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Les théories des relations internationales - Relations internationales - Geopolitique

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Résumé des différentes théories des relations internationales

 

Les théories des relations internationales sont importantes. Elles sont également utiles à l'étudiant qui prépare des concours administratifs comportant une épreuve de questions internationales car elles lui fournissent, si elles sont utilisées à bon escient, des grilles de lecture de la réalité internationale, qui lui permettront de structurer rapidement sa pensée pour l'exposer ensuite clairement, que ce soit à l'écrit ou à l'oral (le risque étant bien entendu ici comme ailleurs de penser ou d'écrire trop vite).

                Les théories des relations internationales sont aussi diverses que peuvent l'être les philosophies de l'histoire voire les philosophies de l'être humain (anthropologies) puisque l’étude des Relations Internationales est en fait une science humaine. On trouve parmi elles des théories à vocations scientifique (la géopolitique) voire déterministe (la théorie marxiste des relations internationales) mais aussi des théories qui font tout reposer sur le hasard, (théorie du chaos : rien n'est décisif, tout est dans tout, les petites données du type "nez de Cléopâtre" sont les causes déterminantes etc)[1] ou sur des données difficiles à saisir objectivement (poids particulier des individus : psychologie des monarques ou des hommes d'Etats modernes, importance des "peurs" ou des "aspirations" des foules etc.). Toutes ces théories ont leur aspect convaincant : qui nierait qu'un petit comme la Pologne, coincé entre une grande Allemagne et une puissante Russie devait tôt ou tard avoir des problèmes avec ses voisins ? qui contesterait que si Hitler ou Napoléon avaient eu la mentalité de Louis XVI ou du Président Wilson les choses se seraient vraisemblablement passées autrement ? le danger est sans doute de leur donner un caractère d'explication globale et unique qu'elles n'ont pas.

 

                Les théories sont éclairantes en elles-mêmes, et leur aspect le moins éclairant n'est certes pas le fait que les valeurs sur lesquelles elles sont fondées permettent de comprendre la mentalité des personnes ou des Etats qui choisissent telle ou telle théorie pour conduire leur action ou analyser celle des autres sur la scène internationale. De même que la psychanalyse nous renseigne avant tout sur l'état d'esprit de Freud, les analyses développées par tel pays ou tel dirigeant nous renseignent avant tout sur les tendances les plus fortes de ces pays ou de ces dirigeants, et même en cela elles sont utiles à celui qui cherche à définir une politique étrangère.

 

                Exemple 1 : le système de valeurs en vigueur au Canada amène certains des théoriciens de ce pays à penser que dans le monde d'après la guerre froide, la sécurité des individus a pris plus d'importance que celle des Etats. Selon ce courant, le "soft power" (puissance des idéaux et sources non militaires de puissance) ont pris plus d'importance que le seul pouvoir militaire. Les acteurs non étatiques de la vie internationale ont également pris le devant de la scène (ONGs, diplomatie publique, i.e dirigée vers les opinions publiques). La moralité internationale serait également devenue une force objective : nous sommes ici dans le cadre d'une analyse typiquement libérale.

 

                Au contraire : Exemple 2 : la doctrine officielle de l'armée populaire de libération (APL) de la Chine met en avant la volonté des États-Unis de s'emparer de l'hégémonie mondiale sous couvert de répandre partout la démocratie et les droits de l'homme (alors qu'en fait les États-Unis continuent à construire des alliances militaires et à renforcer leurs moyens dans ce domaine. Le monde reste une enceinte dans laquelle les forts cherchent à opprimer les faibles. Ceci reflète évidemment les valeurs réalistes du marxisme).

 

                Exemple 3 : le tiers-monde a tendance globalement à considérer la différence de richesse entre les pays développés et les autres et à estimer que l'insécurité du monde est la conséquence de ce fossé : la paix dans le monde exigerait donc une importante aide au développement des pays les moins avancés (transferts de fonds et de technologie, conditions commerciales préférentielles etc).

 

                Ainsi, pour comprendre la diplomatie d'un État, il est important de prendre en considération les valeurs qu'il professe autant que les buts qu'il poursuit. Ceci donne de précieuses indications sur sa manière d'interpréter l'environnement international et donc d'y réagir.

