Topic: François de Closets, ennemi de l'orthographomanie
Je suis tombé par hasard sur le journal de France 2. Ce soir, Pujadas avait invité un abominable personnage, un immonde philistin, dont la bêtise n'avait d'égale que la suffisance avec laquelle il s'exprimait, qui répondait au nom de François de Closets. Il intervenait au sujet de l'orthographe (il vient d'écrire un livre intitulé Zéro faute). Prenant son propre cas (désastreux) en exemple, il fustigeait l'orthographe, l'appelant "fétichisme" ou "dictature", louait le "langage" SMS en disant qu'il était révélateur de l'évolution de la langue (sic) et qu'il permettait de se libérer de la dictature de l'orthographe (re-sic) et prônait, pour finir, le recours systématique dans les écoles aux correcteurs informatiques (re-re-sic) et la fin de la dictée.
Je copie-colle l'entretien qu'il a accordé au JDD car ça reprend mot pour mot ce qu'il a dit sur France 2 (cf aussi le Point de cette semaine mais je n'ai pas pu consulter l'article).
En finir avec la "dictature orthographique"
A 75 ans, l’essayiste François de Closets passe aux aveux: son orthographe est désastreuse.
"L’accent circonflexe m’impressionnait plus que la mécanique quantique", écrit-il dans son dernier livre*. Il lance ici une croisade contre cette "injustice" qui consiste à condamner quelqu’un sur sa maîtrise des doubles consonnes. Et suggère de faire entrer les correcteurs d’orthographe dans les écoles pour "retrouver le bonheur d’écrire".
Pourquoi vous a-t-il fallu tant de temps pour avouer que vous étiez mauvais en orthographe?
Parce qu’en France ça ne se dit pas ! Mais j’ai décidé de ne plus avoir peur de le reconnaître : oui, j’ai des insuffisances en orthographe. Mon Dieu, je ne suis pas en train de dire que j’ai violé des petits garçons!Vous pensez déclencher une vague de coming out?
Ce livre doit être libérateur. Il n’est pas normal que tant de gens passent leur vie dans la crainte d’une erreur orthographique qui, effectivement, leur ferait perdre la face. Pas une faute de français ou de grammaire. Juste une erreur liée aux bizarreries de notre langue. Vous pouvez vous tromper en sciences, en géographie, tout vous sera pardonné. Mais pas en orthographe ! Là, ce n’est plus une erreur, c’est une faute. Ce n’est pas un manque de savoir, c’est un manque de savoir-vivre.C’est ce que vous appelez la "dictature orthographique"?
Bien sûr ! On a sacralisé l’écrit, on a fait du moindre mot une image pieuse. Une erreur d’accent, et c’est comme si on offensait le crucifix ou Allah. Je ne prêche pas pour l’orthographe libre, mais je n’admets pas qu’on élimine des candidats à un poste pour une faute dans leur CV. Si Maman s’était inclinée devant le verdict de mes professeurs de quatrième, je n’aurais pas fait d’études. Pourtant j’ai terminé dans les dix premiers à Sciences-Po.Certains mots vous terrifient-ils plus que d’autres?
Ce qui me piège, ce sont les lettres terminales muettes. Cauchemar, pourquoi ça ne prend pas de d ? Et prélat, pourquoi ça prend un t? Il y a aussi les redoublements de consonnes. Et raisonner ne sert à rien. Notre orthographe n’est ni logique ni cohérente.Vous avez le ton de celui qui dénonce une grande injustice…
Mais c’en est une ! Les gens qui font des fautes en feront toujours. Ce n’est pas une question d’intelligence ou de travail. Cela tient à un problème de mémoire photographique. Certains ont ce type de mémoire, d’autres pas. Nous sommes des milliers, au moment où nous prenons notre stylo, à être gagnés par l’appréhension. Vous vous rendez compte du niveau de dégénérescence auquel nous sommes arrivés ? On choisit les formules les plus banales dans la crainte de se tromper.Comment comptez-vous la renverser, cette "dictature"?
