L'affirmation de la démocratie libérale en Europe

 

 

Siècle passé en Europe : pas seulement celui des totalitarismes, mais aussi celui de l’affirmation de la démocratie. Cependant, le chemin vers la démocratie n’a pas été facile, bien au contraire. On a aujourd’hui tendance à considérer que l’Europe est démocratique, et c’est tout. On peut même avancer qu’on a inventé la démocratie. Mendras : place à côté de l’individualisme, de l’Etat-nation et de l’invention du capitalisme : la démocratie.
Rapport de l’Europe à la démocratie : complexe !


Découpage chronologiques : importants. Aujourd’hui : les principes organisateurs, les différences conceptuelles de la démocratie : LE politique plutôt que LA politique. LE politique = tout ce qui dans une société cherche à penser le politique, à l’organiser conceptuellement. Cette pensée du politique aura des effets sur LA politique, la compétition, la vie politique.

 

I. On va essayer de mettre à jour d’abord LE politique, avant d’esquisser une rapide typologie des régimes démocratiques en Europe.

II. L’épreuve de la première guerre mondiale

III. Les fondements de la démocratie libérale et représentative

 

Aujourd’hui, pour nous, la démocratie est banale sous sa forme libérale et représentative (cf l’élargissement de l’Europe). Historiquement, deux principes qui n’ont pas tjs été de pair.

1. Principes organisateurs de la démocratie et sa lente genèse

a) principe libéral et principe démocratique

 

Pendant longtemps, l’un pouvait exclure l’autre, antagonisme.

- Principe libéral : relève d’une philosophie globale, et non pas son réductionnisme actuelle à la seule forme économique. D’abord une philosophie politique, au sens fort du mot (maîtres à penser et idée clé : la liberté). Il faut préserver la liberté dans tous les domaines : pensée, propriété, religion… C’est également une philosophie sociale, individualiste (individu passe avant les raisons de l’Etat, mais aussi avant les intérêts du groupe). C’est aussi une philosophie de l’Histoire (elle est faite par des individus bcp plus que par des groupes sociaux). C’est enfin une philosophie de la connaissance et de la vérité. Elles résultent de la raison individuelle. Tout cela est bien connu, quelles en sont les applications politiques ? Le libéralisme revendique toutes les libertés fondamentales, et donc se défie de l’Etat et des pouvoirs -> libéraux favorable au parlementarisme, qui limite le pouvoir politique qui a tendance à s’accroître. Le pouvoir doit être limité à son strict minimum. Enfin, dans le domaine intellectuel, il ne peut y avoir une religion d’Etat, une Eglise d’Etat ou une idéologie d’Etat.

- Si le libéralisme est une philosophie, la démocratie est une idée : il n’y a pas un corps de doctrine cohérent, pas de philosophie globale, l’idée démocratique va travailler les sociétés européennes dans un rapport ambivalent au principe libéral. D’un côté, l’idée démocratique dit qu’elle prolonge l’une des dimensions de la philosophie libérale : elle affirme qu’elle seule peut affirmer les libertés publiques, et plutôt les libertés individuelles. Elle s’engage à consolider et étendre les libertés. D’un autre côté, l’idée démocratique se heurte à la philosophie libérale sur la question de l’égalité. Cette égalité est politique : tout le monde est apte à exercer dès maintenant son pouvoir d’intervention sur le devenir des sociétés. Ceux qui se revendiquent de la démocratie parlent de souveraineté populaire, et les libéraux de souveraineté nationale : seuls certaines personnes sont aptes à choisir un gouvernement. L’égalité est aussi égalité sociale : tout le monde a le droit à un même type de traitement, il faut secourir les plus démunis, il faut trouver des moyens pour venir à leur secours : d’un côté, tensions avec le libéralisme (c’est la société qui doit prendre des dispositions pour aboutir à des formes d’égalité), et puisque la démocratie se réfère à l’égalité sociale, elle introduit cette notion et donc nourrit l’attaque de la démocratie : écart entre son affirmation et la réalisation de son idée. Surtout en Europe, elle nourrit sa propre contestation. L’extrême droit renie l’idée d’égalité, l’égalité critique la démocratie au nom d’une égalité sociale suprême, non réalisée.

 

b) La génèse de la démocratie libérale et représentative

- Au début, donc, tension entre démocratie et libéralisme. La genèse est donc difficile : synthèse entre une philosophie qui revendique la primauté de l’individu et une aspiration démocratique qui en appelle aux libertés, mais aussi à l’égalité. Tocqueville le comprend très vite : prémonition qu’en tout cas en Europe on préférera l’égalité à la liberté. Deux exemplse : 1) le droit de vote, se fraie peu à peu son chemin de manière très difficile. Suffrage universel : grande bataille démocratique jusqu’au début de la première guerre mondiale. En UK, ¾ des hommes peuvent voter en 1914. En Fr, l’isoloir n’est inventé qu’en 1913. En It, l’extension est encore plus lente… 2) les partis politiques : bcp de mal à se situer entre le principe libéral et l’idée démocratique. Dans certains pays : social-démocratie veut instaurer le principe démocratique, mais a bcp de mal avec le principe libéraL

 

2. trois types de régimes démocratiques

 

Régime : Ensemble des éléments d’ordre juridique, idéologique, sociologique qui concourent à former le gouvernement d’un pays pendant une période donnée. Régime démocratique : choisi par la majorité des citoyens, dans le respect des minorités.