 

A- Les paradigmes majeurs.

 

1- Le réalisme

 

                Cette doctrine peut être résumée en 6 points, du point de vue de la structure de la société internationale :

 

                1- le monde est une jungle. Il est anarchique c'est-à-dire qu'il n'y a pas d'ordre naturel (théorie du chaos).

                2- les Etats sont les seuls acteurs véritables de la vie internationale

                3- chacun recherche à accroître sa richesse et sa puissance

                4- la coopération est toujours difficile, sinon vouée à l'échec

                5- dans cette atmosphère de compétition, la seule paix qu'on puisse espérer est fondée sur l'équilibre des puissances, qui sera cependant toujours instable et précaire. La guerre est un phénomène cyclique inévitable.

                6- ce qui précède est valable en tous lieux et en tous temps. On ne peut pas fuir la jungle.

 

                Le réalisme émet également des présupposés sur les ressorts de la conduite des Etats :

 

                1- les Etats possèdent des moyens militaires autonomes qui leur permettent d'envisager leur destruction mutuelle : ils sont donc par nature dangereux les uns pour les autres.

                2- aucun État ne peut être certain de la nature des intentions des autres Etats à son égard (méfiance et prudence sont les qualités essentielles de l'homme d'État)

                3- tout État cherche à s'accroître, éventuellement aux dépens de ses voisins. Tout État qui s'accroît, fût-ce sans recours à la violence, devient de ce seul fait une menace pour ses voisins.

                4- les Etats agissent rationnellement, mais ils peuvent se tromper dans leurs calculs.

 

                Les grands théoriciens du réalisme sont Thucydide (qui explique que la guerre du Péloponèse fut déclenchée par la croissance du pouvoir d'Athènes qui déclencha une grande peur à Sparte), Machiavel, Hobbes et d'une manière générale les auteurs qui pensent que la nature humaine est mauvaise, inclinée au mal, à la violence, à l'égocentrisme. Le monde est un univers nécessairement tragique.

 

                Conséquences du réalisme en droit international : les réalistes estiment que les organisations internationales n'ont pas de puissance en elles-mêmes, et qu'elles ne sont que des instruments entre les mains des Etats qui les manipulent (par exemple : le Conseil de Sécurité de l'ONU n'est que la caisse de résonance de la puissance des membres permanents dotés du veto, qui en usent par exemple pour légitimer leurs actions unilatérales, par ex. la guerre du Kosovo). D'une manière générale ils essaient de rattacher à l'action des Etats même les mouvements des acteurs non étatiques (par exemple, Microsoft serait, volens nolens, un démembrement de la puissance du gouvernement américain).

 

                La guerre est inévitable parce que les Etats ont besoin de se sentir forts pour assurer leur sécurité. Mais en se renforçant ils déclenchent des peurs chez leurs voisins qui soit les attaquent préventivement soit se groupent en coalition pour bloquer leur expansion.

 

                Pour les réalistes, les Etats n'ont que très rarement des intérêts communs sur lesquels pourrait se fonder la coopération entre eux. Et même quand un intérêt commun se fait jour, la méfiance entre les Etats est telle (chacun craignant que l'autre ne tire plus d'avantages de la coopération que lui-même), que la coopération n'est pas durablement possible. Même quand elle est possible, la coopération à somme positive, celle où tout le monde enregistre un gain, est dangereuse car certains peuvent gagner plus que d'autres, ce qui entraîne un déséquilibre des puissances et donc la coopération a toutes les chances d'aboutir à de nouvelles rivalités. En tout état de cause, aboutir à une harmonie générale des intérêts des Etats est impossible.

 

                L'équilibre mondial est donc toujours instable : il ne peut résulter que de l'hégémonie d'une puissance, mais celle-ci est de soi un facteur déstabilisant car les autres puissances se coaliseront contre elle et l'affronteront jusqu'à ce qu'elle cesse d'être hégémonique, soit d'un équilibre des puissances qui ne peut cependant être qu'un état transitoire.

 

         Finalement, ce qui caractérise le mieux la vue réaliste du système international, c'est le pessimisme : pessimisme sur la nature humaine, doute radical sur sa possibilité de s'amender.

