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Les cours d'économie du forum des étudiants de Sciences Po
D’emblée, on peut souligner un paradoxe. En effet, cf. projet actuel du Gouvernement d’élargir les possibilités offertes par l’épargne salariale aux PME de moins de 50 entreprises (via des PE interentreprises), selon les propositions formulées par le rapport Balligand-Foucauld (rendu public le 28 janvier 2004) : en créant un PEE bloqué 15 ans, le Gouvernement entend surtout favoriser le développement d’une épargne de long terme. Or, l’existence d’un excédent durable et massif de l’épargne longue[1][1] en France est désormais chose acquise, après que l’on ait longtemps cru que le problème de la France était au contraire son insuffisance d’épargne longue (d’où : faiblesse de l’investissement, taux d’intérêts réels élevés et risque de déficit extérieur) : de ce point de vue, un retournement de tendance s’est en effet opéré à partir de 1990-93. Cet excédent était par exemple estimé à 400 milliards FF, environ, en 1996. Cependant, la question est de savoir si l’on peut ou non pour autant en déduire que l’épargne est « trop » abondante aujourd’hui en France. L’épargne pourrait se définir comme la partie non consommée du revenu, et dont le niveau est déterminé à la fois par les taux d’intérêt (définition néoclassique) et le niveau de revenu (propension à épargner keynésienne). Or, cette épargne est transformée soit en richesse non financière par l’investissement, soit en richesse financière par l’acquisition de créances. Le tout devient alors de se demander si, au regard des besoins de financement de l’économie française, l’épargne est ou non aujourd’hui « trop » abondante, et si, étant donné ces besoins, la composition de l’épargne longue est ou non satisfaisante. Finalement, la question essentielle devient ainsi normative : que faire de cette épargne longue ? Est-elle source de déséquilibre, inutile ou simplement mal utilisée ? Il s’agira dès lors de montrer que l’excédent massif et durable d’épargne à long terme que connaît la France a longtemps été en décalage par rapport aux besoins de financement de l’économie française (I) mais que cette abondance d’épargne est aujourd’hui « relative » au vu des défis de long terme qui caractérisent désormais la France (II). I / Un excédent massif et durable d’épargne à long terme longtemps en décalage par rapport aux besoins de financement de l’économie française…Abondance de l’épargne longue depuis 1993, mais pour qu’elle soit dite « excessive » il faut prendre en compte les « besoins de financement » de l’économie française, or, ces derniers étaient en décalage avec les capacités de financement jusqu’en 1997. 1.Un excédent massif et durable de l’épargne longue en France et en Europe depuis 1993…NB : cf. Graphiques joints. - Un excédent d’épargne longue massif… Si l’on accepte la définition posée de l’épargne longue (cf. supra), on atteint un total de financement à long terme de 463 milliards FF (émissions d’obligations, d’actions, encours de crédit, etc.), contre une épargne longue nouvelle (au sens large) de 879 milliards FF en 1996. L’excédent d’épargne longue est donc considérable, bien plus que l’excédent d’épargne global qu’on peut mesurer par le solde positif de la balance courante (105 milliards en 1996). Dans son ensemble, l’économie française est donc contrainte de réaliser le la « détransformation », i.e. qu’elle doit utiliser de plus en plus d’épargne longue pour financer des emplois à court termes. -… qui date de 1990-1993 et s’annonce durable. Le retournement peut s’observer à partir de 1990-1993 (décollage des principaux supports de l’épargne longue : PEL, assurances vies, etc.). Quels sont les éléments d’explication et perdureront-ils ? 1) Taux d’intérêts : à partir de la fin de 1993, la pente de la courbe de structure de taux d’intérêt devient positive (long terme > court terme), avec un écart entre le taux à 10 ans et le taux à 3 mois qui se stabilise à un peu plus de 200 points de base. 2) Vieillissement de la population : dégrade la situation des systèmes publics de retraite et augmente donc l’incitation à épargner à long terme (facteur durable). La part des plus de 60 ans dans la population totale va passer de 19% aujourd’hui à 30% en 2030. Cf. théorie du cycle de vie. 3) La hausse du pouvoir d’achat est compensée par un effet de précaution : manque de confiance dans le long terme (cf. revenu permanent et incertitude propre aux revenus financiers). NB : Epargne à court terme (surtout financière, liquide) augmente aussi, du fait notamment des innovations financières. - une