L’Etat autonomique : forme nouvelle ou transitoire en Europe ?
Ce livre est le compte rendu des journées
d’études du 3 et 4 avril 1992 sur les Etats dits « autonomiques » et
« régionalistes », en posant en introduction l’autonomie comme la capacité de se
donner ses propres normes : la « kompetenz kompetenz » allemande.
A travers trois approches (théorique et comparatiste,
« interniste » en étudiant la situation de son propre pays et européenne), il
s’agit de voir la spécificité de cette distinction autonomiste pour l’Italie, la
Belgique et l’Espagne et si surtout cette catégorisation est une alternative
viable ou vouée à disparaître. Les discussions de fin de chaque partie
permettent de confronter certains points de vue divergents et de montrer que la
situation n’est pas figée.
I- Une tentative de théorisation
A. Un fondement historique similaire
Dans les temps courts, moyens
et longs, ces trois pays connaissent des évolutions similaires :
Ils connaissent toujours une
crise identitaire d’origine souvent ancienne , les Flamands et Wallons pour les
Belges ; en Espagne l’idée nationale catalane date du XVIIème siècle. La crise
italienne seule semble être plus récente, crée à des fins politique par les
ligues.
L’Espagne et la Belgique se
seraient inspirés, selon DL Seiler du modèle régional italien, considéré comme
un Etat au fonctionnement moderne, répondant à la lutte contre la centralisation
de Mussolini, et offrant une alternative intéressante à l’unitarisme,
fédéralisme et confédéralisme.
Enfin, l’éclatement sur une
base régionale des partis semble avoir joué, surtout en Belgique, qui présente
en 1993 13 groupes parlementaires dont six sont représentatifs des fractures
communautaires et trois sont des partis de défense des périphéries, alors qu’il
y avait 3 groupes parlementaires nationaux en 1958.
Il y a sur le temps moyen, trois facteurs
d’autonomisation. En Belgique et en Italie, le modèle jacobin français
apparaissait comme le meilleur moyen de rationalisation, mais, pour des raisons
structurelles, ce modèle s’est avéré inadapté. Le second facteur est l’existence
d’une forte démocratie chrétienne attachée au valeurs locales. Et le troisième
facteur se trouve dans le polycentrisme culturel de ces trois pays : Rome doit
ainsi compter avec Venise, Florence, Gènes, la Catalogne et le Pays Basque ont
leur propre presse...
La Belgique, l’Italie et
l’Espagne apparaissent dans la longue durée comme des étatisations manquées, qui
entrent en crise dès que coïncident à peu près le « pays légal et le pays
réel ».
B. Une nouvelle typologie ?
Les cas italiens, belges et
espagnols n’appartiennent pas à la typologie traditionnelle des Etats qui
distingue Etat unitaire (le centre possède tous les pouvoirs), confédéral
(association des parties territoriales qui délèguent leurs pouvoirs tournés vers
l’extérieur) et fédéral (compromis par la nature étatique du centre et des
partis). L’Etat autonomique apparaît dans le cas de démantèlement partiel de
l’unitarisme, se distinguant du fédéralisme par autonomie des parties qui
bénéficient de prérogatives étatiques sans pouvoir influencer le centre qui
reste la source du pouvoir dévolu aux parties.
II- Différences et évolutions autonomiques
A. L’Italie
Après guerre, quatre courants
majeurs ont agi pour le régionalisme italien : la résistance, la démocratie
chrétienne, les socialistes et les communistes. Ce régionalisme s’installe en
1970 avec la création de deux types de régions : les régions à statut ordinaire
organisées par des lois étatiques ordinaires (possèdent des compétences
législatives concurrentes et déléguées) et des régions à statut spécial (Sicile,
Val d’Aoste...) qui exercent en plus des compétences législatives primaires.
Cependant, le centre conserve le seul pouvoir effectif. En effet, le pouvoir
normatif régionale reste limité étatiquement, il y a un statut légal étatique et
non autonomique comme en Espagne.
