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Les cours d'économie du forum des étudiants de Sciences Po
La Taxe Tobin
Formulée en 1972, dans le
contexte de basculement vers un système de changes flexibles, la taxe Tobin vise
à limiter les flux de capitaux à court terme sur le marché des changes. Afin
d’éviter les crises de changes, une taxe de faible montant (de 0,01 % à 1%) est
prélevée sur chaque transaction mettant en jeu des monnaies différentes.
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Les
bénéfices attendus sont la réduction de la volatilité des capitaux sur le marché
des changes, déstabilisatrice pour les économies nationales d’une part, et la
collecte de fonds pour financer la lutte contre le sous-développement d’autre
part.
En 1972, l’économiste
James Tobin (prix Nobel en 1981) étudie la possibilité théorique d’une taxation
des mouvements de capitaux sur les marchés financiers. Cette idée a d’abord été
mise de côté avant de retrouver une actualité en 1992 et 1993 avec les crises
monétaires européennes, et en 1994 avec l’effondrement du « peso »mexicain.
I – La taxe Tobin ou le « grain de sable » du marché des changes.
Le raisonnement
est le suivant : la volatilité des taux de change est néfaste pour les pays qui
subissent de ajustements erratiques de leurs devises. Ces variations violentes
peuvent ainsi provoquer de fortes hausses du taux d’intérêt, et donc une
asphyxie globale de l’économie nationale concernée.
La taxe Tobin
vise donc à limiter les flux de capitaux à court terme sur le marché des changes
pour éviter les crises de changes, en prélevant une taxe de faible montant (de
0,01% à 1%) sur chaque transaction mettant en jeu des monnaies différentes.
Chaque transaction serait ainsi d’autant plus coûteuse que son horizon temporel
(le nombre d’allers-retours) est bref.
Deux objectifs :
-
Réduire la volatilité
des marchés
par la diminution des opérations de capitaux. En renchérissant les actions,
la taxation conduit à les opérateurs à ne sélectionner que les opérations
les plus justifiées et les plus rentables. De plus, appliquée uniformément à
toutes transactions, elle rallonge l’horizon temporel des agents en frappant
plus que proportionnellement les opérations de court terme – 80 % des
transactions sur le marché de changes correspondent à des allers-retours
d’une semaine au plus.
-
Constituer des
réserves financières pour lutter contre la pauvreté.
Les gains ont été estimés, pour la base de taux compris entre 0,05 % et
0,25%, de 50 à 250 milliard de dollars US – pour référence, l’aide publique
consentie par les 21 pays de l’OCDE pour le Comité d’aide au développement
s’est élevée à 53,7 milliards de dollars en 2000.
Pour
James Tobin, cette taxe constituerait une « institution réductrice
d’incertitudes » qui, en stabilisant les fluctuations des devises dans un
système de changes flexibles, participerait à la structuration de
l’environnement macro-économique, propice aux investissements productifs. La
taxe n’est pas le moyen de résoudre tous les maux de l’économie
internationale, et dans son esprit originel, n’est pas une remise en cause du
libre échange et des mécanismes de marché.
II
–Une utopie simpliste et dangereuse…
Cette taxe soulève
plusieurs contre arguments dont voici les principaux :
-
L’universalité de la taxe.
Si la taxe n’est pas simultanément mise en œuvre dans tous les pays, elle
aurait pour conséquence, non pas une stabilisation du marché des changes
mais, eu égard à la forte mobilité des capitaux financiers, des processus de
délocalisation qui mettraient à l’écart les places de marchés des pays ayant
adopté cette taxe. La probabilité d’une mise en place concertée, simultanée
et universelle de la taxe paraît très réduite dans le contexte géopolitique
actuel.
-
L’efficacité relative de la taxe.
Soit le taux de la
taxe est faible, auquel son pouvoir de dissuasion demeure marginal et il
sera inversement proportionnel à l’ampleur des fluctuations ; soit le taux
est plus élevé auquel cas son pouvoir de dissuasion est garanti : la taxe
constituerait dès lors un obstacle aux opérations de couverture des échanges
de biens et services, et par là même, au commerce international.
-
Les partisans de la
taxe utilise un vocable qui diabolise les marchés et en tout premier lieu
la spéculation. Or il est impossible de réaliser une transaction
internationale sans encourir un risque de change. Ceux qui assurent ce
risque ne sont autres que les spéculateurs ; en conséquence, la spéculation
est consubstantielle aux échanges internationaux.