 

a) le régime britannique

- la puissance du libéralisme : cf limitation progressive du pouvoir royal.

- Le lent développement d’une démocratie politique : en particulier avec le suffrage universel et son extension, mais aussi par le développement d’importants partis politiques

- L’apparition à la veille de la première guerre mondiale d’éléments d’une démocratie sociale, sur laquelle nous reviendrons, dont la consolidation du pouvoir des Trade Unions.

 

b) le régime français

- Evénement fondateur, qui pose la trajectoire de la démocratie française : la Révolution française. La république doit achever la promesse de la Révolution, mais cet élément fondateur alimente deux courants contradictoires. D’un côté, un filon plus libéral et démocratique (insiste sur la DDHDC, libertés, appel à la raison, au libre arbitre, défense de l’individu, combat contre « l’obscurantisme religieux »). Le second filon est illibéral, alibéral, et révolutionnaire (la Révolution peut engendre une humanité nouvelle, le seul changement possible est le changement révolutionnaire/radical. La défiance/la haine du réformisme. On ne peut réussir à atteindre une société quasiment parfaite que par une radicalisation politique et sociale continue, la démocratie n’est pas vraiment égalitaire, quoiqu’elle dise.) Antagonisme très puissant, tension au cœur même du régime républicain (n’a pas totalement disparu de nos jours). Ce qui compte, c’est la prééminence de la volonté politique : VOLONTARISME POLITIQUE. LE politique a une prééminence et peut, par une action volontaire, faire changer les choses : la société peut être changée avant tout par une action politique (faite par une élite). Cela suppose un citoyen actif, en appelle en permanence à un citoyen qui doit faire partie de la vie de la cité.

- régime parlementaire. Insiste fortement sur le temps de la délibération (il faut prendre son temps pour étudier des dossiers).

- la république réussit à se constituer comme un ciment : fait du consensus. Attention, elle a aussi ses ennemis : l’Eglise, ses ennemis, l’extrême-gauche. Elle fabrique du consensus (explique le « mourir pour la patrie » de la 1ère GM).

- la république est en phase avec une certaine France sociale, une certaine France économique : une France rurale et des classes moyennes, rentre dans la modernité en préservant ses traditions… La 3ème rép n’est pas immobiliste, mais va lentement.

 

c) Le régime allemand

- vision extraordinaire du développement économique et sociale / caractère autoritaire du régime politique. Economiquement, deuxième en Europe. Politiquement, démocratie (droit de vote) et régime autoritaire.

 

3. Penser les trajectoires de la démocratie

- première tentative de réflexion, auteurs d’inspiration marxiste (Barilton Moore, les origines sociales de la démocratie et de la dictature). Pour essayer de comprendre cette différenciation en Europe des régimes démocratiques. Clé d’explication socio-économique : ce qui joue un rôle, existence ou pas d’une forte classe ouvrière. Par exemple, quand elle est faible, comme en France, puissante paysannerie : maintien non pas d’une aristocratie,mais d’un esprit aristocratique : il manque la philosophie libérale et l’idée démocratique. Dans les puissances avec forte classe ouvrière : forte démocratie libérale. Importance des structures socio-économiques.

- Les critères de l’avènement de la démocratie. Ce qui joue, le niveau économique : il faut une forte bourgeoisie pour un bon capitalisme, mais il faut aussi un consensus autour des principes démocratiques.

 

II. Les démocraties à l’épreuve de la guerre.

Défi redoutable pour les démocraties européennes. Elles doivent respecter les principes dont elles se réclament, mais aussi gagner la guerre…

 

1. la démocratie dans la guerre

a) la légitimation

- La guerre juste existe. Aussi bien des intellectuels (Bergson) que des syndicalistes légitiment la guerre par des valeurs démocratiques qu’il faut défendre contre l’Allemagne (on parle même de pays barbare). Il faut défendre et faire la guerre au nom du droit, au nom de la défense de la civilisation démocratique. Martelé : guerre contre le non-droit.

