Hollande a-t-il déjà renoncé à 2017 ?
Grand désespoir chez les socialistes après le remaniement. L'hypothèse d'un renoncement de Hollande à briguer un second mandat n'est plus farfelue.
Pas un seul ténor socialiste n'a relayé, jeudi soir, sur Twitter l'interview du président de la République sur France 2. Ni Cambadélis, ni Bruno Le Roux, ni Claude Bartolone n'ont jugé utile de diffuser la bonne parole présidentielle... La sidération et le désespoir le disputaient chez les uns et les autres après l'annonce d'un remaniement décevant, parfois à titre personnel. Bruno Le Roux, hollandiste convaincu et fidèle, avait reçu des assurances le matin même. Mais l'après-midi, c'en était fini de ses ambitions ministérielles. Place aux femmes ! Le Roux passait une soirée « au 36e dessous », selon ses amis, les hollandistes historiques.
Au-delà de ce cas particulier, c'est l'affliction générale au regard de ce qui ne peut apparaître à la hauteur d'un « gouvernement de combat » pour engager la bataille de 2017. « On est au fond du trou. Quel gâchis ! » soufflait l'entourage de Claude Bartolone. « Le Titanic ! » s'exclamait un député PS du Nord. « Le quinquennat est fini », lâchait un autre. Chez les ministres, certains ne pouvaient s'y résoudre : « Il y aura un autre remaniement, ce n'est pas possible autrement. » L'entrée de Juliette Méadel, aucun mandat et très peu d'expérience, faisait grincer des dents : « Peut-on sérieusement donner un chauffeur, deux gardes du corps, un cabinet entier à une ministre de l'Aide aux victimes ? » L'absence de représentants socialistes du Sud méditerranéen au sein du gouvernement en hérissait un autre : « On nous laisse aux mains du FN ! »
« Je ne fais aucun calcul politique. » Et s'il disait vrai ?
De son côté, le président assurait, à plusieurs reprises, aux journalistes Gilles Bouleau et David Pujadas qu'il n'y avait chez lui « aucun calcul politique ». Bien sûr, venant d'un homme habile, l'assertion peut prêter à sourire. Mais, à bien y réfléchir, le président dit peut-être vrai et, telle la fable de Prokofiev, Pierre et le Loup, ne sera sûrement jamais cru. Pour une fois, la malice serait ailleurs : on voudrait voir dans le retour de quelques écologistes lilliputiens, l'entrée de Citizen Baylet, le potentat du Sud-Ouest, une habileté suprême à recomposer une improbable gauche plurielle, alors qu'en fait François Hollande a juste décidé de finir le travail parlementaire avec une majorité ric-rac et de tirer sa révérence à la fin d'un mandat qui aura été un chemin de croix.
Le président Hollande, s'il avait voulu ressouder son camp en vue de la présidentielle, se donner de l'oxygène avant le sprint final, avait bien d'autres cartes à jouer. À commencer par le remplacement de Manuel Valls par un personnage qui, tout en gardant le cap économique, présentait un profil plus rond, plus consensuel : l'aimable Bernard Cazeneuve. Ce n'était pas incongru de demander au ministre de l'Intérieur de prendre le manche dans cette période où, chaque jour, un nouvel attentat est redouté. Ce faisant, Hollande commet la même erreur que Nicolas Sarkozy qui remanie en novembre 2010, hésite entre Jean-Louis Borloo et François Fillon et conserve Fillon à Matignon, se privant d'un nouvel élan pour la fin...
L'affront fait à Macron
Manuel Valls aurait pu glisser vers le Quai d'Orsay, histoire de prendre une épaisseur internationale pour plus tard. Cela n'aurait pas été déshonorant dans la perspective de se préparer à de plus hautes fonctions... Et si le Catalan avait refusé cette évolution diplomatique, qu'aurait-il pu faire une fois en dehors du gouvernement ? Se présenter contre François Hollande ? Absurde. Avec quelle troupe (les vallsistes sont très minoritaires dans le parti), quels moyens financiers et quelle légitimité étant donné qu'il se sera appliqué, avec loyauté, à tenir la feuille de route économique et sociale tracée par Hollande dès janvier 2013 ?
Le président a fait un autre choix : conserver Manuel Valls à Matignon (quitte à décevoir ses propres partisans hollandistes qui réclamaient son départ depuis quelques semaines) et remanier ses secrétaires d'État. Pis, Emmanuel Macron, le seul ministre qui, auprès de l'opinion, renouvelle l'atmosphère politique, est sanctionné par une petite humiliation protocolaire au profit d'Emmanuelle Cosse... Lunaire !
« Hollande est un type malin ; il vient de nous faire un gros coup qu'on n'a pas vu. Lequel ? On cherche », plaisante-t-on chez ses partisans.
Des « coups » et des boomerangs
François Hollande demeure un tacticien remarquable, il faut lui reconnaître ça. L'homme est capable de coups qui paient à court terme : les 60 000 postes dans l'Éducation nationale pour se rallier les profs, les contrats de génération pour l'électorat jeune et senior, la promesse d'une imposition provisoire à 75 % sur les gros salaires pour contenir la poussée de Jean-Luc Mélenchon et, plus récemment, le coup de la déchéance de nationalité pour les binationaux au Congrès de Versailles qui fait se lever debout la droite pour l'applaudir... Mais, à moyen terme, il est rattrapé par la patrouille : on rame pour trouver des candidats de bon niveau dans l'enseignement, les contrats de génération sont un flop retentissant dénoncé par la Cour des comptes, la taxe à 75 % a été une purge juridique et un très mauvais signal pour les investisseurs, et la déchéance un facteur de divisions parlementaires dont même le président Hollande a hâte de sortir (il l'a dit hier, sur France 2).
Finir le travail
À côté de cela, il y a un autre François Hollande pour lequel il convient de porter un regard indulgent. Il a essayé sincèrement la simplification administrative pour les citoyens (même si la technocratie ne l'a pas toujours aidé) ; il a compris que la doctrine socialiste tournée vers la redistribution ne pouvait plus fonctionner et que le pays avait besoin de consolider ses entreprises pour renouer avec l'investissement et l'emploi ; il a réalisé que le marché du travail, à trop protéger les CDI, crée une France à deux vitesses avec, d'un côté, les super-protégés et, de l'autre, les précaires de plus en plus nombreux ; il envisage la flexibilité des carrières professionnelles dans un monde numérique en pleine mutation, et cela se traduit par le compte personnel d'activité (une bonne idée, mais tardive dans son quinquennat). En définitive, dans ce long congrès du PS qu'est ce quinquennat, François Hollande aura fait progresser quelques idées social-démocrates dans le débat public, préparant ainsi le terrain à la droite.
François Hollande a donc peut-être pris, en son for intérieur, la décision la plus sage : finir ce qu'il a à faire, du mieux qu'il peut, en bravant les obstacles parlementaires et syndicaux dans le peu de temps qui lui est imparti, sans se soucier de son avenir ni de celui de sa famille politique sans doute promise à de grosses turbulences après son règne.