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Les cours de relations internationales du forum des étudiants de Sciences Po
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« Nous allons vous faire une chose terrible : vous n’allez plus avoir d’ennemi ». A première vue, la réplique de M. Arbatov à un de ses interlocuteurs américains, dans le contexte de la débâcle de l’URSS, pour lui dire « Nous allons vous faire une chose terrible : vous n’allez plus avoir d’ennemi », sonne comme une boutade. La disparition de l’URSS comme puissance rivale et centre mondial de subversion de l’ordre libéral et capitaliste était un but essentiel de la politique étrangère américaine depuis 1945, sinon depuis la fin de la première guerre mondiale. |
Cependant, à l’examiner plus en profondeur, cette réplique contient une analyse politique qui n’est pas sans mérite : les Etats-Unis, affirme M. ARBATOV, on « besoin » d’un ennemi, et la disparition de leur « meilleur ennemi » depuis au moins cinquante ans n’aurait pas pour eux que des avantages.
A cet égard il apparaît que si l’on peut accorder à M. ARBATOV qu’il a mis le doigt sur une vérité en soulignant le fait que la disparition de l’ »ennemi » soviétique aurait un effet déstabilisant et pas uniquement positif pour les Etats-Unis, on doit ajouter avec le recul que nous donne la dizaine d’années qui s’est écoulée depuis lors que, hélas ou heureusement pour eux, les Etats-Unis ne manquent pas d’ennemis aujourd’hui : mais peut-être sont-ce des ennemis moins faciles à contrer.
I – L’URSS était le « meilleur ennemi » d’un pays qui a historiquement toujours eu besoin d’en avoir.
A. Les Etats-Unis ont besoin d’avoir des ennemis.
Affirmation paradoxale apparemment. Mais force est de constater que l’identité américaine et le patriotisme américain ne reposent pas sur l’attachement à une terre ou à une histoire comme en Europe, et pour cause : les Etats-Unis se sont créés comme un pays sans histoire (l’Amérique étant vue par eux comme un « nouveau monde » vierge) et dans une géographique inconnue et à conquérir (la « conquête de l’Ouest »). Identité américaine et patriotisme américain se synthétisent dans le « rêve américain » résumé par la Constitution du pays comme le droit à « la vie, la liberté et la recherche du bonheur » contre les forces mauvaises qui voudraient s’y opposer : la « corruption » européenne, tout d’abord, faite de régimes autoritaires et militaristes, la « sauvagerie » de la nature et des populations « sauvages » indiennes ( mythe de la « frontière » au XIXème siècle, qui est aussi la frontière entre la sauvagerie et la civilisation « law and order »), la « barbarie » enfin (nazie, fasciste, communiste). La culture politique américaine est manichéenne, et ce n’est pas seulement Hollywood qui ressasse à longueur de films la lutte des « bons » contre les « méchants », avec le triomphe final des «bons » : c’est tout un peuple qui se reconnaît dans cette vision d’un monde qu’il connait au demeurant assez peu, et qui est persuadé que les Etats-Unis sont la société à la fois la plus juste et la plus avancée, qu’il faut protéger du reste d’un monde dangereux voire hostile comme autre fois les solitudes sauvages de l’Ouest à conquérir. L’ennemi du rêve américain, c’est finalement tout ce qui n’est pas américain et ne se convertit pas à l’américanisme. L’ennemi a donc une valeur structurante dans l’identité comme dans la politique américaine, et donc dans sa politique extérieure.
B. L’URSS était le « meilleur ennemi » des Etats-Unis : c’était vraiment «l’ennemi qu’on aime haïr », car il prenait explicitement le contre-pied de tout les éléments du rêve américain : régime autoritaire (« dictature du prolétariat ») et négation de l’économie libérale. C’était un ennemi comme les Etats-Unis l’auraient défini s’ils avaient pu le choisir. C’était aussi le « meilleur ennemi » parce qu’il posait automatiquement les Etats-Unis à la tête du « monde libre », position dans laquelle ils se voient naturellement. La statue du port de New York « La liberté éclairant le monde » est un symbole inventé par des Français, mais immédiatement adopté par l’ensemble des Américains, qui se voient facilement dans le rôle de « Miss Liberty » (des « Liberty ship » à « Enduring freedom » et aux « Freedom fries » tout dernièrement). Avec l’URSS, les Etats-Unis constituaient un »condominium » sur l’ensemble du monde. Il n’est pas niable que la disparition de l’URSS, en libérant l’Europe de la menace soviétique, l’a rendue disponible pour une politique d’autonomie à l’égard des Etats-Unis, qui n’aurait pas été possible à l’époque où elle dépendait totalement de Washington pour sa sécurité. La politique américaine récente joue d’ailleurs ouvertement depuis pour la division de l’Europe, pariant sur une « nouvelle Europe » qui se souvient encore assez de la domination soviétique pour estimer devoir aux Etats-Unis une allégeance que les opinions publiques de la « vieille Europe », sinon leurs gouvernements (Allemagne en particulier) ne veulent plus lui faire. La disparition de l’URSS a donc eu pour les les Etats-Unis cette désastreuse conséquence de libérer des forces qui pourraient devenir à terme ses rivales.
