Topic: MAM : Michèle Alliot-Marie
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MAM, objectif Matignon
LE MONDE | 19.03.05 | 14h20
Jacques Chirac, son mentor depuis quarante ans, la tutoie. Michèle Alliot-Marie premier ministre ? La classe politique en parle...
Dans l'hélicoptère Puma qui l'amène de Grenoble à Gap, la ministre de la défense sort sa trousse de maquillage. Bref coup de poudre et de rouge à lèvres, ajustement de la coiffure, vérification des profils devant le miroir de poche. Gracieux égarement féminin. Elle se tourne vers le hublot, jette un œil rêveur aux montagnes enneigées et troque ses boots à talon contre des chaussures de marche. Son aide de camp a tout prévu. Madame "le" ministre, qui tient à son article masculin, est parée pour l'atterrissage.Le 4e régiment de chasseurs de Gap [NDLR : ] est aligné pour la revue. Un petit groupe en uniforme d'apparat, tenue blanche et "tarte" blanche sur la tête, joue La Marseillaise. Dans son fameux tailleur-pantalon parfaitement ajusté, Michèle Alliot-Marie se tient le menton haut, les bras le long du corps. Puis rejoint la troupe énergiquement, toujours droite comme un "i", sourire aux lèvres et en cadence. Passage en revue de gauche à droite, demi-tour tonique et hop, de droite à gauche. Ministre de la défense comme un poisson dans l'eau. Cette femme aurait-elle le pas militaire dans le sang ?
Cela n'a pas été sans répétitions. Patrick Ollier, député (UMP) et maire de Rueil Malmaison, président de la commission des affaires économiques de l'Assemblée, ancien international de judo et compagnon très amoureux de Michèle, est là pour le rappeler. "Le soir où elle a été nommée ministre, je l'ai fait s'entraîner dans le couloir, à la maison. Une-deux, une-deux, demi-tour, droite !" Ce fameux demi-tour tonique sur les pointes de pied, assez compliqué à ne pas rater.
Quand le président de la République propose à Michèle Alliot-Marie d'être ministre de la défense dans le premier gouvernement Raffarin, la dame se trouve dans son bureau de Saint-Jean-de-Luz, la ville des Pyrénées-Atlantiques dont elle est toujours maire adjointe. Elle souhaitait rester en milieu parlementaire et se présenter à la présidence de l'Assemblée. Mais elle savait que Jacques Chirac comptait lui confier un ministère régalien. Ce 7 mai 2002, le téléphone sonne.
"Avez-vous bien réfléchi à ce que pourrait être la réaction des armées à la nomination d'une femme ?, demande la future ministre au président.
- Oui, oui, j'ai interrogé deux-trois personnes. Avec toi, ça devrait marcher [NDLR : au pas !]", répond Chirac.
Ce n'est pas franchement dans les traditions. La défense nationale est un ministère d'hommes [NDLR : Bigeard dirait "un ministère de gens qui en ont]. Dans un hall de l'hôtel de Brienne qui abrite le ministère de la défense, à Paris, sont affichés les portraits des 94 ministres français de la défense : du général Adolphe Le Flo (1870-1871), à Alain Richard [NDLR : surnommé le "pète sec amadoué", grand buveur de lait devant l'éternel] (1997-2002), que des hommes, avec ou sans moustache. Il faudra attendre le départ de la ministre pour que sa photo prenne place au mur. MAM, "la première femme."
Une femme qui en a vu d'autres : deux fois ministre et ex-présidente d'un parti historiquement machiste, le RPR. Une femme divorcée - de Michel Alliot, haut gradé de l'université [NDLR : depuis quand l'armée est elle un corps avec des grades ?]-, qui ne joue pas la solidarité féminine et ne veut pas entendre parler de "parité". Une femme élevée à la dure, entre un père au tempérament trempé et à l'accent du Sud-Ouest qui l'éduque avec sa sœur comme une équipe de rugby, avec exigence et sans les traiter "en filles", et une mère d'origine polonaise [catho-tradi ?], chef d'entreprise, qui lui apprend "à avoir des plumes de canard : quand il pleut, l'eau glisse sur toi".
Une femme à la langue bien pendue, dont l'histoire retient déjà quelques mots à la Sacha Guitry. A un huissier de l'Assemblée qui lui fait remarquer que le port du pantalon dans l'hémicycle est interdit aux femmes, elle répond du tac au tac : "Voulez-vous que je l'enlève ?" Elle règle aussi leur compte aux barons du RPR par cette formule coquine : "Les éléphants, il suffit de leur caresser la trompe." [Fabius ferait mieux de l'emmener faire un tour sur ça moto, ça dera comme Mitterand et Cresson]
Jacques Chirac tutoie Michèle Alliot-Marie depuis qu'il l'a rencontrée avec son père Bernard Marie, ancien député et maire de Biarritz et arbitre international de rugby. Nous sommes en 1967. Chirac est secrétaire d'Etat aux affaires sociales du gouvernement de Georges Pompidou. La jeune Michèle Marie, 21 ans, est étudiante en droit et légèrement tête brûlée [on veux en savoir plus]. Immédiatement intéressé par celle qu'il surnommera plus tard en aparté "les plus belles jambes du RPR", le fougueux gaulliste lui propose de venir à son cabinet. "Ah non ! La politique, je n'en ferai jamais !", lui répond-elle, avec une irrévérence qu'elle garde encore à son égard. Elle l'avoue : "Il aime bien ça."
