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Les normes impératives du droit international public - Relations internationales - Geopolitique - Droit international

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Les normes impératives du droit international public

 

Une norme impérative de droit international public peut être définie comme une règle à laquelle aucune dérogation n’est permise. C’est une norme supérieure qui doit s’imposer à toutes les conventions conclues entre sujets de droit international. Synonymes : norme intransgressible, peremptory ou mandatory rules, et surtout jus cogens (littéralement, « droit contraignant » par opposition à jus dispositivum ou « droit supplétif »).

 

I. Origine et consécration

 

A. Origine de la notion de normes impératives en droit international

 La question des normes impératives doit être rattachée à celle des conditions de validité d’un traité. La position traditionnelle du problème est la suivante : la validité d’un traité dépend-t-elle de la licéité de son objet ?

Les théoriciens de l’école moderne du droit naturel estimaient déjà qu’il existe des règles fondamentales auxquelles les États ne sauraient déroger. G. Scelle quant à lui propose d’établir une hiérarchie des normes coutumières en distinguant, au sein du droit coutumier, les normes impératives (jus cogens) et les normes modifiables par une convention ultérieure. Ce domaine de supra légalité, qu’il qualifie de « droit commun international », regroupe des normes garantissant les libertés individuelles et la liberté collective.

Cependant, le jus cogens est restée une notion abstraite jusqu’à sa consécration par la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969.

 

B. La consécration de la primauté des normes impératives par la Convention de Vienne

- Définition : Art. 53 : « Est nul tout traité qui, au moment de sa conclusion, est en conflit avec une norme impérative du droit international général. Aux fins de la présente convention, une norme impérative de droit international général est une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des États dans son ensemble, en tant que norme à laquelle aucune dérogation n’est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère. »

- Effets : Art. 64 : « Si une nouvelle norme impérative de droit international survient, tout traité existant qui est en conflit avec cette norme devient nul et prend fin. »

La Convention établit donc une hiérarchie entre les normes simplement obligatoires et les normes impératives du droit international. Le jus cogens n’est pas une nouvelle source de DIP mais une qualité particulière de certaines normes, qui peuvent être d’origine coutumière ou conventionnelle. Les traités conclus en violation du jus cogens sont entachés d’une nullité ab initio (art.71). C’est un régime de nullité relative : l’action en nullité est réservée aux seules parties au traité (art. 65 et 66).

Les préoccupations morales ont largement influencé le vote des représentants des États à Vienne : la Convention affirme l’existence d’une communauté juridique universelle fondée sur ses valeurs propres, devant lesquelles tous les membres doivent s’incliner. Dans son rapport (ann. CDI, 1966, vol.II) la CDI donne des exemples de traités dérogeant au jus cogens :

- envisageant un emploi de la force contraire à la Charte de l’ONU (guerre d’agression)

- organisant la traite des esclaves, la piraterie, le génocide

- portant atteinte aux règles protectrices de la situation des individus.

Sont aussi contraires au jus cogens les traités immoraux (touchant aux bonnes moeurs, à l’ordre public international).

La Convention de Vienne traduit une conception dynamique du jus cogens : de nouvelles normes impératives peuvent naître dans l’avenir (art.64). Ce n’est pas un bloc figé mais évolutif.

Ces normes impératives sont des obligations erga omnes : dans l’affaire de la Barcelona Traction, la CIJ distingue par l’obiter dictum de son arrêt du 05/02/1970 les obligations des États envers la communauté internationale dans son ensemble, (jus cogens), des obligations vis-à-vis d’un autre État dans le cadre de la protection diplomatique. Tous les États peuvent être considérés comme ayant un intérêt juridique à ce que le jus cogens soit respecté, étant donné l’importance de ces droits relativement aux autres normes de DIP (N.B. : toutes les normes erga omnes ne sont pas des normes impératives de DIP). Les États affectés par la violation de la norme impérative de DIP sont donc tous les États membres de la communauté internationale.

