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L'ENA fait ses cartons et engage sa réforme.
Les Echos 6 septembre 2004
BIENTÔT STRASBOURGEOISE, L'ÉCOLE SE VEUT PLUS EUROPÉENNE
Taxée d'immobilisme, contestée en interne comme dans les rangs des politiques, l'ENA engage une réforme destinée à faire d'elle, d'ici à 2006, une « grande école européenne du management public ». Déjà, les concours d'entrée, qui débutent aujourd'hui, sont ouverts aux membres de l'Union européenne. Et, en janvier, elle quittera Paris pour Strasbourg.
Le concours externe est la voie générale, le concours interne est réservé aux fonctionnaires et le troisième concours aux professionnels. Sur les 230 postes d'agents permanents de l'école, 37 vont être supprimés.
Eva Joly, Mary Robinson ou Gandhi ? Le dilemme est cruel. Mais les élèves de l'Ecole nationale d'administration sont bien décidés, en cette soirée d'avril 2004, à respecter à la lettre le sacro-saint rituel du baptême de leur promotion. Après des débats animés, un nom l'emporte. Ce sera « 13, rue de l'Université ». L'adresse de l'école. Tout un symbole pour ces étrangers en formation continue qui seront les derniers à effectuer l'intégralité de leur scolarité à Paris.
La plus parisienne des grandes écoles publiques s'apprête en effet à vivre une « petite révolution ». En janvier, elle quittera la capitale. Direction Strasbourg, où se déroule déjà, depuis 1993, la moitié du cursus. Ce déménagement, qui apportera 40 millions d'euros dans les caisses de l'Etat, grâce à la vente des locaux, s'annonce délicat. A peine remis de sa fusion avec l'IIAP (Institut international d'administration publique), en 2002, l'établissement va être confronté à une restructuration massive. 37 postes seront supprimés et, pour avoir refusé de quitter Paris, près de 80 de ses 230 salariés devront être remplacés. De quoi donner du grain à moudre aux mauvaises langues, qui, déjà, glosent sur le « placard doré strasbourgeois ».
De fait, l'ENA, dépourvue d'enseignants permanents, va devoir mettre les bouchées doubles si elle veut convaincre ses prestigieux intervenants d'effectuer des centaines de kilomètres pour un seul cours. Elle devra aussi rivaliser d'efforts afin de conserver son attractivité auprès des étrangers, qui, sensibles aux charmes germanopratins, se pressent dans les cycles internationaux. Une gageure, pour ce qui n'est, au fond, que la partie la plus visible de la réforme lancée par le gouvernement en 2002. Réforme destinée à faire de l'ENA une « grande école européenne du management public » ouverte sur l'Europe, les entreprises, les collectivités locales, et capable de répondre aux nouveaux enjeux de l'Etat. C'est là en effet que le bât blesse. « L'ENA est une chance car elle permet de drainer vers le secteur public une matière grise exceptionnelle. Mais elle n'a pas suffisamment changé depuis sa création, malgré les évolutions majeures que sont la construction européenne, la décentralisation et le désengagement de l'Etat de la sphère productive », analyse Yves-Thibault de Silguy, nommé par le gouvernement à la tête d'une commission chargée de faire des propositions de réforme, et qui a rendu, au printemps 2003, un rapport dense et controversé.
Mouvements de fronde
Cet immobilisme a valu à l'école de nombreuses critiques. « La réforme est nécessaire, car l'ENA s'est considérablement rigidifiée en trente ans. Aujourd'hui, elle doit être une école de la gouvernance, dans toute sa dimension de régulation et de travail en réseau. Elle ne peut être un simple centre de formation de techniciens de haut niveau qui appliqueraient des recettes toutes faites. Mais ce ne sera pas facile », reconnaît franchement son directeur, Antoine Durrleman. Près de soixante ans après sa création par le général de Gaulle, le 9 octobre 1945, l'ENA traverse en effet une mauvaise passe. Pas une promotion qui n'ait, ces dernières années, martelé son mécontentement, jusqu'à contester, en 2002, les notes de stage devant les tribunaux. Si bien qu'au printemps dernier, pour la première fois, la fronde a provoqué un sévère rappel à l'ordre du ministre de la Fonction publique, Renaud Dutreil.
