Coopération locale et intercommunalité
Des relations de coopération s’établissaient
déjà, naturellement, entre paroisses et communes de l’Ancien Régime, de même
qu’intendants de provinces ou, par la suite, préfets des départements
collaboraient spontanément. L’Etat, qui manifeste souvent une certaine méfiance
devant l’établissement d’organisations structurées de collectivités locales
qu’il ne contrôle pas, s’est longtemps montré hostile à l’égard de ces formes de
coopération locale mais n’a pu les interdire effectivement. Dès 1871, la IIIème
République inverse la tendance en préparant le terrain à une avancée réelle des
libertés locales. Mais ce n’est véritablement qu’avec la Vème
République, dans un double objectif de modernisation administrative et
d’aménagement du territoire, que l’Etat entreprend, avec un succès variable, des
réformes successives pour inciter à la coopération locale.
Celle-ci est alors progressivement renforcée par
la dynamique d’intégration européenne ; le rapporteur de la loi d’orientation du
6 février 1992 sur l’administration territoriale de la République (ATR)
affirmait en ce sens que la fragmentation du territoire en multiples entités
administratives « ne saurait plus être tolérée au moment où un nouveau stade de
la construction européenne va mettre toutes les structures de notre pays en
concurrence avec celles de partenaires qui ont déjà su accomplir la mutation de
leur administration territoriale. »
Aussi, après les diverses réformes envisagées ou
mises en œuvre, la coopération locale est apparue comme la formule la plus
adaptée à la nécessaire réforme de l’Etat dans le domaine de l’administration du
territoire. Mais, est-elle une réponse suffisante à la tension qui existe
entre l’exigence d’une gestion administrative efficace et le respect du principe
de libre administration des collectivités territoriales (art. 72, alinéa 2
de la Constitution)? Permet-elle de concilier efficacité de gestion et
démocratie de proximité ?
En effet, si la coopération locale constitue une
solution pertinente aux problèmes de l’administration du territoire, les
velléités de rationalisation administrative se heurtent à de multiples
difficultés, auxquelles la seule coopération locale en l’état actuel des choses
ne peut remédier…
I/ Une solution pertinente
Si les Français se montrent hostiles à toute
politique qui porterait atteinte à l’identité et à l’autonomie communale, et, si
le législateur se refuse à opérer des distinctions entre collectivités locales
d’une même catégorie, la solution aux problèmes posés par le découpage
administratif du territoire semble alors consister à faire coopérer entre elles
ces collectivités pour la gestion d’affaires communes.
A. Les problèmes récurrents du découpage
territorial
1) L’émiettement communal français
Hérité de la Constituante, le découpage
communal français est une exception en Europe par le nombre de communes (plus de
36.400) et par leur petite taille. La France représente à elle seule 47% des
communes de l’UE. Parallèlement à l’émiettement communal, la part des très
petites communes dans l’ensemble des structures communales s’est accrue au cours
du XXème siècle, du fait de l’exode rural : aujourd’hui, 30% des
communes comptent moins de 200 habitants contre 12% il y a un siècle.
Dans ce contexte, les lois de
décentralisation de 1982, qui ont étendu les compétences des communes, ont remis
à l’ordre du jour, de manière plus aiguë, le problème de la capacité des
administrations communales à assumer pleinement et dans les meilleures
conditions possibles les nouvelles compétences dévolues. Mais le poids
sociologique, fondu dans l’« esprit de clocher » et l’attachement à l’identité
communale, freine souvent les initiatives étatiques de rationalisation du
territoire.
Ce poids sociologique des entités
communales a servi l’émergence de la figure du maire, particulièrement influente
dans un pays dont les représentants aux différents niveaux de pouvoirs publics
locaux sont restés majoritairement ruraux. Les élections municipales sont celles
qui ont le taux de participation le plus élevé avec l’élection présidentielle.