II – Pour autant, G. ARBATOV a été démenti sur une partie de son affirmation : les Etats-Unis ont toujours des ennemis, et peut-être moins faciles à gérer que l’URSS
A. Les Etats-Unis n’ont pas eu longtemps à chercher pour se trouver de ces ennemis qui puissent à nouveau les poser comme l’avant-garde de la liberté du monde. A peine l’URSS s’était-elle écroulée que l’Irak de Saddam Hussein, envahissant le Koweit, offrait complaisamment la figure d’un « nouvel Hitler », rôle que lui disputait bientôt le dictateur yougoslave Milosevic. Ces ennemis toutefois pouvaient être « qualitativement » de ces «méchants » qui confortent l’Amérique dans son positionnement politique interne et internationale, ils n’étaient tout de même pas assez puissants « quantitativement » pour remplacer l’URSS. C’est pourquoi durant la décennie 1990 on a vu fleurir aux Etats-Unis toute une littérature dénonçant la Chine comme le futur ennemi principal des Etats-Unis. En même temps la diplomatie américaine inventait le concept de « rogue states » (« Etats-voyous ») qui devait justifier un effort militaire comme on en avait pas vu depuis la guerre froide : c’est au temps de la présidence Clinton qu’a été lancé le projet de « National Missile Defence », bouclier antimissile formant un écran total pour sanctuariser un territoire américain ressenti comme menacé comme au temps de la guerre froide quoique pas par les mêmes ennemis, reprenant par là un projet de la guerre froide l’ »Initiative de Défense Stratégique » du président Reagan. Enfin les attentats du 11 septembre 2001 sont arrivés comme une « divine surprise ». Le nouvel ennemi est, comme l’URSS, de ceux que les Américains aiment haïr : un ennemi idéologique non-américain, que tout appelle à qualifier de « barbare » comme jadis les Indiens ou les nazis, ou naguère les communistes. Et la menace est assez prise au sérieux pour qu’aujourd’hui le budget de la défense américain retrouve ses niveaux de la guerre froide (environ 400 milliards de dollars par an) et que plus de la moitié de l’armée américaine se retrouve engagée sur des théâtres d’opération extérieurs (ex-Yougoslavie, Afghanistan, Iraq).
B. Mais peut-être les Etats-Unis sont-ils en passe de découvrir que le nouvel ennemi est à tout prendre moins facile à gérer que l’URSS et cela donnerait à la réplique de G. ARBATOV un accent de vérité que sans doute lui-même ne soupçonnait pas. Avec l’URSS la négociation stratégique était possible (traités ABM, SALT, START, MBFR etc). Avec Bin Laden et ses émules la négociation est impossible car tant l’ »ennemi islamiste » que les Etats-Unis n’envisagent pas cette option mais seulement la guerre à outrance jusqu’à destruction complète de l’autre ou « reddition sans condition » comme lors de la seconde guerre mondiale. On voit cependant que le citoyen américain se sent plus menacé que jamais. Prendre l’avion, voyager à l’étranger sont pour un citoyen américain des activités plus risquées aujourd’hui qu’au temps de la guerre froide, alors que paradoxalement la sécurité stratégique des Etats-Unis est mieux assurée que jamais. L’antiaméricanisme n’a jamais été aussi fort qu’aujourd’hui, notamment dans le monde arabo-musulman. D’autre part les outils de la guerre froide : armée considérable, arsenal nucléaire hors pair, alliances du type OTAN, ne sont pas d’une grande aide contre le nouvel ennemi. Autant vouloir tuer une puce à coups de fusil. Donald Rumsfeld, le ministre américain de la Défense en est lui-même à s’interroger dans une note devenue opportunément objet de fuite dans la presse et qui résume l’interrogation américaine du moment : les Etats-Unis sont-ils en train de gagner ou de perdre la guerre contre le terrorisme ? En tous cas la logique du « containment » qui était possible avec l’URSS n’est pas, avec cet ennemi, une option.