 

                Le réalisme a été illustré par des figures comme Bismarck, Théodore Roosevelt, Margaret Thatcher, Henry Kissinger. Ces dernières années le penseur réaliste le plus en vue a été Samuel Huntignton.

 

2- Le libéralisme

 

                A l'opposé des réalistes, les libéraux croient que l'histoire a un sens, et que ce sens est positif. Le libéralisme est historiquement lié à la philosophie des Lumières et donc à la notion de progrès de l'humanité.

 

                Une des bases de la pensée libérale est l'individualisme. L'individu (et non l'Etat) est à la fois l'unité analytique de base et la mesure de la légitimité des actions : les droits de l'Etat doivent s'effacer devant ceux de l'individu. L'idéologie des droits de l'homme est donc très liée à la philosophie libérale, qui a un penchant universaliste et cosmopolite : l'homme est partout le même et le monde s'améliorera parce que de plus en plus il aura conscience d'être un "citoyen du monde". La division de l'humanité en nations est une séquelle du passé, la nation n'étant qu'une forme un peu plus élaborée de la tribu primitive, et comme elle destinée à disparaître. On ne s'étonnera donc pas que la pensée libérale en politique internationale, comme en économie, soit favorable à la mondialisation. Toutefois le libéralisme a ses propres contradictions et ne va pas toujours aux  dernières conséquences de ses présupposés : libre marché, certes, mais pas pour la drogue, ni pour les armes, ni même pour certaines technologies comme le nucléaire. Droits de l'homme certes, mais ceux-ci comprennent-il les droits sociaux qui s'opposent à certaines conséquences du marché absolument libre ? Il est certain que les écologistes, par exemple, de même que les anarchistes, se rattachent à l'école libérale, et cependant ils sont généralement opposés à la mondialisation.

 

            La pensée libérale donne une grande place au concept de tolérance, encore que celle-ci ait ses limites : le libéralisme a du mal a reconnaître le bien-fondé des particularismes. En tant qu'idéologie universaliste, le libéralisme pense que ce qui est bon pour "un homme" l'est aussi pour l'humanité en général et que donc nul ne peut se prévaloir d'une "exception culturelle" en quelque domaine que ce soit. C'est aussi une doctrine rationaliste et utilitariste, voire matérialiste. C'est pourquoi bien que la pratique politique des gouvernements marxistes ait toujours été extrêmement réaliste, alors que Marx peut être considéré comme un penseur libéral (il croit en effet au progrès comme loi de l'évolution historique, ce qui est aux antipodes du réalisme pour lequel "il n'y a rien de nouveau sous le soleil"). Les anti-libéraux sont généralement perçus par les libéraux comme anti-rationnels, et réciproquement, les réalistes considèrent les libéraux comme des (dangereux) rêveurs.

 

Dans le domaine de la politique internationale, les libéraux se font les avocats des thèmes suivants :

                1- promouvoir et répandre la démocratie libérale.

                2- promouvoir et renforcer les institutions multilatérales

                3- promouvoir le libre-échange et l'économie de marché

                4- renforcer le pouvoir de l'opinion publique en général, le poids de la société civile, celui des ONGs (les réalistes préfèrent la diplomatie secrète et considèrent les opinions publiques comme trop mal informées ou trop irrationnelles pour jouer un rôle autre que déstabilisant dans les relations internationales)

                5- renforcer le droit international

 

                Les libéraux ont une attitude assez négative envers les Etats, considérés comme un mal nécessaire mais constituant toujours un danger pour les individus.

 

                Les libéraux croient ou espèrent que les conflits d'intérêts seront finalement réconciliés. Ils pensent que la politique internationale n'est pas un jeu à somme nulle et qu'il est possible de nouer des relations dans lesquelles tous sont gagnants.

 

                Les libéraux estiment que la moralité devrait guider les relations internationales, alors que les réalistes se laissent guider par la prudence, voire par la méfiance. Les libéraux sont partisans de l'éthique de conviction et les réalistes de l'éthique de responsabilité.

 

                Dans le domaine des politiques de sécurité, les libéraux recherchent la mise en place d'institutions de sécurité collective, alors que les réalistes militent pour l'équilibre des puissances.

