Dans le système titiste, la fidélité de toutes les communautés était acquise au régime, en échange de garanties réelles de protection. Le modèle titiste de protection des identités a volé en éclats en même temps que la Fédération yougoslave. Les Etats successeurs cherchent à tirer toute leur légitimité de leur caractère national. |
Cette évolution a été à peu près couronnée de succès dans le cas de la Croatie, au prix de l’exode de la majeure partie de la population serbe de cette république (13). En Macédoine, la volonté de fonder la légitimité de l’Etat sur une approche ethnonationale a failli faire basculer le pays dans la guerre civile. La « révolution » démocratique d’octobre 2000 a remis sur le devant de la scène l’enjeu de la constitution de la Serbie en Etat-nation.
L’hypothèse d’un probable éclatement de l’union de la Serbie et du Monténégro, dernier avatar de la Fédération yougoslave, amènera la Serbie à devenir indépendante. Cette indépendance la poussera-t-elle à se définir en Etat mononational ou en société multiethnique ? Et, d’une manière générale, les Etats balkaniques parviendront-ils à fonder les sources de leur légitimité politique autrement que sur des bases ethnonationales (14) ?
Il importe de manière vitale de sortir d’une approche qui présente l’Etat national comme le seul cadre politique viable, et qui postule que la constitution de ce type d’Etat serait inscrite dans une sorte de loi universelle de développement des sociétés humaines. Si tel n’était pas le cas, de nouveaux affrontements territoriaux seraient probablement inéluctables, et les « petits peuples », les minorités oubliées par le choc des nationalismes, payeraient encore une fois ces conflits au prix fort.
Dans des sociétés multiethniques, le pluripartisme se solde pourtant bien souvent par une ethnicisation du jeu politique. La Bosnie offre un exemple classique de ce phénomène. Lors des élections multipartites de 1990, les trois partis nationalistes, le Parti de l’action démocratique (SDA, musulman), le Parti démocratique serbe (SDS) et l’Union démocratique croate (HDZ), obtiennent des résultats correspondant à l’importance relative des groupes qu’ils entendent représenter, même si près d’un tiers des citoyens ont, cependant, fait le choix de voter en faveur des partis non nationaux (12). Depuis, aucun projet politique n’a pu s’imposer en transcendant ces barrières ethniques.
L’apparition de ces minorités nationales est une conséquence directe de l’affirmation des Etats-nations : tant que la légitimité politique de l’Etat n’est pas fondée sur des critères ethnonationaux, la notion de « minorité nationale » n’a pas de sens. De plus, les frontières des Etats ne peuvent pas correspondre aux territoires, largement idéalisés, des nouvelles nations, entraînant l’apparition de minorités transfrontalières.
Mais qu’est-ce qu’une nation, ou qu’est-ce qu’un peuple dans les Balkans ? Les critères « objectifs » communément reconnus - la langue, l’appartenance confessionnelle, etc. - s’entremêlent selon des combinaisons toujours variables. Si l’appartenance confessionnelle représente la barrière la plus évidente entre les Serbes orthodoxes et les Croates catholiques, en revanche les Albanais forment un seul peuple, tout en se partageant entre musulmans, orthodoxes et catholiques.
Les « Balkans » (en turc, montagnes) sont une péninsule qui comprend géographiquement : Grèce, Albanie, Serbie, Croatie, Slovénie et Roumanie. Mais les pays qui n'appartiennent pas aux «noyaux durs » orthodoxe ou musulman récusent parfois cette étiquette : Croatie (M. Tudjman a introduit dans la constitution croate l'interdiction de toute intégration aux Balkans) et Slovénie qui appartiennent depuis 1978 à la communauté de travail « Alpen-Adria » qui reconstitue plus ou moins la double monarchie. Au contraire d'autres revendiquent l'identité balkanique comme un défi face à l'Occident. Pour certains États, l'identité balkanique n'est pas certaine : la Roumanie appartient incontestablement à l'Europe centrale pour le nord (Transylvanie) mais le sud du pays (Valachie notamment) peut être considéré comme balkanique.
Problème de la périphérie : la Hongrie n'appartient pas aux Balkans mais est concernée à cause de l'importante minorité hongroise en Voïvodine, menacée par Belgrade, de la minorité magyare en Roumanie et à cause de ses liens privilégiés avec la Croatie et la Slovénie (hérités du temps de l'empire d'Autriche, actualisés par Alpen-Adria à laquelle adhèrent 5 comitats hongrois).
Religions : au moins 3 (catholicisme, orthodoxie et islam) avec une majorité orthodoxe. Ethnies : Slaves en majorité (les Musulmans bosniaques sont serbes d'origine), Bulgares, Grecs, mais aussi des minorités : Tatars, Tsiganes, Arméniens, Tcherkesses, Kurdes... Alphabets : cyrillique et latin (souvent les 2 dans un même pays).
Problème de ces théories : il n'existe pas de Balkans en tant que tel mais une multiplicité de cas nationaux, une diversité de structures ethniques (Bosnie et Kosovo p.ex., alors qu'ils sont tous les 2 musulmans), une divergence d'attitudes politiques (Grèce + Serbie face à la Bulgarie, tous les 3 sont orthodoxes), une différence de niveaux de vie économique et administrative entre la Grèce et l'Albanie (balkaniques tous les 2 mais non slaves)... Il est difficile de cerner autrement que géographiquement (et encore, les auteurs s'opposent pour savoir si le Danube moyen est ou non une frontière des Balkans ou si ceux-ci ne s'arrêtent qu'à la fin des plis carpatiques) une identité balkanique.
L'ancienne République populaire fédérative de Yougoslavie comptait 6 provinces dont les frontières ne coïncidaient pas avec les ethnies et 2 « nationalités » (peuples dont la majorité vit hors de Yougoslavie), Voïvodine et Kosovo. Après la guerre : République fédérative de Yougoslavie (RFY, Serbie+Monténégro) et pays indépendants.
Seul pays ex-yougoslave à être homogène et à s'être intégré sans problème à l'Europe centrale et alpine à laquelle il appartient culturellement.
Le problème de la minorité serbe subsiste, ainsi que celui des rapports avec les Musulmans bosniaques. La Croatie conserve des visées expansionnistes (démantèlement de la Bosnie-Herzégovine au profit de la Serbie et d'elle-même ; c'est déjà la monnaie croate, la kuna, qui circule en Herzégovine) qu'elle doit néanmoins mettre au second plan si elle veut ne pas indisposer ses partenaires européens (membre du Conseil de l'Europe depuis 1995, candidate à l'adhésion européenne).
Centre géographique, historique et politique des Balkans. 1er pays à s'être libéré de la domination ottomane au XIXème s. Les minorités serbes dans les autres pays se sentent perpétuellement opprimées (souvenir notamment du massacre de 400.000 à 700.000 Serbes par les Oustachis croates pendant la Deuxième guerre mondiale). Problèmes intérieurs : le Kosovo. La région est historiquement serbe : mythe du « champ des Merles », victoire des Turcs en 1389. Les Serbes considèrent les Kosovars comme traîtres à double titre : Serbes d'origine, ils se sont ralliés à l'envahisseur ottoman et sont devenus musulmans. Aucune tradition multiculturelle au Kosovo, contrairement à la Bosnie-Herzégovine : les rapports entre les Serbes et les Albanais ont toujours été conflictuels ; États occidentaux peu favorables à son indépendance de peur qu'elle ne produise la sécession des Albanais de Macédoine. Autres menaces autonomistes (Hongrois de Voïvodine et des Musulmans du Sandjak).
Problèmes extérieurs : visées expansionnistes sur la Bosnie-Herzégovine, liens de Belgrade avec la Republica Srpska (République serbe de Bosnie). Celle-ci semble s'être engagée sur la voie de la modération (cf. transfert de la capitale de Pale à Banja Luka, fief des modérés) avec le gouvernement Dodic, soutenu par la SFOR, qui s'est engagé à respecter les accords de Dayton. Le problème est de savoir si elle pourra sans l'aide de Belgrade contrebalancer la puissance militaire de la fédération croato-musulmane armée par les États-Unis dans le cadre du programme « Train and equip ».
Menacée par la Serbie et la Croatie qui veulent se la partager. Subit parallèlement une politique d'islamisation par les dirigeants bosniaques. Les accords de Dayton ne sont pas appliqués (liberté de circulation des personnes entre les différentes entités, droit au retour des réfugiés...) et le nettoyage ethnique se poursuit : expulsions et destructions d'habitations se poursuivent dans les territoires contrôlés par les Croates et les Serbes. Le travail du TPIY demeure peu important et les institutions communes sont paralysées, un problème important n'a pas été réglé : celui de la ville de Brcko, capitale à la fois pour les Serbes (le couloir de Brcko assure la continuité entre les territoires serbes en Bosnie occidentale et en Bosnie orientale) et pour les Bosniaques (la Bosnie n'a pas d'accès à la mer, Brcko est leur unique accès à la Save et donc au trafic fluvial international).