Il ne faudrait pas pousser trop loin la logique des observations qui précèdent : nul aux Etats-Unis ou ailleurs ne souhaite la résurrection de l’URSS et de M. Brejnev. Pour autant, la disparition de l’URSS a eu indiscutablement un effet déstabilisateur sur les relations internationales, dont les conséquences ne sont pas toutes positives ni faciles à gérer pour les Etats-Unis. La crainte de l’émergence d’une Europe rivale, qu’aucune menace de sécurité ne met plus sous la coupe de Washington en est une, qui ne disparaîtrait pas même si demain la menace terroriste globale disparaissait. L’absence d’un « partenaire stratégique » avec lequel on pouvait s’entendre sur la gestion des affaires mondiales en est une autre : au temps de l’URSS, le monde entier était sous contrôle soit des Etats-Unis et de leurs alliés, soit de l’URSS et de leurs alliés, et ce que les Etats-Unis ne contrôlaient pas directement, ils pouvaient le contrôler indirectement en négociant avec ce « partenaire stratégique ». Désormais les Etats-Unis doivent tout contrôler tout seuls et se rendent compte, en Iraq comme en Afghanistan ou en ex-Yougoslavie, sans parler de la menace terroriste en général, qu’ils ne veulent pas le faire tout seuls. Les Etats-Unis ont perdu un ennemi, mais ils ont perdu aussi un partenaire stratégique, et ils ne veulent pas d’un nouveau partenaire auquel ils devraient rendre des comptes, ce que l’Europe pourtant pourrait être pour eux. Telle est l’aporie de leur politique étrangère aujourd’hui.
Le monde de la guerre froide pouvait être qualifié de bipolaire si l’on met à part quelques perturbations comme la politique d’indépendance de la France ou le mouvement des non-alignés. Depuis 1989, le monde est caractérisé par une hyperpuissance américaine notamment militaire alors que certains pays comme la Chine et la France demandent une multipolarisation du monde. La relation russo-américaine aurait donc perdu son rôle central avec le recul de la puissance russe en termes de territoires, de richesses économiques, de capacités militaires. Les Etats-Unis s’intéressant désormais à d’autres zones comme l’Asie.
Comme Dominique David l’a noté, on peut dire que la Russie a subi une véritable déconstruction : PNB divisé par deux, désindustrialisations, agriculture aux rendements revenus à ceux de 1943, ruine des systèmes d’éducation et de santé, enrichissement d’une mince élite criminalisée. Avec un taux de mortalité de 14,7 pour mille et malgré l’afflux de réfugiés, la population russe a reculé de 147,8 millions d’habitants en 1989 à 145 en 2001. D’où une réelle asymétrie avec la situation américaine. Les Etats-Unis ont très vite considéré que la Russie ne comptait plus, d’autant qu’elle s’alignait jusqu’en 1996 systématiquement sur les positions occidentales ( diplomatie dirigée par Kozyrev ). Mais les élites russes ont fini par mal accepter cette dépendance et ont choisi de retourner leur politique étrangère à la défense de leurs propres intérêts. Mais peu à peu, les Etats-Unis ont du faire des efforts pour prendre en compte la Russie car celle-ci possède la maîtrise du nucléaire, le savoir-faire en matière de nouvelles armes de destructions massives. De plus, la situation géographique de la Russie intéresse les américains : elle se situe en continuité géographique avec des régions où ils ont des intérêts vitaux ( Europe, Etats du Golfe Persique, Asie Orientale ). Par ailleurs, les américains s’intéressent aux évolutions internes de la Russie, soutenant même Eltsine aux présidentielles de 1996 malgré les maladies et l’alcoolisme.
La fin de l’année 1999 marque un point bas dans les relations russo-américaines. La crise financière de 1998 marque l’échec des politiques de réformes libérales occidentales. De nombreux désaccords diplomatiques se font ressentir : bombardements sur l’Irak, élargissement de l’Otan, agression de la Yougoslavie. D’où une perte de confiance et une multiplication des désaccords. Ainsi, les Américains ont dénoncé avec virulence la seconde campagne en Tchétchénie, les Russes ne voyant pas la différence avec le traitement infligé aux serbes par l’Otan et arguant de la multiplicité des rebellions sécessionnistes dans le monde ( Turquie ) qui ne sont pas internationalisées.