 

                Les libéraux comprennent cependant qu'ils vivent dans un monde finalement fort peu libéral : les démocraties libérales pratiquent souvent une politique extrêmement réaliste, surtout lorsqu'il s'agit de grandes puissances : les États-Unis en sont l'exemple le plus patent. Il arrive que les libéraux utilisent des méthodes assez réalistes pour atteindre leurs objectifs : les grandes idées libérales d'unification de l'Europe ont échoué quand elles étaient défendues de manière seulement idéaliste par un homme comme Aristide Briand, mais lorsque Monnet ou Schumann ont fondé le même projet sur des projets concrets et limités comme la CECA puis la CEE, ils ont eu meilleur succès. Il  est parfois difficile de d'opposer ou de distinguer les aspects libéraux et les aspects réalistes d'une même politique : on peut ainsi faire une analyse libérale du Plan Marshall, mais on peut aussi en faire une analyse réaliste, et les deux sont également convaincantes :

                               - analyse libérale : le plan Marshall serait un acte de grande générosité du peuple américain pour aider au relèvement de l'Europe dévastée par la guerre et promouvoir, par des institutions comme l'OECE (puis OCDE) et l'appui à une forme d'unification européenne, la coopération entre des Etats qui n'avaient fait que se déchirer durant la première moitié du XXème siècle, afin d'écarter pour l'avenir la survenance de pareilles tragédies.

                               - analyse réaliste : considérant que la misère était le terreau sur lequel, après la défaite de 1918, après la crise de 1929, tant le nazisme que le communisme avaient prospéré, les États-Unis prirent l'initiative du Plan Marshall afin de remettre sur pied les économies d'Europe de l'Ouest, afin que, devenues prospères, elles soient moins vulnérables au communisme qui au contraire aurait pu capitaliser sur le mécontentement social causé par un après-guerre fait de dépression et de frustrations économiques.

 

                Dans le même ordre d'idées, la charte des Nations Unies, d'inspiration nettement libérale (règlement pacifique des différends, égalité souveraine des Etats etc) contient des éléments de réalisme indiscutable (le conseil de sécurité étant le plus visible), en sorte que libéraux comme réalistes peuvent revendiquer soit l'inspiration qui a conduit à sa création, soit son relatif succès depuis plus de 50 ans..

 

                Le type même du politicien libéral est le président américain Wilson. Les présidents A. Lincoln et  Franklin Roosevelt peuvent être considérés eux-mêmes comme libéraux. Schumann, Monnet, de Gasperi peuvent être considérés comme libéraux bien que les réalistes pourraient les revendiquer. Les penseurs de l'école libérale sont essentiellement Locke, Tocqueville et surtout Kant. On a vu plus haut que Marx peut être considéré comme un penseur libéral : il faut partie de cette espèce de libéraux qui pensent que l'humanité pourrait entrer dans une ère de paix généralisée et sans conflits si elle pouvait entrer dans une unité morale : ce fut l'ambition de gens aussi différents que Saint Thomas d'Aquin, Calvin, les Jacobins, mais aussi Staline et Hitler (on considère ici leur idéologie, non leur pratique). Il s'agit de ce qu'on appelle le "libéralisme révolutionnaire" qui postule que la résolution définitive des conflits doit provenir d'un changement qualitatif et volontariste de l'humanité. Il convient de rappeler la théorie libérale, élaborée par Kant, de "la paix démocratique" : les démocraties n'entreraient jamais en guerre les unes avec les autres car la démocratie étant fondée sur l'apaisement des conflits qui se dissolvent dans le respect des droits individuels y compris par la majorité qui a cependant le droit de gouverner, cela conduirait à une pacification des relations internationales dans lesquelles les Etats les plus puissants se sentiraient obligés de respecter les droits des Etats moins puissants qui de ce fait ne se sentiraient plus menacés et donc s'abstiendraient de chercher à construire contre eux des coalitions. De même les Etats les plus puissants se convertiraient, s'ils étaient démocratiques, aux vertus du règlement pacifique des différends. Cette théorie libérale a été défendue y compris par des politiciens très réalistes dans leur pratique (M. Thatcher).