Bosnie-Herzégovine 1996 : Une
paix incertaine et fragile
Marqué depuis son commencement, le 6 avril 1992, par une nette supériorité de
l'armée de la "république serbe" autoproclamée sur ses adversaires bosniaques
(Armée bosniaque - ABH -, majoritairement musulmane) et croates (Conseil de
défense croate, HVO), le conflit en Bosnie-Herzégovine a connu un brusque
retournement à l'été 1995. En juillet, la chute des enclaves musulmanes de
Srebrenica et de Zepa, suivie du massacre de plusieurs milliers d'hommes, avait
donné l'impression d'une supériorité et d'une impunité persistantes des forces
serbes. Mais, dès le mois d'août, une nouvelle offensive contre l'enclave
musulmane de Bihac a été contrée par l'armée de la République de Croatie qui, en
balayant la "république serbe de Krajina" constituée sur son territoire, a
désenclavé cette ville. Un mois plus tard, un bombardement meurtrier sur
Sarajevo a provoqué des frappes aériennes massives de l'OTAN contre les forces
serbes, que l'armée bosniaque et le HVO ont mises à profit pour reprendre 15 % à
20 % du territoire bosniaque. Ce renversement militaire s'explique par des
évolutions politiques antérieures. D'une part, il reflète le renforcement
progressif de l'armée bosniaque et du HVO, après la fin des affrontements
croato-musulmans en mars 1994, et l'épuisement tout aussi progressif de la
"république serbe", accéléré par la crise de ses relations avec la République
fédérative de Yougoslavie (RFY, réunissant Serbie et Monténégro) en août 1994.
D'autre part, il a traduit le durcissement de la communauté internationale face
à une "république serbe", de plus en plus isolée dans son intransigeance. Cette
nouvelle donne militaire et diplomatique a facilité la médiation du diplomate
américain Richard Holbrooke. Deux accords préliminaires sur l'avenir de la
Bosnie-Herzégovine ont été signés en septembre, et un cessez-le-feu général est
entré en vigueur un mois plus tard. Enfin, après de difficiles négociations sur
la base militaire américaine de Dayton (Ohio), des accords de paix ont été
conclus le 21 novembre. Ils ont été officiellement signés le 14 décembre 1995 à
Paris par les présidents bosniaque Alija Izetbegovic, serbe Slobodan Milosevic
et croate Franjo Tudjman. Une semaine plus tard, le remplacement de la Force de
protection des Nations unies (Forpronu) par une Force d'application
(Implementation Force, Ifor), forte de 60 000 hommes, dont 20 000 Américains, a
confirmé le rôle dominant des États-Unis dans cette dernière phase du conflit.
Des accords complexes et ambigus Le tournant de l'été 1995 a correspondu à des
évolutions politiques plus profondes, et n'a pas contredit la dynamique générale
du conflit bosniaque. De même, les accords de Dayton ont largement entériné la
constitution de territoires ethniques en Bosnie-Herzégovine, finalité première
de ce conflit. Avec ces accords, la Bosnie-Herzégovine s'est retrouvée partagée
en deux entités: la Fédération croato-musulmane (49 % du territoire bosniaque)
et la République serbe (51 %). Chacune de ces entités dispose de sa propre
Constitution, de sa propre police et de ses propres forces armées, et a "le
droit d'établir des relations bilatérales spéciales avec les États voisins". La
Fédération croato-musulmane, créée en mars 1994 par les accords de Washington,
est elle-même composée de neuf cantons (quatre musulmans, deux croates, trois
mixtes), et dotée d'institutions associant représentants musulmans et croates.
Sur un modèle similaire, les accords de Dayton ont conçu des institutions
communes à la Fédération croato-musulmane et à la République serbe (Parlement
bicaméral, Présidence collégiale, Cour institutionnelle, Banque centrale)
chargées de la politique étrangère et des questions monétaires et douanières,
ainsi que diverses instances de médiation et d'arbitrage (Commission des droits
de l'homme, Haut représentant de l'ONU, force de police internationale). Enfin,
les accords ont prévu la poursuite des criminels de guerre par le Tribunal
international pour l'ex-Yougoslavie, créé en février 1993 par l'ONU, le libre
retour des réfugiés et l'organisation d'élections générales, conditions
préalables à un rétablissement durable de la paix. Le dispositif mis en place
par les accords de Dayton s'est donc révélé complexe et ambigu, voire paradoxal.
Entérinant le résultat militaire et politique du conflit, ces accords prétendent
en effacer les conséquences humaines et morales. Laissant ouverte une
perspective de réintégration à long terme de la société bosniaque, ils limitent
à une période d'un an le mandat de l'Ifor. L'application des accords de Dayton a
d'emblée rencontré de nombreuses difficultés. Le volet militaire a été respecté,
mais au prix de graves effets pervers: la restitution des quartiers de Sarajevo
tenus par les forces serbes, suivie du départ de 50 000 Serbes environ, a donné
au désenclavement de la capitale bosniaque un goût amer. Surtout, leur volet
civil, dont la supervision de l'application est revenue au Haut représentant de
l'ONU, Carl Bildt, est resté lettre morte: ainsi à l'été 1996, Radovan Karadzic,
inculpé de génocide par le Tribunal international, a démissionné de la
présidence de la République serbe, mais n'avait pas été remis à la Cour de La
Haye; la libre circulation des personnes restait partielle, et quelques
opérations de "nettoyage ethnique" (expulsion forcée des populations) étaient
encore signalées. Ce genre de difficultés n'était d'ailleurs pas limité aux
relations entre entités constitutives. En juin 1996, la "république croate
d'Herceg-Bosna" autoproclamée continuait de fonctionner, et les retours de
réfugiés déplacés lors des affrontements croato-musulmans restaient
exceptionnels. Les multiples tensions internes à la Fédération croato-musulmane
se sont cristallisées autour de Mostar, ville partagée entre une partie croate
et une partie musulmane, et placée depuis mars 1994 sous la tutelle de l'Union
européenne. En janvier et février 1996, de graves incidents ont contraint
l'administration européenne à différer le rétablissement de la libre circulation
entre les deux parties de la ville, et à renoncer à la création d'un grand
arrondissement central mixte. En signe de protestation, l'administrateur
européen Hans Koschnik a démissionné le 25 février 1996; il a été remplacé un
mois plus tard par Ricardo Perez Casado. Enfin, les élections municipales
organisées le 30 juin 1996 à Mostar se sont déroulées dans un climat tendu et
ont abouti à une victoire sans partage des deux listes conduites par les partis
nationalistes musulman et croate (48 % et 45 % des suffrages, respectivement).
Maintien des partis nationalistes Comme l'a montré le test de Mostar, les partis
nationalistes ont maintenu leur emprise sur leurs populations respectives. Sur
les territoires contrôlés par le HVO, la Communauté démocratique croate (HDZ)
exerçait toujours un pouvoir sans partage. Sur les territoires contrôlés par
l'armée bosniaque, le durcissement du Parti de l'action démocratique (SDA,
musulman) a été symbolisé par la destitution du Premier ministre Haris Silajdzic
en janvier 1996, et par l'entrée en force des représentants du courant islamiste
dans ses instances dirigeantes. Les partis d'opposition ont, à plusieurs
reprises, dénoncé la mainmise du SDA sur l'armée, l'administration et la
télévision, ainsi que diverses mesures d'intimidation à l'encontre des médias
indépendants. En République serbe, l'arrêt des hostilités a permis l'émergence
d'un pluralisme limité, mais les courants les plus extrémistes du Parti
démocratique serbe (SDS) ont conservé le contrôle des institutions, comme l'a
montré la destitution du Premier ministre Rajko Kasagic par R. Kazadzic en mai
1995. Ce climat politique, allié aux incertitudes de l'après-guerre et à la
dépendance extrême de populations composées pour plus de moitié de personnes
déplacées et privées de tout revenu propre, augurait mal du déroulement comme de
l'issue des élections générales, prévues pour le 14 septembre 1996.