Petit à petit, les Américains ont dénoncé une corruption généralisée et ont bâti l’image d’une Russie chaotique, destructrice et irresponsable. Les Russes ont interprété l’attitude des Américains comme une relégation au rang de puissance de troisième rang, comme une volonté de faire éclater la fédération russe. Ils ont donc repoussé l’attitude hégémonique des Etats-Unis.
La conjoncture économique divergente entre ces deux pays n’a sans doute pas favorisé leurs relations, les Etats-Unis connaissant une prospérité sans précédent depuis 50 ans et la Russie s’enfonçant inexorablement dans la récession. D’où une perception différente de la mondialisation.
La période 1987-1993 a été fructueuse sur le plan de la réduction des armements mais la présidence Clinton a été marquée par un vide en ce domaine. Le traité SALT II signé le 4 janvier 1993 par Georges Bush a été assez tardivement ratifié par le Sénat et par la Douma ( 2000 ). Le sénat américain a aussi refusé de ratifier le traité d’interdiction totale des essais nucléaires. Dans le cadre de la négociation de SALT III, les Russes ont proposé une limitation du nombre d’ogives nucléaires mais les Américains sont réticents à abandonner leur supériorité militaire ( actuellement, 7 206 ogives actives et 10 000 ogives inactives selon toute prévision). L’idée d’abandonner l’état de « tir sur alerte » au profit d’un temps d’alerte élargi permettant d ‘éliminer le risque de tir accidentel ou non autorisé a été avancée. De même, l’idée de consacrer plus de moyens au programme Nunn-Lugar de réduction des menaces a été proposée. Ce programme comporte 4 parties essentielles : réduire et stabiliser l’arsenal militaire russe devenu surdimensionné, sécuriser les installations nucléaires et les stocks d’ogives, limiter la production de matières fissiles et recycler les excédents. Mais certains américains considèrent ce programme comme concernant les affaires intérieures de la Russie. Or, un retrait du soutien financier américain pourrait conduire les russes à exporter leurs technologies nucléaires vers des pays tiers afin de se procurer des devises mettant en cause le processus de non- prolifération.
Un point de friction non négligeable est posé par le projet NMD, soutenu depuis longtemps par les Républicains ( projet Safeguard de Nixon, Guerre des Etoiles de Reagan ) et qui permettrait de mettre les Etats-Unis à l’abri d’une guerre nucléaire. En fait, ils refusent une dissuasion fondée sur la parité et la réciprocité surtout avec un ennemi. Par ailleurs, un retrait du traité ABM n’est pas impossible mais produirait des effets catastrophiques ( retrait russe des régimes existants, relance de la course aux armements par les russes, les chinois, les indiens et les pakistanais ).
La Russie a été écartée du processus de Rambouillet faisant suite aux massacres de Raçak. La réaction russe au déclenchement des frappes aériennes fut donc le demi-tour en vol de Primakov, se rendant en visite officielle aux Etats-Unis et le rappel immédiat du représentant permanent au conseil conjoint Otan-Russie. Ce qui entraîna une nouvelle crise intérieure : chute de Primakov. En fait, cette guerre résulte d’un nouveau concept fortement marqué par l’unilatéralisme, par la création d’une zone euro-atlantique laissant à l’écart la Russie, par la résolution à s’engager activement en dehors du chapitre 5 de la Charte des Nations Unies et par l’extension quasi-illimitée de la sphère d’intervention de l’Otan. Selon, Irina Kobrinskaïa, « l’opération en Yougoslavie a porté un coup dur, voire destructeur » à la Russie. « Avant le Kosovo, la Russie avait des chances de restaurer son rôle international. Après, ces chances se sont fortement réduites ».Par ailleurs, la campagne de l’Otan a fait craindre aux Russes la possibilité de devenir la cible des missiles. Par conséquent, ils ont adopté le 5 octobre 1999, un document intitulé « Fondements de la politique d’Etat de la fédération de Russie en matière d’organisation militaire à l’horizon 2005 ». Ce document diffuse un nouveau concept en partant du constat que la sécurité de la Russie était menacée : ainsi, on parle de l’ « utilisation de l’ensemble des forces et avantages disponibles, nucléaire compris, au cas où il s’avérerait nécessaire de repousser une agression, si toutes les autres mesures visant à la résolution de la crise ont été tentées et se sont révélées infructueuses ». Ces fondements sont devenus depuis 2000 la politique officielle de la Russie.
