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Jusqu'à un certain point, les problèmes du monde arabe sont ceux du monde africain dont il partage d'ailleurs une partie du continent : Etats récents, aux frontières largement artificielles qui peuvent regrouper des ethnies qui n'étaient pas originellement destinées à vivre ensemble (ex : Arabes et Kabyles en Algérie) ou séparant des groupes qui étaient anciennement unis (le groupe syro-libanais, l'Irak et la Jordanie), groupe de pays dont les ressources naturelles sont souvent rares et toujours inéquitablement réparties, aire n'arrivant pas à assurer son autonomie alimentaire, |
Etats avec un fort déficit de légitimité démocratique et de traditions de bon gouvernement, le monde arabe a cependant une identité culturelle (langue et religion) qui ne peut pas être niée, mais qui pourtant s'est avérée intransposable ou intraduisible en termes d'unité politique. Le monde arabe occupe cependant une position stratégique tant pour son environnement immédiat que plus largement pour la planète du fait qu'une part essentielle des ressources mondiales en énergie se trouve concentrée sur son sol (actuellement 30% du pétrole produit l'est dans le monde arabe, lequel exporte 80% du pétrole qu'il produit : au total près de la moitié du pétrole exporté est arabe). Au sein du monde arabe, la péninsule arabique a une place particulière : 25% de la production mondiale et 56% des réserves connues, ce qui signifie que sa part dans le commerce du pétrole devrait augmenter dans la période à venir. Au sein du monde arabe, l'Arabie saoudite joue un rôle unique : certaines années elle a produit près d'un tiers du pétrole exporté mondialement.
I) Le monde arabe et son voisin européen
Le monde arabe est d'abord très proche de l'Europe : la Méditerranée n'atteint que 800 kilomètres dans sa plus grande largeur et la Tunisie n'est qu'à 145 kilomètres de la Sicile. Mais s'il en est proche géographiquement il en est éloigné politiquement (l'Europe est démocratique, les régimes arabes sont dans le meilleur des cas "autoritaires" et dans le pire "totalitaires" avec un certain nombre de régimes "dictatoriaux"), et économiquement : le PNB/hab en Europe est en moyenne 12 fois supérieur au PNB/hab moyen dans le monde arabe et surtout cet écart ne cesse de s'accroître (il n'était que de 1 à 4 en 1977). A la relative homogénéité du monde européen (le pays le plus pauvre de l'UE, la Grèce, a un PNB égal au quart du pays le plus riche : le Luxembourg) répond la disparité considérable au sein du monde arabe : l'écart entre le PNB/hab est de 1 à 82 entre le Koweit et le Yémen, de 1 à 182 entre le Koweit et la Somalie. En revanche, alors que l'Europe est en stagnation voire régression démographique, le monde arabe reste en forte progression (quadruplement au cours des 50 dernières années, doublement depuis 25 ans), c'est-à-dire que le rapport démographique qui existait entre les deux rives de la Méditerranée au XIXème siècle est en train de s'inverser. Il y a là la cause d'un déséquilibre profond et durable : le nord de la Méditerranée est de plus en plus vieux et riche, et le sud est de plus en plus jeune et pauvre.
La dépendance économique du monde arabe envers l'Europe est considérable et tend à s'accroître : l'Europe représente 35% du commerce du monde arabe, mais celui-ci ne représente que 2,6% du commerce européen. Et surtout la structure de ce commerce est typique des échanges entre le tiers-monde et le monde développé : les hydrocarbures forment l'essentiel des exportations arabes, les produits industrialisés forment l'essentiel des exportations européennes. En outre c'est un commerce déséquilibré géographiquement l'Europe fait 80% de son commerce avec 6 des 21 pays arabes (les producteurs de pétrole).
L'Europe et le monde arabe n'ont jamais réussi à jeter un pont sur ce qui les sépare. Une première tentative de dialogue euro-arabe avait été lancée en 1973 après l'embargo pétrolier et la guerre israélo-arabe, mais il n'a jamais abouti, malgré les tentatives de relances. En fait deux écueils semblent insurmontables :
- plusieurs pays donnent la priorité à leurs relations bilatérales avec le monde arabe (France, Grande-Bretagne mais aussi Italie et Grèce) par rapport à une approche "communautaire"
- plusieurs pays sont essentiellement alignés sur les positions américaines et se montrent plus désireux de les suivre que d'avoir une approche "communautaire" (Grande-Bretagne, Pays-Bas, pays nordiques en particulier, mais aussi dans certains cas l'Espagne).
La dernière tentative, encore en cours, est le processus de Barcelone, lancé en 1995, mais avec seulement 12 pays arabes, riverains de la Méditerranée pour la plupart. Il vise à mettre en place un triple partenariat :
- partenariat politique et de sécurité
- partenariat économique (avec si possible la création d'une zone de libre-échange méditerranéenne en 2010)
- partenariat culturel et social
Néanmoins cette vision d'une Méditerranée unifiée bute sur des réalités politiques et des clivages presque irréconciliables. Si le nord de la Méditerranée est pratiquement unifié (tous les Etats riverains sauf la Turquie sont membres de l'UE), la rive sud se divise en Maghreb (Maroc-Algérie-Tunisie), Mashreck (Libye-Egypte), Golfe, et l'ensemble du "Levant", chaque zone ayant ses tensions propres (l'Union du Maghreb Arabe (UMA), par exemple existe davantage sur le papier que dans la réalité[1] du fait des dissensions entre l'Algérie et ses voisins, surtout le Maroc; difficiles relations Egypte-Libye; poudrière autour d'Israël, rupture entre le Golfe et le reste du monde arabe au moins sur le plan économique). L'UMA n'arrive à se mettre d'accord que sur des points "négatifs" : condamnation des sanctions contre la Libye, , condamnation de la politique israélienne, "préoccupation" relativement aux "menaces américaines contre l'Iraq" (janvier 2003), autant dire rien que du "langage automatique" sans véritable substance.
La difficulté qu'il y a à réunir des "sommets arabes", le mauvais fonctionnement de la "Ligue arabe", qui est très largement une « coquille vide » donnent la mesure de cet éclatement qui ne peut pas permettre un véritable dialogue, mais favorise effectivement la multiplication des liens bilatéraux et concurrents plutôt qu'une vision politique d'ensemble. Les résultats de Barcelone sont très en-deçà des ambitions : outre que des secteurs importants avaient été exclus d'emblée (notamment la libre circulation des personnes, au contraire un des buts à peine inavoués du processus est de contenir l'immigration arabe en direction de l'Europe), les financements européens au développement dans le monde arabe (meilleur moyen de contrer ces flux migratoire) ne s'étaient élevés en 2000 qu'à un peu plus du quart de ce qui avait été originellement envisagé. Même dans les parties les plus riches du monde arabe, la cause du libre-échange n'avance pas (on n'a toujours pas de véritable "marché commun" dans la région du Golfe). Or sans cette unification commerciale du monde arabe, il n'est pas possible d'envisager le libre-échange avec l'ensemble européen.
La situation économique du monde arabe est paradoxale : la population arabe n'est pas celle qui est la plus désavantagée en ressources naturelles, et ce n'est pas non plus la moins bien éduquée au monde. Le brillant passé du monde arabe témoigne de sa capacité à atteindre des sommets de civilisation. Cependant les 280 millions d'Arabes, soit 5% de la population mondiale, ne représentent que 1% de la production mondiale et la croissance économique dans le monde arabe a toujours été inférieure à la moyenne mondiale. En termes de performance économique, le monde arabe est avant-dernier, juste avant l'Afrique sub-saharienne et surtout de plus en plus loin de l'Asie ou de l'Amérique Latine. La part du monde arabe dans les échanges internationaux décroît sans cesse (8% en 1970, 2,7% aujourd'hui) et ceci malgré une augmentation considérable durant cette période du prix des hydrocarbures qui constituent encore aujourd'hui le plus clair de ses recettes d'exportation. Il n'y a sans doute pas une mais plusieurs explications à cette situation : le monde arabe est une zone de conflit constant : guerres civiles et guerres étrangères s'y succèdent ou s'y cumulent, l'instabilité politique et le manque de liberté y compris dans le domaine économique est la règle et paralyse le dynamisme d'une population traditionnellement commerçante, pourtant. Certains on pu évoquer le rôle de l'Islam arabe comme facteur de sous-développement (cf. David S. Landes "Richesse et pauvreté des Nations", en particulier le chapitre 24 qui traite du monde arabo-musulman : "Trahi par l'histoire").
Il y a pire : la situation économique du monde arabe est en dégradation constante. La croissance économique dans le monde arabe non pétroler est inférieure même à celle de l'Afrique subsaharienne puisque de 1985 à 1995 le revenu par tête dans le monde arabe a stagné alors qu'il augmentait de 30% dans l'ensemble du monde en développement (et même il a diminué dans des proportions considérables dans certains pays pétroliers comme l'Arabie saoudite : - 50%). Cette situation est largement due à la poursuite d'une croissance démographique rapide dans un contexte de stagnation économique générale voire de baisse en termes réels du prix du pétrole. Et comme la réislamisation réelle d'un certain nombre de pays arabes (notamment l'Egypte) se traduit par une régression du statut de la femme dont le corollaire est le maintien d'une fécondité élevée et la mise à l’écart de l’activité économique « productive », il est peu vraisemblable que cette tendance s'inverse à court terme.
Le rapport sur le développement humain dans le monde arabe (Arab Human Development Report UNDP/PNUD, New York 2002) donne une idée de l’étendue du désastre : le monde arabe n’a tiré aucun fruit des facteurs significatifs de développement qui étaient les siens durant le dernier tiers du XXème siècle : tous les indicateurs sont à la baisse, qu’il s’agisse de la productivité du travail, dela qualification, de la fuite des cerveaux de l’inégalité entre les sexes, du chômage, de l’urbanisation croissante, des système de santé, d’éducation, de logement, de recherche : la déconnection du monde arabe avec la révolution technique et les savoirs en cours est de plus en plus forte. Après avoir « raté » le virage de l’imprimerie (parce que le Coran, Parole Incréée de Dieu ne pouvait être sans sacrilège reproduite par des moyens mécaniques, mais seulement à la main), le monde arabe est en train de rater la révolution des techniques de communication : si les taux d’analphabétisme sont très élevés, la « computer literacy » ou aptitude de la population arabe à utiliser des ordinateurs est quasi-nulle. Non seulement il n’y a pas progrès, mais il y a des régressions en chaîne sauf dans certains « confettis » comme le Koweit, d’ailleurs peuplé de plus de non-Arabes que d’Arabes.
