Jean-Pierre Chevènement suscite à nouveau la curiosité
Rien n'est définitif en politique. Aux revers les plus cuisants peuvent succéder les résurrections les plus inespérées. Jean-Pierre Chevènement en fait l'expérience. Le 1er février 2012, après quelques semaines d'une poussive précampagne, il avait renoncé à se présenter à l'élection présidentielle, constatant que sa candidature ne suscitait pas le même intérêt que dix ans plus tôt. Beaucoup pensèrent alors qu'une page était tournée. Que le « Che » était devenu une fois pour toutes l'un de ces vétérans de la politique dont on ne parle plus qu'au passé.
Près de deux ans plus tard, le voilà pourtant de retour. Dans les librairies, d'abord, avec un essai paru en octobre sous le titre 1914-2014, l'Europe sortie de l'histoire ? (Fayard, 342 pages, 20 euros), dont l'éditeur confie qu'« il marche très bien pour un livre d'homme politique ». Dans les médias, ensuite, où le sénateur de Belfort, grâce à cet ouvrage, court les plateaux les plus en vue.
Tout ceci serait anecdotique si Jean-Pierre Chevènement se contentait, lors de ses récentes prises de parole, de disserter sur le siècle passé. Evidemment, il n'en est rien : en vieil animal politique, le président d'honneur du Mouvement républicain et citoyen sait qu'il aurait tort de se priver des tribunes qui lui sont offertes à l'occasion de la parution de son essai historique pour ne pas exposer ses solutions pour demain.
« UNE RUPTURE DANS LA POLITIQUE ÉCONOMIQUE »
Celles-ci sont connues de longue date. L'engouement qu'elles suscitent n'en est que plus étonnant. Tout a commencé avec l'économiste Jacques Sapir. Certes, son intérêt pour les idées de M. Chevènement ne date pas d'hier. Mais de là à ce qu'il plaide pour que celui-ci soit nommé à Matignon… Tel est pourtant ce qu'il a écrit sur son blog, suggérant à François Hollande de faire « appel à un homme dont le prestige et les positions garantiraient qu'il serait celui d'une rupture dans la politique économique actuelle mais sans rupture avec le cadre démocratique et républicain ».
L'idée aurait pu en rester là. Il n'en fut rien. Le 6 novembre, l'hebdomadaire Marianne demanda à 84 personnalités de proposer un successeur à Jean-Marc Ayrault. M. Chevènement arriva en troisième position (8,1 % des réponses), derrière Martine Aubry (24,3 %) et Manuel Valls (20,2 %), mais devant Arnaud Montebourg (5,4 %) et Michel Sapin (4 %).
Il n'en fallut pas plus pour activer les réseaux du « Che ». A 74 ans, l'ancien ministre de François Mitterrand et de Lionel Jospin compte parmi ses maigres troupes des jeunes gens particulièrement actifs sur les réseaux sociaux, au point de créer sur la plateforme Tumblr un blog intitulé #lecheamatignon.
MATIGNON ? « JE N'Y CROIS PAS »
Des élus ont aussi été approchés. Marie-Noëlle Lienemann, par exemple. « Sur la question européenne, l'histoire donne raison à Chevènement. Il incarne aussi une certaine idée de l'autorité de l'homme d'Etat et un côté hors magouilles partisanes que les Français réclament aujourd'hui », estime la sénatrice socialiste de Paris. A l'Assemblée, son collègue Pouria Amirshahi se dit lui aussi séduit : « J'ai révisé mon jugement sur son côté “vieille gauche”. Il incarne l'idée que la France peut rester progressiste sans s'effacer des radars de l'histoire », confie le jeune député PS des Français de l'étranger.
Le « Che », lui, regarde tout cela avec un mélange de distance et de satisfaction. L'hypothèse Matignon ? « Je n'y crois pas, dit-il au Monde. Il faudrait que le chef de l'Etat estime que les circonstances sont exceptionnellement graves. Or il est par nature optimiste et pense que l'économie va finalement se redresser. » Niant être en rivalité avec Jean-Marc Ayrault, « un homme courageux qui fait ce qu'il peut dans les limites qui sont les siennes », le sénateur de Belfort se contente d'expliquer la curiosité qu'il suscite par le « besoin des Français pour des idées courageuses qu'ils ne trouvent pas dans le débat politique actuel ». Une curiosité que ses partisans ont l'intention de faire perdurer, en envisageant la commande d'un sondage à un grand institut, et en misant sur une invitation de leur champion devant le groupe socialiste de l'Assemblée nationale, début de 2014.