être isolé par rapport au processus européen. Désormais, il constitue un passage
obligé dans la stratégie des fonctionnaires, acteurs politiques ou représentants
des groupes d’intérêt qui sont les acteurs de politiques publiques.
2. Cela se voit bien dans
les transformations qu’ont subi les administrations depuis une vingtaine
d’années. Chaque ministère s’est doté
d’un bureau européen, ou de spécialistes européens, ou d’organisme chargé de
représenter et d’informer les acteurs nationaux sur les politiques européennes.
Cependant ce
phénomène est surtout manifeste dans le nouveau cadre d’élaboration des
politiques publiques. L’extension de l’agenda communautaire, énormément étendu
depuis le livre blanc sur l’achèvement du marché intérieur et l’Acte unique, a
transféré l’inscription des problèmes vers le niveau européen. Cela ne signifie
pas qu’il y ait consensus sur le traitement des problèmes.
Cela veut dire que l’Europe est désormais, de
plus en plus, le lieu du débat, c’est-à-dire le lieu où sont formulés les
problèmes, où s’affrontent les différentes codifications des problèmes et où est
définie la plaquette des solutions sur lesquelles les différents acteurs vont
entrer en conflit. Avant c’était au niveau national que chaque pays définissait
quels étaient les problèmes à traiter et sous quelle forme ce traitement devait
avoir lieu. Aujourd’hui c’est au sein des instances de l’Union que vont être
formulés les termes et les conditions de l’intervention publique.
L’Europe fixe de plus en
plus les cadres intellectuels et normatifs, qui déterminent les grandes
orientations des politiques publiques.
De plus l’Europe a défini
un nouveau cadre d’action qui a remis en cause le processus de décision des
politiques publiques nationales et le mode de représentation des intérêts auprès
des instances dirigeantes. En effet, les politiques européennes sont
caractérisées par un fort degré de pluralisme, de multiples pressions (lobbies
bruxellois sont très nombreux), des négociations intenses et permanentes une
interaction continue entre niveau communautaire, nationaux, transnationaux et
locaux. Ce cadre d’action bouleverse les pratiques nationales antérieures en
affectant non seulement les liens privilégiés entre segments économiques et
administrations, mais aussi les modes de régulation nationaux, d’où un
changement dans les processus d’élaborations et de réalisation des politiques
publiques nationales. Aujourd’hui dans le débat européen il est important pour
les Etats qui souhaitent influencer les politique publiques d’intervenir au
début de l’élaboration des politiques pour imposer leurs orientations.
3. Ce qui est intéressant
aujourd’hui est que cette « européanisation » se ressent dans l’élaboration des
politiques mais l’empreinte européenne est aussi manifeste en dépit de tos les
obstacles dans la mise en œuvre, parce qu’elles semblent s’imposer face à la
situation économique, car la demande pour plus de réglementation et
d’harmonisation des réglementations émanent des acteurs économiques directement
et du mécanisme de marché, mais aussi parce que la construction européenne est
perçue comme un processus historique inéluctable.
4. Cette situation est à la
fois déstabilisante et innovatrice : elle déstructure les vieilles coalitions
d’intérêt et les circuits traditionnels de décision ; mais en même temps elle
crée des coalitions nouvelles, redistribue les cartes, oblige au changement et à
l’adaptation. On parle aujourd’hui d’un espace européen de politiques publiques
particuliers, détaché du modèle classique de l’Etat fédéral. Là en effet où on
s’attendrait à repérer deux espaces publics superposés, il apparaît un ensemble
flou dans lequel deux niveaux de politiques s’enchevêtrent. La première
caractéristique qui explique la difficulté de repérer un espace public européen
est que le champ d’action de la communauté n’obéit pas, comme celui d’un Etat
fédéral, à une règle claire de répartition des compétences « aucun secteur
politique n’est étanche par rapport au processus européen ».
Par conséquent les méthodes
habituelles de l’analyse institutionnelle apparaissent mal adaptées au repérage
d’un espace public européen. Il faut plutôt se référer au vocabulaire des
politiques publiques avec la notion de référentiel. C’est l’existence d’un
référentiel global européen qui semble commander la compréhension des politiques
communautaires et celle des politiques nationales.
Conclusion
On peut légitimement parler
d’une « européanisation » des politiques publiques nationales dans le sens où
les faiseurs de politique, au niveau national, ne pense plus les politiques
publiques sans une dimension européenne, ils ont même le sentiment d’agir sous
contrainte. Le lieu du débat, de la présentation, de la codification des
problèmes est passé au niveau européen et les politiques publiques se jouent
aujourd’hui dans les réunions, les assemblées, les comités de Bruxelles, comme
en témoignent les nombreuses recommandations et avis publiés par les
institutions communautaires sur des sujets qui ne relèvent plus de sa
compétence. Pourquoi ? car ce phénomène relève d’un processus historique ancien
et car il y a une grande demande au sein même des acteurs économiques pour plus
de régulations et l’harmonisation de celles-ci. La prise en compte de cette
nouvelle dimension entraîne une transformation de l’élaboration et de la mise en
œuvre des politiques publiques nationales, aussi bien au niveau des
administrations, des politiques que des groupes d’intérêt. De nouvelles
organisations sont apparues et elles relèvent de la dimension communautaire.
Aujourd’hui cette européanisation est peut-être encore en gestation, mais il
existe des signes avant-coureur d’une harmonisation totale pour certains
domaines de politiques publiques.
Bibliographie
- Emiliano GROSSMAN,
Bastien IRONDELLE, Sabine SAURUGGER, sous direction de J-L QUERMONNE, Les
mots de l’Europe, presses de sciences po, 2001
- Christian LEQUESNE,
Paris-Bruxelles, comment se fait la politique européenne de la France,
presse de la FNSP, 1993
- Geneviève BERTRAND, la
prise de décision dans l’Union européenne, la documentation française
réflexe Europe, 2002
- Philippe Moreau
Desfarges, Les institutions européennes, Armand Colin, 2001
- Yves MENY, Pierre MULLER,
Jean-Louis QUERMONNE, Politiques publiques en Europe, L’Harmattan, 1995