Le monde arabe et le monde européen offrent ce paradoxe : l'unité est beaucoup plus avancée en Europe, ensemble de peuples de langues et de religions différentes, avec une solide tradition d'affrontements entre eux (cf le XXème siècle) que dans le monde arabe, qui pourtant est relativement uni par une même langue et une même religion et sans contentieux historiques aussi lourds que ceux qui ont divisé l'Europe jusqu'à a fin de la première moitié du siècle dernier. Il y a 280 millions d'arabes, il n'y a pas de "Nation Arabe".
II) le monde arabe en lui-même
Il n'y a pas coïncidence absolue entre monde arabe et islam : si presque tous les Arabes sont musulmans (avec des minorités chrétiennes tout de même importantes dans certains pays), le monde arabe est minoritaire dans le monde musulman (L'Indonésie et le Pakistan comptent ensemble plus de musulmans que les 21 pays arabes).
Le monde islamique est lui-même divisé d'abord entre les chiites (70 millions dont 20 millions d'Arabes) répartis sur l'arc chiite qui va du Liban en passant par le sud de la Syrie et de l'Irak et remontant par l'Iran jusqu'au nord-ouest de l'Afghanistan) et les Sunnites (tout le reste, plus de 90% de l'ensemble musulman). Mais le monde sunnite est lui-même divisé (il y a peu de points communs entre l'islam soufi qu'on peut trouver en Turquie et le wahhabisme saoudien, qui d'ailleurs le considère comme hérétique). Sans exagérer une ligne de partage qui serait artificielle, on peut dire que jusqu'à aujourd'hui le chiisme s'est montré plus adaptable à la modernité que le sunnisme (l'Iran a pu instaurer une république sur des bases populaires sinon démocratiques, avec un statut de la femme relativement évolué; les régimes musulmans les plus "intégristes" sont tous sunnites : talibans afghans, wahhabites saoudiens, déobandis pakistanais mais aussi tous les mouvements intégristes en Algérie ou ailleurs qui se réclament le plus souvent de l'école hanbalite, une des quatre écoles juridiques musulmanes).
La balkanisation du monde arabe est largement le fait de la colonisation européenne. L'essentiel du monde arabe a longtemps été unifié sous le sceptre ottoman, avec les exceptions notables de la péninsule arabique (même si l'empire ottoman contrôlait la bande côtière du Hedjaz avec les lieux saints de Médine et La Mecque) et du Maroc, pays dont l'arabité est sujette à caution ("Le Maroc est un royaume dont la langue est l'arabe" comme l'affirme prudemment sa constitution, posant d'ailleurs une pétition de principe puisqu'en fait 40% de la population est berbérophone), et qui est depuis le XIIIème siècle (soit avant la naissance de l'empire ottoman) sous la domination d'une dynastie autochtone. L'Égypte puis le Maghreb sont été détachés de l'empire ottoman au cours du XIXème siècle, puis le reste des possessions arabes de la Turquie entre 1912 et 1923, pour former soit des colonies européennes, soit des royaumes nominaux (sous tutelle européenne). La seule partie du monde arabe qui n'a jamais été colonisée a été la péninsule arabique (création du royaume d'Arabie, proclamé en 1932, à partir de la province centrale du Najd reconquise en 1902 par Abdelaziz Ibn Séoud). L'Etat d'Israel, création ex nihilo en 1948, n'a fait que renforcer l'éclatement de la région. Les frontières des Etats arabes sont généralement artificielles (héritées d'une colonisation peu sensible aux réalités du peuplement local) et souvent très récentes, en particulier dans la région du Golfe. Le monde arabe est encore marqué par de vifs conflits frontaliers. Les plus importants sont :
- la question du Sahara espagnol, partagé ensuite entre la Mauritanie et le Maroc au grand dam de l'Algérie et d'une "république sahraouie" qu'elle est seule à reconnaître
- la question de la frontière entre Yémen et Arabie saoudite n' a été réglée qu'en 2000, reconnue par l’OUA mais qui n’existe que sur le papier, celle entre Qatar et Bahreïn en 2001, de même qu'entre les Émirats et l'Arabie.
- bien que l'Iraq ait reconnu sa frontière avec le Koweït, on peut douter de la sincérité de cet acte, la revendication irakienne étant ancienne (et cause de la guerre du golfe en 1991) De même la question du Chatt-el-Arab entre l'Iran et l'Iraq
- la question
kurde (qui intéresse la Turquie, la Syrie, l'Iran et l'Iraq) n'est pas réglée
- les frontières de l'Etat d'Israël (voire l'existence de cet
État) ne font pas l'objet d'un accord
- la question d'Alexandrette entre la Syrie et la Turquie est sinon un différend territorial, du moins une cause de mésentente durable.
- l'antagonisme soudano-égyptien est à la base un différend territorial (17.000 km2 dans la "bande d'Halaïb". En revanche le différend tchado-libyen (bande d'Aouzou) peut être considéré comme réglé.
- les frontières de l'Erythrée et de la Somalie sont problématiques
- le différend maritime entre les Émirats et l'Iran (îles de Grande Tomb, petite Tomb et Abou Moussa) n'est pas réglé.
A la balkanisation géographique s'ajoute, comme conséquence, la balkanisation des identités nationales. Certains groupes ont été séparés en plusieurs Etats (la critique selon laquelle la création du Liban est un artifice de la colonisation française qui a séparé cette région du reste de la Syrie dont elle avait toujours fait partie n'est pas dépourvue de tout fondement : cf infra : "la question libanaise"), inversement les phénomènes minoritaires (religieux, ethniques) sont importants dans le monde arabe, et aggravés l'absence de démocratie. Les plus importants sont :
- les Berbères au Maroc et en Algérie (sous groupes : les Kabyles, les Chleuhs, les Chaouias)
- les Coptes en Égypte (d'origine non arabe, et chrétiens)
- les Druzes au Liban (mais le Liban est largement une mosaïque de minorités)
- les Chiites en Iraq et en Arabie saoudite
- les Alaouites et les Ismaéliens en Syrie et au Liban
- les Kurdes en Turquie, Syrie, Iraq, Iran
- les Zaydites au Yémen
- les Palestiniens au Liban et en Jordanie, en particulier
- les Assyro-chaldéens en Iraq
- les Chrétiens, les Animistes, les Noirs au Soudan (et en Mauritanie)
Si le monde arabe est divisé en Etats souvent rivaux, chaque État est bien souvent divisé contre lui-même. Si l'on excepte certains d'entre eux qui ont été dotés assez longtemps d'une dynastie nationale capable de créer un sentiment d'appartenance à une ensemble politique ("Nation" est sans doute un terme mal adapté) comme le Maroc et l'Égypte, dans la plupart des cas, la tradition ottomane de gouvernement fondée sur le communautarisme (chaque communauté religieuse et/ou ethnique -les "millets"- est gouvernée par des institutions propres) a empêché la création d'une conscience nationale, laquelle est plutôt un décalque de l'occident, importé à la période coloniale, mais peu assimilé par les populations pour lesquelles les liens d'allégeance vont soit à des niveaux infra-étatiques (la famille, le clan) soit au niveau supra-étatique de la "Oumma", la communauté musulmane pour la majorité d'entre eux. Or la Oumma a cessé de recouvrir une notion politique depuis l'abolition du Califat en 1924.
Les tentatives de création d'un "nationalisme arabe" ou "panarabe" ont échoué. Citons :
- le baassisme (idéologie fondée par un chrétien, Michel Aflak et un musulman, Saleh Bitar) pour regrouper dans une vision "laïque" l'ensemble des Arabes. Cette vision s'est imposée par des moyens non-démocratiques en Syrie et en Iraq (par le truchement de coups d'Etat militaires, les baasistes étant souvent des militaires : l'itinéraire de cette idéologie ne peut être comparé qu'au kémalisme turc).
- le nassérisme égyptien, dont il est difficile de dire si c'est d'abord une idéologie 1) anticolonialiste 2) un nationalisme égyptien 3) un nationalisme panarabe 4) un tiers-mondisme 5) un "socialisme arabe" le nassérisme inclut en effet des éléments de ces différents courants
Baasistes et Nassériens seront des frères ennemis; le Baasisme se scindera entre Syriens et Irakiens. Aujourd'hui ces deux courants sont battus en brèche par l'islamisme, dont la première caractéristique est le refus de tout nationalisme (la seule communauté qui compte est la "Oumma"; quant aux institutions politiques, les sunnites tiennent généralement pour le califat, et les chiites pour le gouvernement par des assemblées de savants théologiens -les oulémas- encore que ce soit aussi l'option de certains sunnites comme les wahhabites ou les déobandis).
Toutes les tentatives de regroupement arabe échoueront :
-Soudan-Egypte en 1969
- Egypte-Syrie-Libye en 1971
- Egypte-Libye en 1972
- Libye-Tunisie en 1974
- Libye-Syrie en 1980
- Libye-Tchad en 1981
- Libye-Maroc en 1984
- Libye-Soudan en 1990
(Si la Libye est presque toujours citée, c'est parce que le colonel Khadafi, arrivé au pouvoir en 1969 au moment où Nasser allait disparaître, déjà ruiné politiquement par la guerre des Six Jours, essayait de reprendre le flambeau du Nassérisme; à présent, Khadafi se dit plus intéressé par l'unité avec l'Afrique qu'avec le monde arabe).
S’il faut dater la fin du « nationalisme arabe », la mention du retour de l’Egypte dans le giron américain sous la tutelle d’Anouar El-Sadate qui tirait les conséquences de l’échec de Nasser (1974) est sans doute la plus pertinente . Avec la mise sous tutelle de l’Irak, tous les régimes arabes sont intégrés ou neutralisés (la Libye s’est inclinée en décembre 2003 en acceptant de démanteler ses programmes d’armes de destruction massive, éventuellement sous contrôle international, la Syrie de Bachar el-Assad n’ose plus remuer) et la domination américaine au moyen-orient est désormais totale.
Quelles sont les causes du déclin du monde arabe ?