En 2002 encore, la bronca a gagné les rangs des personnels de l'école, puis des dirigeants politiques : lors du vote du budget au Parlement, trois députés libéraux, Hervé Novelli, Louis Giscard d'Estaing et Jean-Michel Fourgous, ont obtenu la diminution des crédits octroyés par le ministère de la Fonction publique. « C'était un argument économique au service d'une idée politique, celle de diminuer le règne de l'ENA », argumente le député UMP d'Indre-et-Loire Hervé Novelli.
Car l'agacement suscité par l'ENA est à la mesure de son influence. Aucune école ne fait autant figure d'antichambre du pouvoir. Selon l'association des anciens élèves, 40 % des énarques exercent dans un cabinet ministériel et ils sont 50 à assumer un mandat électif national. Mais l'image du jeune homme ambitieux maniant avec brio la novlangue technocratique peut être un véritable repoussoir. « Certains dirigeants politiques n'osent pas dire qu'ils ont fait l'ENA », s'amuse Arnaud Teyssier, président de l'association des anciens élèves, regrettant que « l'école souffre du silence et de l'absence d'une vraie volonté politique » alors même qu'elle bénéficie d'un « réel soutien populaire ». Selon l'étude réalisée en 2002 par l'association (1), 55 % des Français ont une image « positive » de l'école. Et, après quelques années de chute, le nombre de candidats (1.154 cette année) au concours d'entrée est reparti à la hausse en 2003. Sans pour autant que l'établissement soit parvenu à se défaire de son image élitiste. « Le concours demeure très parisien. Il privilégie toujours les purs produits de Sciences po, et je suis frappé de voir leur méconnaissance du monde rural », souligne l'inspecteur général de l'Education nationale Bernard Toulemonde, plusieurs fois membre du jury de concours, et « pas hostile » à l'idée d'introduire une forme de discrimination positive.
Mais la cible de toutes les critiques, c'est le fameux classement de sortie qui, au terme des vingt-sept mois de scolarité, décide des destinées des élèves. Aux quinze premiers, issus de la « botte », les « grands corps » de l'Etat (Inspection des finances, Cour des comptes, Conseil d'Etat), et l'assurance d'occuper, très vite et donc très jeunes, des fonctions clefs. Aux autres, le Quai d'Orsay, les préfectures ou un poste d'administrateur civil dans un ministère, autrement dit des perspectives de carrière moins prometteuses.
« Machine à classer »
Ce système, qui a fait la renommée de l'école, aiguise tous les appétits et nourrit les rumeurs les plus folles sur l'influence réelle ou supposée de la direction, des pouvoirs politiques et des grands corps. « Il a aussi tendance à transformer l'ENA en machine à classer, au détriment du contenu des enseignements », souligne un élève. Par ailleurs, le classement, qui laisse le choix du poste à l'énarque et non à son futur employeur, n'aboutit pas toujours à la meilleure adéquation entre les profils et les emplois. Une situation d'autant plus dommageable que l'école intègre, par la voie de son concours externe et de son troisième concours, des candidats aux riches parcours professionnels (médecins, avocats, etc.).
Antoine Durrleman dit « comprendre ces contestations ». « On a eu tendance à demander à l'ENA tout et son contraire. Il est temps de remettre l'accent sur son rôle de formation et de lui donner plus de souplesse pédagogique », admet-il. Pour renforcer son image d'« école », il envisage de développer la recherche (création d'un centre d'expertise et d'ingénierie administrative, d'une « junior administration »...) et réfléchit à la mise en place d'un statut de « grand établissement public » qui permettrait de délivrer un diplôme d'enseignement supérieur, sur le modèle de Dauphine ou de Sciences po.
Toutefois, les apôtres de la révolution devront attendre. La réforme ne remettra pas en question l'intouchable classement, préférant introduire, par petites touches, du sur-mesure, via de nouveaux modules d'études (territoire, Europe, management...), des options d'approfondissement (économie et finances, international, social, juridique, territorial) et des stages en entreprise, dans des PME et à l'étranger. En outre, à l'issue du cursus, les élèves ne choisiront plus un poste, comme auparavant, mais un corps et, le cas échéant, un ministère. Charge à eux, ensuite, de convaincre leur futur employeur lors d'un entretien. Cette disposition ne remettra pas en cause l'hégémonie des grands corps. « Ils sont satisfaits de cette situation, et ils ont pesé de tout leur poids pour que rien ne change. Leur influence est très forte sur l'école », dénonce Antoine Michon, énarque et président de l'Aprena (Association pour réformer l'ENA). Témoin, le projet de retirer la vice-présidence de l'école au Conseil d'Etat, disparu avec le nouveau gouvernement.