Elle n'est plus menacée extérieurement (elle était l'objet traditionnel de revendications et d'invasions par la Bulgarie, la Serbie et la Grèce), mais subsistent des problèmes de minorité : forte minorité albanaise (30% de la population) avec laquelle elle est en conflit permanent (donc n'accepte pas de réfugiés albanais dur son sol), et un contentieux avec la Grèce (relations normalisées après une médiation de l'ONU mais des problèmes demeurent, notamment sur le nom traditionnel du pays que la Grèce voudrait voir changer, ce que refuse le pouvoir macédonien). Jouit de la protection américaine (a été sortie de la guerre dès le début du conflit yougoslave par l'installation de soldats américains) précisément parce qu'un conflit en Macédoine provoquerait l'intervention de ces trois puissances et un embrasement des Balkans tout entiers. Restent les problèmes internes : frustration de la forte minorité albanaise de ne pas être reconnue comme un « peuple constitutif » et de ne pas avoir droit à un enseignement dans sa langue.
Ses problèmes étaient essentiellement politiques et internes avant la guerre du Kosovo. Il existait des problèmes ethniques (minorité turque, opposition entre les Guègues du Nord et les Tosques du Sud, Tsiganes) mais ils ne sont pas très graves (les rapports avec la minorité turque s'étaient détendus). Ce n'étaient pas nécessairement des problèmes balkaniques (la République tchèque connaît aussi un problème tsigane). Les problèmes essentiels étaient ceux de la transition entre un régime communiste et un régime de démocratie libérale : dérive mafieuse, corruption, dérive autoritaire du gouvernement… L'embargo contre la Serbie a favorisé le trafic d'armes, de matières premières et de drogue sur le territoire albanais. Le conflit du Kosovo a fait resurgir les problèmes ethniques à l'extérieur (la moitié des Albanais se trouve hors du territoire national) et a aggravé les problèmes intérieurs (afflux massif de réfugiés kosovars sur son sol).
À l'extérieur, le problème roumain est essentiellement des tensions avec la Hongrie : la Hongrie au temps de la double monarchie possédait une bonne partie de l'actuelle Roumanie, et la Roumanie abrite une importante communauté magyare. En mars 1990 des heurts entre Roumains et Hongrois de souche dans la région de Tirgu-Mures ont montré la persistance du problème. A l'intérieur, le régime politique traverse une crise de légitimité due à la crise économique et monétaire qui entraîne la montée du chômage et la baisse du niveau de vie. Cependant les nationalistes radicaux sont en perte de vitesse depuis 1996 et cette même année un traité de base a été signé entre la Hongrie et la Roumanie. La Roumanie est de plus en plus tournée vers l'Occident (engagement euro-atlantique) et, revendiquant son appartenance à l'Europe latine, se détourne des problèmes balkaniques.
Son problème principal est les relations plus que tendues avec la Turquie. Il y a les questions bilatérales traditionnelles : délimitation du plateau continental et des eaux territoriales (application ou non du droit de la Grèce à étendre ses eaux territoriales à 12 milles en vertu de la Convention de 1982 sur le droit de la mer, question qui a donné lieu à des incidents majeurs au nord de la mer Égée en 1976 et en 1987), militarisation de la région, Chypre, tracé de la frontière entre les deux pays en mer... En ce qui concerne les relations strictement balkaniques, elles sont encore tendues avec la Bulgarie concernant la Macédoine (et avec la Macédoine elle-même), alors que la Grèce s'est rapprochée de la Serbie.
Les accords de dayton
Les accords de Dayton 1995 constituent une sorte de compromis boiteux entre les belligérants bosniaques, serbes et croates.
Les accords de Dayton ont prévu des institutions communes à la Fédération croato-musulmane et à la République serbe. Le pouvoir exécutif de la république de Bosnie-Herzégovine est assuré par une présidence collégiale rotative de trois membres (en alternance: un Musulman, un Croate et un Serbe) et un Conseil des ministres chargé de mettre en oeuvre les politiques et décisions de la Bosnie-Herzégovine dans les domaines de sa compétence.
2.1 Le pouvoir législatif
Le système législatif est bicaméral: il est exercé par la Chambre des représentants de 42 membres élus au suffrage universel par chacune des deux entités, en raison de 28 représentants pour la Fédération croato-musulmane et de 14 représentants pour la Republika Sprska. La deuxième chambre, la Chambre des peuples, comprend 15 membres nommés par les Assemblées de chaque entité: deux tiers par la Fédération (cinq Bosniaques, cinq Croates) et un tiers par la Republika Sprska (cinq Serbes). Les Bosniaques, les Croates et les Serbes sont ainsi reconnus en leur qualité de «peuples constituants». Les langues officielles sont le bosniaque, le croate et le serbe.
2.2 Les compétences des institutions centrales
Les institutions centrales sont compétentes pour les Affaires étrangères, le commerce international et les douanes, la politique monétaire, les communications, le financement des opérations publiques et la législation concernant l'immigration et le droit d'asile. Tout ce qui n'est pas explicitement dévolu à l'État central relève des compétences des entités. Cela confère à chacune d'elles des responsabilités considérables telles que la justice, la défense et la police, les finances, la langue, la santé, etc. Sur le plan financier, la Bosnie-Herzégovine dépend entièrement des contributions de chacune des deux entités (de la Fédération, à raison des deux tiers, de la Republika Sprska, à raison d’un tiers). Ce système de gouvernement ressemble beaucoup à celui de l'ancienne Yougoslavie (la seconde).
Enfin, les accords ont prévu la poursuite des criminels de guerre par le Tribunal international pour l'ex-Yougoslavie, créé en février 1993 par l'ONU, le libre retour des réfugiés et l'organisation d'élections générales, conditions préalables à un rétablissement durable de la paix.
2.3 Un fonctionnement douteux
Toutefois, il faut reconnaître que les institutions centrales, conçues délibérément à des fins intégratrices, ne fonctionnent pas très bien. Leur mise en place a été laborieuse, d’une part, pour des raisons tenant à la localisation par rotation des administrations, d’autre part, en raison de la réticence évidente des Serbes et des Croato-Musulmans à faire vivre un État imposé par les accords de Dayton et auquel ils ne croient pas. D’un côté, les Croates et les Bosniaques ne parviennent pas à s’entendre au sein des institutions communes; de l’autre, les Serbes ne songent qu’à consolider l’entité qu’ils ont arrachée à coup de canons.
En fait, la solution des protagonistes serbes, croates et bosniaques aurait été, d’après les déclarations à l'époque des présidents signataires de Croatie (Franjo Tudjman) et de Serbie (Slobodan Milosevic), «le partage de la Bosnie-Herzégovine entre Serbes et Croates, laissant un petit État musulman autour de Sarajevo». D’ailleurs, le président de la Bosnie-Herzégovine (Alija Izetbegovic), écrivait lui-même, dans un essai écrit en 1970 (Déclaration islamique) mais publié en Turquie en 1990, qu'il ne «pouvait y avoir ni paix ni coexistence entre la religion musulmane et les institutions politiques et sociales non islamiques».
2.4 Un protectorat déguisé
Pour toutes ces raisons, la communauté internationale a imposé à la Bosnie-Herzégovine, depuis décembre 1997, un haut représentant civil (alors M. Carlos Westendorp) chargé de prendre des «décisions contraignantes» et des «mesures provisoires». Déjà, ce dernier a imposé des plaques d’immatriculation communes, un passeport unique, une monnaie (le «marka») alignée sur le Deutsch Mark (l'euro, maintenant), une loi sur la citoyenneté, un nouveau drapeau, sans compter les révocations des plusieurs responsables locaux élus.
Selon les observateurs, la Bosnie-Herzégovine glisse progressivement vers une forme de «protectorat déguisé» qui produit ses effets pervers. En effet, les responsables politiques locaux (serbes, croates et bosniaques) ont de plus en plus tendance à renoncer à trouver des compromis, car ils savent qu’en dernière instance le haut représentant civil tranchera. Dans ces conditions, il demeure peu probable que la Bosnie-Herzégovine survivrait au départ des Occidentaux du pays.
Rappelons-le, la république de Bosnie-Herzégovine — l’État — compte deux entités politiques distinctes (voir la carte): d'une part, la fédération de Bosnie-Herzégovine (dont la capitale est également Sarajevo) appelée également «la Fédération» ou encore la «Fédération croato-musulmane», d'autre part, la Republika Srpska (dont la capitale est Palé) ou «République serbe de Bosnie». La fédération de Bosnie-Herzégovine regroupe les Croates et les Musulmans, tandis que la Republika Srpska ne compte officiellement que des Serbes orthodoxes.