La Russie a dû accepter l’élargissement de l’Otan à la Pologne, à la Hongrie et à la République Tchèque. Après le recul militaire russe suite à l’effondrement des régimes communistes en Europe Centrale et orientale et aux indépendances baltes, ukrainienne et biélorusse, les américains ont intégré les russes en 1992 dans un programme de partenariat pour la paix. Le 27 mai 1997, l’acte fondateur signé à Paris créait un conseil conjoint permanent Otan-Russie fonctionnant sur le principe du consensus. Cependant, les Russes ne disposaient pas vraiment d’un droit de veto. Les discours de partenariat et de consensus des Américains étaient une vaste duperie pour les Russes.
En fait, aux Etats-Unis, il y a deux écoles de pensée concernant la Russie : celle de la coopération ( Clinton ) et la politique du containment (représentée et chez les Démocrates et chez les Républicains une bonne partie des conseillers de Bush, à commencer par C. Rice et D. Rumsfled ayant été formés à l’école de la guerre froide, sans mentionner le vice-président Cheney). Cette dernière redevenue dominante depuis le milieu des années 1990 assigne aux Etats-Unis la mission de contrer par des mesures actives les aspects de politique étrangère russe qui s’opposent aux intérêts américains. Ainsi, la Russie ne doit pas retrouver son statut de grande puissance : il faut donc prévenir un renforcement politique et militaire excessif de la Russie et étendre l’Otan. L’élargissement à la Pologne, à la Hongrie et à la République Tchèque a conduit à un afflux de demandes de la part des ex-républiques soviétiques. Très tôt, les Etats-Unis ont commencé à élargir leur influence : accords de coopération militaire avec l’Ukraine en 1997, accords militaires avec les Etats baltes en 1998. Ce qui fut interprété par le Russie comme la mise en place d’un cordon sanitaire. On peut dire que cet élargissement était trop précoce : il n’était pas urgent pour la sécurité de ces pays et il aurait été possible d’attendre d’avoir des relations plus stables avec la Russie. Il semble qu’il vaille mieux éviter les nouvelles adhésions à l’Otan, notamment des pays baltes, dans les années à venir de peur que la Russie n’y voie une véritable agression. Ainsi, Sergueï Ivanov prédisait une crise sérieuse en cas d’élargissement car cela « créerait une situation fondamentalement nouvelle en Europe qui porterait objectivement tort aux intérêts politiques et militaires de la Russie ». La suite a montré cependant que la Russie n’avait pas les moyens de ce genre de menaces, et l’entrée des pays Baltes dans l’OTAN s’est fait, de même que la dénonciation du traité ABM, sans crise majeure entre Washington et Mocou.
Cette situation a conduit la Russie à resserrer ses liens notamment avec la Biélorussie ( 1996 ), avec la Moldavie, avec l’Ukraine ( rétablissement de liens économiques- passage d’un gazoduc, débouchés en Russie- contre des manœuvres militaires ). Ainsi, la politique américaine a relativement échoué car elle aboutit à un renforcement de l’influence de la Russie sur son étranger proche.
Le retour du « grand jeu » ( ce terme désignait originellement la compétition russo-britannique au XIXè en Asie Centrale ) :
D’autres régions font l’objet de la concurrence russo-américaine : le Caucase et le bassin de la Caspienne. En effet, cette dernière dispose de grandes richesses : pétrole, gaz, coton, or. La Russie souhaite donc protéger son flanc sud contre la propagation américaine ou turque. Les américains souhaitent, eux, obtenir des positions stables dans le Caucase afin de construire des oléoducs et des gazoducs. C’est pourquoi, ils se sont rapprochés des dirigeants de la Géorgie et de l’Azerbaïdjan. Ainsi, l’oléoduc de Bakou-Tbilissi-Ceyhan qui doit éviter la Russie et l’Iran doit priver ces deux pays du contrôle de l ‘approvisionnement énergétique de l’occident. Le récent renversement d’Edouard Chevarnadze en Géorgie (novembre 2003) ne changera peut-être pas la donne car son successeur sera sans doute également tenté de s’appuyer sur les Etats-Unis pour résister aux demandes de Moscou.