Cette question agite à la fois le mileu des orientalistes (en occident) et les intellectuels arabes, au moins depuis la fin du XIXème siècle. Sans qu'il soit question de dire laquelle est la bonne, deux réponses au moins ont été présentées, et une troisième se fait jour aujourd'hui, qui est sans doute la moins pertinente, mais pas la moins dépourvue de force politique :
1°) la théorie des chocs extérieurs : souvent défendue par les intellectuels arabes, et cela s'explique par la difficulté qu'ils peuvent avoir à remettre en cause leur propre modèle de civilisation, surtout s'ils sont en outre musulmans (la "vraie religion" ne saurait en effet conduire à une impasse), cette théorie consiste à dire que le monde arabe et arabo-musulman joue de malchance depuis le XIIIème siècle (la prise de Bagdad en 1258 est considérée comme la fin de l'âge d'or musulman) : les invasions mongoles, puis turques, puis les colonialismes britannique et français, puis le néo-colonialisme pro-sioniste des Américains, toutes les forces politiques dominantes (même musulmanes car tant le Grand Mogol que les Turcs Ottomans soient étaient soit se sont convertis à l'Islam) ont joué contre le monde arabo-musulman et l'ont empêché de se développer. La conséquence logique de cette théorie est que le monde arabe doit recouvrer d'abord son indépendance avant de pouvoir retrouver sa grandeur perdue (à partir de là, il y a divergence entre ceux qui recherchent l'indépendance plus sur la voie du "nationalisme arabe" type baasiste ou nassérien et ceux qui la recherchent sur la base d'une renaissance religieuse)
2°) la théorie de l'incapacité interne : souvent défendue par les orientalistes occidentaux, qui partent du constat effectivement assez incontestable de l'imperméabilité du monde arabo-musulman à la modernité depuis au moins le XIIIème siècle : à l'époque où l'Occident renouvelle ses modes de pensée (avec l'introduction dans le christianisme de l'aristotélisme et d'autres formes de la pensée grecque, et plus encore à partir de la renaissance), l'islam au contraire cesse d'évoluer, ses "quatre écoles juridiques" deviennent quatre rites figés. Mais à partir de ce constat, les interprétations divergent : certains ont tendance à considérer soit que l'islam est en lui-même une cause d'arriération économique, culturelle et politique (position synthétisée par Ernest Renan au siècle dernier : "l'islam est une religion du désert qui crée le désert partout où elle passe"), soit que l'islam est au contraire une religion ouverte, mais qui a "dévié" est s'est rigidifiée de telle manière qu'elle est devenu un carcan empêchant le monde arabe d'évoluer vers la modernité.
3°) la troisième théorie est celle des islamistes. Elle emprunte aux deux précédentes, et en fait une synthèse explosive : d'une part elle affirme que des influences étrangères au "véritable islam" (qui dans leur perspective ne peut être correctement interprété que par les Arabes) ont perverti cette religion (les Mongols et surtout les Turcs sont montrés du doigt), et il faut combattre ces influences étrangères, par la "guerre sainte" si besoin est, d'autre part elle soutient que les musulmans eux-mêmes ont perdu de vue la véritable nature de leur religion, par manque de ferveur religieuse, et que le problème est donc non pas "trop d'islam", ou même "trop peu d'islam", mais "trop peu de véritable islam". Il faut restaurer la ferveur religieuse et "revenir aux sources", et par là ils entendent les sources les plus "pures", les plus "rigoureuses", ce qui correspond à ce qu'on appelle en occident le "fondamentalisme" ou l'"intégrisme" : le Khomeynisme (Iran) chez les chiites, le Wahabisme (Arabie saoudite) ou l'école Déobandie (dans le sous-continent indien) chez les sunnites sont les principales forces politique qui se réclament de cette théorie, les plus populaires aussi, car les deux premières sont surtout un débat d'intellectuels.
Il faut remarquer que les tenants des mêmes explications peuvent appartenir à des camps opposés quand il s'agit des solutions à apporter à l'arriération du monde arabo-musulman : par exemple un orientaliste occidental, disciple inavoué de Huntington comme Bernard Lewis (très proche des néo-conservateurs américains et donc de l'administraiton Bush) considère, exactement comme Khomeiny ou Bin Laden que l'islam n'est nullement une religion rétrograde ou périmée, mais qu'il a été victime de déviances. Simplement, il semble considérer que la situation est si grave qu'il n'y a pas d'autre choix que de réformer l'islam "de force" (comme l'administration Bush se propose de le faire à partir de l'Irak, dont la conquête serait le départ d'un "remodelage du moyen-orient et donc d'une large part du monde arabo-musulman), et d'éradiquer les ferments de conservatisme stérile en imposant la démocratie et la modernité à une société qui s'en trouvera finalement bien et n'aura pas besoin de renier pour cela le meilleur de sa tradition culturelle et religieuse. C’est ce genre d’idée qui sous-tend le projet de « grand moyen-orient » (« greater middle east ») qui consisterait à mener à marches forcées le monde arabe vers plus de démocratie et d’insertion dans le libre-marché avec l’idée que cela ancrerait nécessairement cette partie du monde avec celle qui partage ces valeurs : l’occident. Vu la manière dont a jusqu’ici fonctionné ce « wilsonisme botté » en Irak depuis 2003 on peut comprendre les réserves qu’un tel projet suscite dans les capitales arabes, et émettre quelques doutes quant à sa pertinence.
Quelques considérations régionales :
a) le Maghreb : l'impasse
Les trois pays du Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie) se retouvent au sein de l'UMA ou Union du Maghreb Arabe fondée en 1989 à la faveur de la normalisation des relations diplomatiques algéro-marocaines, sont relativement unis par la géographie et le peuplement, ainsi que par l'histoire (trois anciennes colonies françaises, certes durant des périodes inégales, mais qui ont accédé à l'indépendance à peu près en même temps). L’UMA s’étend également à la Mauritanie et à la Libye Chacun de ces pays a son histoire, qui peut avoir une influence considérable sur leur cours politique actuel, ils partagent néanmoins la réalité d'une crise économique profonde : le revenu par tête stagne ou diminue fortement (surtout en Algérie, pour des raisons liées à la guerre civile[2]) et la démographie reste en croissance élevée : 70 millions aujourd'hui, les maghrébins seront 110 millions dans vingt ans ou peu s'en faut. Leur histoire coloniale et leur position géographique pousse ces pays à regarder surtout vers l'Europe, où ils ont de fortes diasporas. Le Maroc et la Tunisie ont déjà des accords d'association avec l'Union Européenne. (1995 et 1996). En fait les pays du Maghreb commercent plus avec l'Europe (2/3 de leurs flux commerciaux) qu'entre eux : le commerce intra-zone ne dépasse pas 5% des échanges extérieurs des Etats-membres. Il n’y a de réelle complémentarité économique qu’enre l’Algérie et la Libye d’une part avec le Maro et la Tunisie d’autre part : les deux premiers peuvent fournir aux deux autres des hydrocarbures contre des produits manufacturés.
Le fait est que l’ensemble maghrebin a des liens avec les nations européennes qui n'existent pas pour le Moyen-Orient arabe. Mais c'est plus là une base de discussion qu'une réalité politique. L'UMA elle-même est une coquille vide et ne réussit même pas à masquer la profondeur des oppositions entre ses membres, surtout entre le Maroc et l'Algérie : la frontière entre les deux pays est fermée depuis 1994. La création d'un ensemble économique maghrébin, préalable nécessaire avant une zone de libre-échange entre le Maghreb et l'Europe bute sur le fait que ces pays sont plus concurrents entre eux que complémentaires et ne forment pas une unité économique cohérente.
Les frontières du Maghreb ne sont pas un problème dans la partie nord de cette région : elles sont anciennes et en tous cas antérieures à la colonisation. Certains Etats sont anciens : le Maroc et la Tunisie sont des entités étatiques ou quasi-étatiques depuis longtemps. Seule l'Algérie est un pays dont l'identité est récente : tout jusqu'au nom du pays (un décret de la monarchie de Juillet, qui s'inspira du fait que la conquête du pays avait commencé par Alger, sinon le pays aurait sans doute été dénommé « Oranie » ou « Constantinois ») est le fruit de la colonisation française qui a agrégé ensemble des régions côtières autrefois indépendantes les unes des autres. En outre l'arrière- pays, le désert du Sahara, est un espace ouvert qui historiquement n'a jamais été dominé par aucun des pays du Maghreb. C'était un espace de contact avec l'Afrique noire, silloné par des caravanes de peuples non-arabes qui faisaient le commerce de l'or et des esclaves (on estime la traite à 14 millions d'esclaves africains dans les pays arabes contre 13 millions pour la traite atlantique, mais la traite arabe s'étend sur une période de 13 siècles et non pas de trois). Le Sahara a été partagé par les colonisateurs selon des lignes abstraites et géométriques, et ce partage ne s'est terminé que dans les années 1930, ce qui est très récent. Et on a découvert d'importantes richesses dans ce désert au cours des années 1950-60 (uranium, phosphates, hydrocarbures). Le résultat en est que cette région qui était traditionnellement un trait d'union pour l'Afrique du Nord est désormais une pomme de discorde, non seulement entre les pays arabes et les pays africains, mais également entre les pays maghrébins eux-mêmes : à peine l'indépendance algérienne acquise, la jeune république entre en conflit armé avec le Maroc qui réclame une partie du Sahara des anciens départements français d'Algérie (octobre 1963). Au lendemain des indépendances, pratiquement toutes les frontières sahariennes étaient contestées. Une partie seulement des contentieux a pu être réglée aujourd'hui; le principal contentieux encore vivant est celui du Sahara occidental, partagé entre le Maroc et une Mauritanie (accord tripartite avec l'Espagne, novembre 1975) dont le royaume chérifien a revendiqué la possession jusqu'en 1969 ! L'Algérie, qui est intéressée à la solution de cette question soutient la création d'un État indépendant dans les anciennes frontières coloniales du Sahara espagnol : il y a même des heurts armés algéro-marocains en 1976 (un État sahraoui lui donnerait un meilleur accès à l'océan qu'un Maroc avec lequel elle est en constante rivalité) . Mais le Maroc a mené depuis un quart de siècle une active politique de peuplement de ses provinces sahariennes où la population sahraouie d'origine est désormais très minoritaire. Malgré la reconnaissance de l'OUA, la république sahraouie n'existe et sans doute n'existera jamais que sur le papier, et en attendant, cette question empêche la véritable entrée dans les faits d'une "Union du Maghreb arabe", bien que le Maroc ait renoncé (en 1989) à revendiquer la partie du Sahara algérien (Tindouf) qu'il réclamait depuis l'indépendance de ce pays.
