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La région des Grands Lacs ne correspond pas à un territoire précisément délimité, mais on peut considérer qu’elle comprend le Kivu – province à l’Est de la République Démocratique du Congo, ex-Zaïre (dont la capitale est Kinshasa)–, l’Ouganda (dont la capitale est Kampala), le Rwanda (dont la capitale est Kigali) et le Burundi (dont la capitale est Bujumbura). |
Non seulement ces Etats présentent des similitudes en matière de développement économique (une très forte densité de population, une économie arriérée et une pauvreté impressionnante), mais surtout ils ont tous fait preuve de leur vulnérabilité aux tensions ethniques qui ont abouti à une série de guerres civiles depuis le début des années 1990. Ce conflit de basse intensité aurait fait plus de 2 millions de morts.
Clivages et crispation identitaires, privatisation de la violence, défaillance de l’Etat, logiques économiques, jeu de pouvoir étatique expliquent cette tragédie.
Répartition ethnique : 85% Hutus, 14,5% Tutsis et 0,5% Twas.
Une division ethnique exacerbée par le colon belge
Il y a débat sur l'origine de cette distinction en ethnies : artificielle et forgée en grande partie par les colonisateurs ou reposant sur des différences réelles ? Les Hutus et les Tutsis parlent la même langue (le Kinyarwanda), ils ont des coutumes et des rites communs, la population est enchevêtrée sans qu'on puisse parler (avant le génocide) de "Hutuland" ou de "Tutsiland". Mais le peuplement est distinct : la population d'origine est l'ethnie pygmée des Twas. Les Hutus cultivateurs sont arrivés au Ier s., et les Tutsis pasteurs, au XIIIème s., mettant en place la monarchie rwandaise. Les colons belges (obtiennent mandat en 1922 lors de la défaite de l’Allemagne privilégient les Tutsi (morphologiquement plus proches des Européens : les thèses de supériorité raciale sont exacerbées par le colon) qui contrôlent la vie économique et politique (le colon belge peut ainsi déléguer l’administration du pays aux Tutsi, qui en tant que minorité ne risque pas de leur nuire).
Le problème des réfugiés
La « révolution sociale » Hutue de 1959 contre cette hiérarchie sociale se solde par la fuite de 70 000 Tutsis qui se réfugient dans les pays voisins notamment en Ouganda et au Congo-Zaïre. Les persécutions se poursuivent après l’indépendance (1962) qui voit l’instauration d’un pouvoir hutu.
Les réfugiés tutsis, premiers de l’histoire contemporaine de l’Afrique subsaharienne, vivent confinés pour la plupart dans des camps du HCR.
En 1982, 200 000 Tutsis descendants des 70 000 réfugiés sont victimes de persécutions en Ouganda. Refoulés, ils s’installent le long de la frontière rwando-ougandaise dans des conditions très difficiles. Ce drame les incite à exiger leur retour au Rwanda, d’où la création du Front Populaire Rwandais (FPR). Dans ce contexte, de nombreux Tutsis prennent part dans la rébellion en Ouganda et aident à la prise de pouvoir de Yoweri Museveni en 1986.
Ce dernier, après son accession au pouvoir en Ouganda en 1986, veut récompenser ses alliés tutsis qui représentent en outre un danger pour son jeune régime. Il soutient donc la lutte du F PR contre le pouvoir hutu en place à Kigali soutenu de son côté par le Zaïre, la France et la Belgique ce qui lui permit de contenir un temps les assauts. L’incapacité du pouvoir rwandais à vaincre les combattants tutsis du FPR n’avait finalement d’autre issue que le partage du pouvoir qui fit l’objet d’accords conclus à Arusha (Tanzanie) en 1993 et qui devaient entrés en application en 1994. Dans ce cadre est adoptée par le Conseil de sécurité la résolution 872 d’octobre 93 : instituant la MINUAR (mission des Nations Unies d’assistance au Rwanda) 2500 hommes mandatés pour veiller à l’application des accords.
Le génocide
Au Rwanda, la perspective d’un retour des Tutsis est perçue avec crainte en raison du souvenir des massacres de Hutus en 1972 et en 1988 au Burundi ainsi que l’assassinat du président hutu du Burundi Ndadaye en 1993 mais aussi du manque de ressources foncières face à l’explosion démographique (la taille des exploitations agricoles a été divisée par 2 de 1965 à 1984).