-
Certains considèrent
que le volume des transactions est une indication du degré de
spéculation d’un marché, particulièrement celui des changes. Or, selon
Patrick Artus, « les volumes des transactions sur un marché sont liés à la
chaîne de market-makers qui retransmettent l’ordre d’un client final. Ceci
n’a rien à voir avec la spéculation ». Dès lors, la taxe Tobin aurait pour
effet de réduire la liquidité du marché. Or, il n’existe aucun lien
empiriquement démontré entre la liquidité et la stabilité d’un marché.
-
La taxe Tobin est
inspirée par le postulat keynésien de liaison durable des investissements
avec leurs actifs. Dans ce cas, les opérations de court terme sont fustigées
comme relevant davantage de la spéculation. Or, les transactions sur le
marché des changes sous-tendent tous types d’opérations : tourisme,
services, etc. Dans ce cadre, les capitaux n’ont pas besoin d’être placés
durablement en devises pour couvrir des opérations économiques réelles.
-
L’analyse des crises
qui ont frappé au cours des années 1990 les pays dits émergents, met en
évidence que les crises sur le marché des changes ne sont pas la cause mais
la conséquence de déséquilibres structurels de ces économies, qui engendrent
des pertes de confiance des acteurs économiques.
-
Qui paierait la taxe ?
A priori l’industrie financière, mais les mécanismes de marché lui
permettent de reporter, à l’image de la TVA, son coût sur les utilisateurs
finaux des marchés des changes. En fin de compte, la taxe aurait un coût
pour les opérateurs économiques et donc un impact sur l’économie réelle
qu’elle est censée préserver.
III
– … ou bien une alternative salutaire au comportement erratique des marchés
financiers.
Tout récemment encore,
avec le débat alter-mondialiste, ou bien lors de la conférence sur le
financement du développement, organisée par les Nations Unies à Monterrey au
Mexique en mars 2002, certains économistes ont étudié, adapté, remis à jour les
grands principes de la taxe. Voici les arguments développés par ses partisans :
-
L’argument selon
lequel toute entrave à la libre circulation des capitaux serait
facteur de distorsion et d’affaiblissement des économies nationales, n’est
pas valide. En effet, le Chili, qui a instauré une série de mesures pour
décourager le flux à court terme a connu une plus grande stabilité monétaire
et plus d’investissements à long terme que ceux de l’Amérique Latine qui ont
choisi d’éliminer toutes les barrières à la circulation des capitaux.
-
L’objection selon
laquelle les transactions des changes seraient détournés au profit des
paradis fiscaux – « les îles caïmans remplaceraient Londres » - n’est
pas valide. En effet, les pays de l’OCDE ont toujours eu moyen de
contraindre les législations de ces « paradis » -cf lutte contre le
blanchiment d’argent et les délits d’initiés. Par ailleurs le transfert des
fonds au niveau international étant très centralisé, et étroitement contrôlé
par les banques centrales, des marchés organisés tels le LIFFE (London
International Financial Futures Exchange) et une poignée d’instituts de
règlements tels le Fedwire ou le Clearing House Information Payment System
(Chips) pourraient s’associer au FMI afin de réduire le rôle des « paradis
Tobin » à la portion congrue. On peut aussi envisager une réforme de la
charte du FMI qui interdirait aux récalcitrants l’accès aux prêts
multinationaux.
-
La variante de Paul-Bernd
Spahn :
pour atteindre les deux objectifs de la taxe, il faut deux outils
différents. Pour faire simple, pendant la période normale de transaction,
une taxe faible (0,01%) qui assure des revenus permanents, et en période de
surchauffe, un niveau de taxation nettement plus élevé qui dissuade les
transactions en courte période et « refroidit » le marché. Dans cette
variante, plus besoin d’opérer une distinction entre vils spéculateurs et
investisseurs à long terme : ceux qui veulent faire des plus-values très
rapidement en se jetant dans la brèche de la crise sont dissuadés, les
investisseurs à long terme voient leur acquis garantis, et les investisseurs
en général sont garantis d’un climat économique plus stable.
-
Beaucoup d’autres valeurs
sont en jeu,
qui doivent prendre le pas sur la question de l’efficacité économique - les
relations de pouvoir Nord-Sud, la redistribution des richesses, l’autonomie,
la Justice, l’émancipation des pays en voie de développement. Le débat
autour de la taxe Tobin questionne aussi fondamentalement le postulat de la
« maximisation du bien-être général » dans le cadre d’un marché ouvert.
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