Chacune des deux entités dispose de sa propre Constitution, de sa propre police et de ses propres forces armées, et a «le droit d'établir des relations bilatérales spéciales avec les États voisins», ce qui avantage les Croates et les Serbes. Ainsi, en Bosnie, la séparation ethnique demeure la règle. Il faut bien comprendre ces nouvelles structures politiques pour constater à quel point celles-ci jouent un rôle primordial dans l’élaboration des politiques linguistiques.
3.1 La Fédération croato-musulmane
La population de la fédération de Bosnie-Herzégovine est estimée approximativement à 2,3 millions d’habitants. Cette fédération croato-musulmane regroupe le centre du pays et tout le sud-ouest (voir la carte no 5: en rose), soit 51 % du territoire du pays. La Fédération croato-musulmane, créée en mars 1994 par les accords de Washington, est composée de neuf cantons (quatre musulmans, deux croates, trois mixtes), et dotée d'institutions associant des représentants bosniaques et croates.
La Fédération compte une Chambre des représentants (140 membres élus au suffrage universel) et une Chambre des peuples (60 élus auxquels s'ajoutent 60 membres nommés par les neuf assemblées cantonales en raison de 30 Bosniaques et de 30 Croates). Sur le plan local, les neuf cantons disposent chacun d'une assemblée élue au suffrage universel. Enfin, chacune des 40 opstinas — l'équivalent des communes — élit une assemblée municipale.
3.2 La République serbe de Bosnie (Republika Srpska)
La population de la Republika Srpska (ou république de Srpska) est estimée à près de 1,4 million d’habitants dont 95 % seraient d'origine ethnique serbe et les autres 5 % seraient essentiellement d’origine croate et bosniaque. La Republika Srpska a juridiction dans tout le pourtour nord-ouest et sud-est du pays (voir la carte no 5: en vert), soit 49 % du territoire de la république de la Bosnie-Herzégovine.
La république de Sprska a choisi un système monocaméral (une seule chambre), conforme à l'homogénéité de sa population, avec une Assemblée nationale de 140 membres élus au suffrage universel pour deux ans au scrutin proportionnel. Il reste maintenant à voir comment ces structures se refléteront dans les politiques linguistiques.
La Constitution de la Bosnie-Herzégovine a été adoptée ou plutôt imposée le 1er décembre 1995, suite aux accords de Dayton. La Constitution intègre la protection des droits de l'homme tels qu’ils ont été définis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et ses protocoles. Les dispositions constitutionnelles concernant la langue sont très générales et extrêmement minces. Elle correspondent simplement aux déclarations de non-discrimination.
Le préambule de la Constitution reconnaît des droits aux «personnes appartenant aux minorités nationales ou ethniques, religieuses ou linguistiques, en plus des autres protections relatives aux droits de l'homme».
Le paragraphe 7-b de l’article 1 précise que personne ne sera privé arbitrairement de l’entité et de la citoyenneté de la Bosnie-Herzégovine ou laissé pour compte avec un statut d’apatride, quels que soient le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les idées politiques ou autres, l’origine sociale ou nationale, l’appartenance à une minorité nationale, la propriété, la naissance ou toute autre condition.
Quant au paragraphe 4 de l’article 2, il reconnaît que la protection des droits et libertés prévus dans la Constitution ou dans les accords internationaux (énumérés à l'annexe de cette constitution) sera accordée à quiconque habite la Bosnie-Herzégovine, et ce, sans discrimination de sexe, de race, de couleur, de langue, de religion, d’idées politiques ou autres, d’origine sociale ou nationale, d’appartenance à une minorité nationale, de propriété, de naissance ou de toute autre condition.
Ces dispositions constitutionnelles sont celles de la république de Bosnie-Herzégovine (l’État central). Elles sont formulées en des termes très généraux de telle sorte que ce sont les constitutions de la fédération de Bosnie-Herzégovine et de la république de Srpska qui, sur le plan juridico-linguistique, prévaudront. Dans le premier cas, le croate et le bosniaque sont les deux langues officielles. Dans le second cas, le serbe reste l’unique langue officielle. Notons enfin que les constitutions cantonales de la Fédération et les statuts des municipalités (ou communes) des deux entités viennent ajouter des dispositions particulières.
En revanche, l’Europe n’a guère assumé le rôle qui aurait dû être le sien. Les accords de Dayton et leur mise en application en Bosnie sont avant tout un succès américain. En 1999, seul un engagement massif de l’aviation U.S. a permis de mettre un terme au drame du Kosovo. L’Union européenne a cependant tiré les leçons qui s’imposent et, depuis deux ans, les mesures concrètes se multiplient en vue de l’élaboration d’une défense européenne cohérente.
L’accord de Dayton est fondé sur une contradiction fondamentale : il consacre, en effet, l’intégrité territoriale de la Bosnie tout en la partageant en deux entités ethniques distinctes : la Fédération croato-musulmane (51% du territoire) et la République serbe de Bosnie (49%). Les résultats du nettoyage ethnique sont, de fait, entérinés et la logique de partition est renforcée par l’établissement d’une ligne de démarcation entre les deux entités. Les accords de Dayton se traduisent également par la mise sous tutelle internationale de l’Etat bosniaque et la mise à l’écart de l’ONU au profit de l’OTAN dont les troupes s’installent dans la région.Lire l’article de Thomas Hoffnung, « La Bosnie, à l’heure du "ni guerre, ni paix" », septembre 1998.
Des protectorats pour gérer la victoire
Prévue le 29 avril 2003, l’investiture du gouvernement palestinien de M. Mahmoud Abas, dit Abou Mazen, devait être suivie de la publication de la « feuille de route » du Quartette (Nations unies, Union européenne, Etats-Unis, Russie), qui prévoit un Etat palestinien indépendant en 2005. Le soutien qu’affiche le président George W. Bush à cette relance des négociations israélo-palestiniennes tient aussi sans doute au souci d’atténuer, dans l’opinion arabe, le choc de la victoire américaine en Irak. D’autant que l’après-guerre s’y annonce plus difficile que la guerre. Après les pillages, le chaos persistant empêche le retour à une vie normale. Du nord au sud, les manifestations hostiles se multiplient - même le pèlerinage chiite à Kerbala s’est teinté d’antiaméricanisme. C’est dire que la mise en place du protectorat confié au général à la retraite Jay Garner sera délicate. Ce que confirment les expériences de la Bosnie et du Kosovo.
Malgré les manifestations hostiles au nouvel ordre américain, les Etats-Unis paraissent décidés à imposer un protectorat à l’Irak. Et, en dépit de l’exigence d’un recours aux Nations unies exprimée par l’immense
majorité des Etats, y compris certains alliés actuels de Washington, le président George W. Bush entend confier les clés de Bagdad à une administration américaine habillée de collaborateurs locaux.
Pour autant, les néoconservateurs, qui influent de façon décisive sur la Maison Blanche depuis le début 2001, n’ont rien inventé. Privée des colonies qui firent les beaux jours des empires européens, l’Amérique n’a pas hésité, à la croisée des XIXe et XXe siècles, à gérer directement ces néocolonies que furent Cuba et les Philippines, puis Haïti, la République dominicaine, le Nicaragua, ou encore Panamá (lire Du « destin manifeste » des Etats-Unis).
A la fin de la seconde guerre mondiale, les Etats-Unis et leurs alliés occidentaux recourront à nouveau au protectorat pour assurer la transition démocratique de l’Allemagne et du Japon. Washington rêvait aussi d’imposer cette humiliation à la France (lire Quand les Américains voulaient gouverner la France).
Le grand retour de l’idée de protectorat dans les années 1990 ne tient évidemment pas au hasard. Avec la victoire américaine dans la guerre froide se clôt aussi une époque où toutes les crises, nationales ou
régionales, se résolvaient dans le cadre du bras de fer entre les Etats-Unis, véritable superpuissance, et
l’Union soviétique, qui, à défaut des autres attributs d’un « Grand », conservait son pouvoir militaire.
Ces confrontations n’allaient pas sans « règlement à l’amiable » et partages d’influence dans le dos des
peuples concernés. Mais ce monde bipolaire devait tenir compte de la forte pression des mouvements de libération sociale et nationale. D’où une consolidation relative des Etats et le maintien des conflits « sous contrôle », les grandes puissances ayant pour alliés des pouvoirs d’Etats (souvent dictatoriaux) orientés vers une logique de développement.