Accusée d’avoir préparé l’attentat, la minorité Tutsi est pratiquement éliminée (environ 700 000 morts). Toutefois, le FPR profite de la fragilisation du régime pour prendre le contrôle du pays le 4 juillet 1994. La Mission d’Assistance des Nations Unies au Rwanda (Minuar) créée pour mettre en œuvre les Accords d’Arusha (Résolution 872 du Conseil de Sécurité du 5 octobre 1993) se révèle incapable de maîtriser la situation et se contente d’organiser le départ des ressortissants étrangers. Soumis à une forte pression médiatique, le gouvernement français se propose de mener l’intervention humanitaire (demande accordée par la résolution 929 du Conseil de sécurité du 21 juin 1994). L’opération Turquoise vise notamment à instaurer une « zone humanitaire sûre » censée servir de zone tampon au Kivu.
Pour juger des crimes particulièrement graves commis lors du génocide rwandais est institué à Arusha (Tanzanie) le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) : résolution 955 du 8 novembre 94 du Conseil de Sécurité.
Le Burundi
Le Burundi a des caractéristiques physiques (superficie et densité ± identiques) et ethniques analogues au Rwanda. La décolonisation entraîne le monopole du pouvoir par les Tutsis minoritaires. Les révoltes hutues (1972) sont réprimées par des massacres. Une résistance militaire hutue s'organise (FRODEBU) et fait pression pour obtenir des élections libres en juin 1993. Le candidat Hutu Ndadaye l'emporte mathématiquement mais les Tutsis refusent le résultat : c'est la guerre civile (50 000 à 100 000 morts et 800 000 réfugiés, c’est à dire 20% de la population). Le président Hutu puis son successeur sont assassinés. Avec la victoire des Tutsi au Rwanda, la violence s’intensifie et le pouvoir se militarise. En juillet 1996, le président Hutu est destitué par le major Pierre Budoya qui met en place un pouvoir relativement modéré mais le retentissement des évènement rwandais est facteur de déstabilisation.
Le Kivu
Composition ethnique : ethnies autochtones (50% au Nord et 80% au sud), les Banyarwandas (Tutsi et Hutu) et les Bayamulengues (Tutsi du sud Kivu). Cette province du Zaïre présente dès les années 90 des velléités d’émancipation se sentant plus proche du Rwanda et du Burundi. Pour contrer ce mouvement, M. Mobutu (élu président du Congo-Zaïre en 1965), utilise les rancœurs des ethnies autochtones contre les bayamulengues. Les pogroms commencent en 1993 et sont accentués par le génocide rwandais : installation de 1.5 millions de réfugiés Hutus au Kivu.
Le conflit rwandais, les flux de réfugiés qui en ont résulté, l’imbrication ethnique ont donné naissance à un conflit régional de « basse intensité » autour de problématiques ethniques, politiques mais aussi économiques qui se déroulent dans l’est de la république Démocratique du Congo.
L’arrivée au pouvoir du FPR (tutsi) au Rwanda entraîne l’exode de 1.2 millions de Hutus vers le Zaïre voisin. Ceci reproduit, de manière symétrique, la même situation qu’en 1959 si bien que les autorités rwandaises entreprennent dès 1996 d’éliminer les camps de réfugiés qui abritaient de nombreux miliciens hutus impliqués dans les massacres de 1994.
Cette attaque se fait de manière indirecte en automne 1996 via les miliciens Banyamulenge (Tutsis installés de longue date au Congo).
Au même moment, une nouvelle force congolaise entre en lice : l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre (AFDL) dirigée par Laurent-Désiré Kabila, rebelle congolais depuis les années 60. Il parvint à renverser, avec l’aide des miliciens tutsis le Maréchal Mobutu en place depuis l’indépendance et soutenu par la France en mai 1997. Kabila proclama la République Démocratique du Congo en lieu et place du Zaïre. Pour récompenser ses alliés tutsis, il entreprend la destruction des camps de réfugiés hutus. Un des résultats, outres les milliers de morts, fût la fuite de nombreux miliciens hutus vers les pays voisins (Centrafrique, Congo-Brazzaville, Angola) où ils représentent une source d’insécurité (réfugiés-mercenaires).