Mais il y a une quadruple limitation du pouvoir, par la
limitation de spécialité (domaines d’action déterminés par le pouvoir central),
de territoire (les lois régionales ne peuvent avoir de pouvoir hors des région),
en constitutionnalité (interdiction de nouvelles dépenses sans en avoir la
nouvelle couverture), et en opportunité.
Selon JC Escarias, l’Etat régional italien n’est pas
réellement autonomique : il n’y a pas de régionalisme coopérative, et les
compétences régionales sont trop limitées. JC Escarias parle alors de
régionalisme judiciaire car la jurisprudence constitutionnelle est en faveur de
l’Etat.
B. La Belgique
En 1993, la Belgique était en
cours de réformes. Selon J Beaufays, celle-ci n’était pas un Etat fédéral (pas
de participation des régions à la vie nationale, pas de principe de subsidiarité
et remise en cause de la solidarité interrégionale), mais plutôt un Etat en
transition, mené sans doute à terme à une scission.
Cependant, la discussion suivante amène à temporiser ces
propos, puisqu’il y est dit que la Belgique est au delà du fédéralisme sur
certains points, mais reste tiraillé par des forces centrifuges qui mèneraient
plus, à terme, vers un Etat confédéral.
C. L’Espagne
Par la Constitution de 1978,
cet Etat est proclamé Etat des autonomies, qui sont administratives et
politiques. Cette autonomie est une autodétermination des régions qui peuvent se
constituer en communautés autonomes de premier rang au nombre de cinq : Pays
Basque, Catalogne, ... , ou en communautés de deuxième rang au nombre de 17.
Ces communautés ont, à la différence de l’Italie la
possibilité de participer à l’élaboration de leurs statuts et ainsi de leurs
droits politiques. Ainsi, pour une communauté de premier rang, tous les députés
et sénateurs de l’Etat se réunissent et proposent un projet de statut, transmis
à la commission constitutionnelle du Congrès. Après accord, un référendum local
est lancé, puis les Cortès votent le projet sans pouvoir l’amender. Dans les
communautés de second rang, il n’y a pas de référendum, et les statuts doivent
être adoptés par le Parlement et par les Cortès.
Les compétences des communautés de second
rang restent des compétences d’attribution choisies dans une liste. Mais après 5
ans d’existence, ces communautés peuvent avoir autant de choix dans leurs
compétences que les communautés de premier rang qui ont une compétence générale.
De manière générale, les statuts des communautés sont supérieurs aux lois
ordinaires ou organiques du législatif central.
Enfin, ce qui distingue
l’Etat espagnol des Etats régionaux, c’est que les périphéries ont plus de
libertés que les fédérations, mais il ne reste toujours qu’un seul niveau
étatique. Dans un Etat fédéral, selon la théorie des Etats de Lefur, il y a un
double pouvoir constituant et une double source de volonté générale. Mais, en
Espagne, les sénateurs élus par les communautés autonomes n’ont de veto
suspensif que pour deux mois maximum. Le seul pouvoir détenu par le Sénat
concerne les statuts d’autonomie et les révisions constitutionnelles. Enfin, il
n’y a pas de double pouvoir judiciaire : un seul juge ordinaire et un seul juge
constitutionnel.
L’Etat autonomique espagnol, seul véritable en 1993,
apparaît donc comme une solution alternative et non seulement transitoire comme
en Belgique ou une démonstration politique comme en Italie.
III- Une approche européenne
A. Les communautés en interaction avec l’Europe
Le Conseil consultatif des collectivités
régionales et locales s’occupe de représenter les régions au niveau européen.
Dans l’autre sens, les régions ont appris à utiliser l’Europe pour subventionner
leurs projets. Cependant, cette Europe apparaît aussi facteur d’affaiblissement
des pouvoirs locaux, en rajoutant le type de normes communautaires en sus des
normes régionales et nationales.
Mais les régions ne se privent pas pour agir .