La disparition de l’Union soviétique et de son « bloc » achève le tournant libéral amorcé dans les années 1980. Sous la pression des institutions de la mondialisation et de l’Union européenne, l’Etat-providence est démantelé, tandis que marché et profit reprennent le dessus. La course aux privatisations et la rupture des logiques de distribution creusent les écarts sociaux et régionaux et multiplient les conflits sanglants. Certains Etats du tiers-monde s’effondrent, faute de l’aide que leur apportaient jusque-là soit Moscou et ses amis pour se les attacher, soit Washington et les siens pour contenir l’influence soviétique. Il est même des Etats qui «disparaissent » purement et simplement.
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Quelle réponse est apportée à ces nouveaux défis ? Dans certains cas, comme en Somalie à la suite de
l’éphémère et catastrophique intervention américaine d’octobre 1993, c’est l’indifférence qui domine après une aide médiatisée - le pouvoir de « nuisance » de ces conflits sur le reste du monde ou sur leur
environnement régional étant réputé faible. Dans d’autres, d’importance secondaire pour Washington, le protectorat est confié à l’ONU, comme au Timor.
Se multiplient enfin les situations - Kosovo, Afghanistan, Irak - où, ayant fait triompher leurs solutions par la force des armes, les Etats-Unis entendent imposer un carcan garantissant que la « leçon » ne serait pas inutile, et dans lequel ils s’investissent à des degrés divers, en fonction des enjeux plus ou moins stratégiques. Au Kosovo, ils passeront la main dès que possible à l’Union européenne, tout en multipliant les bases de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) dans la région. En Afghanistan, ils délégueront la gestion quotidienne du pays - y compris le maintien de l’ordre à la Force internationale pour l’assistance à la sécurité (ISAF), dont l’OTAN vient de prendre la tête - en poursuivant le combat militaire contre Al-Qaida et ses alliés talibans. En Irak, en revanche, ils semblent décidés à garder toutes les rênes du pouvoir économique, politique et militaire.
La formule du protectorat recouvre donc des situations extrêmement diversifiées et évolutives, qu’il faut juger à partir de la question : qui contrôle quoi ? Elle n’échappe en tout cas pas à la « contradiction ouverte », soulignée par Noam Chomsky, « entre les règles de l’ordre international établi dans la Charte des Nations unies et les droits reconnus dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (1) » : d’un côté, la souveraineté des Etats, qui interdit toute ingérence dans les affaires intérieures ; de l’autre, celle des peuples, qui exigerait au contraire de voler à leur secours, contre leur propre régime s’il le fallait. La géopolitique duchaos (2) des années 1990 a pourtant paru légitimer le « droit d’ingérence », très en vogue à une époque oùles grandes puissances se virent reprocher non point leurs responsabilités dans ces « désordres », mais une « inaction » relevant de la non-assistance à peuple en danger.
Dans les milieux mobilisés contre les nettoyages ethniques, on soulignera par exemple que, contrairement à l’Irak en 1990-1991, « en Bosnie, il n’y avait pas de pétrole » à exploiter, mais des vies humaines et des valeurs à protéger. La révolte contre l’hypocrisie d’un interventionnisme sélectif et cynique se muera en demande - naïve ou non - d’une intervention militaire à motif « humanitaire ».
« Ce qui se dessine sous nos yeux dans le cadre de la globalisation marchande et financière, c’est un système de protectorats, de gouverneurs et de proconsuls. (...) Sur l’échiquier de la mondialisation, des petits pays risquent fort d’être réduits, sous couvert d’indépendance formelle, au rôle de simples pions du grand jeu géostratégique (3). » Ce « temps des protecteurs », analysé par Daniel Bensaïd, piétine évidemment le principe de souveraineté des Etats comme celui du droit à l’autodétermination des peuples.
Gestion erratique de la crise yougoslave
Ouvrant la boîte de Pandore de la prolifération des mini-Etats, les guerres dites interethniques tendent à discréditer l’idée même du droit d’autodétermination, entendu dans un sens étroit (à chaque peuple, au sens ethnique, son Etat). En l’absence de rapports de forces permettant aux peuples de décider eux-mêmes de la forme politique la plus propice à la défense de leurs droits universels (sociaux, culturels, politiques), les grandes puissances s’arrogent le droit de déterminer qui peut former un Etat et sur quelles bases (4).
Pour ceux qui réclament cette forme d’assistance comme pour ceux qui s’en méfient, il importe donc de dresser le bilan de ces « protectorats » au cas par cas, en comparant le contenu des mandats, les conditions de leur élaboration, l’existence ou non d’un organisme de contrôle, etc. Seule une attitude critique, mais ouverte, permettra de ne tomber ni dans une indifférence criminelle (pensons au Rwanda) ni dans l’aveuglement envers un « impérialisme humanitaire », supposé « bénin (5) », dont les remèdes se révèlent pires que le mal. En dépit de points communs, l’Irak n’est pas l’Afghanistan, sans parler du Kosovo et, bien sûr, de la Bosnie.
Ces deux dernières expériences demandent un examen particulier. L’un et l’autre de ces semi-protectorats ont mis fin à des guerres et entamé la reconstruction, à partir de la mise en place d’institutions politiques et d’élections, depuis maintenant plusieurs années. Mais selon quelle dynamique ?
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Les accords de Dayton en 1995 sur la Bosnie-Herzégovine et la résolution 1244 du Conseil de sécurité de l’ONU, en juin 1999, sur le Kosovo, bien que mettant fin à des guerres, n’ont pas remis en cause les logiques antagonistes en présence. Les quasi-protectorats ont donc chapeauté un tout incohérent. Et c’est pourquoi ces accords sont encore régulièrement contestés. D’autant que la présence et l’aide massive internationales n’ont pas tenu leurs promesses, qu’il s’agisse de protection des populations ou de développement économique. Pour légitimer l’extension de l’OTAN, on en présente régulièrement l’« efficacité » protectrice comme une «évidence » qui la distinguerait des Nations unies. Cette illusion s’est nourrie du fait que la puissance
atlantique a déployé son armada en Bosnie après la conclusion d’un réel cessez-le-feu, et alors que les
casques bleus de l’ONU n’avaient, en plein conflit, qu’un mandat (aberrant) de « maintien de la paix »,éventuellement pondéré d’un droit limité de « légitime défense ».
En pratique, les Etats-Unis se sont d’abord mis à l’écart de la gestion de la crise yougoslave, considérée comme stratégiquement secondaire, tout en conseillant et armant des troupes censées équilibrer les forces serbes : l’armée croate ou celle de Sarajevo ; l’Armée de libération du Kosovo (UCK) en 1999. Ils ont mis en avant l’OTAN comme force de frappe aérienne dans deux circonstances : comme « bras armé de l’ONU » en Bosnie avant l’accord de 1995 ; puis dans la guerre menée contre la Yougoslavie sans mandat de l’ONU, de mars à juin 1999. L’OTAN ne s’est donc réellement déployée au sol, dans les zones de conflit balkaniques, qu’après la signature d’accords entre tous les protagonistes - y compris en Macédoine, après les accords d’Ohrid de 2001. Il s’agissait, au-delà, d’assurer l’extension de l’Alliance aux pays d’Europe de l’Est et des Balkans, avec des bases dans plusieurs d’entre eux, y compris des ports pour la flotte américaine. en cas de tensions violentes, Washington préférait s’appuyer sur d’autres effectifs au sol que les siens, voire s’en retirer : les soldats américains passaient alors le relais à des troupes locales ou européennes, les Etats-Unis déployant les leurs dans des régions du monde jugées plus décisives...
A donc prévalu une Realpolitik assez souple, s’adaptant aux circonstances. Ainsi, après quatre ans de guerre
de nettoyages ethniques en Bosnie, le président William Clinton s’efforça d’exploiter l’échec des plans depaix de l’ONU et des négociateurs européens pour reprendre l’initiative diplomatique et remettre en avant l’OTAN, après la dissolution du pacte de Varsovie (en 1991). Le compromis recherché à Dayton (6) résultait de l’équilibre entre forces antagoniques sur le terrain, en s’appuyant sur les Etats forts de la région. A côté du président de la Bosnie-Herzégovine en guerre, M. Alija Izetbegovic, les Etats-Unis avaient convié les présidents respectifs des deux Etats voisins, M. Slobodan Milosevic parlant « au nom de tous les Serbes », et Franjo Tudjman « pour tous les Croates ».
Ce choix confirmait d’ailleurs l’importance des accords entre ces deux dirigeants dans le dépeçage ethnique de la Bosnie (7) et dans la vision que les grandes puissances avaient alors de la « stabilisation » régionale - autant de faits inconfortables pour l’actuel procès de La Haye (8). Les dirigeants bosno-serbes Radovan Karadzic et Ratko Mladic, inculpés par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), furent alors mis à l’écart. La Republika Srpska, entérinée par les accords de Dayton, était pourtant leur oeuvre.