Elle est en train de s’effondrer d’elle-même. Quand un jeune envoie des SMS, il triture la graphie, il coupe des syllabes. Il fait la différence entre cet usage et le français normal. Il sait que ce qu’il tape, c’est de la conversation écrite. Mais à force de jouer avec l’écriture, il n’a plus d’attachement fétichiste à l’orthographe. La baisse du niveau est donc irréversible.Que conseillez-vous au ministre de l’Education nationale?
Qu’il fasse entrer les correcteurs [électroniques] d’orthographe à l’école ! Les professeurs continueront à enseigner la syntaxe et la grammaire. Mais ils auront de moins en moins de temps pour les bizarreries ; là-dessus, le correcteur est pratiquement parfait. Si la faute cesse d’être une infamie, si les correcteurs détectent les fautes lexicales, alors on pourra retrouver le bonheur d’écrire.* Zéro faute, Mille et Une nuits, 320 p., 20,90 euros.
La phrase en gras est assez pitoyable.
Je trouve sa proposition pernicieuse et dangereuse. Systématiser le recours aux correcteurs d'orthographe (ce qui viendra sans doute d'ailleurs, et je le déplore) est une solution de facilité et ne fera qu'encourager la paresse naturelle de l'être humain. C'est capituler devant la moindre difficulté, se simplifier la vie à l'extrême au détriment de l'effort intellectuel qu'on fournit quand on écrit.
Il affirme ainsi qu'on pardonne plus facilement une erreur en science ou en géographie qu'en orthographe. Je me demande où il est allé chercher une sottise pareille ; une personne qui ne sait pas faire une simple addition ou qui situe sur une carte Lille à la place de Marseille sera tout aussi montrée du doigt que si elle avait écrit "il est bo" (pour "il est beau") ou que sais-je encore. Évidemment, il faut hiérarchiser les fautes d'orthographe qui n'ont pas toutes la même importance, tout le monde en fait, les grands écrivains les premiers (Closets s'en réjouit d'ailleurs et prend cet argument empirique à son compte, cf le dossier du Point sur les fautes de Proust ou de Dumas père, genre :"Aha, vous voyez, même Proust, un prix Goncourt, faisait des fautes !" mais c'est absurde). Il y a faute et faute : écrire par exemple "imbécillité" avec un seul l (le puriste dirait d'ailleurs "une" l) ou oublier un accent n'est pas aussi grave qu'écrire "j'été chez moi" ou "ils ont voulu dirent". Ce monsieur me semble mettre tout sur le même plan, d'où sa proposition des correcteurs. Et pourquoi circonscrire cela à l'orthographe et pas au reste ? Je propose qu'on mette en place des correcteurs de calcul (parce que faire des opérations, c'est long et compliqué et surtout, il faut réfléchir et ça, ça fatigue), d'histoire (pour aider à retenir les dates), de philo, de géographie, de physique etc.
Il débute l'entretien en parlant de lui et de ses difficultés. On en revient au débat : faut-il adopter la solution de facilité et se mettre au niveau de ceux qui ont le plus de difficultés ou, à l'inverse, tenter de relever le niveau de ces derniers ? On présente l'orthographe comme élitiste ; il est vrai qu'elle est discriminante. Je pense qu'il faut justement démocratiser le plus possible cet "élitisme", non pas pour le faire disparaître (puisque l'orthographe sera toujours discriminante, comme peuvent l'être les mathématiques par exemple) mais bien pour éviter son appauvrissement, qui semble selon Closets, à tort à mon avis, inéluctable. La mauvaise orthographe n'en incombe peut-être pas seulement aux élèves mais aussi aux méthodes éducatives. Peut-être faut-il voir aussi de ce côté-là. Mais je ne lis cette remise en cause nulle part dans son argumentaire.
Là où je suis d'accord, c'est quand il dit, mais de manière ironique, que la faute d'orthographe n'est pas un manque de savoir mais de savoir-vivre. Je pense en effet que l'orthographe est une forme de politesse, de respect envers l'interlocuteur. Mais peut-être que ça échappe à ce M. de Closets. Ce qui m'amène, contrairement à lui, à admettre qu'on puisse éliminer un candidat qui aurait fait une faute dans son CV, si celle-ci est grave.