 

 

II. Les apports de la justice arbitrale

 

En pratique, il n’existe aucun cas d’annulation d’un traité pour contrariété avec une norme de jus cogens. En revanche, le caractère impératif de certains principes a souvent été invoqué par des États voulant démontrer qu’un traité était nul parce qu’il était en contradiction avec une norme impérative de DIP. Á cette occasion la jurisprudence a apporté quelques éclaircissements à la définition et à l’application du jus cogens.

- Affaire relative au Personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à Téhéran (CIJ, 15/12/1979): un État ne peut manquer de reconnaître les obligations impératives que comportent les relations diplomatiques et consulaires avec un autre État., codifiées par la Convention de Vienne aux art. 63 et 64.

- Affaire Aminsil c. Koweit, sentence du 24/03/1982 : le tribunal arbitral a estimé sans fondement la prétention du défendeur selon laquelle la souveraineté permanente sur les ressources naturelles serait devenue une règle de jus cogens (cas de droit invoqué mais non reconnu comme norme impérative).

- Affaire de la délimitation de la frontière maritime Guinée-Bissau/Sénégal, sentence du 31/08/1989 : le tribunal arbitral admet au moins implicitement le caractère impératif du droit à l’autodétermination des peuples. Mais il précise qu’une règle liée à une norme impérative par une relation logique n’est pas elle-même impérative si elle n’en est pas le corollaire nécessaire.

- La Commission d’arbitrage de la conférence pour la paix en ex-Yougoslavie a classé parmi les normes impératives de DIP « les droits de le personne humaine » (avis n°1 du 29/11/1991), « les droits des peuples et des minorités » (avis n°9 du 04/08/1992). Dans son avis n°10 du 04/08/1992, elle qualifie aussi de normes impératives l’interdiction du « recours à la force dans les relations avec d’autres États » et les principes « qui garantissent les droits des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques ».

- Dans son rapport au Conseil de sécurité du 09/12/1991, la Secrétaire général des N. U. dénonce l’attaque armée lancée en 1990 par l’Irak contre l’Iran comme une  « violation de l’interdiction de l’usage de la force qui est considéré comme l’une des règles de jus cogens ».

- Avis de la CIJ du 08/08/1996, sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires : la CIJ a qualifié de « principes intransgressibles du droit international coutumier un grand nombre de règles du droit humanitaire applicable dans les conflits armés» (principe affirmé mais rejeté dans le cas d’espèce, s’agissant de légitime défense).

- Arrêt Furundzija (TPIY, 1è chambre, 10/12/1998) : « l’interdiction de la torture a désormais valeur de jus cogens ». Proposition reprise par la Chambre des lords britannique dans son arrêt Pinochet du 24/03/1999, et par la CEDH, dans son arrêt Al-Adsani c. Royaume-Uni, 21/11/2001.

 

 

III. Les problèmes soulevés par la notion de jus cogens : lacunes et critiques

 

Le dispositif imaginé par la Convention de Vienne souffre de carences pratiques et de déficiences théoriques qui rendent l’application du jus cogens problématique malgré les précisions apportées par la jurisprudence.

 

A. Formation et détermination des normes

Imprécision du jus cogens : la définition de l’art. 53 a été très critiquée pour son caractère tautologique et flou. De plus, il n’existe pas de texte énumératif exhaustif des normes de DIP ayant un caractère impératif. La Convention a consacré une notion sans préciser son contenu, ni même un cadre d’extension de son champ d’application. La CDI a laissé en pratique aux États et aux tribunaux internationaux le soin de dégager progressivement le jus cogens. Cela ne va-t-il pas à l’encontre du principe de sécurité juridique qui exige que les sujets de droit connaissent à l’avance le régime des règles auxquelles ils sont soumis et puissent prévoir les conséquences de leurs actes dans le domaine juridique ?

Élaboration du jus cogens : la Convention n’institue nulle part de procédure spécifique d’élaboration des normes impératives. Comment dès lors une règle de jus cogens peut-elle être dissociée des normes non impératives ? Le jus cogens serait-il introuvable ? Il semble que l’on soit confronté à l’unique critère matériel de leur reconnaissance et de leur application.

