"Le grillage était tout neuf. Il avait coûté 10 000 euros à la commune. Pour un village comme le nôtre, ce n'est pas rien", dit le maire. En cet après-midi d'août, Maurice Boisard aperçoit depuis les fenêtres de son bureau un des jeunes de la commune qui escalade le grillage, "alors qu'ils savent que la clé est à leur disposition" pour passer de l'autre côté.
Ce jeune, il le connaît bien. C'est le chef de la petite bande, dit-il. Celui qui, deux mois plus tôt, était venu rigoler à quelques pas de lui, "pendant qu'avec les anciens combattants, on commémorait le 18 juin". Celui qui se met ostensiblement devant sa voiture lorsqu'il va chercher son petit-fils à la sortie de l'école communale. Celui qu'il soupçonne aussi d'être l'auteur des tags qui fleurissent ça et là sur les murs des bâtiments.
"Je suis sorti. Je lui ai dit : 'tu arrêtes de te foutre de ma gueule'. Demain matin, tu iras au poste, raconte le maire. Il m'a répondu : 'C'est pas toi qui va m'empêcher de faire ce que je veux'. Il m'a insulté, m'a traité de 'bâtard' et la claque est partie. J'ai jamais donné de gifle à personne dans ma vie. J'ai eu un geste instinctif, c'est pas la meilleure chose que j'ai faite. Je le regrette." Il ajoute, un peu plus bas : "Je ne cherche pas à excuser ma gifle, j'aurais pas dû le faire. Mais le problème, il vient peut-être de comment il a été élevé ce garçon..."
La suite de l'affaire est racontée sur procès-verbaux par les copains du jeune homme, témoins de la scène. L'humiliation qui fait sortir l'adolescent de ses gonds, les insultes qui pleuvent – "Fils de pute, je vais niquer ta mère, attends si t'es un homme, je vais te tuer" – le coup de poing qui part mais qui n'atteint pas le maire car les autres s'interposent, la colère, toujours, qui pousse le mineur à rentrer chez lui, à prendre deux couteaux qu'il glisse dans ses chaussettes et à revenir sur la place de la mairie avant d'être calmé et désarmé par ses amis. Le maire porte plainte pour outrages (le garçon a été condamné depuis), les parents déposent plainte à leur tour contre l'édile, pour "violences".
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Les premiers mots du procureur, Bernard Beffy, glacent l'auditoire. "Le jour de gloire est arrivé, Monsieur le maire! Vous avez votre récompense : la notoriété et votre statut de victime expiatoire !" Au prévenu, il reproche d'avoir refusé la médiation et le plaider-coupable qui lui avait été proposé, moyennant le paiement d'une amende de 600 euros. "Vous vouliez le tribunal, parce que vous vouliez une tribune !", lui lance-t-il. Il s'en prend avec la même agressivité aux élus – pour la plupart des maires sans étiquette de petites communes et d'autres, sympathisants ou militants du PS – venus soutenir leur collègue et à leur "corporatisme un peu primaire". Il ironise avec lourdeur : "On voudrait savoir, Coulsore, c'est Chicago des années 30 ? Heureusement que vous n'êtes pas maire de Montfermeil, Monsieur Boisard !"
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A son banc, Maurice Boisard semble sonné. La voix du procureur résonne encore dans la salle : "Vous êtes quelqu'un de bien, et à 62 ans, vous êtes d'autant moins pardonnable de vous être laissé aller à un emportement contre un jeune de 16 ans, ces jeunes auxquels notre génération laisse si peu d'espoir... La jeunesse, ce n'est pas une maladie !", tonne-t-il encore avant de requérir une peine de 500 euros contre le maire.
Maurice Boisard semble à peine écouter la plaidoirie de son avocat. Lorsque le juge lui demande s'il a quelque chose à ajouter, il dit, d'une voix un peu sourde :
— Je crois que je n'ai pas été compris. J'ose plus rien dire.
Jugement le 17 février.