Le maire, autorité communale, exerce aussi des fonctions au nom de l’Etat, ce
qui renforce son identification comme échelon de recours et de médiation. C’est
pourquoi il est l’élu auquel s’adressent spontanément les citoyens…
On en conçoit la difficulté éprouvée par
l’Etat dans sa constante recherche d’un compromis entre impératifs de gestion
locale et principe de libre administration des communes.
2) L’impératif de rationalisation de
l’administration territoriale
La taille extrêmement réduite d’un grand nombre
de communes pose le problème de la capacité financière des municipalités à
répondre aux attentes des citoyens et à assumer pleinement leurs compétences.
Plus le territoire est morcelé en de multiples entités communales, plus les
moyens dont celles-ci disposent sont restreints. En outre, les équipements
collectifs qu’il s’agit de créer pour subvenir aux besoins des administrés
supposent d’être amortis par la fréquentation d’une population suffisante. Il
existe ainsi une certaine incohérence dans la gestion administrative du
territoire, en termes d’inégalités de ressources et de pression fiscale : tandis
que des communes « riches » construisent des équipements collectifs sans se
soucier des taux de fréquentation, d’autres ne peuvent satisfaire les exigences
des citoyens. Ces incohérences mettent clairement en évidence la nécessité d’une
rationalisation de l’administration territoriale.
Parallèlement, la taille des départements est
aussi critiquée comme ne répondant plus aux exigences d’une administration
efficace. Sous l’effet de mutations économiques, culturelles et sociologiques,
les territoires du réel ne cessent de s’agrandir et de se recomposer, tandis que
les territoires du politique peinent à adapter les limites géographiques de
leurs pouvoirs à ces mutations profondes. Dès les années 1960, la maîtrise de la
croissance des grandes villes s’impose comme un enjeu de première importance.
Dans ce contexte, l’intercommunalité est apparue comme l’une des solutions
possibles. En effet, le développement de la croissance urbaine et le phénomène
d’agglomération, qui rendent vaines toutes les limites administratives entre des
communes au tissu urbain continu, nécessitent une gestion concertée des communes
limitrophes, notamment en matière de transports et d’acquisitions foncières.
Enfin, le processus d’intégration européenne a
poussé les Etats-membres à réformer leur administration territoriale afin de
contribuer à l’homogénéisation du territoire de l’UE. La France a donc été
amenée à mettre en œuvre une politique d’incitation à la coopération locale dans
l’objectif d’adapter ses structures administratives au modèle européen.
3) L’option de l’intercommunalité
Après avoir tenté d’adopter une politique de
regroupement autoritaire, l’Etat a mis en place dès 1959 des mesures visant à
faciliter les fusions de communes. En 1971, la loi Marcellin sur les fusions,
les fusions-associations et regroupements de communes, tente d’accélérer les
fusions de communes, notamment par la promesse de dotations d’équipements
accrues. Cette loi ne parvient cependant qu’à réduire marginalement le nombre de
communes entre 1971 et 1977 et, dès 1978, ce nombre recommence à augmenter sous
l’effet de « défusions ».
Dès lors, le concept d’intercommunalité s’impose
comme la solution la plus pertinente pour pallier à l’émiettement communal en
particulier. En effet, la coopération intercommunale repose, depuis le départ,
sur le volontariat des communes et n’aboutit pas à leur suppression. Les
établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) tiennent leurs
compétences des communes et de la volonté des élus municipaux. La coopération
locale valorise donc cet échelon de proximité qui est de toute évidence
plébiscité par les citoyens. L’intercommunalité représente souvent le seul moyen
pour des communes dont la population et les moyens sont restreints, d’assumer
l’intégralité de leurs compétences et de respecter des normes de sécurité en
évolution constante (en matière d’environnement, notamment). Elle donne
également la possibilité d’assurer un dynamisme sans lequel la survie des
petites communes ne serait plus assurée en leur permettant de dégager des marges
d’investissement.