Près de quarante ans plus tard, les coups de pouce de son père et le virus de la politique l'ont emporté. MAM y a pris goût : du cabinet d'Edgar Faure, où elle entre en 1972, au ministère de la défense, où elle exerce actuellement son deuxième mandat, en passant par l'implantation locale à Saint-Jean-de-Luz et la présidence du RPR.
La défense. Rien que ça. Un ministère régalien pour celle que les Basques surnommaient "la petite conseillère de Ciboure", et dont le passage à la tête du RPR avait laissé l'image d'une "passerelle" entre chiraquiens et balladuriens, munie moins d'un projet politique que d'une stratégie de rassemblement. Un ministère placé sous l'autorité directe du chef de l'Etat, pour celle qui parvint à s'imposer sans réseau politique puissant (il n'y a pas d'alliot-maristes comme il y a des sarkoziens), mais en gardant toujours autour d'elle sa famille : son père et sa mère (qu'elle appelle tous les jours), son compagnon Patrick Ollier (rebaptisé POM pour "Patrick Ollier-Marie") [son slogna est tout trouvé : mangez des POMs], actif dans son ascension au sein du RPR, et sa nièce Ludivine Olive, "la fille qu'elle n'a pas eue" selon Bernard Marie et qui est devenue son chef de cabinet.
A peine nommée le 7 mai, MAM est mise en condition. Elle prend ses fonctions à 20 heures. A 6 h 30, le lendemain matin, l'officier de permanence l'appelle pour la prévenir de l'attentat meurtrier qui vient d'avoir lieu à Karachi (Pakistan) contre des ressortissants français [NDLR : travaillant pour la DCN, soit le MinDéf], employés de la direction des chantiers navals. Il faut d'abord assurer les cérémonies du 8 Mai dans la matinée, passer en revue les troupes au pied de l'Arc de triomphe. L'entraînement de la veille, dans le couloir, n'a pas été inutile. Jacques Chirac souffle à l'oreille de Michèle "un compliment très admiratif". On n'en saura pas plus.
Départ pour Karachi. Images de guerre, cadavres, blessés en morceaux, familles des disparus d'autant plus tétanisées que le 11-Septembre a eu lieu huit mois plus tôt. L'armée et son ministre se jaugent ce jour-là. MAM admire l'efficacité et la rapidité, dans le calme, de l'organisation militaire en situation de crise ; les militaires sont épatés par son sang-froid, sa chaleur spontanée envers les proches des victimes. "Ils sanglotaient, elle les a pris dans ses bras, témoigne un observateur. Vous voyez Alain Richard faire ça ?[qu'est-ce que je disais...] Elle a calmé les gens par des méthodes très féminines, très tactiles. Avant de les galvaniser : "Le président m'a dit de vous dire... Vous êtes là pour la France, etc."" Son anglais, en revanche, laisse perplexes ses interviewers.[elle fait partie d'une dream team : J. Barrot, Barnier, Chirac... Heureusement que Villepin est là]
Le président de la République lui a défini ses objectifs : rendre le moral aux armées en renforçant la disponibilité des moyens militaires, établir et faire voter la loi de programmation militaire, construire l'Europe de la défense. [ambitieux...] Avec ténacité et autorité, sans inventivité particulière ni anticipation visionnaire, MAM accomplit sa mission. [elle aura une médaille...] Et va jusqu'au bout, comme lors du duel dont elle sort vainqueur face à Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'économie et des finances, sur une augmentation du budget de la défense qui garantit la loi de programmation militaire.
Facile, dira-t-on : elle entretient une relation privilégiée avec Jacques Chirac, qui lui-même entend donner un caractère prioritaire à la défense nationale. Si Chirac a choisi MAM, fidèle d'entre les fidèles, c'est parce que le vrai chef des armées, constitutionnellement, c'est lui. Une ministre acquise à sa cause ne fait qu'appliquer les directives dans un contexte par ailleurs favorable : l'évolution de l'image du militaire dans la société française, devenu professionnel des causes justes, du maintien de la paix et de l'humanitaire. [observation très juste (vérifiée pas des stats) mais pendant ce temps là on emploie pas les militaires pour ce qui est leur vocation première...]
Mais MAM y met sa patte à elle. [avec son jeu de jambe ?] Cette capacité infatigable, tel son mentor Chirac, à faire du terrain, à "jouer la proximité". Gambadant [la métaphore filée continue...] sur la scène internationale avec ce même talent qui lui avait fait emporter, au grand étonnement des "éléphants" qui n'y croyaient pas, la présidence du RPR. Elle avait alors aligné les kilomètres, les meetings et les visites aux fédérations. Inventant un style nouveau : non pas debout sur l'estrade, face au public, mais déambulant entre les allées.