b) les pays du Nil (Égypte et Soudan)
L'Égypte se veut le coeur du monde arabe et l'est au moins sur le plan culturel. Elle est également le plus peuplé des pays arabes (70 millions d'habitants,soit un quart de l'ensemble arabe ou peu s'en faut). Mais c'est un pays sans grandes ressources naturelles, qui a du mal à nourrir sa population et qui est mal administré. Stratégiquement essentiel au monde arabe, comme la Syrie ("pas de guerre sans l'Égypte, pas de paix sans la Syrie" est l'adage le plus incontestable de la politique au Moyen-Orient), ce pays n'arrive pas cependant (au moins depuis la fin de l'ère nassérienne) à lui servir de phare. Quant au Soudan, c'est un pays au potentiel agricole important (le plus vaste des pays du continent) mais il est ruiné pratiquement depuis son indépendance par ses dissensions internes et ses guerres civiles. C'est un des pays les plus pauvres du monde avec moins de 300 USD de PNB/hab.
c) l'ensemble syrien
Par "ensemble syrien" on entend la "Syrie historique" telle qu'elle existait sous l'empire Ottoman, avant d'être balkanisée par les impérialismes français et anglais en : Syrie, Liban, Jordanie, Iraq, Palestine (puis Israël). C'est évidemment aujourd'hui la région la plus troublée du monde arabe. Les deux principaux Etats (Syrie et Iraq) sont en opposition historique (la traditionnelle rivalité entre Damas et Bagdad, qui furent deux sièges du Califat) et actuelle (les deux branches ennemies de l'idéologie baassiste. La Jordanie est un État tampon, peu viable politiquement et économiquement, créé par la Grande-Bretagne pour donner un royaume à un des fils du Chérif de La Mecque qui venait d'être expulsé d'Arabie par Ibn Séoud. Ce pays, gouverné par des souverains intelligents et éduqués en occident (Royaume-Uni) a compris qu’il lui fallait « préempter » l’occidentalisation pour ne pas se la faire imposer, et essaie donc d’être à la pointe de la modernisation dans le monde arabe, maintenant de bonnes relations et avec les Etats-Unis/Israël et avec les autres pays arabes (y compris l’Irak du temps de Saddam Hussein). C’est une politique d’équilibrisme qui lui a jusqu’ici bien réussi, mais qui est une prouesse quotidienne. La Jordanie craint par-dessus tout de devenir la « patrie de rechange » des Palestiniens (qui constituent déjà une bonne part de sa population) et c’est la raison pour laquelle elle a finalement renoncé à la Cisjordanie qu’elle avait d’abord annexée : ce risque est accru avec la construction du « mur de séparation » entre Israël et la Cisjordanie, car cette région n’est pas viable si elle n’est pas « branchée » sur le territoire israélien. Tous ces pays sont plus ou moins ruinés : le Liban par la guerre civile et l'occupation syrienne, la Syrie par son "socialisme", l'Iraq par dix ans de sanctions internationales (et une dette extérieure estimée à au moins 120 milliards de dollars dont 43 milliards de réparations dues au Koweit pour l’invasion de 1991, malgré le paiement de 17 milliards durant la dernière décennie), la Jordanie par les sanctions contre l'Iraq, Israel le serait sans l'aide économique américaine, malgré des bases économiques plus saines que celles de ses voisins.
- la question kurde : un problème important pour cet ensemble est le problème kurde, partagé également avec la Turquie et l'Iran. Le Kurdistan était une simple expression géographique, un ensemble tribal formant "marche" ou "zone-tampon" entre les empires ottoman, perse et russe. Le sentiment national ne s'y est développé qu'après que la région ait été divisée entre les impérialismes occidentaux (français en Syrie, anglais en Irak) et la nation turque naissante, alors que la Perse faisait place à un Iran moderne et nationaliste (dynastie Pahlevi en 1925, transformation de la Perse en Iran en 1935). Un État kurde faillit bien être créé lors de l'écroulement de l'empire ottoman mais le kémalisme et les impérialismes occidentaux s'y opposèrent. Les pays de la région s'entendirent d'ailleurs toujours pour empêcher le Kurdistan de naître (entente de Saadabad entre Iran, Irak et Turquie en 1937). Aujourd'hui le peuple kurde compte entre 12 et 25 millions de personnes, divisés en trois groupes égaux entre la Turquie, l'Irak et l'Iran, et une communauté bien moindre en Syrie. Les États-Unis qui auraient voulu se servir des Kurdes contre Saddam Hussein ont dû y renoncer devant le refus de leur allié turc qui ne veut pas que quoi que ce soit donne un espoir de naissance d'un éventuel Kurdistan. Pourtant le seul fait d'avoir créé dans le nord de l'Irak une zone dans laquelle l'armée irakienne ne peut pas pénétrer (le nord du 36ème parallèle) a eu pour effet direct de relancer la guérilla kurde en Turquie même, le Kurdistan irakien servant actuellement de base arrière au PKK de Turquie. L'éventuelle création d'un Irak fédéral dans lequel existerait un Kurdistan plus ou moins autonome serait sans doute inacceptable pour la Turquie. A l’heure actuelle la « constitution provisoire » de l’Irak donne tout de même une substantielle autonomie à la partie Kurde qui a en outre un droit de veto sur l’adoption de la « constitution définitive » (si trois gouvernorats rejettent la constitution définitive –et le kurdistan est divisé en trois gouvernorats- elle ne pourra être adoptée).
Les Kurdes d'Iran étaient divisés entre l'UPK et de PDKI qui ont d'abord conclu un accord avec le régime des Ayatollahs pour se protéger contre les Irakiens dont le régime menait contre eux une guerre totale depuis 1974. Mais ils seront perdants lors du cessez-le-feu Iran-Irak de 1988 : Saddam Hussein en a profité pour mener contre eux une guerre de quasi-extermination (y compris aux armes chimiques) pour empêcher à jamais l'Iran de se servir des Kurdes contre lui. Sous le parapluie anglo-américain, les deux mouvances ont continué à se disputer le contrôle du Kurdistan irakien, PDK du coté de la frontière turque, UPK du côté de la frontière iranienne. Bagdad en profitera même un temps (en 1996) pour réoccuper tout le Kurdistan irakien ! Les tensions dans la région sont telles que l'émigration kurde est plus forte que jamais. La situation des Kurdes n'a au fond cessé de se dégrader : sous l'empire ottoman ils étaient au moins supérieurs aux minorités arméniennes, chrétiennes. Désormais ils sont la dernière minorité d'importance qu'il importe aux Etats de la région de contrôler, d'assimiler, de disperser, en tous cas de faire disparaître.Les Kurdes sont une minorité sans grand espoir car ils ont à vaincre non pas un mais quatre Etats qui, quelles que soient par ailleurs leurs oppositions voire leurs guerres, sont au moins d'accord pour les empêcher d'accéder à l'indépendance, et dont toujours un ou deux sont alliés de la grande puissance du moment, de telle manière que leur point de vue prévaut toujours. On estime à près de 1,5 millions le nombre de Kurdes tués dans des luttes d'indépendance ou d'autonomie depuis les années 1930.
- Autre problème politique essentiel de l'"ensemble syrien", est la question de Palestine. Le projet sioniste avait pris forme à partir des années 1880, il est officialisé au congrès sioniste de Bâle en 1897. Avant 1914, plus de 80.000 colons juifs ont déjà immigré en Palestine. L'immigration se poursuit dans l'entre-deux-guerres, favorisée par la Grande-Bretagne en application de la déclaration Balfour de 1917, et la population juive représente en 1939 un tiers de la population de la Palestine du mandat.Cette immigration rapide, qui entraîne une marginalisation croissante, surtout économique, de la population arabe entraîne des révoltes arabes à partir de 1936. La guerre gèle et aggrave le conflit en même temps (tentations musulmanes de s'associer à Hitler pour contrer le projet sioniste, accélération de l'émigration juive en Palestine du fait des persécutions nazies). Au lendemain de la guerre, les Britanniques quittent précipitamment la Palestine sur laquelle leur mandat a pris fin. L'ONU propose en 1947 un plan de partage entre un État juif et un État palestinien, plan refusé par les Arabes, ce qui déclenche en 1948 la première guerre israélo-arabe au terme de laquelle Israël annexe 77% des terres palestiniennes et surtout s'empare des propriétés de 750.000 Arabes palestiniens qui ont fui les combats (la question de savoir si les dirigeants arabes avaient appelé à cet exode ou s'il a été forcé par les forces armées israéliennes est controversée entre historiens. La seconde hypothèse semble être aujourd'hui la mieux étayée). Ce problème des réfugiés palestiniens (aujourd'hui près de 3,5 millions) est encore aujourd'hui au coeur de la question de Palestine.
Du fait de la guerre des Six Jours (1967) Israël occupe en outre le Sinaï, la bande de Gaza, le Golan syrien, faisant une deuxième vague de réfugiés palestiniens (450.000). Aujourd'hui, 47% seulement des Palestiniens vivent dans la Palestine du mandat britannique. Sur 8 millions de Palestiniens (estimation), environ 3,3 millions vivent en Jordanie. Israël mène, au mépris du droit international et des résolutions de l'ONU, une politique de colonisation tout à fait semblable à celle qui fut menée par les puissances occidentales dans des pays comme l'Australie ou par les Américains au XIXème siècle, voire comme les Sud-Africains au XXème siècle : marginalisation économique de la population indigène (palestinienne), confiscation des terres, réattribuées au colons[3]. Les terres palestiniennes qui ne sont pas "rachetées" (éventuellement de force) à leurs propriétaires palestiniens sont "gelées" comme "zones militaires" (43% des terres de Cisjordanie). En 1995, un rapport de l'ONU estimait qu'Israël contrôlait ainsi 73% des terres de Cisjordanie. Les Israéliens contrôlent également 40% de la bande de Gaza Toute continuité territoriale d'un éventuel territoire palestinien est ainsi empêchée, les "zones autonomes" créées à partir de 1994 forment ainsi une peau de léopard souvent comparées aux "bantoustans" de l'apartheid sud-africain. Encore ces zones autonomes ont-elles été dévastées par les opérations militaires organisées par le gouvernement Sharon à partir de la fin 2001.