La seconde guerre (août 1998) :guerre continentale et pillage du Congo
Causes
En août 1998, Kabila déclenche la deuxième guerre du Congo pour secouer le joug de ses voisins et alliés devenus trop gênant : le Rwanda et l’Ouganda. Aussitôt une rébellion, le Rassemblement congolais pour la démocratie- RCD) soutenue ou fomenté par le Rwanda et l’Ouganda prend le contrôle de vastes territoires dans l’est de la RDC. Le Rwanda va jusqu’à tenter la prise de Kinshasa par une opération aéroportée qui avorte notamment à cause du patriotisme congolais mais surtout de l’appui des nouveaux alliés de Kabila –Zimbabwe et Angola. La guerre prit alors une dimension continentale. Kabila est assassiné en janvier 2001 par cette rébellion.
Complexification du conflit
Après l’échec de cette attaque éclair, le conflit s’est enlisé :
- division de la rébellion RCD entre forces pro-rwandaises (RCD-Goma) contrôlant l’est du Congo et froces pro-ougandaises dirigées par le fils d’un ancion baron de Mobutu (MLC : Mouvement pour la Libéartion du Congo) contrôlant le nord du pays. Les deux groupes s’opposant eux-mêmes au pouvoir de Kinshasa soutenu par des pays voisins (Namibie, Angola, Zimbabwe, Tchad).
- Opposition violente entre autochtones et étrangers pour le contrôle de la terre et des richesses minières.
- Lutte entre les miliciens hutus qui ont survécu à l’exil et le pouvoir rwandais.
Le pillage du Congo
Les enjeux économiques du conflit liés au contrôle des richesses minières (diamant, or, coltan) ont pris une dimension primordiale. La guerilla se double d’une activité criminelle de pillage des ressources et de trafic. Ainsi, par exemple, les luttes violentes entre forces rwandaises et ougandaises pour le contrôle de la région de Kisangani visaient la mainmise sur les ressources diamantifères. Par ailleurs, l’Ituri possèderait des réserves pétrolières non négligeables. Ceci a provoqué l’entrée en scène d’autres acteurs notamment des groupes mafieux et des firmes multinationales.
Des « alliances mouvantes »
Succession d’alliances des différents pays voisins :
-Ouganda soutient le FPR en 90, l’Angola en 97
-Alliance de Ouganda, Rwanda, Burundi, Zimbabwe et Angola contre le régime de Mobutu en 97
-Mais l’Ouganda et le Rwanda se retournent contre Kabila, leur ancien protégé, alors que l’Angola et le Zimbabwe soutiennent Kabila. (Le Soudan- qui avait soutenu avant Mobutu contre Kabila- la Namibie, le Tchad et la Lybie le soutiennent aussi).
Intérêts divers
- Disposer de voisins stables à leurs frontières
- En découdre avec Mobutu. Par exemple pour l’Angola : renverser Mobutu, dernier allié de l’Unita de Jonas Savimbi.
- Raisons économiques : Zimbabwe veut pénétrer le marché congolais. De plus il a peur de ne pas être remboursé de la dette contractée à son égard par Kabila en cas de changement de régime.
- Raisons ethniques (Rwanda, Burundi)
Perspectives de paix
Les Congolais sont fatigués de la guerre et la communauté internationale est parvenue, par pression diplomatique, à obtenir le retrait des troupes rwandaises et ougandaises du sol congolais en 2003.
Cela n’empêche pas la poursuite de la lutte par milices interposées mais constitue un progrès indéniable.
La présence de soldats français depuis septembre 2003 dans la région de Bunia, relayés par d’autres troupes mandatées par l’ONU a aussi permis d’apaiser les affrontements.
Par ailleurs, le dialogue inter-congolais a débouché sur les accords de Sun City (Afrique du Sud) le 2 avril 2003 et la formation d’un gouvernement d’unité nationale dirigé par Joseph Kabila (fils du précédent), regroupant toutes les parties et la société civile. Il jouit d’une image positive auprès des pays du Nord (essentiel pour l’APD).
Il est encore trop tôt pour dire si cette initiative va permettre de mettre fin au conflit et renforcer l’Etat au Congo.
Un risque majeur pèse cependant, à terme, sur la région : la démographie. Avec une croissance annuelle de 3%, une densité de plus de 300hab/km² (France : 100) dans des pays essentiellement ruraux, les risques de massacres futurs sont réels. Faute de politique démographique, une solution régionale de migrations inter-étatiques reposant sur la coopération est seule envisageable.