Certes, on réaffirmait les objectifs d’un retour des réfugiés et d’une consolidation des institutions centrales du pays. Mais les chefs de guerre locaux conservaient le gros de leurs pouvoirs, y compris leurs armées. Dayton n’eut donc ni vainqueurs ni vaincus. Ce fut un soulagement pour les populations puisque les accords arrêtaient les combats. Mais ils entérinaient tous les nettoyages ethniques et une simplification des enjeux territoriaux les plus conflictuels de la région : l’épuration par les forces serbes de l’enclave à majoritémusulmane de Srebrenica, que ne défendirent ni les troupes internationales ni celles de Sarajevo ; le silence sur l’offensive menée au cours de l’été 1995 par l’armée croate contre les Serbes de la Krajina, sans grande protestation de Belgrade. Car, parallèlement, Dayton faisait le silence sur le Kosovo.
Ce silence produisit une radicalisation politique parmi les Albanais de la province. Depuis la répression du début de la décennie, ils boycottaient pacifiquement les institutions serbes, espérant la reconnaissance de leur « république » autoproclamée et présidée par M. Ibrahim Rugova. Un projet indépendantiste menacé par la consolidation, à Dayton, de la position internationale de M. Milosevic (et donc des frontières de la Serbie), entérinée par la suspension des sanctions et des accords de reconnaissance réciproque avec les Etats voisins.
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L’UCK s’efforça dès lors d’internationaliser le conflit par la violence. Et, en tentant d’éradiquer celle-ci par l’offensive de l’été 1998, M. Milosevic ne fit que la rendre de plus en plus populaire.
Mais, après avoir accepté l’éclatement de la Fédération, les grandes puissances ont cherché - jusqu’à ce jour - à contenir les séparatismes en Bosnie et au Kosovo, de crainte d’un embrasement généralisé affectant aussi la Macédoine. Ainsi, lors de la conférence de Rambouillet, au printemps 1999, elles avancèrent, pour le
Kosovo, un plan d’autonomie que la partie serbe accepta - elle refusa, en revanche, le déploiement militaireau sol. Les Albanais, eux, rejetaient l’autonomie elle-même. La secrétaire d’Etat de M. Clinton, Mme Madeleine Albright, profita de cette impasse pour, en alliance avec l’UCK, imposer à l’Union européenne uncadre non pas onusien, mais atlantique... Le bombardement de Belgrade qui suivit visait à imposer le déploiement de l’OTAN au Kosovo (9). Pour obtenir la signature albanaise, Washington promit vaguement de « prendre en compte », à terme, un référendum d’autodétermination.
Bien que représentant 80 % de la population du Kosovo, les Albanais furent exclus des négociations qui mirent fin à la guerre parce que la résolution 1244, signée par le président yougoslave, affirmait le respect des frontières de la République fédérale de Yougoslavie (RFY). En attendant, le mark devint la monnaie du Kosovo, dont la Mission des Nations unies (Minuk) prit provisoirement en main la gestion sous la protection de troupes de l’OTAN.
Un syndrome de dépendance
Accueillies comme libératrices par les Albanais, ces troupes permirent effectivement le retour rapide des centaines de milliers d’entre eux expulsés de la province par les forces serbes. Elles incarnaient l’espoir d’une indépendance future, dans le contexte d’une détérioration des rapports de la Serbie avec les grandes puissances et au prix d’une « démocratie par les bombes » radicalisant plus que jamais les antagonismes politiques, non seulement avec les Serbes, mais aussi avec tous ceux qui, Albanais ou non, étaient suspectés d’accepter le dialogue avec eux (10). Inutile de dire que les 40 000 soldats placés sous le commandement de l’OTAN n’ont empêché ni la contre-épuration ethnique dont ont été victimes des dizaines de milliers de Serbes et de Tziganes, ni le début de guerre civile, mi-politique mi-maffieuse, entre Albanais. De même, en Bosnie-Herzégovine, on a camouflé l’échec d’une présence militaire censée ne durer qu’un an entransformant celle-ci, de Force d’application des accords (IFOR), en Force de stabilisation (SFOR).
La stratégie de « sortie de crise » visant au désengagement a amené, dans un cas comme dans l’autre, à
déléguer aux forces locales (souvent les anciennes milices ultranationalistes reconverties en forces de police) la tâche de rétablir l’ordre dans les lieux conflictuels. C’est certainement la seule logique viable à terme, qui pourrait annoncer une sortie du protectorat et l’émergence d’un Etat de droit. A condition que les réalités socio-économiques locales encouragent l’espoir d’une stabilisation politique. il n’en est rien.
Huit ans après Dayton, les trois quarts de la population bosnienne vivent en dessous du seuil de pauvreté, et le chômage touche 40 % des personnes en âge de travailler - plus de 60 % au Kosovo. La criminalité et la corruption accompagnent la pauvreté, la précarité des institutions et la présence internationale. Un «
syndrome de dépendance » s’installe partout, organiquement lié au protectorat lui-même. « Les organisations internationales (...) font partie du problème et non de la solution », estime l’économiste Zarko Papic (11).
Elles ont, ajoute-t-il, « intérêt à se maintenir et à se développer ». Parallèlement, les salaires du moindre chauffeur ou traducteur pour une organisation internationale détournent de l’emploi « normal »... quand il existe.
Mais l’échec est intrinsèquement lié à la logique néolibérale de cette présence, qui conduit à refuser d’«investir dans les sociétés étatiques, même si elles sont potentiellement rentables (12) ». Les accords de Dayton comme le projet de Rambouillet (mais aussi les accords d’association avec l’Union européenne et les « aides ») imposent des « économies de marché » associées aux privatisations... Ils organisent la destruction des protections sociales sans en apporter de nouvelles, sinon corruptrices. Le gouverneur de la Banquecentrale, nommé par le Fonds monétaire international (FMI), encourage des taux d’intérêt exorbitants,empêchant toute modernisation. Car les investissements directs étrangers (IDE) sont supposés se substituer aux aides et aux financements publics.
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Voilà qui est loin d’être confirmé, faute d’une clarification du statut même de l’Etat, censé décider et
protéger la propriété... Ce problème, qui se pose dans l’ensemble de l’ex-Yougoslavie, est aggravé par
l’instabilité d’une Bosnie proclamée « une », mais divisée en entités ethniques, ainsi que par l’absence destatut définitif du Kosovo : Belgrade se réclame de la résolution 1244 pour y bloquer les privatisations.
Parallèlement, l’incertitude sur la restitution des biens des réfugiés et des personnes déplacées précarise le retour de près d’un million de personnes en Bosnie-Herzégovine (13).
Dans ce chaos, le repli sur les communautés peut apparaître encore comme la protection la plus crédible. Il consolide du même coup les votes « nationalistes » et les regroupements territoriaux. En Bosnie, c’est aussiune façon de répondre à l’arrogance de pouvoirs internationaux qui se comportent en occupants et de contester une « démocratie imposée » par un haut représentant (14) sélectionnant les « bons » candidats et démettant des élus. Contrairement à son prédécesseur, l’actuel titulaire de cette fonction, M. Patty Ashdown,semble, comme au début du protectorat, chercher à s’appuyer sur les partis nationalistes... Mais vouloir consolider une « citoyenneté universelle » - et non des identités ethnonationalistes - sur un territoire donnésans l’accompagner de protections physiques et sociales pour tous, quelle que soit la nationalité, conduitforcément à l’échec.
Du Kosovo au Timor L’arrivée au pouvoir de M. Vojislav Kostunica a ravivé la crainte d’un séparatisme des Bosno-Serbes. Et la transformation de la Yougoslavie en Union de la Serbie et du Monténégro a relancé la question du statut du Kosovo. Jusqu’ici, Etats-Unis et Union européenne ont unanimement repoussé à plus tard le débat sur ce point (15). Avant de se faire assassiner, en mars 2003, le premier ministre serbe, Zoran Djindjic, avait pris l’offensive : prenant acte de l’absence de protection des Serbes et du refus albanais de tout retour des forces serbes (pourtant prévu par la résolution 1244), il a préconisé un modèle chypriote, voire le partage ethnique du Kosovo. Une partie resterait en Serbie et l’autre deviendrait indépendante ou rejoindrait l’Albanie.