B. Une palette de solutions proposées
La coopération locale peut s’effectuer selon
différentes modalités… Il s’agit principalement de l’intercommunalité, pour
laquelle il existe, outre les formules traditionnelles de coopération, des
formes d’intercommunalité plus intégrée instituées par la loi ATR de 1992. Mais
il existe parallèlement d’autres formes de coopération locale.
1) L’intercommunalité : les formules
traditionnelles de coopération
2) Nouvel élan à l’intercommunalité et autres
formes de coopération locale
La loi d’orientation relative à
l’administration territoriale de la République (ATR) a contribué à reposer la
question de l’intercommunalité et a créé deux nouvelles formes de regroupements
intercommunaux : les communautés de villes et les communautés de communes. Le
but de ces nouvelles communautés est de fédérer des communes autour de projets
communs liés à l’aménagement de l’espace et au développement économique. La
coopération locale a donc évolué d’une logique syndicale à une
intercommunalité de projet. Elle s’est, en outre, modifiée pour devenir peu
à peu plus intégrative.
La communauté de communes « a
pour objet d’associer des communes au sein d’un espace de solidarité en vue de
l’élaboration d’un projet commun de développement et d’aménagement de l’espace »
(art. 71 de la loi du 6 février 1992). Elle constitue la modalité de coopération
la plus choisie par les groupements qui se constituent… La souplesse du régime
institutionnel de ces communautés de communes, ainsi que le choix des
compétences à transférer expliquent sans doute en partie ce succès. Les
communautés de communes sont des groupements à fiscalité propre, c’est-à-dire
qu’elles sont dotées du pouvoir fiscal en ce qui concerne les quatre taxes
directes locales : elles votent elles-mêmes le taux de ces impôts. Les
communautés peuvent en outre, si elles le souhaitent, instituer une taxe
professionnelle de zone.
Pour la communauté de villes,
devenue par la loi de 1999 « communauté d’agglomération », un seuil de 20.000
habitants est imposé aux communes. Les buts de cette nouvelle forme de
coopération sont de favoriser l’intégration des communes, l’aménagement de
l’espace et le développement économique. L’intégration est en effet très forte,
du fait des compétences qui sont transférées, du régime fiscal et de
l’impossibilité pour les communes de se retirer de la communauté. A la
différence des communautés de communes, le contenu des compétences transférées
aux communautés de villes est imposé par la loi. La communauté de villes est
obligatoirement dotée du régime fiscal de taxe professionnelle d’agglomération
(TPU : taxe professionnelle unique), avec un taux unique sur tout le territoire
communautaire. Ce taux n’est plus voté par les communes mais par la communauté
qui en perçoit le produit. La communauté de villes a rencontré un succès plus
restreint que les communautés de communes, relativement plus souples.
Les communes ne constituent pas le seul niveau
d’administration susceptible de faire l’objet d’une coopération entre
collectivités territoriales.
Une loi de 1871 prévoyait déjà le principe de
coopération interdépartementale où des « intérêts communs à plusieurs
départements » pouvaient être gérés par une conférence où chaque département
était représenté. La loi de 1992 modifie la loi antérieure et précise que les
institutions ou organismes interdépartementaux sont constitués, sur la base du
volontariat, par deux ou trois départements, même s’ils ne sont pas limitrophes.
Ces regroupements sont dotés de la personnalité civile et de l’autonomie
financière.
Les syndicats mixtes regroupent des
personnes morales de statut différent, mais qui sont toutes des personnes
morales de droit public : des collectivités territoriales (communes,
départements et régions), leurs groupements (sous toutes leurs formes) et
diverses catégories d’établissements publics, principalement des chambres
consulaires (chambres de commerce et d’industrie, d’agriculture ou des métiers).
En ce sens, cette forme de coopération appartient à la coopération verticale.
Ils permettent à des partenaires de statut différent de collaborer à des
activités ou des projets d’intérêt commun.