Aujourd'hui le processus de paix dont les grandes lignes avaient été fixées par les accords de Washington (1993) semble définitivement détruit, alors même qu'il n'avait pas abordé les questions essentielles du statut de Jérusalem-est, de la question de l'eau, de celle du retour des réfugiés. Ce processus n'a en fait jamais été accepté par la droite israélienne ni par la mouvance islamiste palestinienne, qui ont tout fait pour en entraver la mise en oeuvre, soit par une politique d'attentats terroristes détruisant le climat de confiance qui était indispensable à la poursuite d'un processus qui se voulait pragmatique et dynamique soit par une politique d'application de mauvaise foi des accords et de répression aveugle confondant volontairement les extrémistes terroristes et les partisans palestiniens du processus de paix (Arafat assimilé au Hamas par la droite israélienne du parti Likoud). A partir de 1995 le processus de paix s'enlise. Les accords de Taba/Oslo 2 (sept 1995) ne seront pas mis en oeuvre par le gouvernement Likoud. Le président Clinton essaiera de relancer la dynamique d'Oslo par les négociations et mémorandums de Wye River (oct 1998) et Charm-el-Cheikh (sept 1999), mais sans succès. La date du 5 mai 1999 qui devait marquer la fin de la période d'autonomie palestinienne et donc la naissance d'un État palestinien n'a pas été respectée. Dés lors l'échec de la négociation de Camp David (juillet 2000) était pratiquement inévitable. Mais désormais le fait palestinien est reconnu tant en Israël qu'aux États-Unis (alors qu'en 1969 Mme Golda Meir, premier ministre d'Israrël, déclarait à propos des Palestiniens : "Ils n'existent pas"). En septembre 2000, Ariel Sharon provoque, par une visite sur l'esplanade des Mosquées une nouvelle intifada dont les troubles le porteront au pouvoir et lui donneront tous les moyens de détruire systématiquement tous les acquis palestiniens depuis 1994. Aujourd'hui l'Autorité Palestinienne n'existe plus que sur le papier, mais l'insécurité en Israël n'a jamais été aussi grande. Selon une expression désormais consacrée : lors des guerres israélo-arabes, Israël se battait sur les territoires des Etats arabes, aujourd'hui il se bat dans son propre salon. Il n’en reste pas moins que l’administration Bush s’est laissée convaincre par le gouvernement israélien que les deux pays ont exactement le même ennemi à combattre, à savoir le terrorisme (argument spécieux car Israël a certes affaire au terrorisme palestinien, mais celui-ci n’a rien à voir, et jusqu’ici aucun lien démontré, avec les réseaux terroristes d’Al-Qaeda dans lesquels aucun Palestinien n’a jamais été impliqué). Yasser Arafat s’est donc retrouvé mis « hors jeu », mais en même temps Israël est ainsi privé de tout interlocuteur pour rechercher une solution au conflit qui l’oppose aux Palestiniens (Arafat a réussi jusqu’ici à torpiller tous les « premiers ministres » qu’on lui a imposés pour le contourner). C’est au point que certains (Américains[4]) imaginent qu’il faudrait déclarer l’autorité palestinienne « en faillite » et faire passer les Palestiniens sous une sorte de « mandat de l’ONU » qui pourrait gérer la bande de Gaza et ce qu’Israël accepterait de laisser de la Cisjordanie au futur Etat palestinien
La démographie est aussi une donnée de cet affrontement, et elle est en faveur des Palestiniens (6,2 enfants par femme palestinienne, 2,6 enfants par femme israélienne[5]). Aux rythmes de progression respectifs actuels de la population juive et de la population arabe, les Palestiniens devraient être majoritaires dans l'espace situé entre le Jourdain et la Méditerranée d'ici à 2025, et ils représenteraient 40% de la population de Jérusalem (contre un tiers aujourd'hui). Et si outre la population palestinienne vivant actuellement sur les territoires contrôlés par l'Etat d'Israël on ajoute la diaspora palestinienne dans le reste du monde (Syrie, Jordanie, Liban, reste du monde arabe et Etats-Unis on atteindrait 18,6 millions de palestiniens dans le monde en 2025. Ceci explique la politique d'immigration juive en Israël constamment menée par tous les gouvernements israéliens, avec cette conséquence paradoxale qu'un juif étranger qui s'installe dans le pays y jouit immédiatement de droits beaucoup plus étendus que l'Arabe (même israélien) qui y habite depuis 20 générations. L'autre option, non contradictoire avec la première est la séparation "physique" des deux populations, la population arabe étant cantonnée dans les territoires promis à une future indépendance., l'annexion des territoires occupés, qu'elle soit de fait ou de droit, ayant la conséquence paradoxale de sceller à terme la disparition du caractère "juif" de l'Etat d'Israël. Cette séparation « physique » a commencé à prendre corps par la construction d’un mur de séparation construit par Israel pour isoler les territoires palestiniens de la Cisjordanie, comme cela est déjà le cas pour la bande de Gaza. Ce mur cependant ne suit pas de ligne internationale comme celle du partage de 1947 ou celle du cessez-le-feu de 1967 et « préempte » donc en fait une future frontière, à l’avantage des colonies juives de Cisjordanie les plus importantes bien entendu. C’est pourquoi l’Assemblée Générale de l’ONU a saisi la Cour Internationale de Justice d’une demande d’ »avis consultatif » sur les conséquences juridiques de l’érection de cette « barrière de sécurité » (avec l’espoir, qui ne devrait pas être déçu, que la Cour déclare que sa construction est illégale et que l’état de fait ainsi créé est nul et et non avenu dans l’ordre du DIP).
On spécule actuellement sur la possiblité ou la nécessité induite par l'intervention américaine en Irak (mars 2003) d'une nouvelle initiative américaine de paix au moyen-orient, comme le processus d'Oslo avait suivi la guerre de 1991. Cependant l'administration républicaine américaine ne semble ni désireuse ni capable d'imposer sa "feuille de route" au gouvernement israélien. D'un autre côté, les espoirs déçus du processus d'Oslo (qui aurait dû aboutir à la création d'un Etat palestinien en mai 1999) ont créé au sein de la population palestinienne un état d'esprit hostile à toute nouvelle initiative du même genre, de même que la deuxième intifada a convaincu une bonne part de la population israélienne de l'inanité des perspectives de règlement poltique du conflit.
- la question libanaise est le troisième point chaud de cette région du monde arabe. Le Liban est très largement une création française. La France intervient en 1861 au profit des chrétiens maronites qui étaient en passe d'être écrasés par les Druzes, et impose en 1864 à l'empire ottoman la création d'un gouvernorat du Mont Liban sous protection française, où les Maronites constitueront 60% de la population face à 15% de Druzes et 10% de Grecs catholiques (70% de chrétiens, donc). A l'éclatement de l'Empire Ottoman (1920) ce gouvernorat, agrandi de la région côtière, de la plaine de la Bekaa et de Beyrouth, deviendra une entité distincte de la Syrie dont historiquement il n'était qu'une province. Désormais la population musulmane, du fait de ces adjonctions, équilibre la population chrétienne, qui reste légèrement majoritaire (55% en 1921, mais seulement 32% de Maronites) face à 45% de musulmans. Le Liban colonial fonctionnera toujours sur un modèle communautariste, y compris dans le domaine électoral (constitution et loi électorale de 1926), et ce modèle sera consacré par le Pacte National de 1943 qui constitue la base du système politique du Liban indépendant.
La répartition des charges publiques entre les communautés s'était faite sur la base du recensement de 1932 (on n'a jamais osé en refaire depuis) qui faisait la part belle aux Maronites : le président de la République est Maronite, le Premier ministre est musulman sunnite, le président du Parlement est musulman chiite et son vice-président est Grec-orthodoxe etc. Au Parlement, pour 6 députés chrétiens il y a 5 musulmans. Les postes de fonctionnaires sont répartis pour moitié entre musulmans et chrétiens, mais ces derniers passent avant les musulmans. Partout le critère communautaire prime celui de la compétence. Le système est bouclé de manière à ce que chacune des 6 communautés reconnues (maronite, grecque orthodoxe, grecque catholique, sunnite, chiite et druze) ait en quelque sorte un droit de veto sur l'ensemble. De 1943 à 1975, le système fonctionne de manière relativement satisfaisante, porté par une forte expansion économique qui fait du Liban la Suisse du Moyen-Orient (beaucoup de capitaux, y compris douteux, s'y réfugient).
Une première déstabilisation du pays avait été produite par les afflux de réfugiés palestiniens, surtout après la guerre des Six Jours, et à nouveau après le "septembre noir" de 1970 en Jordanie : 450.000 palestiniens sont ainsi installés en 1970 au Liban qui ne compte que 3,3 millions d'habitants; le Liban refusera toujours d'intégrer les Palestiniens à sa propre population. Des camps de réfugiés se créent qui servent de base à des actions de terroristes palestiniens contre Israël. Les autorités libanaises admettent de facto l'extraterritorialité des camps palestiniens sur leur territoire. Les accrochages libano-palestiniens se multiplient. Les Palestiniens qui représentent 15% de la population déstabilisent le système alors que les Druzes et autres mouvements arabistes veulent remettre en cause le Pacte de 1943 pour tenir compte d'une évolution démographique depuis 1950 qui leur est favorable. Ce sera l'origine de la guerre civile qui commence en 1975. La Syrie intervient militairement au Liban en 1976, à la demande des maronites (président de la République en tête). Les États-Unis laissent faire car il y voient un moyen de contenir les Palestiniens. Après une première intervention en 1978, Israël intervient massivement en 1982 (opération : "Paix en Galilée" conduite par A. Sharon) pour détruire les bases de l'OLP (Arafat se réfugie de Beyrouth à Tunis). Les Israéliens instrumentalisent les milices chrétiennes contre les Palestiniens, et favorisent la destruction de toutes les forces politiques modérées, attisant ainsi des haines inexpiables (épisode des massacres des camps palestiniens de Sabra et Chatila par les phalangistes chrétiens avec l'aide, au moins passive, des forces israéliennes). A partir de 1983, la Syrie revient en force au Liban dont elle contrôle en 1988 60% du territoire. En 1989 cependant, on ne peut aboutir à rien de plus qu'à un "toilettage" du Pacte National de 1943 (les Accords de Taëf) qui redonne un peu plus de pouvoirs à la communauté musulmane, mais le système confessionnel est maintenu. A la faveur de la seconde guerre du Golfe, la Syrie se voit reconnaître les mains libres au Liban par les États-Unis et impose le traité de "fraternité, coopération et coordination" entre les deux pays, qui prévoit un "destin mêlé" des deux Etats : le Liban devient pratiquement un protectorat syrien. Sous la pression des groupes palestiniens islamistes et autres radicaux, l'armée israélienne évacue en mai 2000 la portion du territoire libanais qu'elle occupait depuis 22 ans en coopération avec l'Armée du Liban Sud (chrétienne). Cette victoire de la violence islamiste contre l'armée israélienne, qui constitue la seule défaite de cette dernière, ne sera sans doute pas pour rien dans le déclenchement d'une nouvelle intifada quelques mois plus tard en Israël : les islamistes palestiniens s'imaginaient sans doute qu'ils pourraient vaincre en Israël comme ils avaient vaincu au Liban.