Alors que l’état d’urgence vient d’être décrété en Serbie, l’ancien chef de la guérilla UCK, Hashim Thaci, propose désormais, sous la pression internationale, un moratoire sur l’indépendance (16). La nouvelle Arméenationale albanaise (AKSh), qui annonce une « offensive de printemps » pour l’« unification des terresalbanaises », acceptera-t-elle un tel tournant ? M. Michael Steiner, l’actuel chef de la Minuk, vient d’annoncer le début d’un substantiel transfert de compétences vers les institutions du Kosovo. Mais, dans les « domaines réservés », ne va-t-on pas vers l’enlisement d’un protectorat sans fin et sans stabilité régionale ?
Le bilan, en Bosnie comme au Kosovo, n’apparaît donc pas, tant s’en faut, positif. Cela ne condamne
toutefois pas toute forme de protectorat. A preuve le Timor-Oriental : après le génocide d’un tiers de sapopulation, puis l’occupation impitoyable que ce petit peuple avait subie (1975-1999), la protection de l’ONU lui a permis de réussir d’abord à s’arracher à l’emprise de l’Indonésie, de son armée et de ses milices, ensuite à décider par référendum de son indépendance, enfin à construire les bases de celle-ci. Le 20 mai 2002, après deux ans et demi de protectorat onusien, la République de Timor Lorosa’e voyait le jour, avec pour président, élu par 83 % des voix, le leader de la résistance, M. Xanana Gusmão (17)...
Sans doute la réussite relative de cette expérience tient-elle à ses caractéristiques spécifiques. Le protectorat instauré à Timor répondait à une forte exigence de l’opinion, sur le terrain comme à l’échelle internationale.
Non seulement il ne cautionnait pas de fait les crimes commis par l’occupant indonésien, mais il les
condamnait sans la moindre ambiguïté. Il était confié aux Nations unies et géré par elles. Il comportait unedurée limitée, précédée par l’expression de la volonté populaire d’indépendance et conclue par des électionsdémocratiques. Il s’est réellement saisi des dossiers cruciaux pour mettre toutes les chances du côté des Timorais. Voilà une formule dont le peuple irakien serait certainement heureux de bénéficier...
La politique de “nettoyage ethnique” menée par les Serbes et, en partie par les Croates, a bouleversé la carte ethnique de l'ancienne Yougoslavie. Des populations entières ont été chassées de territoires où elles étaient majoritaires, comme les Musulmans en Bosnie orientale, les Croates sur la rive bosniaque de la Save ou les Serbes de Krajina.
Les
victimes civiles et militaires du conflit
Sur les 24 millions d'habitants de l'ex-Yougoslavie, 4,5 millions ont été touchés par le conflit : presque un habitant sur cinq. Un million de personnes sont dispersées dans le monde, 2 millions sont déplacées à l'intérieur de l'ex-Yougoslavie. Selon les dernières statistiques du Haut Commissariat pour les réfugiés des Nations unies, portant sur l'ensemble du territoire de l'ex-Yougoslavie, un peu plus de 10% à peine des quelque deux millions de personnes déplacées ont regagné leur foyer d'origine en 1996.
En décembre 1995, la Bosnie est sortie de quatre années de guerre avec un terrible bilan : 250.000 morts, 200.000 blessés. Sur une population de 4,2 millions d'habitants avant le conflit , ECHO (office humanitaire de la Communauté européenne) estime à un million le nombre de personnes déplacées dont 200.000 seulement ont regagné leur foyer d'origine, tandis que le nombre de réfugiés est évalué à un million dont 550.000 sont actuellement dans les pays membres de l'UE et parmi ceux-ci 330.000 se trouvent en Allemagne. Ce pays accueille également quelque 150.000 réfugiés du Kosovo dont la population totale recensée en 1991 était de 1,9 millions d'habitants.
Les Casques bleus ont payé un lourd tribut de la guerre dans l'ex-Yougoslavie depuis leur déploiement, début 1992, en Croatie, puis en Bosnie : au 30 avril 1996, on dénombre 234 pertes en vies humaines dont 217 militaires et 17 observateurs militaires, policiers civils et agents locaux...
Aide
humanitaire
ECHO a attribué 1,185 milliard d'écus (environ 1,5 milliard de dollars) à l'ex-Yougoslavie sous forme d'aide humanitaire depuis le début du conflit en 1991 jusque fin 1995. ECHO a accordé en 1996 l'équivalent de 182 millions d'écus et prévoit un budget de 98 millions d'écus pour 1997 en faveur de l'ex-Yougoslavie, la contribution totale pour la période 1991-1997 se trouvant ainsi portée à 1,465 millions d'écus (soit 1,904 milliard de dollars).
En septembre 1996, le ministre fédéral Manfred Kanther a déclaré que l'Allemagne est , de tous les pays d'Europe occidentale, celui qui a accueilli le plus de réfugiés et fourni le plus gros effort financier: 15 milliards de deutschemarks au total , c'est-à-dire 10 milliards de dollars , soit 60% des 17 milliards de dollars, somme qui représente la totalité des coûts à l'échelle européenne,dont 2 milliards de dollars sont accordés par ECHO et la DG1A, tandis que les autres pays membres de l'UE ont fourni environ 5 milliards de dollars.
Depuis 1991, les Etats-Unis ont fourni près d'un milliard de dollars en aide humanitaire à l'ex-Yougoslavie.
Les
dépenses militaires internationales
- En 1995, les missions des Nations unies (FORPRONU) dans les Balkans coûtaient cinq millions de dollars par jour soit 1,8 milliard de dollars pour l' année (pour 39.789 hommes). Initialement FORPRONU est le terme utilisé pour les missions des Nations unies en Croatie, son mandat a été élargi par la suite à la Bosnie-Herzégovine et à l'ex-République yougoslave de Macédoine. A partir de mars 1995, le terme FORPRONU est réservé à la mission opérant en Bosnie-Herzégovine, ONURC désigne la mission opérant en Croatie et FORDEPRENU celle dont le mandat est limité à l'ex-République yougoslave de Macédoine. Le quartier général commun de ces trois forces de paix des Nations unies ou QG-FPNU a été établi dans la capitale Croate, à Zagreb. Le coût de ces missions allant du 12 janvier 1992 au 31 mars 1996 est de 4,6 milliards de dollars. Le coût de la mission FORDEPRENU dans l'ex-République yougoslave de Macédoine pour la période allant du 1er janvier 1996 au 30 juin 1996 est de 24,6 millions de dollars. Le coût estimatif pour la mission en cours en Bosnie-Herzégovine (MINUBH) est de 201,6 millions de dollars pour la période allant du 1er janvier 1996 au 30 juin 1997, tandis que le coût de la mission ATNUSO en Slavonie orientale, en Baranja et dans le Stern occidental pour la période allant du 1er janvier 1996 au 30 juin 1997 est de 383,5 millions de dollars. Le coût total des missions des Nations unies, entre 1992 et 1997, est de 5,2 milliards de dollars.
- L'opération “effort concerté” / IFOR, qui relève elle de l'OTAN, est évaluée à quelque 6 milliards de dollars pour la seule année 1996. L'OTAN a déployé 60.000 hommes dont 40.000 combattants.
- La Fédération Croato-musulmane a reçu, en juin 1996, des hélicoptères, des blindés, des armes anti-chars, des mitrailleuses et des munitions américains pour une valeur de près de 108 millions de dollars. Cette opération s'est inscrite dans le cadre du programme américain d'assistance militaire massive aux forces de la Fédération bosniaque.
Le coût
de la reconstruction de la Bosnie-Herzégovine
La production industrielle de la Bosnie est tombée à la fin de la guerre à dix pour cent de ce qu'elle était avant-guerre.Environ 35 pour cent des routes bosniaques, 40 pour cent des ponts et plus de la moitié des écoles primaires ont été détruits ou endommagés. Quelque 75 pour cent de la population de la Fédération est au chômage et 80 pour cent de la population bosniaque a besoin d'aide humanitaire.
Les besoins ont été évalués par la Banque mondiale et les experts de la Commission européenne à 5,1 milliards de dollars jusqu'en 1999 dont 1,8 milliard pour l'année 1996. Cette aide doit être répartie entre les Serbes de Bosnie (un tiers, soit 1,4 milliard) et la Fédération croato-musulmane (deux tiers, soit 3,7 milliards). La mauvaise application des accords de Dayton par la Republika Srpska (entité serbe de Bosnie) ne lui a permis de recueillir que 2% des sommes engagées.
La DG1A a accordé 229 millions d'écus ( 297,7 millions de dollars) à la Bosnie-Herzégovine en 1996, et prévoit un budget de 206 millions d'écus (267,8 millions de dollars) pour 1997.