3) Simplification et renforcement de
l’intercommunalité
La multiplication des formes de
coopération locale a brouillé la carte de l’intercommunalité. Les différentes
formes d’EPCI semblent s’être simplement ajouter les unes aux autres, sans
toujours bien se distinguer les unes des autres. Aussi la loi du 12 juillet
1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération
intercommunale a-t-elle tenté de clarifier le « maquis institutionnel » de
la coopération locale. Elle a ainsi simplifié le paysage intercommunal autour de
trois formes au 1er janvier 2002 : la communauté urbaine (aires de
plus de 500.000 habitants), la communauté d’agglomération dans les aires
urbaines de plus de 50.000 habitants et la communauté de communes. La loi a en
outre définit le principe selon lequel il est impossible pour une commune
d’appartenir à plusieurs structures à fiscalité propre.
Cette réforme s’imposait d’autant plus
que l’intercommunalité suscite un intérêt croissant de la part des élus. En
effet, les EPCI se multiplient à un rythme particulièrement rapide depuis
quelques années. Selon le bulletin d’informations statistiques de la DGCL, au 1er
janvier 2002, les trois-quarts des communes sont membres de l’une des 2.174
structures de coopération intercommunale à fiscalité propre. Dans ces communes,
vivent 45 millions d’habitants, soit les trois-quarts de la population. Les 120
communautés d’agglomération et les 14 communautés urbaines regroupent à elles
seules près de 22 millions d’habitants. Simultanément, les communautés de
communes continuent à se renforcer et constituent désormais la structure de base
de la coopération intercommunale. Enfin, on note la progression de la taxe
professionnelle unique, relancée par la loi de juillet 1999, qui a été adoptée
par 743 EPCI. Ces établissements abritent près de 30 millions d’habitants, soit
la moitié de la population de la France : c’est une multiplication par sept en
trois ans.
II/ La
coopération locale face à de nouveaux enjeux
Si la coopération locale parvient relativement
bien à compenser le manque de cohérence et d’efficacité du découpage
administratif français, elle pose néanmoins de nouveaux problèmes et doit faire
face à de nouveaux enjeux.
A. Le problème de la légitimité démocratique des
structures de coopération
1) L’enchevêtrement des formes de coopération :
un problème de lisibilité
L’existence de nombreuses formes d’EPCI
entretient un certain flou dans les dispositions juridiques de coopération, et
ce malgré la réforme de 1999. Cet « émiettement juridique » - qui semble
succéder à l’émiettement communal, affecte la lisibilité et la transparence de
la coopération locale. Ce déficit de clarté va à l’encontre d’une certaine
exigence citoyenne en faveur d’une démocratie de proximité effective ; les
citoyens revendiquent bien souvent davantage de lisibilité et de transparence
dans la gestion des affaires publiques.
En outre, la coexistence de nombreuses
formes d’EPCI sur des périmètres variables entraîne un enchevêtrement complexe
de compétences et de périmètres, qui nuit à la rationalisation des compétences
que toute coopération intercommunale se fixe aujourd’hui pour objet, et qui
nécessite des dispositifs complexes de coordination entre les différents EPCI
concernés. Parmi ceux-ci, le dispositif de représentation-substitution est
particulièrement significatif de ce problème : selon ce dispositif, un EPCI à
fiscalité propre représente et remplace les communes de son périmètre au sein
des EPCI préexistants (sans fiscalité propre) dont ces communes font partie avec
d’autres communes, qui, elles, ne font pas partie de son périmètre.
Si l’on prend en compte les syndicats
intercommunaux, toutes les communes françaises appartiennent au moins à un EPCI
et, en moyenne, à 5,4 EPCI. Cette superposition des structures de coopération
brouille la carte de l’intercommunalité et il a fallu attendre la loi de 1999
pour que soit entreprise une simplification du paysage intercommunal. Cependant,
les transformations prévues par la loi se font progressivement : aussi le
« maquis institutionnel » qui semblait caractériser la coopération locale avant
1999 reste encore une réalité sur le terrain.