 

                Au libéralisme révolutionnaire s'oppose le libéralisme institutionnel, qui considère qu'une certaine contrainte institutionnelle est de nature à favoriser la paix et la coopération au niveau mondial. Une telle coopération viserait à figer plus ou moins  les positions acquises dans le respect des droits légitimes de chacun qui ne sont pas tous les mêmes (les Etats demeureraient différents les uns des autres et l'humanité ne deviendrait pas un tout homogène comme le pensent les libéraux révolutionnaires), ou à ne permettre d'évolutions que lentes et contrôlées. La création de l'ONU et les politiques de sécurité collective se rattachent clairement à cette forme de libéralisme.

 

                Ces dernières années le penseur libéral le plus en vue a été Françis Fukuyama, et le penseur réaliste le plus publié Samuel Huntington.

 

                Convaincus de la supériorité de leur analyse, les libéraux pensent enfin que le libéralisme économique est le meilleur moyen de convertir les réalistes au libéralisme en politique internationale (par exemple : si la Chine devient capitaliste et libérale, elle abandonnera ses postures de grande puissance se conduisant de manière exclusivement réaliste).

 

3- La géopolitique et la géoéconomie

 

                La géopolitique est un paradigme qui a failli disparaître du fait qu'elle a été liée à des expériences historiques désastreuses voire criminelles. A l'origine c'est en effet un paradigme allemand, qui sous-tendait l'idéologie pangermaniste, et qui ensuite a été repris pour justifier les revendications allemandes à un "espace vital" à l'époque du nazisme. On peut aussi rechercher une origine à la géopolitique dans la Révolution française avec le concept de "frontières naturelles" qui seraient celles du Rhin, des Alpes, des Pyrénées, qui servaient d'abord à justifier des conquêtes de la même manière que la politique allemande à partir de 1850 tirait argument de la "géographie humaine" du peuple allemand pour en tirer des conclusions sur la "géographie politique" de l'Etat allemand, qui devait pouvoir s'étendre partout où étaient les Allemands (Bismarck) ou partout ou était la "race allemande" (concept plus large, développé par les nazis) voire "sur tout l'espace nécessaire à la grandeur de la race allemande" (selon l'idéologie développée par les théoriciens nazis). La géopolitique a au fond été un peu comme la génétique (et pour les mêmes raisons) une "science maudite" qui ne s'est que depuis quelques dizaines d'années sortie de ses ornières et de son passé idéologique pour devenir un paradigme à part entière, autonome par rapport au libéralisme comme au réalisme, même s'il penche généralement plutôt du côté réaliste[2].

 

                La géopolitique s'attache en particulier à l'observation de quelques facteurs et de leur influence sur un espace donné : la géographie, le territoire, la démographie, l'influence stratégique, le pouvoir militaire, la puissance économique mais non pas exclusivement. Elle s'intéresse aussi aux facteurs mis en évidence par d'autres sciences comme la sociologie. On parlera ainsi de "géopolitique des religions", pour envisager les relations entre les différents groupes humains sur la planète. On constate l'apparition de revues de géopolitique [3], et d'un grand nombre d'"Atlas" historiques et politiques qui cherchent à décrire la politique internationale à partir de données purement objectives. Dans le même temps on souligne que la "déterritorialisation" de la puissance, surtout de la puissance économique  (des Etats à superficie restreinte et peu exploitable peuvent être très riche comme la Suisse ou le Japon et d'autres très vastes avec de vastes ressources très pauvres comme la Russie ou la République Démocratique du Congo. De même on peut être très peuplé et pauvre ou peu peuplé et riche) rend la géopolitique peu pertinente à l'analyse des relations internationales sauf dans certains cas particuliers.

 

