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Peut-il y avoir une compétence universelle des Etats ? - Relations internationales - Geopolitique - Droit international

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Peut-il y avoir une compétence universelle des Etats ?

 

la reconnaissance croissante, ces cinquante dernières années, de l’existence de valeurs communes a conduit à la mise en œuvre de mécanismes de compétence universelle. Le principe de compétence universelle énonce que tout Etat peut – et dans certains cas doit -  poursuivre les crimes commis par des étrangers  à l’étranger, dès lors que ces crimes sont qualifiés crimes internationaux. (I).

    Traditionnellement, trois types de compétence sont reconnus aux tribunaux nationaux:

- la compétence territoriale,

- la compétence personnelle,

- la compétence matérielle ou de sauvegarde (pour certains crimes portant atteinte aux intérêts ou à la sécurité de l'Etat).

 

    Ces principes exigent tous un lien entre l'acte commis et l'Etat faisant valoir sa compétence.

 

I. Si le principe de compétence universelle est ancien, sa portée s'est considérablement affirmée et étendue dans la deuxième moitié du XXe siècle.

 

    A. La compétence universelle est un principe ancien issu de la doctrine et de la coutume internationale confortée par la jurisprudence.

 

1°) Un principe issu de la doctrine : la justification philosophique de la compétence universelle.

    L’idée de compétence universelle est déjà présente dans l’œuvre de Hugo Grotius, l’un des fondateurs du droit international. Il considérait en effet que les infractions au droit des gens constituaient des crimes relevant de tous. Pour lui, l’Etat sur le territoire duquel se trouvait l’auteur d’un tel crime devait soit le poursuivre, soit le remettre à l’Etat requérant (De jure belli ac pacis, 1625). Grotius est ainsi à l’origine de la règle aut dedere, aut judicare (soit extrader, soit juger), qui permet aux Etats de juger des infractions commises à l’étranger, par des étrangers, contre des étrangers.

    Aujourd’hui ce qui justifie la compétence universelle c’est l’idée que des crimes  violant les valeurs universellement admises ne puissent rester impunis.

 

2°) Un principe qui s'est d'abord appliqué dans la  pratique internationale confortée par la jurisprudence .

.    Le principe de compétence universelle s’est appliqué tout d’abord, dans la coutume internationale, aux actes de pirateries en haute mer. Dans les années vingt, la célèbre affaire du Lotus avait constitué un précédent : à  la suite d’un abordage survenu en haute mer, un navire français avait été arraisonné par les autorités turques. La Turquie avait jugé et condamné le capitaine français et la Cour permanente de justice internationale, acceptant la compétence du tribunal turc, a énoncé en 1927 une règle fondamentale : pour un exercice légitime de compétence pénale sur son territoire, l’Etat n’a pas besoin d’y être autorisé ou habilité par l’ordre juridique international (arrêt n°9 du 7 septembre 1927, CPJI, affaire du Lotus, France c. Turquie).

 

    B. La portée de la compétence universelle a été considérablement élargie à partir de 1945 à travers son intégration dans le droit conventionnel et le droit interne des Etats, et la création de juridictions pénales internationales.

 

1°) L'intégration de la compétence universelle dans le droit conventionnel et le droit interne des Etats.

a) L’intégration dans le droit conventionnel :

- la Convention de Montego Bay sur le droit de la mer,

- les quatre Conventions de Genève du 12 août 1949 (en cas de violation grave du droit humanitaire, obligation pour les Etats d’exercer la c. u.),

- la Convention du 16 décembre 1970 pour la répression et la capture illicite d’aéronefs (article 4 § 2, compétence simplement établie, sans obligation pour les Etats),

- la Convention contre l’apartheid du 30 novembre 1973 (article IV),

- la Convention européenne pour la répression du terrorisme de 1977,

- la Convention contre la torture adoptée à New York le 10 décembre 1984 (art.6, obligation pour les Etats d’exercer la c. u. même envers des agents de la fonction publique).

S’agissant des crimes contre l’humanité, il n’existe pas de mécanisme conventionnel de c. u.. Cependant d’aucuns admettent que, progressivement, les crimes de génocide et les crimes contre l’humanité puissent être soumis à la compétence universelle en vertu du droit coutumier international (cf. la décision du Tribunal de District de Jérusalem de 1961 dans l’affaire Eichmann, les juges ont fait expressément référence à l’existence d’un droit international coutumier relatif aux crimes contre l’humanité).