La première conférence sur la reconstruction de la Bosnie-Herzégovine qui s'était tenue à Bruxelles, les 21 et 22 décembre 1995, avait permis de réunir 600 millions de dollars seulement.Par contre, lors de la deuxième conférence qui s'est déroulée les 12 et 13 avril 1996 à Bruxelles, les pays donateurs ont ajouté à la somme précédente 1,23 milliard de dollars, ce qui totalise un montant de 1,83 milliard de dollars pour la seule année 1996. Les représentants d'une cinquantaine d'Etats et d'organisations internationales se sont réunis les 9 et 10 janvier 1997 à Bruxelles pour étudier la poursuite du programme d'aide à la reconstruction de la Bosnie et préparer une nouvelle conférence des donateurs qui aura lieu en avril 1997. La Banque mondiale a évalué les montants nécessaires pour la Bosnie en 1997 à 1,1 milliard d'écus (1,43 milliard de dollars).
Le coût
pour la Communauté internationale
Au total, on peut estimer que le coût de la guerre et de la reconstruction dans l'ex-Yougoslavie coûtera à la Communauté internationale la somme d'environ 34 milliards de dollars dont plus des deux tiers sont à la charge de la Communauté européenne. Par comparaison, signalons que le PNB de l'ensemble de la Yougoslavie en 1990, juste avant le conflit, était d'un peu plus de 70 milliards de dollars selon les chiffres de la Banque mondiale; tandis que le budget général de la Communauté européenne en 1991 était de 55,6 milliards d'écus(72,28 milliards de dollars).
Au cours de la réunion du Conseil atlantique à Bruxelles, le 28 septembre 1989, l'ambassadeur italien, M. Fulzi, explique à la presse qu'il faut "aider la Yougoslavie pour éviter l'éclatement de la Fédération des Slaves du Sud". L'Italie a appuyé la demande de Belgrade aux Etats-Unis d'une aide d'un milliard de dollars. En 1990, la dette extérieure de la Yougoslavie avait retrouvé son niveau des années 1980 qui était de 20 milliards de dollars.
Les Balkans ont été désignés par des formules variées : « pont » ou « carrefour » entre l’Europe et l’Asie, « macédoine » ou « melting-pot » des peuples, « poudrière » ou « champ clos » des États européens. En fait, ils ont transmis à l’humanité d’admirables cultures, telle la grecque, et des guerres interminables et cruelles comme les conflits entre Yougoslaves de notre époque. Tout cela est vrai, mais n’épuise pas la remarquable variété des terres et des hommes de cette péninsule, dont nous rend compte Georges Castellan auteur d’une
Le « Pacte de stabilité pour l’Europe du Sud-Est » a été conclu à la fin de la guerre du Kosovo par un nombre important d’Etats et d’organisations internationales. L’objectif de cet accord est de surmonter les causes des conflits qui ont ébranlé les Balkans, et de reconstruire et stabiliser à long terme cette région par des mesures concrètes d’aide économique et politique.
L’initiative visant à établir un Pacte de stabilité pour l’Europe du Sud-Est a été lancée par l’Union européenne (et notamment l’Allemagne) pendant l’intervention militaire de l’OTAN au Kosovo, en 1999. Le Pacte a été adopté le 10 juin 1999 à Cologne.
L’objectif du Pacte de stabilité tient en ces termes : instaurer la stabilité et préserver la paix à long terme et durablement dans la région des Balkans. Il s’attaque donc aux causes politiques, économiques et sociales des conflits dans l’esprit d’une prévention active des crises. Pour parvenir à préserver la paix, avancer vers la démocratie et relancer l’économie, le Pacte de stabilité coordonne, soutient et prend des mesures ressortissant à trois domaines différents:
Encouragement de gouvernements légitimés démocratiquement, protection des droits de l’homme et des minorités, instauration de conditions favorisant le retour et la réinsertion des réfugiés, mise en place de sociétés civiles ouvertes et pluralistes, soutien aux médias libres et indépendants, etc.;
Reconstruction, développement et collaboration dans le domaine économique notamment par la mise en place des structures de l’économie de marché et par l’amélioration de l’infrastructure (dans les domaines comme les transports, les télécommunications, l’approvisionnement en énergie et en eau); la problématique de l’environnement ; promotion de la cohésion sociale.
Par le renforcement de structures coopératives de sécurité ainsi que par la lutte contre la corruption et le crime organisé.
Peut-être le mérite principal du Pacte à été de développer le dialogue entre représentants d’autorités qui s’étaient ignorées pendant des années ou constituées les unes contre les autres. Depuis que le pacte est devenu réalité, les différents groupes de travail et les rencontres régulières de délégués de la région se sont mués en de véritables bourses de contacts pour la coopération transfrontalière.
Le but déclaré du Pacte de
stabilité est d’ancrer politiquement les Etats de l’Europe du Sud-Est dans une
Europe démocratique, de leur permettre d’atteindre le niveau de vie de l’UE et
de les intégrer à long terme dans les structures euro-atlantiques.
L’aide au développement fournie par les pays donateurs est à cet égard liée à
certaines conditions et doit donc faire l’effet d’un catalyseur du développement
de la démocratie et de l’Etat de droit: le pacte engage les pays de l’Europe du
Sud-Est à entamer des réformes politiques et économiques (création de structures
démocratiques et d’Etats de droit, défense des droits de l’homme, protection des
minorités, instauration des conditions-cadre pour une véritable économie de
marché).
Depuis le sommet d’Helsinki de 1999, les perspectives d’intégration à l’Union
Européenne se sont précisées pour plusieurs pays de la région : tous les
candidats ont été mis sur le même plan et l’intégration se fera au cas par cas
selon que les Etats satisfont aux critères requis ou non.
Les Balkans forment un tout : entrevue avec le Coordinateur du Pacte de stabilité, Erhardt Bussek, qui évoque la lutte contre le crime organisé, le rôle de l’Union européenne et le difficile chemin des pays de l’Europe du sud-est vers l’intégration européenne.
Dnevnik : Monsieur Bussek, quel bilan dressez-vous sur la sécurité actuelle dans les Balkans ?
Erhardt Bussek : Il faut faire une distinction importante entre la sécurité militaire et la sécurité civile. Tout compte fait, la sécurité militaire s’améliore et la plupart des efforts de l’Europe et de l’OTAN ont réussi, à une exception près : la transformation de l’armée ex-yougoslave, mais les efforts se poursuivent. La question de la sécurité civile s’avère tout de même plus compliquée. Le crime organise est « à son aise », non seulement en Europe du sud-est, mais il va au-delà et fonctionne aisément au sein d’un réseau global. Près de 90 % de l’héroïne trafiquée dans le monde provient de l’Afghanistan et passe par les Balkans, où l’État et la police sont faibles. Une autre difficulté provient de la corruption et de l’économie grise qui assure de l’argent pour le terrorisme. Je voudrais souligner qu’il ne faut pas se contenter d’accuser seulement cette région pour l’existence de ces fléaux. Il est nécessaire d’établir une coopération de grande envergure, puisque les consommateurs de drogues ainsi que les victimes du trafic de femmes et d’enfants ne sont pas du tout dans les Balkans.
Dnevnik : Dans le cadre du Pacte de stabilité, il y a un groupe de travail pour le trafic d’êtres humains. Quels progrès ont-ils été faits dans la lutte contre la prostitution forcée et les personnes impliquées dans ces réseaux ?
Erhardt Bussek : L’initiative du Pacte de stabilité contre le crime organisé n’est pas une lettre d’intention sans action. À Bucarest, il existe déjà un Centre de lutte contre le crime transfrontalier, qui a développé un système excellent d’échange d’informations. Nous avons créé en coopération avec l’OSCE un groupe de travail contre le trafic d’êtres humains qui fait du progrès. Dans le domaine de la prostitution, nous avons préparé une série de mesures législatives. Il faut penser aussi à la protection des victimes car la pression est si forte qu’une fois devant la cour, les victimes refusent de témoigner. Nous organisons une conférence à Sofia, en décembre prochain, pour discuter les mesures futures à prendre dans le domaine du trafic d’êtres humains.
Erhardt Bussek : La Bulgarie et la Roumanie sont des pays candidats et sont au milieu du processus d’adhésion, à condition que les négociations se déroulent avec succès et que les conditions soient remplies. Certes, beaucoup de réformes doivent être encore effectuées mais dans l’ensemble, les pays progressent bien. Il y a des problèmes particuliers avec deux autres États. La Bosnie-Herzégovine doit « s’intégrer intérieurement », ce qui se réalise pas à pas à l’heure actuelle. L’autre cas est le Kosovo, où les prochaines décisions s’avèreront cruciales pour qu’on puisse éventuellement discuter d’une possibilité d’adhésion à l’UE.