Le contrôle préfectoral sur les collectivités territoriales
Pendant
longtemps, on a utilisé un contrôle particulier auquel on a donné une
appellation malencontreuse : la tutelle administrative. On voulait exprimer
l'idée qu'il s'agissait pour l'Etat de protéger les collectivités territoriales,
les aider à accomplir leurs fonctions. Mais l'on avait tendance à les considérer
comme juridiquement incapables.
Récemment, en 1982, on a voulu faire disparaître cette expression. On va
désormais parler de contrôle. La loi du 2 mars 1982 porte suppression de la
tutelle administrative. En réalité, le législateur n'a pas supprimé les
mécanismes de contrôle, il a décidé la suppression du terme péjoratif, et a
modifié certains mécanismes de contrôle. On a substitué au contrôle strict un
contrôle plus souple, qui intervient après que le pouvoir de décision ait été
exercé (contrôle a posteriori). Ce contrôle nouveau ne concerne que les
collectivités territoriales, il n'affecte pas les établissements publiques issus
de la décentralisation technique.
Ce contrôle nouveau présente trois caractères essentiels :
- un contrôle uniforme pour les diverses catégories de collectivités
territoriales ;
- un contrôle juridictionnel ;
- un pouvoir de contrôle a posteriori.
I - LA TUTELLE ADMINISTRATIVE CLASSIQUE
Elle avait été mise en place par des textes différents à des périodes
différentes. Elle présentait une certaine complexité dans les mécanismes de
contrôle.
A - La tutelle sur les communes
Les communes disposaient des pouvoirs les plus larges, et donc le contrôle de l'Etat
était plus fort. Plus l'autonomie est large, plus le contrôle est important. Les
procédés de contrôle s'exerçaient doublement, sur les personnes et sur les
actes.
Quant à la tutelle sur les personnes : on désignait par là le contrôle de l'Etat
sur les autorités de la commune, sur le maire qui pouvait être suspendu par le
préfet ou par le ministre de l'Intérieur, ou être révoqué par le Gouvernement,
mais dans des circonstances cependant limitées. Un contrôle était aussi effectué
sur les Conseils municipaux qui pouvaient être dissous par décret du Premier
ministre.
Quant à la tutelle sur les actes (affectée par la réforme de 1982) : la tutelle
sur les actes du Conseil municipal et du maire était exercée par le préfet. Il
devait vérifier la légalité des décisions et des actes. Selon la nature de
l'acte, les pouvoirs du préfet étaient variables. Trois procédés de tutelle
étaient confiés au préfet :
- le pouvoir d'annulation : c'était le procédé de principe. En principe, un acte
du maire ou une délibération du Conseil municipal était exécutoire de plein
droit au bout d'un certain délai calculé à partir du dépôt de l'acte à la
préfecture : le délai était de 15 jours pour les délibérations, un mois pour les
arrêtés du maire. Si le préfet estimait l'acte illégal, il pouvait prononcer
l'annulation de l'acte. Les communes pouvaient intenter un recours auprès du
Tribunal administratif.
- le pouvoir d'approbation préalable : c'était un pouvoir exceptionnel, possible
en matière de budget communal, seulement lorsque le budget de l'année précédente
a abouti à un déficit (par exemple la décision d'un Conseil municipal de
souscrire un emprunt). Pour ces actes-là, ils ne pourront entrer en vigueur que
s'ils sont approuvés par le préfet, et seulement après l'approbation.
- le pouvoir de substitution : c'est le pouvoir le plus important. Le préfet va
prendre un acte au lieu et place du maire et/ou du Conseil municipal. Cet acte
étant considéré comme pris par la commune. C'est un moyen extrême : on fait
disparaître ici la décentralisation. Prévu pour des cas limités particulièrement
graves, où la loi impose à la commune d'agir (pouvoir lié à la commune) et
qu'elle n'agit pas. Avant 1982, ce pouvoir de substitution était prévu dans deux
cas : en matière de police municipal et en matière budgétaire.
B - La tutelle sur les départements
Avant 1982, le département était dôté de deux institutions importantes : le
Conseil général et le préfet qui était l'exécutif du Conseil général. Le préfet
était l'agent de l'Etat et du département à la fois. A cette époque, la tutelle
était exercée sur le Conseil général uniquement. Deux sortes de tutelle :
- la tutelle sur les personnes : la loi du 10 août 1871 prévoyait la possibilité
pour le Gouvernement de dissoudre un Conseil général. Toutefois, il n'y a jamais
eu en France de dissolution d'un Conseil général ;
- la tutelle sur les actes : trois catégories de pouvoirs, soit par le
Gouvernement soir par le préfet : le pouvoir d'annulation, d'approbation
préalable et de substitution (à peu près les mêmes que ceux exercés sur les
autorités de la commune, à l'exception du pouvoir de substitution qui n'était
réservé que dans le domaine budgétaire du département).
C - La tutelle sur les régions
Avant 1982, les régions disposaient de peu de pouvoirs. Le contrôle de tutelle
s'affirmait dans le sens où les délibérations du Conseil régional étaient
exécutoires mais pouvaient être annulées par le Conseil d'Etat. L'exécutif de la
région, à cette époque, était le préfet de région.