2) Un déficit démocratique
Le renforcement des compétences des
collectivités territoriales, lorsqu’il se fait dans le cadre d’EPCI, implique la
recherche d'une plus grande légitimité démocratique. En effet, la création
d’EPCI semble aujourd'hui limiter le renforcement de la démocratie locale
puisque l'exécutif de ces structures - qui s'apparentent de plus en plus à des
collectivités territoriales au niveau de la législation - n'est pas élu au
suffrage universel direct, contrairement à celui des communes, départements et
régions. Les EPCI ont en outre des compétences qui touchent directement à la
vie quotidienne des habitants : développement économique et création de zones
d’activité, aménagement de l’espace, transports publics, politique du logement,
politique de la ville (selon les dispositions de la loi de 1999). En outre, les
communautés perçoivent une ressource fiscale importante : la taxe
professionnelle et peuvent décider de la compléter par une fiscalité
additionnelle.
Les solutions proposées pour améliorer la
démocratie locale vont dès lors :
-
soit dans le sens d'une plus grande information des citoyens sur les
activités des EPCI et d'une plus forte participation des délégués des communes
au renforcement des liens entre l'exécutif de l'EPCI et celui des communes dont
ils sont issus (c'est la solution "douce")
-
soit dans le sens de fusions entre les communes des EPCI à fiscalité
propre, afin de permettre l'élection des EPCI au suffrage universel direct sans
créer un quatrième niveau de collectivités territoriales (c'est la solution
"dure", celle qui ferait des communes l'équivalent des arrondissements de Paris,
Lyon ou Marseille)
3) La perspective d’une réforme
Dans la mesure où les EPCI à fiscalité propre
tendent à devenir de véritables échelons décisionnels, il semblerait légitime
que leur exécutif soit élu au suffrage universel direct. Le déficit démocratique
dont souffre la coopération intercommunale, l’absence de responsabilité
politique directe devant les électeurs de la part des élus au sein des organes
de coopération, est un frein à toute évolution vers plus d’intercommunalité.
Cependant, l'élection au suffrage universel
direct de l'exécutif des EPCI à fiscalité propre, en entérinant l'existence d'un
quatrième niveau de collectivités territoriales risquerait de désorienter les
électeurs ; d’autant que le succès de la coopération locale ces dernières années
mérite d’être nuancé. Si la loi propose, la pratique dispose… Malgré les
dispositions législatives instituant une coopération de plus en plus intégrée,
les collectivités locales optent spontanément pour les formules les plus
souples. De plus, les EPCI ne couvrent qu’inégalement le territoire.
L’approfondissement de la coopération locale dépend en effet du temps nécessaire
à l’émergence d’une culture locale de la coopération intercommunale…
Ce n'est pas seulement dans le cadre du
développement de la coopération intercommunale, mais plus largement dans celui
de l'évolution des modes de "gouvernance locale", que se pose la question de la
démocratie locale. En effet, la notion encore floue de "gouvernance locale"
traduit le fait que les décisions des collectivités locales associent de plus en
plus, selon des modalités souvent très souples, non seulement d'autres
collectivités locales (c'est le cas de la coopération intercommunale), mais
aussi des chambres consulaires, des entreprises ou encore certains groupes de la
population (coopération verticale). Elle pose donc la question de la
représentation et/ou de la participation démocratiques du citoyen dans ces
décisions.
B. La coopération locale dans une problématique
européenne
1) Le cadre européen
L’Union reste, en vertu du principe d’autonomie
institutionnelle de ses membres, indifférente à la structure institutionnelle
interne des Etats qui la composent. Pourtant, le débat sur la place des
collectivités territoriales dans l’Union et sur leur rapport avec le droit
communautaire prend une ampleur croissante. Si la problématique territoriale est
aussi ancienne que la construction européenne dans la mesure où l’intégration
européenne repose sur l’objectif d’une cohésion économique et social du
territoire de l’Union, la pénétration du droit communautaire dans les structures
et les processus territoriaux de décision ne remontent qu’à une quinzaine
d’années. Ainsi, le renforcement des collectivités territoriales tend à les
éloigner de l’Etat mais à les rapprocher de l’Europe, qui prend de plus en plus
le relais de l’Etat dans le cadrage général des politiques locales
(développement économique, aménagement du territoire, protection de
l’environnement).