Les pesanteurs de la fonction publique
Cette emprise des grands corps peut paraître paradoxale pour une école dont l'objectif initial était, au contraire, de former des fonctionnaires polyvalents. Cependant, elle reflète ce que l'on peut observer dans l'ensemble de la fonction publique, dont le cloisonnement continue de peser sur la carrière des énarques. Carrière fréquemment bloquée après quarante ans, d'autant que les plus hauts postes demeurent très politisés. Cette pesanteur, qui a contribué à rendre l'école moins attractive, a conduit beaucoup d'anciens élèves à opter pour le secteur privé. 21 % d'entre eux « pantouflent », souvent de plus en plus jeunes. Une situation favorisée par l'engouement des chasseurs de têtes pour les énarques, en particulier ceux dotés d'un double cursus - HEC-ENA par exemple -, dont le nombre s'accroît.
Le nouvel élan viendra peut-être de l'extérieur, de l'ouverture de l'ENA sur l'Europe et sur les collectivités locales. La première paraît bien engagée : l'école, dont le concours est désormais accessible aux candidats de l'Union (voir ci-dessous), va fusionner avec le Centre d'études européennes, qui prépare notamment les fonctionnaires aux concours des institutions européennes. En revanche, le rapprochement avec les hauts fonctionnaires territoriaux suscite davantage de réticences. Un argument pourrait toutefois faire pencher la balance. Le Centre d'études européennes et l'Institut national d'études territoriales sont implantés... à Strasbourg.
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Le concours d'entrée s'ouvre aux candidats étrangers.
Des élèves des pays européens vont désormais pouvoir suivre le même cursus que les Français, et intégrer à l'issue de leur scolarité la haute fonction publique
Jusqu'à présent, les étrangers étudiant à l'ENA ne suivaient que des cycles spécifiques.
Les candidats qui se pressent ce matin, blêmes et anxieux, pour passer les épreuves d'entrée à l'ENA n'ont pas tous fait leurs armes dans les écoles de Jules Ferry. Pour la première fois, en effet, la direction de l'établissement a ouvert ses trois concours (interne, externe et troisième concours) aux représentants des 25 pays membres de l'Union européenne. Avec un succès encore mitigé : seuls trois des 1.154 candidats de la cuvée 2004 - deux Britanniques et un Portugais - sont nés hors de l'Hexagone.
Présentée comme l'une des mesures emblématiques de la nouvelle orientation internationale de l'école, cette disposition est avant tout destinée à mettre la France en conformité avec les textes. Depuis l'arrêt Burbaud rendu en septembre 2003 par la Cour de justice des communautés européennes, les membres de l'Union sont dans l'obligation d'ouvrir leur fonction publique à leurs voisins. Une « petite révolution » pour la France, qui avait fait de son administration une véritable chasse gardée et réservait jalousement ses postes aux seuls énarques nationaux.
Une première brèche
L'an passé, trois jeunes diplômés allemands particulièrement motivés étaient toutefois parvenus à ouvrir une brèche. Elèves du « cycle international long » de l'école, qui offre un cursus presque identique à celui suivi par les Français - hormis un stage plus court -, ils avaient réclamé et obtenu leur intégration au sein de ministères.
« Nous avons demandé une dérogation au ministre de la Fonction publique, qui nous l'a accordée en janvier. Plusieurs postes nous ont été proposés, à la Défense, à l'Equipement, aux Affaires sociales, ou en préfecture. J'ai choisi l'Ecologie, car je pouvais y exercer de véritables responsabilités », raconte ainsi Katrin Moosbrugger, qui gère près de 2.500 agents à la tête du bureau des personnels des établissements publics du ministère.
Un choix de carrière dicté notamment par l'impossibilité de faire valoir leur diplôme outre-Rhin... alors que l'Etat allemand finance leur scolarité. Très soutenue par la direction, l'initiative avait été plutôt bien accueillie par les autres élèves. « Nous n'étions pas en concurrence directe avec eux, car nous n'avons pas été classés à la sortie de l'école. Par ailleurs, nous n'avons pas demandé les mêmes postes », argumente Katrin Moosbrugger. Reste à présent à régulariser la situation. Contractuels, les trois Allemands doivent attendre les décrets d'application modifiant le statut de la fonction publique. En outre, les emplois comportant des « prérogatives de fonction publique » demeureront encore interdits aux étrangers par les textes. Ainsi, les candidats pourront intégrer le corps des conseillers d'Etat, ou la Cour des comptes, mais ils ne pourront pas y être magistrats.
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