d) la péninsule arabique et le Golfe
Cet ensemble comprend un apparent géant : l'Arabie saoudite, et 5 nains : Koweït, Bahreïn, les Émirats Arabes Unis, Oman et Qatar). Le Yémen est maintenu à l'écart par ces 6 pétromonarchies regroupées dans un "syndicat", le "Conseil de Coopération des Etats arabes du Golfe (Etats "arabes" pour exclure l'Iran, et "du Golfe" pour exclure le Yémen). Il a été créé en 1981, en pleine guerre Iran-Iraq (et l'Iraq n'en fait pas partie bien qu'il soit "Arabe du Golfe". Il s'agit sans doute du regroupement le plus solide du monde arabe. En effet il regroupe 1) des monarchies conservatrices, 2) gouvernant des Etats relativement artificiels (souvent très fortement peuplés d'étrangers) 3) dont les économies sont fondées sur le pétrole (sauf pour Oman). Le Yémen à l'inverse est un pays ancien, le plus peuplé de la péninsule hors population étrangère, mais longtemps divisé (réunifié en 1990) c'est une république, un pays sans pétrole, et sans administration solide; surtout il est d'une grande pauvreté (comparable à celle du Soudan) : ce pays pauvre et peuplé est évidemment considéré comme une menace potentielle par ses voisins riches et peu peuplés.
Du point de vue arabe, le Golfe est évidemment "Le golfe arabique" (c'est d'ailleurs pour éviter de le qualifier d'arabique ou de persique ou même d'arabo-persique qu'on le désigne souvent comme "le Golfe", avec majuscule et sans adjectif dans le langage diplomatique). C'est depuis toujours le lieu de contact, de coopération et d'affrontement entre le monde indo-européen et le monde sémitique, ou entre Arabes et Perses.
Le Golfe a indiscutablement été persique du temps de la dynastie de Pahlevi, alliée des États-Unis, et "gendarme du Golfe" pour le compte des États-Unis face à l'URSS. Le poids démographique de ce pays lui assurait cette vocation autant que sa nécessité d'avoir un allié sûr face aux pays sunnites voisins (Pakistan, Afghanistan, Arabie, une partie de l'Irak, Turquie), et sa volonté d'occidentalisation à outrance : le Chah voulait faire de son pays "le Japon du monde islamique". L'Iran a en outre une cohérence nationale qu'on ne trouve pas dans les Etats arabes avoisinants, mélange de nationalisme perse anté-islamique et de sentiment religieux chiite. Face à l'Iran, l'Irak était en quelque sorte le "bouclier des Arabes", comme pays arabe le plus peuplé de la région, se voulant en outre une "Prusse du Moyen-Orient" sous la poigne de fer de Saddam Hussein. Le régime baassiste était certes honni par tous ses voisins (y compris la Syrie, pourtant baassiste elle aussi), mais selon l'expression consacrée "Si Saddam Hussein est un chien, c'est un chien de garde". Aussi le régime irakien a-t-il été constamment appuyé voire financé, notamment par l'Arabie saoudite, dans sa guerre contre l'Iran à partir de 1980. Et depuis lors, malgré la crainte qu'il continue à inspirer aux petits émirats du Golfe, le dogme de l'intégrité territoriale de l'Irak est intangible pour eux : l'éclatement de ce pays profiterait en effet à la Turquie et à l'Iran, pays non arabes, voire à la Syrie, pays arabe qui ne les inquiète pas moins. Les États-Unis eux-mêmes ont dû renoncer en 1991 à aller jusqu'à Bagdad à cause de l'opposition de leurs alliés qui ne voulaient pas de l'effondrement de ce redoutable voisin[6]. Il aura fallu le traumatisme du 11 septembre 2001 et la superbe indifférence (ou ignorance) de l'administration de George W Bush aux conséquences d'une nouvelle guerre contre l'Irak à seule fin d'en déloger S. Hussein pour qu'une nouvelle guerre soit entreprise (mars 2003) dont les conséquences ne se limiteront sans doute pas à la catastrophe humanitaire, économique, culturelle que subit actuellement la population irakienne.
La guerre lancée par l'Irak contre l'Iran en 1980 avait pour but de récupérer le Chatt-el-Arab, région arabophone rattachée à l'Iran, rattachement entériné pourtant par l'Irak en 1975 par un accord (qui avait surtout pour but de faire cesser l'appui iranien aux Kurdes d'Irak). Cette région est vitale pour l'Irak qui n'a qu'un débouché très étroit sur le Golfe et se trouve donc réduit à des pipelines passant par d'autres pays pour évacuer son pétrole. Faire du Golfe sinon un lac irakien, du moins un condominium irano-irakien aurait donné à l'Irak barre sur les petits émirats de la péninsule arabique qui seraient devenus ses clients. Inversement, pour l'Iran, la guerre devait viser à étendre la révolution islamique (d'autant que le sud de l'Irak est chiite). La guerre sera inexpiable (on cite généralement le chiffre d'un million de morts) et se terminera sans véritable vainqueur : l'Iran, qui avait au départ un potentiel supérieur (et notamment une population triple ou quadruple de celle de l'Irak) a été désavantagé par le fait que son régime était en butte à l'hostilité occidentale alors que l'Irak était financé par les pétromonarchies et armé par les pays occidentaux. L'Irak termine la guerre surarmé et surendetté, estimant avoir protégé les Arabes sunnites des Iraniens chiites, il s'estime peu payé de retour par ses "protégés". Le refus du Koweït de renégocier la dette irakienne et des conflits d'intérêts sur des champs pétrolifères frontaliers seront l'étincelle qui fera éclater la seconde guerre du Golfe (août 1990-février 1991), dont les conséquences immédiates seront :
- renversement des alliances : la Syrie prend le parti des États-Unis (comme elle avait pris le parti de l'Iran dans la guerre Iran-Irak : l'hostilité à Badgad domine tout). La Syrie récupère une certaine respectabilité internationale, comme l'Iran, et empoche même des compensations financières. On lui laisse en outre les mains libres au Liban.
- l'Irak renonce à tout ce à quoi il s'était battu de 1980 à 1988 contre l'Iran dont il achète ainsi la neutralité.
- L'Iran récupère une certaine respectabilité internationale, voire réintègre le concert des nations (la question des relations avec les États-Unis n'étant cependant pas réglée).
- la Turquie voit dans ce conflit le moyen de renforcer son ancrage dans le monde occidental, voire de prouver que son alliance est "indispensable" à l'Europe
- les Américains devront racheter la frustration que la seconde guerre du Golfe impose au nationalisme arabe par des pressions sur Israël pour lancer un processus de paix (Madrid 1991; Oslo 1994)
- l'OLP se trouve pour un temps discréditée aux yeux des Américains et des monarchies arabes qui la financent (Arabie saoudite en particulier). En effet, depuis son départ de Tunis elle s'était repliée à Bagdad et a donc pris fait et cause pour le régime irakien.
- la Jordanie se retrouve dans une position critique : elle dépend largement de l'Irak, notamment pour ses approvisionnements en énergie, mais sa politique pro-occidentale lui interdit de soutenir ce pays, alors que sa propre population, à 50% palestinienne, est pro-irakienne. Elle subit de plein fouet les conséquences des sanctions qui détruisent l'économie irakienne à laquelle l'économie jordanienne était intimement liée.
- Israël est obligé par les Américains à conserver un "profil bas" durant le conflit, et notamment à ne pas répliquer aux attaques "SCUD" irakiennes, Saddam Hussein essayant de faire dégénérer le conflit en affrontement monde arabe/occident, alors qu'il s'agit avant tout d'un conflit inter-arabe.
- le monde arabe est plus éclaté que jamais. Désormais il est légitime pour un pays arabe de s'opposer aux autres, il n'est plus nécessaire de conserver même une unité de façade, dernier hommage au nassérisme ou au nationalisme arabe de quelqu'origine qu'il soit. Les États-Unis sont durablement confortés dans leur rôle d'acteur central de la région, sans lequel rien ne peut se faire, et qui n'a désormais plus aucun contrepoids (l'Union Soviétique s'est effondrée, et la Russie a conservé un profil bas durant la crise). En revanche ils n'ont pas su gérer leur victoire et dix ans après le problème irakien reste entier.
- les pays arabes les plus riches sont affaiblis, et plus dépendants que jamais de l'économie occidentale (la guerre a coûté 135 milliards de dollars au Koweït, 80 milliards à l'Arabie saoudite etc).
- l'Irak et ruiné pour une voire deux ou trois générations : pertes financières de l'ordre de 300 milliards de dollars, sanctions économiques drastiques qui ramènent les taux d'analphabétisme et de malnutrition à des niveaux pratiquement africains, alors qu'il s'agissait d'un des pays les plus modernes du proche-orient. Depuis la guerre de 2003, il est plongé dans un chaos qui risque d’être aggravé par une franche guerre civile entre sunniutes et chiites à partir de juin 2004 si la restitution de la souveraineté irakienne a un gouvernement nommé par les Américains et donc peu légitime aux yeux de la population s’accompagne d’un retrait ou simplement d’un non-engagement supplémentaire des Etats-Unis et de la communauté internationale de ce pays qui apparait de plus en plus comme ingouvernable.