                Il faut évoquer ici le concept de "géoéconomie" [4]qui serait en quelque sorte le successeur de la "géopolitique", les affrontements entre Etats se situant désormais plus dans la sphère économique que dans la sphère politique, au moins pour les plus riches d'entre eux qui n'envisagent plus la violence armée comme moyen de résoudre leurs différends. Les véritables luttes, même les luttes militaires quand il y en a, seraient plus que jamais des luttes pour la puissance économique. (les guerres contre l'Iraq seraient motivées uniquement par le pétrole etc.). Selon Edward Luttwak, auteur du concept, "Les capitaux investis drainés par l'Etat sont l'équivalent de la puissance de feu, les subventions au développement es produits correspondent au progrès de l'armement; la pénétration des marchés avec l'aide de l'Etat remplace les bases et garnisons militaires déployées à l'étranger (...) quand l'Etat intervient, lorsqu'il encourage, assiste ou dirige ces mêmes activités, ce n'est plus de l'économie au sens propre mais de la « géoéconomie". C'est donc toute une représentation et une analyse des rapports de force au niveau international, sous l'angle essentiel de la puissance économique considérée comme déterminante des autres formes de la puissance. Le but n'est plus d'acquérir des territoires comme dans la géopolitique classique, mais une part croissante de la puissance économique mondiale, et le fait est que nombre de chefs d'État, y compris le plus puissant d'entre eux, se comportent souvent comme les commis-voyageurs de leurs économies nationales, n'hésitant pas à user de leur influence politique pour obtenir des "contrats" ou autre avantages économiques au profit de leurs nationaux.. De même les sanctions économiques sont devenues une dimension à part entière de la politique internationale (Iraq, ex-Yougoslavie, Libéria etc.). A voir cependant la persistance des conflits territoriaux et militaires, on peut cependant douter que la géoéconomie remplace vraiment la géopolitique. Tout au plus est-elle une forme nouvelle des affrontements.

 

B- Les paradigmes mineurs

 

                Les paradigmes mineurs sont ceux qui viennent en appui ou en complément des paradigmes majeurs. Ils ne sont d’ailleurs pas toujours liés à l’un ou l’autre d’entre eux. Par exemple, il y a une « socio-psychologie » libérale et une autre qui est réaliste. Les paradigmes mineurs sont ceux qui prétendent expliquer non pas l'ensemble de l'histoire des relations internationales mais un état donné des relations internationales, à une période ou dans une région particulière ou un État particulier.

Par exemple :

 

1- les analyses sociologiques/psychologiques

 

                Ces analyses ne prétendent généralement pas être des analyses globales des relations internationales précisément parce qu'elles contestent toute vision globale de celles-ci. Du point de vue du sociologue ou du psychologue il n'y a pas "un monde" ou "une humanité" mais "des hommes" et "des sociétés" tous et toutes irréductiblement uniques et différents. Sans nier que le "cadre général" puisse avoir une influence sur ces hommes et ces sociétés, le psychologue ou le sociologue estiment que ce qui est déterminant c'est l'action des individus, la manière dont les peuples réagissent à ces environnements et qui n'est soumise à aucun déterminisme. Par exemple : alors que les deux guerres mondiales se sont bâties notamment sur un puissant antagonisme franco-allemand, la première a abouti à une volonté de revanche allemande plus forte que la seconde qui a au contraire été suivie d'une réconciliation franco-allemande, et ceci alors que la défaite de 1918 n'avait pas laissé l'Allemagne détruite alors que 1945 fut pour l'Allemagne "l'année zéro". Des causes identiques ont produit des conséquences opposées.

 

                Exemple d'analyse sociologique 1 : les États-Unis sont un pays qui s'est construit sur la violence. Violence contre les Indiens, violence contre les voisins (Mexique), violence interne (le "Wild, Wild, West" et sa mythologie de cow-boys justiciers qui font régner le droit par le Colt  et la loi du lynch). La violence est vue par les Américains comme le moyen inévitable et donc légitime d'apaiser les tensions et de faire finalement régner la paix et le droit, c'est ce qui expliquerait que la guerre soit essentielle à la politique étrangère des États-Unis depuis les origines du pays. Inversement, l'Europe, qui a fait la désastreuse expérience de "guerre pour le Droit" en 1914 puis en 1939 a cessé de croire à la valeur purificatrice et progressiste de la violence et refuse désormais d'entrer dans les logiques de guerre. C'est ce qui expliquerait que dans les situations où les États-Unis sont "faucons" (Kosovo, Moyen-Orient, Iraq, Afghanistan etc). les Européens soient soit "colombes" soit rétifs à tout engagement vers une solution militaire.[5] Ainsi les Américains aurait hérité de la volonté de puissance qui était celle de l’Europe depuis le XVIe siècle, tandis que l’Europe revendiquerait désormais une véritable « volonté d’impuissance ».