Les Etats-Unis dénoncent la seconde guerre de Tchétchénie mais ont eu tendance à oublier que la défaite de la Russie dans cette région pourrait être néfaste avec la mise en place d’un gouvernement islamique; cependant le 11 septembre 2001 et la “guerre contre la terreur” ont créé une situation nouvelle. La Russie fait un parallèle constant entre Al-Qaeda qui lutte contre les Etats-Unis et les “rebelles tchéchènes” qui recourent eux aussi à une guérilla et aux actes de terrorisme contre la Russie.
On doit aussi noter que la question pétrolière est au centre de ce conflit. Lors de la première guerre en Tchétchénie, les Russes ont accepté la paix dans la mesure où celle-ci permettait d’assurer la sécurité de l’oléoduc Bakou-Novorossisk et de rester parmi les acteurs du transit de pétrole dans la Caspienne. Quant à la politique américaine, elle est fondée sur des estimations erronées des réserves potentielles de cette région. Alors que l’on avait parlé de nouveau Koweït, on s’est aperçu qu’elle ne représentait que 2% des réserves mondiales.
L’Union Européenne, à travers son programme Traceca, qui consistait à établir un vaste réseau de transports afin de désenclaver cette région, a suivi la politique américaine d’évitement de la Russie.
Ainsi, de nombreuses solutions alternatives au tracé russe ont été proposées notamment par le consortium pétrolier, Azerbaïdjan International Operating Company mais ces opérations ont eu un succès mitigé. Le projet géorgien conduit à un transport réduit de pétrole et se heurte à l’instabilité de la région ( conflit abkhaze ). Le projet Bakou-Ceyhan a du être réévaluer, les investisseurs privés ne se pressent pas pour financer le projet…
En réponse, la Russie a crée la Caspian Oil Company qui a entrepris la construction de l’oléoduc Tenguy-Novorossisk et d’un oléoduc évitant la Tchétchénie (fortement soutenu par le Kazakhstan).
Les Américains ont voulu isoler les Russes sur leur flanc sud par l’intermédiaire du GUAM regroupant la Géorgie, l’Ukraine, l’Azerbaïdjan, la Moldavie et l’Ouzbékistan. Moscou a donc répliqué par un traité de sécurité entre membres de la CEI. Aujourd’hui, il s’agit du groupe des sept ( Arménie, Kazakhstan, Tadjikistan, Kirghizistan, Russie, Biélorussie, Ouzbékistan). Ainsi, la Russie a pu améliorer ses relations avec l’Ukraine, la Géorgie, l’Azerbaïdjan. Le système de sécurité collective instauré par le groupe des sept pourrait avoir un rôle non négligeable pour lutter contre l’installation au pouvoir du Mouvement Islamique d’Ouzbékhistan.
L’arrivée de l’administration Bush a eu des résultats contrastés.
En ce qui concerne le NMD, Mme Rice, Mr Cheney et Mr Rumsfeld étaient favorables à des décisions rapides passant outre les objections russes alors que Colin Powell désirait déployer le système NMD dans le cadre de négociations avec la Chine, la Russie et les alliés européens. Mme Rice était favorable à un système basé en mer, les autres voulant un système complet. Une étude financière a montré une non-faisabilité avant 2006. Finalement les Etats-Unis ont dénoncé le traité ABM et les Russes ont dû l’accepter.
Des dissonances sont apparues avec la direction américaine sur d’autres sujets : la politique vis-à-vis de l’Irak, de la Corée du Nord, la présence américaine dans les Balkans.
L’administration américaine de G.W. Bush était dés l’origine marquée par un certain paradoxe : ses membres sont d’anciens combattants de la guerre froide qui prétendent se faire les champions des temps nouveaux mais qui reprennent la vieille rhétorique de la menace russe qu’il faudrait contenir.