Elles disposent de plusieurs moyens d’action. En Allemagne, les Länders sont
consultés avant la signature d’un traité qui les concerne, et le Bundesrat
fédéral participe au vote des lois concernant les Länders et les transferts de
souveraineté à l’UE. En Belgique, cette influence reste moindre et les
communautés linguistiques ne participent pas au comité ministériel des Relations
Extérieures, bien que celui-ci consulte ces communautés. Mais, en Italie et
Espagne, le gouvernement dirige entièrement la politique extérieure, même si en
Espagne, les communautés restent informées. En conséquence, les régions de ces
deux pays ont préféré multiplier les contacts avec les institutions européennes
pour exercer une influence directe. En raison de la proximité géographique, les
communautés belges sont privilégiées pour se faire entendre.
Mais l’action des régions ne se fait pas sans
difficultés, puisqu’elles ne peuvent remettre en case la primauté de la norme
européenne. La Cour de Justice des Communautés européennes a souvent été saisie
pour des régions n’appliquant pas la loi, bien que le plus souvent des
solutions de compromis soient mises en œuvre.
En Allemagne, les Länders, à travers le
Bundesrat, participent directement à l’application du droit communautaire, mais
ceux-ci restent contraints par les articles 24 et 37 de la loi fondamentale à se
plier aux traités internationaux et aux obligations fédérales. En Belgique,
c’est l’article 6 de la loi de réforme institutionnelle de 1980 qui imposait le
respect du droit communautaire. En Espagne, la Catalogne et le Pays Basque
mettent en œuvre directement le droit communautaire, et les autres communautés
interviennent alors rapidement dans son exécution et son application. Enfin, en
Italie, les compétences administratives pour l’exécution des lois ont été
transmises aux régions, mais la cour constitutionnelle a décidé que l’Etat a la
légitimité d’appliquer lui même ces normes.
Les régions participent à l’UE dans le domaine
de l’application des normes communautaires, mais l’Etat central reste le facteur
d’influence prépondérant.
B. L’influence de la construction européenne
J. Ziller analyse la construction européenne et
y voit des facteurs d’accroissement et de réduction des autonomies d’action.
En terme d’accroissement de la liberté des régions, l’ouverture du marché des
capitaux joue un rôle prépondérant. Les régions allemandes ont ainsi la
possibilité d’emprunter sur des marchés étrangers, alors que l’Etat central
aurait pu le lui interdire. L’Europe offre deux centres (national et
communautaire) pour agir et obtenir des subventions. Enfin, l’harmonisation en
matière de normes permet de desserrer la tutelle technique qui permettait à
l’Etat de contraindre certaines régions à travers des réglementations
techniques.
Mais cette autonomie se trouve réduite par, paradoxalement,
l’ouverture des marchés qui oblige à des appels d’offre européens et ne permet
pas de faire appel à des entrepreneurs locaux. Les aides publiques nationales
sont également critiquées par l’Europe qui y voit un défaut de concurrence.
Enfin, si les normes européennes ne sont pas appliquées, c’est l’Etat central
qui retrouve toutes ses prérogatives pour les faire appliquer. A ces limitations
pratiques s’ajoutent d’autres, plus théoriques comme l’interdiction de
discrimination entre les ressortissants des Etats membres.
Ainsi, il ressort que l’Etat autonomique,
spécialité européenne, fournissait, à l’époque de son installation, une solution
adaptée aux pays régionalistes. Pourtant, en 1993, seule l’Espagne semble
réussir ce changement alors qu’Italie et Belgique semblent sur la voie de la
transition. Ce livre constitue ainsi une réflexion intéressante sur ces Etats
nouveaux, mais son ancienneté ouvre des débats qui n’ont plus court aujourd’hui.
La Belgique qui est largement étudiée a aujourd’hui changé de constitution,
devenant un Etat fédéral, et cet ouvrage n’aborde pas la dévolution britannique,
postérieure au colloque, et qui pourrait constituer une sorte d’autonomie.
Enfin, les différents points de vue exposés se contredisent parfois, faisant
ressortir un flou général pour la classification des Etats autonomiques. Ce
colloque reste cependant riche d’enseignement sur le devenir de l’Etat.