Elle applique spontanément la recette aux militaires. Se rend sur les théâtres d'opérations extérieures [NDLR : TOE], passe le réveillon de Noël avec les troupes en Afghanistan ou en Côte d'Ivoire, en étonne plus d'un par son courage physique. "Les relations avec les militaires du rang et avec les officiers sont faciles dès lors que l'on va vers eux, note-t-elle. Ils sont extrêmement sentimentaux." [cf. Edith Piaf : "il sentait bon le sable chaud... mon légionnaire]
Elle sait les séduire par sa féminité mélangée à son look militaire en tailleur-pantalon. Distribuant facilement bises et accolades, ayant une attention supplémentaire pour les femmes du régiment, n'hésitant jamais, en bonne sportive, à sauter en parachute. Lors d'une visite au 4e chasseurs, à Gap, par un froid de gueux, elle ôte son manteau pour la revue. "C'est la moindre des choses, dit-elle. Ils sont là une heure avant moi. Ils n'ont pas de manteau, alors moi non plus." Les militaires du rang sont enthousiastes. "Je suis vachement fière d'avoir un ministre femme qui est apprécié de mes camarades masculins", dit une jeune femme maréchal des logis-chef. "Elle sait parler aux gens de tous grades avec attention tout en étant solennelle devant les emblèmes nationaux", remarque le colonel Paul de Puybusque. Ils apprécient sa proximité, bien utile, avec le président de la République. Et trouvent leur intérêt à avoir pour ministre une femme d'appareil, dotée d'un poids politique, plutôt qu'un haut fonctionnaire techniquement incollable.
A la tête des armées, l'un des corps de l'Etat qui a montré le plus d'aptitude à se réformer [comme c'est vrai, et en silence, sans manifester, en étant exemplaire et malheureusement en étant que peu récompnsé, comparez juste les soldes françaises et anglo-américaines...] (se professionnalisant, intégrant les femmes, les jeunes issus de l'immigration), MAM est si à son aise qu'elle clame volontiers avoir refusé les affaires étrangères, dans le deuxième gouvernement Raffarin. La défense, pour elle, est "le plus beau ministère par l'ampleur des centres d'intérêt. Le plus varié, le plus riche intellectuellement et humainement, et aussi le plus puissant - le deuxième budget de l'Etat, avec 437 789 fonctionnaires civils et militaires -".
Elle y a trouvé son fauteuil le mieux ajusté : l'incarnation possible de ces "valeurs gaullistes" qui l'ont formée, entre des grands-parents qui avaient rejoint de Gaulle à Londres et des parents dans la Résistance. "Pour moi, dit-elle, cela veut dire croire en la France, à son rôle en Europe et dans le monde ; croire aux valeurs humaines fondamentales, à un système de société fondée sur la liberté, le respect et l'égalité des chances, sur la possibilité d'une "seconde chance"." Egalité dont elle compte bien faire bénéficier les femmes. MAM l'antiféministe, révoltée contre la parité qu'elle considère comme une insulte ("cela laisse planer le soupçon qu'une femme n'est pas là pour sa compétence"), n'en est pas moins volontariste pour la promotion des femmes. Elle a créé des déjeuners de femmes ministres, "pas pour dire du mal des hommes, même si c'est marrant", mais pour faire bénéficier les autres femmes de sa propre expérience, avec ses embûches.
Pour elle-même, outre son professeur d'anglais, elle a un coach attitré : l'ancien journaliste Jean-Luc Mano [quelqu'un le connait ?]. Une fois par semaine, il tente de corriger cette image publique de bourgeoise incorrigiblement pète-sec qui ne ressemble pas à son personnage privé [Alain Richard, vous avez dit Alain Richard... Il faudrait qu'elle lui demande des conseils...]. Elle travaille aussi à un livre, au cas où l'on pourrait croire qu'elle manque de grandes idées pour la France. [MAM's diary, on attend ça avec impatience dans les chaumières...] "MAM peut devenir une marque, comme Sarko, Chirac ou DSK", observe un collaborateur.[NDLR : en tous cas Le Monde fait parti de son plan-média]
Objectif Matignon ? Demandez donc à Michèle Alliot-Marie si, en se poudrant, elle se sent "premier ministrable". Vous aurez en réponse une mine candide et/ou effarouchée. Style : "Ma mission est au ministère de la défense." [on ne discute pas les ordres...] Mais ses concurrents de droite, ceux qui avaient ricané lorsqu'elle s'était présentée à la présidence du RPR, jurent qu'on ne les y reprendra plus. [ils avaient déjà dit ça pour d'autres...] "On l'a sous-estimée une fois. Cette fois, on ne rigole plus."
Marion Van Renterghem
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 20.03.05
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