 

b) L’intégration dans le droit interne des Etats :

- Exemples de compétence universelle « conditionnée » (i.e. assortie d’un critère de rattachement, l’accusé devant résider ou être de passage sur le territoire : le Code pénal allemand (§ 6 chap. 9) et le Code de procédure pénale français (art. 689-1 et suiv.).

- Exemples de compétence universelle « absolue » (i.e. non assortie de l’exigence de la présence de l’accusé sur le territoire national : en Espagne, la loi sur le pouvoir judiciaire n°6/1985 du 1er juillet 1985, telle qu’amendée par la loi n°11/99 du 30 avril 1999 (art. 23) ; en Belgique, la loi du 16 juin 1993 telle que modifiée par la loi du 10 février 1999. La loi de 1993 a toutefois été modifiée en avril et en juin 2003 avec l’ajout d’un critère de rattachement.

  

2°) La création de juridictions pénales internationales

    Une compétence universelle résulte des statuts des tribunaux internationaux de l’ex-Yougoslavie et du Rwanda. L’article 29 du statut du TPY et l’article 28 du statut du TPR (organisant la coopération de l’entraide judiciaire entre le Tribunal et les Etats) ne mentionnent aucune restriction tendant à limiter la coopération aux nationaux accusés d’avoir commis des violations graves du droit international.

    La CPI instituée le 1er juillet 2002 a une vocation universelle et est habilitée à juger tous les individus ayant commis des crimes tels que le génocide, l’agression, la torture…

 

II. Le principe de compétence universelle se heurte néanmoins à des difficultés d'application et à des limites.

 

    A. Des difficultés d'application

 

1°) Un principe longtemps inappliqué

    Si la très grande majorité des Etats ont ratifié les quatre conventions de Genève du 12 août 1949 et la convention du 10 décembre 1984 contre la torture, peu d’entre eux ont adapté leur législation nationale de façon à y incorporer l’obligation de participer à la lutte contre l’impunité. En outre, quelques-uns ont adopté des définitions internationales plus larges ou plus étroites que ces conventions (cf. I.B.1°)b)), ce qui est a l’origine de nombreuses difficultés.

    Ainsi, de nombreux Etats ont-ils subordonné l’exercice de la c. u. à un critère de territorialité (présence de l’accusé sur le territoire) : France, Allemagne…

    De plus les tribunaux nationaux exerçant la c. u. n’ont pas toujours les moyens de collecter les preuves ce qui conduit à des acquittement faute de preuves : Goran G. acquitté par un tribunal militaire suisse le 23 avril 1997, Dusko Cvjetkovic acquitté le 31 mai 1995 du chef de génocide en Autriche.

   

2°) Des succès néanmoins.

    C’est surtout depuis les années 1990 que la compétence universelle a trouvé à s’exercer. A cet égard, la création des deux TPI pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda a joué un rôle non négligeable.

    Exemples d’application de la c. u. :

- l’affaire Eichmann (1961), original en ce que les juges se sont fondés sur la coutume,

- l’affaire Pinochet (cf. l’autre fiche technique),

- en Belgique, quatre Rwandais ont été déférés, en 2001, devant la cour d’assises de Bruxelles , pour avoir commis des crimes étant prévus par la convention de Genève de 1949 et leurs protocoles additionnels I et II

    B. Les limites de la compétence universelle : d'une compétence universelle absolue à une compétence universelle conditionnée ?

 

1°) Les limites de la compétence universelle absolue ou intégrale

    Quatre raisons militent à l’encontre d’une compétence universelle absolue :

- risque d’impuissance du juge lié au risque de multiplication sans limite des poursuites,

- risque d’atteinte aux droits fondamentaux de l’accusé en cas de jugement par contumace,

- si tous les pays se mettaient à pratiquer un système modelé sur la loi belge, les risques d’appréciations divergentes seraient grands,

- enfin le juge national finirait par être investi de fonctions qui, normalement, devraient revenir aux autorités politiques et diplomatiques. Il s’ensuivrait une entorse dangereuse au principe de séparation des pouvoirs.

2°) D'une compétence universelle absolue à une compétence universelle conditionnée.

    La CIJ prône l’exercice d’une compétence universelle conditionnée par les tribunaux internationaux. Ainsi, lors de l’Affaire relative au mandat d’arrêt du 11 avril 2000, la Cour a-t-elle estimé dans son arrêt du 14 février 2002 (RDC c. Belgique) que les chefs d’Etat et de gouvernements ainsi  que les ministres des Affaires étrangères jouissent d’immunités, y incluant l’immunité de juridiction, tant qu’ils occupent leurs fonctions. C’est cette voie qu’a emprunté la Belgique lors de la révision de la loi de 1993 en avril et juin 2003.

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