Afin de se maintenir au niveau de “partenaire stratégique” des Etats-Unis, ce que clairement sa puisance militaire et économique ne lui permet plus, la Russie s’est immédiatement engagée dans la “guerre contre la terreur” aux côtés des Etats-Unis, d’autant que cela lui permettait une mise en équivalence “Afghanistan/Tchétchénie” dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle est osée. Cependant la “lune de miel” qui a suivi a été de courte durée, notamment parce que sur toute une série de sujets, l’administration Bush a malmené la Russie (notamment le Missile Defence, le traité ABM, diverses questions économiques, le soutien à la Géorgie etc.). Le président Poutine a alors suivi une ligne de “nuisance”, notamment sur la question iraquienne, devenue cruciale pour l’administration américaine. En faisant front commun avec la France et l’Allemagne au conseil de sécurité sur la question de l’intervention en Iraq de mars 2003, le président Poutine montre à l’administration américaine que la Russie est un pays qu’il faut ménager, sinon à cause de sa puissance (il n’en reste pas grand-chose) du moins parce que la mécontenter à un coût politique certain. Il ne faut pas déduire de cela cependant que la Russie souhaite un axe Paris-Berlin-Moscou : la Russie se veut puissance à elle seule et non en combinaison à d’autres, et son attitude dans l’affaire iraquienne était plus dirigée vers la reconnaissance de ce statut de “partenaire stratégique” que vers celle de la défense du droit international.
Aujourd’hui, c’est bien la méfiance qui est la couleur essentielle des relations russo-américaines.
Introduction :
Durant la guerre froide, la biploarité du monde était un phénomène indiscuté que l'existence d'un "groupe des non-alignés" ou celle de diplomaties non totalement dépendantes de Washington ou de Moscou (Pékin, Paris) ne remettaient pas en cause véritablement. L'effondrement de l'URSS, en richesse (PNB divisé par deux au moins en 10 ans), en territoires, en puissance a été tel, et l'accession des Etats-Unis à l'"hyperpuissance" ou au moins au statut de superpuissance unique, au cours de la dernière décennie du siècle ont été des phénomènes de telle ampleur que nombre d'analystes ont estimé que la relation russo-américaine avait perdu la centralité de l'ancienne relation soviéto-américaine : les Etats-Unis sont au faîte de leur puissance alors que la Russie se trouve ramenée au territoire de Pierre le Grand et à l'économie du début des années 1950. Quelle conséquence cette extraordinaire asymétrie peut-elle avoir sur les relations russo-américaine à l'orée du siècle qui s'ouvre ?
Il apparait à cet égard que si la perception du rôle joué par la Russie dans le monde n'a pas pu ne pas être profondément ébranlée par le différentiel de puissance qui s'est instauré dans la décennie qui a suivi l'effondement de l'URSS, la relation russo-américaine reste la relation stratégique essentielle que doivent gérer les Etats-Unis.
I - La perception du rôle joué par la Russie a été ébranlée par l'effondrement de l'URSS
a) faiblesse involontaire de la Russie du fait de l'effondrement de l'URSS
1) La Russie n'est plus une puissance économique : PNB divisé par deux - désindustrialisation - production agricole ramenée au niveau de l'URSS de 1943, effondrement de systèmes d'éducation et de santé - pillage du pays et exportation massive de ses capitaux à la faveur des "privatisations" etc.
2) la Russie n'est plus une menace militaire pour l'Europe : effondrement du budget militaire passé de 300 milliards USD en 1985 à 5 milliards en 2001 - même le contrôle de la Tchétchénie est aujourd'hui un problème pour l'armée russe.
b) faiblesse volontaire de la Russie au moins jusqu'à l'élection de V. Poutine.
- Ambition de la diplomatie de Kozyrev (jusqu'en 1996) : faire entrer la Russie dans le club occidental sur un pied d'égalité et pour cela s'aligner sur les Etats-Unis. Donc les Etats-Unis ont compté la Russie pour un "non-acteur".
- impossibilité même pour une administration plus consciente de ce que les intérêts nationaux de la Russie ne se recoupent pas avec ceux des Etats-Unis, ce qui est le cas de celle de V. Poutine, de s'opposer aux évolution qui sont les plus contraires aux intérêts de ce pays : les Etats-Unis ont pu dénoncer le traité ABM et étendre l'OTAN aux pays baltes (deux "lignes rouges" pourtant) sans provoquer de rupture avec Moscou.