 

b) Moyens d’actions :

i. la formation de gouvernement d’Union Nationale, y compris avec les socialistes, qui pourtant avaient essayé de sauver la paix. Le seul cas qui échappe à cela : l’Italie. Le PSI refuse d’entrée dans le gvt. De l’autre côté du spectre politique, en France, les opposants à la république suspendent leurs critiques.

ii. attention au cliché : 14-18 = la fin des démocraties. La réalité historique est aujourd’hui beaucoup plus nuancée. Oui, il y a eu des limitations à la démocratie, d’autant plus dans les pays où se déroulaient les combats. Etat de siège en 8/14 en France, on suspend des libertés, on ajourne les élections, on censure la presse, on ouvre les lettres. Peut on pour autant parler d’une dictature ? Plutôt non : les gouvernements essaient de préserver un certain nombre de procédures démocratiques. Les parlementaires vont continuer à essayer de siéger, au moins à huis clos. Ils composent de nombreuses commissions, qui veulent défendre leurs prérogatives. On assiste dans tous les pays à une joute entre pouvoir militaire et pouvoir civil. On assiste même à la réapparition d’une presse non-conformiste, qui joue avec la censure.

iii. L’année 1917 : la Russie bascule dans la révolution, la démoralisation se fait jour, les protestations se multiplient… Année particulièrement difficile. Au cours de l’année 17-18 : régime démocratique à la lisière de basculer dans la dictature légale. UK : Lloyd George, pour la première fois dans l’histoire britt, exerce un pouvoir exécutif très fort. Premier ministre ne se présente plus aux Communes pendant un an. Fr : Clemenceau exerce un pouvoir très personnel : gouvernement restreint, petite équipe, ne réunit plus le conseil des ministres, ne demande plus l’avis du président, décourage les débats parlementaires, joue la carte de la démission en cas de critique. Période de « dictature légale ». Les parlementaires se sont adaptés à cela, ont critiqué, ont essayé de se faire entendre. It : président du Conseil, Orlando, pratique comme Clemenceau : concentre le pouvoir, répressions vives contre les milieux pacifistes…

 

2. La victoire des démocraties

a) l’illusion de la victoire.

France/GB/It l’emportent. Principes wilsoniens s’imposent. Régimes autoritaires s’effondrent en Allemagne et en Autriche-Hongrie. Une seule exception, mal perçue en 1918 : la Russie, le régime des Soviets de Monsieur Lénine : on a des infos contradictoires, même les socialistes qui s’y rallient ne le connaissent pas très bien.
b) la régulation démocratique internationale

Les 14 points Wilson (janvier 1918) : enfin on pourra en terminer avec la guerre. « Si vous ne les avez pas lu, relisez les (sic) ». L’origine de la guerre y est l’existence de régimes autoritaires. La démocratie, droit des peuples à disposer d’eux même, etc. Attention : dans les slogans des manifestations de 1918 : on associe Wilson et Lénine, les apôtres de la paix : mouvement lénino-wilsonien.

c) Evolutions démocratiques

D’un côté, on souhaiterait revenir à la période d’avant la Guerre, de l’autre, on aimerait approfondir la démocratie

- le retour en arrière : la guerre a suspendu les règles démocratiques, il faut vite refermer la parenthèse. Cf en France : on invente le mythe de la Belle Epoque, revenir à un système démocratique, économique et social d’avant 1914, avec moins d’Etat

- volonté d’approfondissement. 5 éléments participent d’une transformation de la démocratie.

 

3. La démocratie se renforce par l’existence du mythe du citoyen-soldat : représentation collective pour l’action. Le soldat a fait des sacrifices, il faut le payer en retour. Dette des régimes démocratiques. Conséquence : la question sociale ne peut pas être traitée exactement comme avant 1914. 2) la démocratie élargit sa surface géographique en Allemagne, en Autriche-Hongrie. Exemple le plus fameux : république de Weimar. 3) La démocratie élargit ses assises sociologiques : par ex, It, 1919 : suffrage universel masculin devient une réalité pour tous les hommes âgés de moins de 21 ans. Idem en Allemagne à partir de 1919, pour les moins de 20 ans. Uk : adopte suffrage féminin pour les femmes de plus de 30 ans après la guerre, limite d’âge abrogée en 1928.(elles ont participé à l’arrière) 4) dans tous les pays (sauf la France), les démocraties deviennent des démocraties d’avantage de partis politiques. Ils jouent un rôle de plus en plus important, deviennent de puissantes machines. Une forme de nouveau clivage est en train de se généraliser : le clivage gauche/droite. Il existait potentielement avant. Il s’est développé en France à la fin du XIXème, pas présent dans tous les pays européens. 5) le parlementarisme est rationnalisé : il n’est pas sorti indemne de la guerre. Certes, il faut arrêter avec la concentration du pouvoir exécutif, mais les gouvernements se sont rendus compte de l’efficacité d’un pouvoir qui peut vite agir : réglements qui limitent le temps des délibérations, permettent aux gouvernements d’agir plus vite. (dont gouvernement par decrets-lois).

 

Nous sommes en train de rentrer dans une nouvelle phase des démocraties européennes !

 

Conclusion : victoire de la démocratie, mais victoire fragile. Notamment en Italie (1922, Mussolini gagne), en Espage (coup d’Etat dès 1923), en Allemagne (crise permanente du régime). Démocratie destabilisée dans des pays à plus solide assise, cf UK et Fr. Nouvelles formes de comportements sociaux et politiques les atteignent : forme de brutalisation des comportements des sociétés, même en France… Guerre civile « simulée » en France

 

A lire : Serge Berstein, la démocratie libérale

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