- pour l'Arabie saoudite, le bilan est mitigé : pertes financières mais augmentation de sa part de marché pétrolier puisqu'elle a pratiquement récupéré celle de l'Irak (qui ne reconstituera la sienne qu'a partir de l'augmentation de la demande globale de pétrole). En revanche la légitimité du régime, qui a dû faire appel aux "infidèles" pour sa défense, est minée. On se souviendra qu'Oussama bin Laden fait de ce thème un des arguments centraux de sa "guerre sainte" contre les Al-Saoud.
- L'Egypte a renforcé sa position au Moyen-Orient au point de passer pour un État indispensable. Elle a diminué sa dette extérieure de moitié grâce aux compensations financières que lui ont valu sa participation à la coalition.
A ces conséquences s'ajoutent celles du 11 septembre 2001 et de la guerre de mars 2003. L'Irak ajoute à ses pertes financières des 12 années précédentes le cout d'une reconstruction qui peut être chiffrée à au moins 600 milliards de dollars. L'Arabie saoudite est désormais considérée comme un régime non fiable[7], et peut-être un pays à démembrer (notamment pour constituer un émirat chiites du Hasa dans les régions pétrolières du nord du pays). En outre son régime politique, apparemment stable, peut être remis en cause à l’occasion d’une succession qui s’annonce délicate[8]. L'aporie de la démocratisation de cette partie du monde arabe, qui est en principe une des bases du "remodelage" de la région envisagée par Washington est qu'une véritable démocratisation amènerait sans doute au pouvoir des gouvernements fortement anti-américains, soit par nationalisme, soit par islamisme, soit par une combinaison des deux : c'est bien grâce à la nature anti-démocratique des régimes du Caire ou de Riyad d'ailleurs que les Etats-Unis peuvent compter sur l'appui de gouvernements arabes, et non pas "malgré" cette nature anti-démocratique.
e) la corne de l'Afrique
Il est difficile de considérer les pays de la corne de l'Afrique comme "arabes" même si deux éléments les rapprochent du monde arabe : le peuplement arabe y est important (quoique non exclusif) et l'islam y est largement diffusé (quoique non absolument dominant). Ces pays (Somalie et Djibouti; l'Erythrée y est parfois ajoutée) se caractérisent surtout par une grande pauvreté et font davantage partie de l'ensemble africain que de l'ensemble arabe.
L'ensemble des pays arabes est regroupé dans une "Ligue Arabe" créée en 1945 et qui regroupe 21 pays + la Palestine (OLP). Cette organisation s'est cependant révélée impuissante pratiquement depuis le début, ne trouvant à s'unir que "contre" des puissances extérieures (les puissances coloniales au début, Israël aujourd'hui). La césure est en effet profonde entre pays "progressistes" et "conservateurs". Le nassérisme a été une pomme de discorde; la guerre du Golfe a également introduit un clivage important au point qu'il est difficile aujourd'hui de convoquer un "sommet arabe". La fraction conservatrice du monde arabe (les pétromonarchies, avec l'Arabie saoudite à leur tête) ont créé en 1969 une organisation plus large et concurrente : l'Organisation de la Conférence Islamique (OCI) qui regroupe plus de 50 pays bien au-delà du monde arabe, mais s'exprime souvent sur le même ordre du jour.
IV) - forces et faiblesses stratégiques du monde arabe.
Le monde arabe dispose de ce point de vue d'une force : le pétrole, et souffre d'une faiblesse : l'eau.
Le monde arabe produit à peu près un tiers du pétrole mondial, mais ce qui est plus important, c'est un pétrole essentiellement exporté (à plus de 80%), en sorte que plus de la moitié du pétrole environ 45% du pétrole commercialisé internationalement est arabe. Le pétrole constitue ainsi une arme politique potentielle, qui a d'ailleurs été utilisée en 1973. Même pour les États-Unis, le pétrole arabe n'est pas une ressource marginale : ils en importent pour 23% de leur consommation, tandis que l'Europe en importe pour 40% et le Japon pour 80% ce qui établit une véritable dépendance du monde développé par rapport à cette ressource naturelle, même pour les États-Unis car le marché du pétrole étant un marché d'excédents, le monde arabe dispose de tous les moyens nécessaires pour peser sur les cours, et d'autant plus que le pétrole arabe se trouve généralement dans des zones où il est de bonne qualité et facile d'exploitation, en sorte que les producteurs arabes (surtout l'Arabie saoudite) peuvent très facilement augmenter leur production en cas de besoin[9]. Sa liberté dans ce domaine n'est limitée que par ses propres besoins de financement, qui sont énormes, et sa dépendance politique et militaire vis-à-vis de l'occident (l'Arabie saoudite, par exemple, dépend exclusivement pour sa sécurité des moyens militaires américains. La commercialisation du pétrole arabe lui-même dépend de la sécurité de routes maritimes (détroit d'Ormuz, mer Rouge et canal de Suez, pipe-lines continentaux) qui sont sous le contrôle des États-Unis, mais aussi des compagnies pétrolières qui raffinent, transportent et distribuent ce produit, et qui sont toutes occidentales. L'arme du pétrole n'est donc pas totalement entre les mains des Arabes, surtout dans un contexte où l'on découvre de plus en plus de pétrole, et pas exclusivement dans le monde arabe.
On peut également s'interroger sur les effets pervers de la manne pétrolière. En 1980, les revenus pétroliers arabes ont été multipliés par 45 par rapport à 1970 (ils se sont restreints depuis et ne sont plus aujourd'hui "que" de 20 à 25 fois ce qu'ils avaient été en 1970. Cependant il n'y a pas eu, malgré cette formidable injection de capitaux, de développement économique véritable dans les pays arabes pétroliers, dont la richesse reste encore aujourd'hui essentiellement commerciale et rentière, alors que dans le même temps les pays du sud-est asiatique réussissaient un véritable décollage industriel. En fait, le plus clair de la rente pétrolière arabe a été placé dans les pays occidentaux dont elle a dopé la croissance économique : les pays arabes n'offrent pas à l'heure actuelle un contexte favorable au placement des capitaux. Instabilité politique et absence de cadre juridique stable et favorable, absence d'infrastructures économiques, inexistence d'une main-d'oeuvre active et bien formée sont les causes de cette situation paradoxale.
Si les pays arabes sont richement dotés en pétrole, en revanche ils sont pauvres en eau : 5% de la population mondiale, mais seulement 1% des ressources, et encore sont-elles (comme le pétrole) très inégalement réparties. Seuls l'Irak, le Liban le Maroc et le Soudan se situent actuellement un peu au-dessus du seuil de 1000 mètres cubes/habitant/an qui est considéré comme nécessaire dans un contexte économique de développement normal. Les autres pays sont tous en dessous, même l'Égypte malgré le Nil, parce que le pays est très peuplé[10]. Et la croissance démographique encore rapide d'un certain nombre de pays arabes devrait contribuer à aggraver la situation. Qui plus est, l'essentiel des ressources en eau du monde arabe lui vient d'autres régions : les grands fleuves des pays arabes : Euphrate et Tigre, ont leur source en Turquie (88% du débit de l'Euphrate, et 40% de celui du Tigre[11]), et le Nil ou dans des pays africains non arabes (86 % des eaux du Nil et 95% de ses eaux de crue viennent d'Ethiopie[12]). Enfin une partie de ces ressources est actuellement gaspillée, notamment par une agriculture archaïque et dont on n'arrive à faire évoluer que très lentement les méthodes. A un degré moindre que pour les bassins de Mésopotamie et du Nil, la question politique d'Israël est aussi une question liée à l'eau, l'Etat juif contrôlant depuis 1967 les sources du Jourdain, au détriment notamment de la Cisjordanie et de la Jordanie. Cette question passe un peu inaperçue seulement à cause de la gravité des autres. 2/3 des besoins en eau de l'Etat d'Israël sont pompés à partir de ressources qui lui sont extérieures (notamment la nappe phréatique de Cisjordanie). Les eaux des territoires occupés ont été déclarées "ressources stratégiques" et sont sous contrôle militaire de la puissance occupante.
La conséquence directe du problème de l'eau est la dépendance alimentaire, quasiment irréversible à terme prévisible, du monde arabe. Si le monde arabe dispose de l'arme du pétrole, il se trouve donc inversement sous la menace d'une famine virtuelle. La demande alimentaire en est au rythme du doublement tous les 20 ans à cause à la fois de la croissance démographique et de la modification des habitudes alimentaires (qui incluent davantage de viande, laquelle demande plus de productions agricoles que l'alimentation simplement végétale). Irak et Égypte ne produisent que 5% de leur nourriture, l'Algérie seulement 40% : et encore s'agit-il des pays arabes qui ont le plus fort potentiel agricole du monde arabe ! La conséquence de cette dépendance alimentaire est une constante sortie de devises de ces pays, une obligation d'exporter pour se nourrir, une grande dépendance des gouvernements à la question des subsistances, qui est en elle-même porteuse d'instabilité politique. Or aucune politique d'autosuffisance alimentaire n'a pu être mise efficacement en place, sauf en Arabie saoudite où on produit du blé à prix d'or, grâce à une manne pétrolière qui est cependant en passe de devenir insuffisante et au pompage de nappes phréatiques non renouvelables (eau captive, comme le pétrole).
Appendice : la politique américaine actuelle vis-à-vis du monde arabe.[13]
Il est difficile d'évoquer la géopolitique du monde arabe sans mentionner un acteur essentiel pour la région, quoique lui étant extérieur géographiquement : les Etats-Unis.
La présence américaine dans le monde arabe est relativement récente. Cette présence s'est d'abord manifestée économiquement par l'action des grandes compagnies pétrolières américaines qui se sont intéressées en particulier à l'Arabie saoudite (les autres régions pétrolifères du moyen-orient étaient à l'époque sous domination coloniale européenne) avec la création de l'ARAMCO (Arab-American Company). Les ressources pétrolières du monde arabe sont devenues rapidement stratégiques dans l'entre-deux-guerres, et plus encore durant la seconde guerre mondiale ce qui amena le président Roosevelt à sceller en 1945 une alliance avec le roi Ibn Séoud. Ce partenariat baroque (on peut difficillement imaginer deux cultures plus aux antipodes l'une de l'autre que le libéralisme américain et le wahabisme saoudien) est néanmoins une nécessité pour les deux pays : le pétrole saoudien est incontournable pour les Américains et la sécurité que procure l'alliance américaine est nécessaire pour les Saoudiens, sans qu'aucun d'eux puisse recourir à un partenaire de remplacement. En revanche l'implication des Etats-Unis aux côtés d'Israël est à la fois plus logique et plus surprenant :
- plus logique, parce que les idéaux de la société américaine (liberté écnomique et politique, société ouverte) et la prégnance de la culture biblique dans ce pays rendent naturellement l'Etat juif, qui les partage à la différence de l'essentiel du monde arabe, sympathique à l'opinion publique des Etats-Unis.