 

                Exemple d'analyse psychologique 2 : les hommes qui étaient au pouvoir aux États-Unis en 1945 étaient ceux des administrations Roosevelt successives qui avaient fait l'expérience du "New Deal",expérience politique novatrice qui visait à sortir de la crise économique "par le haut", via une redistribution de richesses et non via une lutte accrue pour celles existantes. Le Plan Marshall serait en quelque sorte une réédition au niveau international du New Deal rooseveltien. En revanche la génération qui est au pouvoir depuis 1990 est celle de politiciens qui ont été formés à l'école de la guerre froide et qui ne voient de solution dans les problèmes internationaux que celles qui ont conduit à l'effondrement de l'URSS : dureté, refus des concessions, voire recours à des guerres limitées.[6] C'est pourquoi au lieu d'aider la Russie à se relever, les administrations américaines Bush, Clinton et Bush Jr. se sont surtout attachées à la "contenir" et pourquoi le conflit du Moyen-Orient est géré sur l'air de "Give war a chance". On peut même trouver des explications psychologiques plus restreintes encore : c'est ainsi que plus d'un observateur a tenté d'expliquer l'"obsession iraquienne" de George W Bush par son désir de "finir le job" que son père n'avait pu terminer lors de la première guerre du Golfe et qui avait été considéré a posteriori comme le plus important échec de son Administration. Est-il inutile d'ajouter que si les facteurs psychologiques ont certainement leur importance, il serait néanmoins hasardeux de faire reposer sur eux tout l'analyse ou même seulement l'essentiel de l'analyse des relations internationales ?

 

                On peut rattacher à ces explications sociologiques/psychologiques toutes les analyses fondées sur "la nature des choses",qui entraînent une vision mécaniste des relations internationales : par exemple la "lutte des classes" (marxiste) ou le "darwinisme social" (qui appliqué au domaine des relations internationales sacralise ou du moins justifie la loi du plus fort dans la "lutte pour la vie" etc).

 

2- Autres paradigmes mineurs

 

- la guerre froide, la bipolarité

- les théories "économiques" des relations internationales

                - l'''économie-monde"

                - l'affrontement nord-sud

                - l'opposition centre-périphérie etc.

- la fin de l'histoire (Francis Fukuyama)

- le choc des civilisations (Samuel Huntington)

- le "nouvel ordre mondial" (Bush père)

- l'unipolarité

- la "surexpansion impériale" (Paul Kennedy)

- la "destinée manifeste" (des États-Unis : Washington, Polk)

- le "messianisme russe" (Berdaiev)

- l'"hyperpuissance" (Védrine)

- le "concert des puissances" (Metternich, Talleyrand)

- la "mondialisation"

- le "nouveau moyen-âge" (Minc)

- les autres paradigmes sectorielles (analyses à partir du prisme "féministe", "écologiques" lectures sociologiques des QI etc.

 

3- Quelques éléments sur le débat actuel

 

                Libéralisme et réalisme restent les deux grandes théories en lice. Les théories économiques des relations internationales, qui faisaient florès aux beaux jours du marxisme ont pratiquement disparu, ou bien sont reprises de manière moins systématique dans les dissertations sur le concept de "mondialisation", et mâtinées de considérations de type sociologique ou culturel, par exemple sur le concept de "soft power". Mais désormais les analyses économiques sont plutôt, comme tous les autres paradigmes secondaires, la monnaie d'appoint des paradigmes principaux.

 

                Au demeurant, le libéralisme comme le réalisme ont beaucoup évolué. Tour à tour ils ont connu au cours du siècle dernier leurs heures de gloire et de discrédit :

 

- de 1870 à 1914, la "Realpolitik", soutenue par l'exemple de la puissance allemande, a dominé les débats.

- immédiatement après 1918, la "Realpollitik" était complètement discréditée. Le Wilsonisme, théorie éminemment libérale, semblait devoir tenir une place centrale, non seulement avec la création de la SDN, mais encore dans les décennies qui ont suivi avec les essais de pactes de sécurité collective (Locarno, Briand-Kellog). Ce n'est guère qu'à partir de 1935 que le libéralisme a sombré dans le plus complet discrédit.

- après la seconde guerre mondiale on a vu une vogue simultanée à la fois du libéralisme et du réalisme : la guerre froide était une lutte éminemment réaliste, mais des réalisations libérales impressionnantes redonnaient du crédit à cette théorie. L'ONU bien sûr (qui connut son heure de gloire avec la guerre de Corée), et surtout la construction européenne, semblaient indiquer que les peuples s'orientaient vers la coopération (la "coexistence pacifique" était également vue comme une politique libérale).

