Seringues en prison : comment concilier santé et sécurité ?
Le gouvernement réfléchit à introduire en cellule du matériel permettant aux détenus toxicomanes de se droguer sans attraper de maladies infectieuses.
Le projet du gouvernement d'introduire des seringues en détention a créé une vive polémique chez les syndicats pénitentiaires.
Le décret n'en est encore qu'au stade de projet mais suscite déjà contre lui une importante levée de boucliers. Mercredi 4 janvier, les syndicats pénitentiaires ont annoncé que le gouvernement, à la suite de l'adoption de la réforme santé de 2016, souhaitait introduire des seringues en prison. Ces dernières, censées permettre aux détenus toxicomanes de se droguer sans attraper de maladies infectieuses, pourraient être distribuées à l'intérieur même des cellules, posant ainsi d'importants problèmes de sécurité.
Thierry Solère, porte-parole de la campagne de François Fillon, a vivement réagi lundi, dénonçant dans un communiqué une « mise en danger de la vie des personnels pénitentiaires et même des détenus ». Certains syndicats ne sont pas plus optimistes vis-à-vis d'un projet potentiellement « dangereux ». Fo-Pénitentiaire se dit ainsi « contre toute dérogation qui donnerait droit à pouvoir obtenir des seringues en cellule », tandis que le SPS y voit « une nouvelle arme contre les surveillants ».
Pas de seringue dans les prisons surpeuplées
La CGT-Pénitentiaire est une des rares organisations à se montrer ouverte au débat. « On ne peut nier que, du point de vue sanitaire, il s'agit d'une avancée », explique Christopher Dorangeville, délégué national. « Une avancée qui se confronte cependant à de très grosses problématiques », ajoute-t-il. Pour le moment, l'administration pénitentiaire a avancé plusieurs garde-fous. Pour bénéficier d'une seringue propre, le détenu toxicomane devra avoir obtenu au préalable l'accord du chef d'établissement, être seul en cellule et être emprisonné dans un établissement qui n'est pas touché par la surpopulation carcérale.
Des critères qui écartent donc du dispositif la quasi-totalité des maisons d'arrêt françaises… Seuls les détenus condamnés à des longues peines, incarcérés en centre de détention ou en maison centrale, seraient ainsi concernés. Les réticences ne sont pas seulement sécuritaires, mais idéologiques : « Doit-on encourager des personnes dans leur addiction ? » se demande un surveillant en poste dans la région parisienne, rejoignant ici les interrogations qui avaient précédé l'ouverture de la première salle de « shoot » à Paris.
Mésusages et détournements de médicaments
La consommation de drogue est, selon plusieurs études concordantes, plus élevée à l'intérieur des murs d'une prison qu'à l'extérieur. Les chiffres parlent d'eux-mêmes et sont liés en partie à la politique pénale répressive menée par les pouvoirs publics. Selon l'Inserm, le nombre de personnes incarcérées pour infraction à la législation sur les stupéfiants a ainsi bondi de 165 % entre 2000 et 2010.
Si le cannabis reste la reine des drogues, la cocaïne et les stéroïdes anabolisants circulent également beaucoup. Le mode de consommation des drogues dures est quant à lui plus risqué en prison, pour des raisons qui tiennent à l'hygiène, mais également aux mésusages et aux détournements de médicaments extrêmement répandus derrière les murs.
Substitution aux opiacés
De nombreux médecins n'hésitent désormais plus à prescrire des substitutifs aux opiacés pour faire décrocher les toxicomanes. « C'est absolument crucial », tranche Christophe, praticien à l'unité hospitalière de la maison d'arrêt de Nîmes. Selon l'Inserm, environ 9 % des détenus étaient ainsi sous TSO (traitement de substitution aux opiacés) en 2010.
La distribution de matériel d'injection stérile en prison, bien que recommandée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), reste quant à elle assez rare. Selon une étude de l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, seuls trois pays sur les trente sondés ont déclaré avoir mis au point un système d'échange de seringues. La France serait donc pionnière. Une expérimentation a été annoncée aux Baumettes, mais l'administration pénitentiaire, prudente, n'a pour le moment pas communiqué de calendrier. Les discussions avec les syndicats doivent se poursuivre dans les prochaines semaines.