En affirmant que l'orthographe n'est ni logique ni cohérente, ce monsieur professe une autre énormité. La langue française est tout ce qu'il y a de plus logique et cohérent. Il y a une raison pour toute chose, comme disait Freud. Si Closets avait fait du latin, il aurait su pourquoi il y a un t à la fin de "prélat". S'il avait été un tant soit peu curieux, il aurait consulté, comme je viens de le faire, l'étymologie du mot "cauchemar" et aurait compris pourquoi il n'y a pas de d à la fin. "Cauchemar" vient du picard "cauquemare" (qui remonte à 1375) issu de la forme verbale "cauchier" qui signifiait "presser" et "mare", fantôme provoquant de mauvais rêves, d'où l'anglais "nightmare". Quant au mot "cauchemarder", qui semblerait à première vue, pour un esprit paresseux, légitimer l'usage du d à la fin de "cauchemar", ce terme a été employé pour la première fois en 1840. Voilà pourquoi il n'y a pas de d.
Autre énormité : les gens feront toujours des fautes (certes, c'est naturel, jusqu'ici, on ne peut être que d'accord) donc ce n'est pas une question d'intelligence ou de travail. Sophisme idiot ! L'orthographe se travaille, elle appelle un effort de réflexion et de logique. Elle ne tombe pas du ciel ! Il ne s'agit pas que de mémoire, même si ça joue évidemment. Et il est malaisé de recourir seulement à la mémoire, à moins d'en avoir une très efficace. Il y a certes des bizarreries dans la langue, des choses qui peuvent sembler incohérentes de prime abord, mais cela est dû à son évolution : "imbécile" s'écrivait avant "imbecille", il a perdu son l mais pas "imbécillité" alors que ce terme, logiquement, aurait dû aussi le perdre.
"On est gagné par l'appréhension au moment de prendre le stylo". Eh bien, pour éviter cette appréhension, il existe une solution toute simple qui s'appelle le dictionnaire ou le Bescherelle. Et de nos jours, grande nouvelle, on peut même les consulter sur Internet !
Cela conduit forcément Closets à louer le SMS, la victoire de la médiocrité et de la paresse, la défaite complète de la pensée. Le SMS ne conduit pas à une libération ; bien au contraire, il enferme son utilisateur qui ne peut plus penser par lui-même. C'est la dictature du toujours plus rapide, toujours plus court. Tiens, on retrouve le terme de dictature.
Et on arrive enfin à l'aveu final : la baisse du niveau est irréversible et Closets semble s'en réjouir. C'est parfait, baissons donc les bras et demandons aux correcteurs informatiques de penser à notre place. Ils devraient d'ailleurs écrire à notre place. Et pourquoi pas tout faire à notre place. On en arrive au règne des robots...
Bien sûr, je ne suis pas contre l'évolution de la langue, je ne suis pas un puriste borné à la Abel Hermant (cf ses chroniques de Lancelot dans le journal le Temps avant la Seconde Guerre). La langue a évolué et elle évoluera. On pourrait par exemple ôter le second l d'imbécillité sans que ce soit choquant, voilà en quoi pourrait consister, entre autres, cette réforme. On peut écrire "événement" avec un accent grave, rien de choquant non plus. Je suis simplement contre cette défaite de la pensée, ce recours à la facilité au nom du moindre effort, ce qui conduira inévitablement, par effet pervers, à la simplification outrancière et donc à l'appauvrissement de la culture. On en sera réduit à parler une novlangue, une sorte d'aberration artificielle esperantesque, comme le préconise André Chervel, cette espèce de linguiste de pacotille : http://www.lepoint.fr/actualites-societ
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Et l'appauvrissement de la culture appelle le reniement de ce qui fait la spécificité française mais ça, c'est un autre débat (déclin etc).