- plus suprenante, parce que les Etats-Unis ont toujours mené une politique très réaliste, et que de ce point de vue Israël n'apporte rien aux Etats-Unis : au contraire, c'est un sujet de friction avec ses alliés et fournisseurs arabes, une source de dépenses budgétaires sans contrepartie, voire un élément pertubateur dans le débat politique américain.
On ne peut pas expliquer le soutien systématique des Etats-Unis à Israël comme cela est fait dans la plupart des pays arabes en invoquant la toute-puissance du "lobby juif" sur les institutions politiques américaines. Certes ce lobby existe : l'AIPAC (Americain Israeli Public Affairs Committee) est régulièrement placé par toutes les études comme l'un des plus puissants lobbies américains tant sur le plan financier que sur le plan politique; il n'est le plus souvent surclassé que par la NRA (le lobby des détenteurs d'armes à feu). L'électorat juif-américain est cohérent, discipliné, et concentré dans les Etats les plus importants de l'Union : New York (31 grands électeurs), Floride (27 grands électeurs) et Californie (55 grands électeurs) qui représentent à eux trois 40% des voix nécessaires pour être élu président des Etats-Unis, et l'on sait qu'il est plus important dans cette perspective de remporter les collèges électoraux des Etats que le vote populaire (cf élection Bush/Gore). Cela serait néanmoins tout à fait insuffisant s'il n'y avait pas aussi la force de tous les lobbies chrétiens fondamentalistes (Majorité Morale, "bible belt" du Sud etc) qui en démultiplient la force et rendent l'attitude envers Israël une question incontournable pour tout candidat à la Présidence voire au Congrès. Toutes les enquêtes d'opinion montrent que 50 à 60% au moins de la population américaine en général considère Israël comme un "allié" et que 30% considèrent cet Etat comme un "ami" des Etats-Unis. Aucun pays arabe, loin s'en faut, n'approche ces scores, et ce n'est pas le climat né des attentats du 11 septembre 2001 qui risque de changer la donne.
Il faut toutefois remarquer que, fidèles à leur politique réaliste, les Etats-Unis ont tardé à apporter à Israel le soutien inébranlable qui est observé aujourd'hui. Jusqu'à la guerre des Six Jours, par exemple, ils se sont refusés à armer Israël (on fait encore valoir malicieusement aux Etats-Unis que c'est la France et la Grande-Bretagne qui ont fait avancer la recherche nucléaire israélienne au point de mettre cet Etat sur la voie de la puissance nucléaire, et le fait est que dans les années 1950 voire jusqu'à la guerre des Six Jours, ces deux pays étaient particuilièrement proches d'Israel (cf l'affaire de Suez en 1956).
La politique actuelle des Etats-Unis a été façonnée par trois grands moments : la guerre des Six Jours et la guerre du Kippour tout d'abord. Les Etats-Unis ont alors décidé d'une part qu'ils devaient apporter une aide décisive à la pérennité de l'Etat d'Israël, d'autre part qu'ils devaient sinon "racheter" du moins équilibrer cette politique par une politique de soutien actif aux Etats arabes modérés, au premier rang desquels l'Egypte, qui est le plus peuplé (alors que dans la période précédente ils l'avaient laissé glisser dans le camp soviétique en avec Nasser). Aujourd'hui Israël est le premier destinataire de l'aide civile et militaire étrangère par tête du budget américain. La guerre contre l'Irak (1990-91), enfin, a renforcé la nécessité d'un nouvel "équilibrage" qui a été fourni par l'appui voire le déclenchement d'un processus de paix (Oslo, Madrid), qui devait permettre à terme la création d'un Etat palestinien, condition indispensable pour désamorcer l'hostilité générale des populations arabes envers les Etats-Unis (car si les Etats-Unis entretiennent des relations étroites avec plus d'un gouvernement arabe, ils ne se font aucun doute sur la représentativité de ces gouvernements et les sentiments de la "rue arabe" à leur égard; si tel avait été le cas, les explosions de joie au Caire et ailleurs lors des attentats du 11 septembre leur auraient ouvert les yeux). De même, on ne peut pas séparer l'annonce en 2001 du soutien officiel du président Bush à la création d'un Etat palestinien à son hostilité croissante (annonciatrice d'une action militaire visant à renverser Saddam Hussein, finalement décidée en mars 2003) envers l'Irak en même temps qu'à la tension croissante entre le monde arabe et les Etats-Unis du fait de la dislocation du processus de paix et aux actions contre les talibans, auxquels s'identifie toute une partie du monde arabo-musulman, au-delà des réseaux intégristes de Bin Laden.
L'Irak est un pays relativement à part dans cette stratégie. Les Etats-Unis l'ont toujours regardé avec suspicion dans la mesure où il a toujours fait partie des "durs" contre l'Etat d'Israël (les Etats-Unis ont d'ailleurs aidé Israël à détruire la centrale nucléaire Osirak que la France bâtissait en Irak). Mais surtout, ce pays qui était le plus avancé économiquement et techniquement au moyen-orient risquait de le déstabiliser par son pouvoir militaire, par sa capacité potentiellement proliférante dans le domaine nucléaire, bactériologique et chimique. Les Etats-Unis ne peuvent tolérer un Irak développé au moyen-orient qu'à condition de contrôler son gouvernement, faute de quoi il représente une menace intolérable pour ses deux alliés "incontournables" : Israël et l'Arabie saoudite. De ce point de vue, les opération militaires de 1991 représentaient un "unfinished job", et tous les observateurs prêtaient à l'actuel président Bush l'intention d'achever le travail de son père. La guerre de 2003, si elle fut rapidement terminée en tant qu’elle avait pour but de chasser Saddam Hussein, n’évolue cependant guère favorablement depuis lors, au point qu’on parle de plus en plus de « nouveau Vietnam ».
[1] C'est ainsi qu'il n'a pas été possible de réunir un sommet des 5 chefs d'Etat de cette organisation depuis 1994 (or les chefs d'Etat sont les véritables décideurs de ces pays). Le dernier sommet, au niveau des ministres des AE, s'est tenu en janvier 2003 à Alger et n'a abouti à rien (il s'agissait d'ailleurs d'une réunion qu'on a tenu "pour la façade" car on la reportait sans arrêt depuis juin 2002, date à laquelle elle devait se tenir originellement.
[2] Comme le note L. Murawiec (« La guerre d’après » Albin Michel Paris 2003 p. 89 : « Le brain drain a encore affaibli un pays saigné à blanc par le règne corrompu des militaires qui avaient sans vergogne joué la carte de l’anti-impérialisme, de la haine de la France, de l’arabisation forcée, et de l’islamisation à outrance ».
[3] En l'an 2000 on comptait 215 colonies de peuplement dans les territoires palestiniens occupés 185.000 Israéliens ont été installés en Cisjordanie, 6.000 à Gaza, 175.000 à Jérusalem-est.
[4] Il s’agit de Martin Indyk, qui fut un des principaux protagonistes de la médiation américaine au proche-orient pour l’administration Clinton, dans un article de « Foreign Affairs » en mai-juin 2003.
[5] si on prend les statistiques pour la seule ville de Jérusalem, l'écart est moindre à cause de la forte natalité des Juifs Orthodoxes qui s'y concentrent : 3,8 enfants par femme israélienne, 4,5 par femme palestinienne.
[6] Avec pour l’Arabie saoudite cette crainte particulière qu’un éclatement de l’Irak, et l’autonomisation des chiites du sud du pays risquait de stabiliser le nord de l’Arabie, notamment le Hasa, qui est peuplé de chiites et se trouve en outre être le lieu des principaux gisements de pétrole saoudien.
[7] L. Murawiec (op cit. p 107) note «La famille royale saoudienne et Ben Laden partagent 96% de leur ADN (...)L’Arabie saoudite est-elle avec ou contre le terrorisme ? elle est les deux à la fois et en même temps. Elle fait en permanence le grand écart entre le soutien à toutes sortes de jihad et de jihadis, et un effort pour pour les endiguer et n’être ni affectée ni éclaboussée par les retombées »
[8] lire sur ce sujet : « Arabie Saoudite : les défis de la succession » Alain Gresh - La documentation française, sept.2002, « Monarchies arabes »
[9] C'est ainsi que l'Arabie saoudite a pu augmenter en 1990 en quelques mois sa production de 5,5 à 8,4 millions de barils-jour pour remplacer le pétrole irakien, qui était sous embargo. Aujourd'hui encore, elle serait capable de passer en quelques semaines à près de 10 millions de barils-jour, simplement en ouvrant plus largement ses pipes-lines, sans infracstuctures supplémentaires.
[10] 70 millions d'habitants aujourd'hui, sans doute 120 millions d'habitants dans 20 ans : les ressources en eau ne suivront pas, non plus que la superficie irrigable. Et l'aménagement du bassin du Nil, qui serait nécessaire, est un casse-tête politique plus encore que technique.
[11] Il n'existe actuellement aucune coopération hyraulique entre la Turquie, la Syrie et l'Irak, au contraire ces trois pays sont en opposition, non seulement entre Turquie d'une part et les deux pays arabes de l'autre, mais la Syrie et l'Irak sont eux-mêmes en opposition
[12] Le problème le plus aigu est celui de l'Egypte qui sera en 2025 moins peuplé que l'Ethiopie, laquelle refuse pour le moment toute coopération en matière hydraulique, comptant sur une exploitation plus grande des eaux du Nil qu'elle détient pour son développement agricole, ce qui n'est pas compatible avec une meilleure irrigation de l'Egypte.
[13] sur cette question on lira avec profit l'article de Steven Simon "Washington et le monde arabe" dans "Politique Internationale n°94, hiver 2001-2002 dont les développement qui suivent s'inspirent largement.