Le procédé de reconnaissance du jus cogens : la notion de « communauté des États dans son ensemble » est ambiguë. Les travaux préparatoires de la CDI montrent que l’unanimité n’est pas requise mais l’art. 53 ne prévoit pas le nombre ou la qualité des États qui doivent accepter la norme. On peut considérer semble-t-il que ce nombre doit être très grand et inclure tous les groupes d’États, sans que le refus persistant d’un État de reconnaître une norme comme impérative empêche son opposabilité à l’État objectant.

 

B. Les limites de l’application des normes impératives

Les États ont la possibilité de refuser le jus cogens. C’est le cas de la France qui n’a pas ratifié la Convention de Vienne de 1969 car elle refuse d’être liée par une notion aussi confuse que celle de jus cogens.

La possibilité de saisine unilatérale de la CIJ en cas de différend sur l’application des art. 53 et 64, prévue par l’art. 66, a fait l’objet de nombreuses réserves des États parties. Le mécanisme mis en place par la Convention ne pourrait s’appliquer entre ces États. Il en résulte que l’on reste dans le jeu habituel des relations juridiques interétatiques : les États demeurent maîtres de la qualification des normes impératives, donc à la fois auteurs et sujets de la norme impérative. Ceci n’est-il pas en contradiction avec le caractère même de norme impérative, qui devrait par essence s’appliquer à tous les membres de la communauté internationale sans exception ?

Du point de vue du régime de la responsabilité, les résultats de la CDI sont assez maigres : les obligations de l’État responsable sont absentes, au risque d’affaiblir le jus cogens si on ne tire par de conséquences particulières de la violation de normes réputées supérieures en droit. Plus généralement, la dualité normative entre normes simplement obligatoires et normes impératives devrait logiquement déboucher sur une différenciation du régime juridique des conséquences de leurs violations. Or, l’ordre juridique international actuel, toujours très attaché aux privilèges de souveraineté des États, ne permet pas cette innovation. Que signifie la consécration d’un droit impératif dont la condition juridique ne se distingue pas des autres normes et n’est donc pas réellement impératif ? Il existe un déséquilibre entre l’avancée normative ambitieuse qu’est l’affirmation du jus cogens, et la configuration actuelle du système international. C’est la principale critique des adversaires du jus cogens : il serait incompatible avec le droit international positif actuel.

Enfin, dans une société à structure primitive comme la société des États souverains, les détracteurs du jus cogens estiment que cette notion soulève deux problèmes majeurs :

- le jus cogens n’est-il pas une résurgence du droit naturel, avec son subjectivisme ?

- n’est-ce pas une incitation à la proclamation unilatérale de la nullité des traités pour cause difficilement contrôlable de violation d’une hypothétique norme impérative ? Le jus cogens risquerait de masquer des motifs plus prosaïquement politiques. Une utilisation abusive du jus cogens comporte donc un risque de déstabilisation des traités. Dans la pratique toutefois, cette crainte ne s’est pas révélée fondée en raison notamment de la vigilance des tribunaux internationaux.

 

Malgré les entraves actuelles à leur application, et les interrogations légitimes sur leur bien fondé, la reconnaissance des normes impératives de droit international constitue un événement juridique important dans la perspective d’un développement progressif du droit international. La primauté absolue de certaines normes se trouve en effet affirmée : le jus cogens rejoint dans cette catégorie de normes supérieures la Charte des Nations Unies de 1945, dont l’article 103 précise la supériorité sur tous les accords internationaux. Le développement des normes impératives de droit international marque donc une première ébauche de hiérarchie normative dans la sphère du DIP. Le droit international ne se réduit plus au seul droit international interétatique, même si celui-ci prévaut encore largement. Le jus cogens s’inscrit ainsi en rupture avec les fondements volontaristes du DIP classique : il marque une étape importante dans la mutation des principes du DIP.

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