II - LES NOUVEAUX PROCEDES DE CONTROLE
Des nouveaux modes de contrôles originaux ont été mis en place par des textes
spécifiques, notamment les lois du 2 mars 1982 et du 22 juillet 1982. Cette
dernière précise les nouvelles conditions d'exercice du contrôle administratif
sur les actes des autorités communales, départementales et régionales. Ces
procédés nouveaux concernent uniquement les actes des autorités. Les procédés de
contrôle sur les personnes de la tutelle classique n'ont pas été touchés.
A - Le contrôle administratif général
Ce contrôle présente trois caractères :
- Il est uniforme, c'est-à-dire qu'il fonctionne de la même manière à l'égard de
toutes les collectivités territoriales. Uniforme parce que ses procédés sont les
mêmes pour tous les actes des autorités locales ;
- Il est a posteriori, c'est-à-dire après que la décision de l'autorité locale
ait été prise. Tous les actes des collectivités territoriales sont exécutoires
de plein droit. Le contrôle ne pourra qu'annuler éventuellement un acte
irrégulier ;
- C'est un contrôle par le juge et non plus par le préfet : le pouvoir
d'annulation est confié au juge administratif. Ce juge peut être saisi de
différentes façons. C'est lui qui décide du pouvoir de sanction. Il peut être
saisi de trois manières : le déféré direct, le déféré provoqué, la saisine par
tout intéressé.
1. Le déféré direct
Le déféré direct est l'acte du préfet. Le préfet du département peut, s'il
estime un acte illégal, saisir le Tribunal administratif en lui demandant de
prononcer l'annulation de l'acte. Ce déféré du préfet doit intervenir dans un
certain délai après la publication de l'acte, mais il est variable en fonction
de son point de départ. En effet, le législateur, en juillet 1982, a prévu deux
types d'actes :
- Les actes les plus importants ne seront exécutoires qu'à compter de leur
transmission au préfet. La transmission est ici obligatoire. Dès celle-ci,
l'acte devient exécutoire : il n'y a pas à attendre un certain délai. A compter
de la transmission, le préfet dispose de deux mois pour saisir le Tribunal
administratif s'il estime un acte irrégulier. Comme exemples d'actes considérés
comme importants, citons les délibérations des Assemblées locales (concernant le
budget notamment), les actes réglementaires des autorités locales, les actes de
police administrative, les décisions relatives au marché public, aux concessions
de service public etc.
- Les autres actes sont exécutoires dès leur publication ou leur notification.
Les autorités locales ne sont pas tenues de les transmettre au préfet. Le préfet
peut exercer son pouvoir de déféré s'il en a connaissance. En pratique, les
communes ont tendance d'envoyer tous les actes à la préfecture.
2. La saisine par déféré préfectoral provoqué
Cette possibilité de saisine a été introduite par le législateur en 1982. On est
en présence d'une saisine du Tribunal administratif par le préfet, mais le
préfet a agi parce que quelqu'un lui a demandé d'agir. Si un préfet refuse de
saisir le Tribunal administratif sur demande d'un administré, le Conseil d'Etat
a statué, et par un arrêt du 25 janvier 1991, arrêt Brasseur, a considéré que le
refus est insusceptible de recours contentieux. Cette jurisprudence a mis du
temps à s'établir. Elle remet en cause l'utilité du système.
3. La saisine par tout intéressé
Les textes de 1982 prévoient que toute personne morale publique ou privée peut
introduire contre tout acte d'une collectivité décentralisée, un recours devant
le Tribunal administratif, lui demandant l'annulation de l'acte : c'est un
recours pour excès de pouvoir à l'encontre des actes de l'administration. On se
pose encore la question du déféré provoqué, étant donné que l'administré peut
passer outre le préfet. Ce type de saisine doit être intenté dans un délai de
deux mois à compter de la publication (acte réglement) ou de la notification
(acte individuel) de l'acte.
B - Le contrôle budgétaire additionnel
Il existe à l'égard des budgets décidés par les collectivités locales, dans
certaines circonstances, un pouvoir de substitution (datant d'avant 1982) qui
est réorganisé par les textes de 1982. Le préfet peut, dans trois sortes de
circonstances, arrêter lui-même le budget d'une collectivité locale :
- Le budget n'est pas voté à temps ;
- Le budget est voté en déséquilibre ;
- Le budget de l'année précédente a été exécuté en déficit.
Cependant, le préfet doit saisir la Chambre régionale des comptes, créée en
1982, qui fait des propositions à la collectivité locale. C'est seulement si la
collectivité locale n'obéit pas à ces propositions que le préfet peut arrêter le
budget. Si la collectivité locale n'a pas inscrit de crédit pour faire face à
une dépense obligatoire, le préfet peut saisir la Chambre régionale des comptes.
Celle-ci met en demeure la collectivité d'inscrire le crédit dans le budget. Si
la mise en demeure n'est pas suivie de faits, le préfet pourra arrêter le
budget.