L’établissement de contacts directs entre les
collectivités territoriales et les institutions européennes s’est
progressivement officialisé. Régions, provinces, départements et grandes villes
ont pris l’habitude d’entretenir à Bruxelles des « bureaux » ou des
« délégations » pour faire entendre leur voix et optimiser le financement
communautaire de leurs actions. Ce mouvement a trouvé son plein épanouissement
dans le processus d’association permanente des collectivités territoriales à la
préparation des décisions communautaires que l’on appelle le « partenariat »,
progressivement officialisé par le droit communautaire. Ces formes
d’associations concernent, il est vrai, essentiellement les régions (cf. Comité
des régions) et ne concernent les collectivités locales de base – les communes –
que marginalement. Néanmoins, l’association des collectivités locales aux
décisions communautaires est un enjeu essentiel pour celles-ci, auquel la
coopération intercommunale n’est pas (encore ?) à même de répondre.
2) L’Europe des collectivités territoriales
L’observation des cadres institutionnels des
politiques urbaines dans les autres pays européens révèle une certaine
convergence des problématiques :
- l'affirmation du caractère par essence local
des politiques urbaines.
- la réaffirmation simultanée de certaines
prérogatives des pouvoirs nationaux. De ces deux éléments découle une relative
convergence dans l'équilibre des relations institutionnelles entre les pouvoirs
nationaux et locaux des différents pays.
- l'émergence du niveau intermédiaire,
souvent dédoublé (régions et départements français, Länder et Regierungs-Bezirk
allemands...), entre le niveau central ou fédéral et le niveau local.
Plusieurs
auteurs soulignent les effets déjà sensibles du processus d'intégration
européenne sur les transferts d'expérience en matière de coopération
intercommunale, mais aussi, plus largement, en matière de structuration
institutionnelle du territoire. D'une part, parce qu'il accroît la concurrence
entre les villes - même moyennes - et les territoires européens, le processus
d'intégration européenne incite les pouvoirs publics nationaux, intermédiaires
et désormais surtout locaux à s'intéresser plus attentivement aux expériences
menées dans les autres pays. D'autre part, il renforce l'influence du modèle
fédératif allemand, et du principe de subsidiarité qui le sous-tend, comme cela
a déjà été le cas à l'échelle des rapports entre l'Europe et les Etats lors de
la préparation du traité de Maastricht. Ce modèle fédératif, parce qu'il repose
sur une répartition rigoureuse des compétences entre les différents niveaux de
pouvoirs publics, tend à renforcer les niveaux intermédiaires et intercommunal
ou supracommunal. Ainsi, on peut mettre en parallèle les phases de renforcement
de l'intégration européenne et les périodes d'accélération de la coopération
intercommunale.
Enfin, on
doit noter que les premiers transferts d'expérience induits par l'intégration
européenne se sont souvent faits, sur le terrain, à l'occasion de démarches de
coopération transfrontalière entre collectivités locales de pays
différents, qui ont été l'occasion d'inventer de nouveaux modèles de coopération
à partir des modèles existants dans chacun des pays concernés.