- le libéralisme a surtout semblé triompher en 1989 avec l'effondrement de l'URSS, car la théorie réaliste n'avait pas prévu cet effondrement, et la guerre qu'il prédisait inévitable n'a pas eu lieu. Du "feu d'artifice libéral" de cette période,  l'ouvrage de Francis Fukuyama est le meilleur témoin.

- cette euphorie n'a pas duré longtemps : la seconde guerre du Golfe et surtout les crises générées en Europe par la décadence des pays anciennement communistes, et surtout par l'éclatement de la Yougoslavie, on remis le réalisme en selle (les partages ethniques en Yougoslavie rappellent les "Congrès" du XIXème siècle où on se partageait des pays ou des continents en zones d'influence...).

 

                Cependant tant le libéralisme que le réalisme ont beaucoup évolué, et les deux doctrines sont plus proches aujourd'hui que naguère, au point que l'on peut tenter une synthèse.

 

                En effet on s'est rendu compte qu'un certain nombre d'Etats mènent à la fois des politiques libérales et des politiques réalistes, sans que la contradiction apparaisse insurmontable. Les États-Unis sont coutumiers du fait, et on peut faire de l'intervention en faveur du Koweit ou de celle au Kosovo une analyse libérale aussi convaincante que l'analyse réaliste, et vice-versa. On parle désormais de « Wilsonisme botté » pour définir cette doctrine qui prétend poursuivre les buts du Wilsonisme(étendre le libéralisme politique et économique) par les moyens militaires qui sont normalement ceux préconisés par le Realpolitik pour la poursuite des objectifs nationaux. C'est que les deux théories ont dû prendre conscience de leurs limites et en même temps vérifier certaines de leurs assertions :

 

                1- les réalistes ont dû admettre que les Etats n'étaient pas les seuls acteurs de la vie internationale, et que celle-ci n'était pas réglée uniquement, en dernière analyse, par des rapports de force militaires. L'importance du "soft power" et des acteurs non-étatiques n'est aujourd'hui niée par personne.

                2- les libéraux ne peuvent nier que les Etats restent les acteurs fondamentaux de la vie internationale et que les institutions qu'ils créent sont généralement créées et gérées en fonctions de leurs intérêts nationaux plus qu'en fonctions d'intérêts communs de l'humanité. Le libéralisme a évolué en "libéralisme institutionnel" qui revient à mettre son espoir dans la création d'institutions si possibles supranationales, c'est-à-dire la création de "super-Etats" : la Communauté Européenne est évidemment l'exemple type, mais également les alliances militaires du type OTAN, une institution dont il est difficile de dire aujourd'hui si elle est une alliance militaire dans la tradition réaliste ou si elle évolue vers un système de sécurité collective selon la tradition libérale. Un concept tel que celui de "système international" qui était autrefois typiquement "réaliste" '(le "concert des puissances" etc) est aujourd'hui aussi un thème libéral (cf tous les discours sur "organiser ou rationaliser la mondialisation").

 


 

[1] A titre anecdotique et humoristique lire « Le Feld-marshall von Bonaparte » par Jean Dutourd.

[2] En effet, la géopolitique a tendance a voir des "constantes" dans l'histoire des RI, et donc à nier que certains progrès soient possibles, notamment quand ils sont contraires aux données objectives de l'histoire ou de la géographie. Elle partage également avec l'école réaliste une vision "égoïste" des relations internationales : en matière de territoire, ce que gagne l'un est nécessairement perdu par l'autre, etc.

[3] Les deux plus importantes en langue française sont "Géopolitique" et "Hérodote"

[4] pour approfondir on peut lire de Pascal Lorot "Introduction à la géoéconomie" Ed Economica 2000

[5] Sur cette analyse lire « Pourquoi le monde déteste-t-il l’Amérique » par X. Sardar et M.W. Davies, ed Fayard 2002, en particulier le chapitre VI

[6] Analyse développée par H. Kissinger in « Does America need a Foreign Policy », Touchstone Edition, New York, 2002

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