II - Néanmoins les Etats-Unis continuent à tenir la Russie comme leur partenaire stratégique principal
a) parce que c'est un partenaire indispensable qu'ils ne contrôlent pas, à la différence de l'Europe de l'Ouest
- la Russie est la seule héritière de l'énorme patrimoine nucléaire soviétique, lequel demeure en état de marche reste une donnée fondamentale de l'équilibre stratégique mondial, sans parler des risques de prolifération que représentent ses stocks de matières fissiles et son savoir-faire (scientifiques russes éventuellement tentés par des "offres d'emploi" dans des pays tiers). A cet égard la période 1987-93 a été prometteuse en matière d'accords de réduction des armements (START II signé en 1993; début de négociations de START III; désactivation de missiles etc.) et les accords politiques (intégration de la Russie dans le Partenariat pour la Paix en 1992, création d'un conseil conjoint permanent OTAN-Russie en 1997)
- si l'Europe de l'Ouest menait une politique d'ouverture envers la Russie, la puissance américaine en serait certainement amoindrie voire marginalisée. La Russie dispose en effet des richesses naturelles et l'Europe de l'Ouest des capitaux pour les mettre en valeur. De ce point de vue, l'extension de l'OTAN vers l'est a surtout pour effet sinon pour but d'empêcher un rapprochement euro-russe dont les stragèges américains (Brzezinski) sont les premiers à dire qu'il serait très dommageable aux Etats-Unis;
- le ratage généralisé de la période eltsinienne a entrainé une réaction des élites russes qui ne voulaient plus être à la simple remorque des Etats-Unis qui au contraire ont essayé de soutenir Eltsine tant qu'ils l'ont pu (allant jusqu'à financer généreusement sa réélection). Les Etats-Unis doivent désormais se montrer plus attentif pour éviter que la Russie évolue dans un sens qui leur soit défavorable, ils ne peuvent plus compter sur le "suivisme" russe de la période Eltsine/Kozyrev; la crise financière de 1998 a décrédibilisé en Russie la transition vers le capitalisme et la "voie américaine
b) parce que de nouveaux contentieux stratégiques ont surgi, dans lesquels la Russie joue un rôle essentiel
- la guerre du Kosovo (1999) a été ressentie comme une agression contre la Russie par l'ensemble de la population et des dirigeants russes, ainsi qu'un certain nombre de prises de positions américaines (reprise des bombardements sur l'Iraq; élargissement de l'OTAN à la Pologne, Hongrie, Tchéquie (1999); critiques à propos de la 2ème guerre de Tchétchénie (1999) alors que la première (1995) n'avait donné lieu à aucune réaction pour cause de soutien à Eltsine; critiques sur la corruption russe (alors que le capitalisme américain -affaire Enron et autres- est loin d'être irréprochable). Le conseil conjoint OTAN-Russie mis en place en 1997 est mis en sommeil. Depuis lors il n'est plus question de l'espace de sécurité "de Vancouver à Vladisvostock" qui avait été un des thèmes de la présidence de G. Bush père, et l'OTAN a été étendue aux Etats Baltes (2002). La Russie a depuis (1999) réévalué son concept stratégique pour redonner plus d'importance à la composante nucléaire de sa défense (l'usage de l'arme nucléaire en premier n'est pas exclu), considérée comme seule vraiment dissuasive face à une OTAN qui apparait de plus en plus agressive.
- le désarmement nucléaire s'est enrayé du fait de la décision américaine de déployer un système de défense antimissiles : le traité ABM est dénoncé, START III ne sera pas conclu et la Russie ne se considère plus comme liée par START II d'ailleurs tardivement ratifié en 2000 par la Russie. Les Etats-Unis doivent de nouveau tenir compte de l'attention portée par la Russie à son statut de puissance militaire.
- les Etats-Unis étendent leur influences aux frontières sud de la Russie en soutenant Géorgie et Azerbaidjan (soutenues par la Turquie et Israël), mais aussi en prenant pied en Afghanistan et Asie centrale à la suite de la campagne militaire qui a suivi les attentats de septembre 2001. Les Etats-Unis se trouvent donc à nouveau au contact de la puissance russe.
- la lutte contre le terrorisme, qui est le nouvel orient de la politique étrangère américaine n'est pas possible sans la participation active de la Russie. Les Etats-Unis estiment en effet que le terrorisme menace également toutes les puissances responsables, ce qui les amène à relativiser leur vision du monde en "équilibre des puissances" par une autre de "coopération des puissances" contre cette menace supposée commune car globale.
Conclusion
La Russie reste pour le moment un partenaire stratégique essentiel pour les Etats-Unis, mais ceci pourrait être remis en cause dans la mesure où toute une école de pensée aux Etats-Unis estime que les intérêts futurs du pays ne sont pas en Europe ou en Asie centrale mais dans le Pacifique, et que de ce point de vue le nouvel ennemi (et donc le nouveau "partenaire stratégique") devrait être la Chine, qui est effectivement en meilleure position, sauf sur le plan nucléaire, pour défier la puissance américaine.