3) La concurrence européenne
C’est désormais plus en terme de développement
économique qu’en terme de pouvoir administratif qu’il faut comprendre la
coopération locale : c’est elle qui peut permettre l’élaboration de projets de
développement, la mise en place d’une gestion dynamique du territoire,
l’organisation d’une offre de services aux particuliers et aux entreprises. En
effet, le développement économique, qui intéresse de plus en plus les
collectivités locales, tend à devenir l’un des principaux moteurs de la
coopération intercommunale de projet, notamment à travers les choix qu’il induit
en matière de taxe professionnelle. En outre, les collectivités locales sont
confrontées à de nouveaux enjeux techniques (gestion sélective des ordures
ménagères, lutte contre la pollution des eaux), qui nécessitent la mise en
commun non seulement de leurs moyens financiers et logistiques, mais également
de leurs capacités de négociation avec des prestataires de services de plus en
plus puissants.
Par conséquent, afin de valoriser leur
territoire d’un point de vue économique et commercial et d’accroître leur poids
dans l’espace économique européen, les collectivités territoriales optent pour
la coopération locale qui leur permet notamment de bénéficier de la
« DGF-groupements » (Dotation Globale de Fonctionnement). Face aux deux
phénomènes liés que sont la reprise de la métropolisation et le déclin relatif
des Etats-nations, les grandes agglomérations sont appelées à se constituer en
puissantes métropoles - on parle souvent d'"eurocités" - capables d'entretenir
des relations directes avec leurs semblables, au sein de véritables réseaux
métropolitains transnationaux.
Ce moteur de la coopération pose néanmoins
problème, dans la mesure où l’évolution vers une intercommunalité de projet tend
à entraîner une identification de la coopération au projet de développement. On
assiste donc à l’avènement d’une coopération davantage conjoncturelle, sans
véritable débat de fonds sur ses enjeux administratifs et politiques.
La coopération locale, malgré ses travers et ses
insuffisances, s’est imposée comme la solution la plus pertinente face à
l’impératif de rationalisation du territoire administratif français.
Progressivement les formules se sont développées afin de trouver un compromis
entre impératifs de gestion locale et principe de libre administration des
collectivités territoriales. L’Etat a démontré une relative souplesse dans sa
patiente recherche d’un équilibre entre rationalisation de l’administration
territoriale et respect des dynamiques locales. Néanmoins, à la politique
volontariste de réforme de l’Etat des années 1960, a succédé une volonté
d’améliorer « à la marge » et avec pragmatisme le système existant. La
coopération locale reste « à géométrie variable » et les dispositions
législatives demeurent tributaires d’un poids sociologique non négligeable, qui
ralentit largement les réformes souhaitées par les pouvoirs publics. Par
ailleurs, l’évolution de la coopération locale au contact de la pratique suscite
de nouveaux problèmes, tandis que le processus d’intégration européenne laisse
apparaître d’autres enjeux.
D’autre part, comme l’écrit Jean Vergès, « il
est probable que la progression de l’Union ne pourra pas se faire partout de
manière uniforme. A ce point de son évolution, l’Union doit redécouvrir
l’utilité de la diversité. L’application de son droit, pour être acceptée,
devrait pouvoir tenir compte des différences structurelles des Etats qui
résultent de leur histoire puisque celle-ci a façonné leur « identité
nationale », et que l’Union a, selon l’article F1 du Traité de Maastricht, le
devoir de respecter. ». Ainsi, en dépit des efforts de l’Etat fait dans le sens
d’une rationalisation de l’administration territoriale et malgré son relatif
succès, la coopération locale illustre les limites de celle-ci et le débat
récurrent sur la dimension pertinente de la collectivité locale de base reste
ouvert.
Bibliographie :
- Bodineau, Verpeaux, La coopération
locale et régionale, Paris, PUF, 1998.
- Vergès, L’union européenne et les
collectivités locales, Paris, Economica, 1997.
- Bourjol, Intercommunalité et Union
européenne, Paris, LGDJ, 1994.
- Centre national de la
fonction publique territoriale, La
coopération décentralisée des collectivités territoriales en Europe : RFA,
Espagne, France, Italie, Grande-Bretagne : le cadre juridique et institutionnel,
Levallois-Perret : FMCU, 1990.
- Sites :
www.dgcl.interieur.gouv.fr et
www.urbanisme.equipement.gouv.fr