situation également vérifiée à l’échelle de l’UEM : En 1997, l’ensemble de l’UE affichait un surplus d’épargne de l’ordre de 1.4 % du PIB, tandis qu’elle enregistrait encore un déficit d’épargne de 1.1 % du PIB en 1991. Pressions à la baisse des taux d’intérêt qui explique baisses de l’an dernier et reprise de l’investissement (cf. infra). Epargne européenne profite ainsi essentiellement à la croissance des EU. Paradoxe car d’un autre côté, dénonciation du poids des fonds de pension US et de la dépendance qui en résulte pour l’UE. Mais c’est que cette épargne longue française, même si abondante, n’est pas suffisamment « canalisée » (nous y reviendrons) : manque de produits d’épargne retraite par exemple. De même, cf. Japon, où l’excédent plus que massif de l’épargne nationale a du mal à se transformer en investissement stratégique du fait de l’inertie des marchés financiers japonais (projet de big bang). 2. … qui était en décalage avec les besoins de financement de l’économie française jusqu’en 1997.- L’excès d’épargne n’est pas forcément une vertu… Cependant, évoquer une abondance d’épargne sans étudier les évolutions de l’investissement n’a aucun sens. L’épargne, selon la théorie classique, est une vertu car elle permet de financer les investissements et donc la croissance de l’économie. cf. Théorie des débouchés de JB Say. Ou encore, Adam Smith : « tout homme prodigue pourrait être un ennemi du repos public, et tout homme économe un bienfaiteur de la société ». Il n’y aurait donc pas lieu de se plaindre de ce surcroît d’épargne. Et pourtant, cf. contraste entre les EU & l’UE : taux d’épargne pratiquement nul ; « effet richesse » très important ; consommation à crédit ; explosion des cours boursiers ; etc. Pas d’excédent d’épargne longue, bien au contraire, mais croissance économique très forte et durable. - … et peut même parfois être vicieux : A l’inverse, pour Malthus, Marx puis Keynes, l’épargne pourrait parfois être un vice, un frein à la croissance. Pour ces auteurs, Keynes notamment, c’est en effet l’investissement qui entraîne l’épargne. Mais comment expliquer alors ce paradoxe de la France de 1993 à 1997 : investissements privés déprimés & hausse continue et massive de l’épargne à long terme ? Cf. supra pour les arguments. En vérité, comme le souligne Keynes, on peut difficilement influer sur le comportement des investisseurs (i.e. sur leurs anticipations). Exemple : Japon , malgré une épargne plus qu’abondante, l’investissement semble atone. - Tout dépend ainsi en réalité des besoins de financement de l’économie : Dans une « économie de marchés financiers » (Hicks), les « capacités de financement » ne viennent combler que des « besoins de financement ». Quels sont ainsi les besoins de financement de l’économie française dans la décennie 1990s ? 1) cf. la baisse de l’endettement public, du fait du Pacte de stabilité préparant l’UEM. 2) Augmentation du taux d’autofinancement des entreprises, suite à la récession des années 1970s. Peu de chances qu’elles soient désormais tentées par l’endettement[2][2], même avec la reprise de l’activité (aversion pour al dépendance vis-à-vis du crédit, court-termisme des décisions du fait du diktat de la capitalisation boursière, hausse de l’investissement direct à l’étranger). Le taux d’endettement (calculé comme endettement / fonds propres) est passé de 63% en 1985 à 29% en 1996. => Peu de besoins de financement tant publics que privés, peu d’investissements… Perspectives inchangées. Ainsi, le surcroît d’épargne longue ne sert à « rien » et donc peut-être en effet « trop » abondante. « L’excessive abondance » de l’épargne peut cependant être nuancée par les évolutions récentes de l’économie française : reprise de l’investissement ; consommation des ménages qui se maintient à un niveau élevée ; forte croissance économique ; etc. II / Mais une abondance d’épargne aujourd’hui « relative » au vu des défis de long terme qui caractérisent desormais la France.« Trop » abondante => idée d’excès mais l’épargne ne peut être dite excessive qu’au regard des objectifs qui lui sont fixés. Quels sont-ils ? Comment utiliser à bon escient cet excès d’épargne longue ? Composition de l’épargne = adéquate ? 1. Une reprise de l’investissement qui mériterait d’être soutenue par les pouvoirs publics afin d’assurer la « durabilité » de la croissance française.- La vigoureuse reprise de l’investissement privé en France depuis 1997 modifie considérablement les perspectives économiques : On observe en effet une reprise vigoureuse de l’investissement privé depuis 1997. Les dépenses se sont ainsi vivement redressées (en volume), s’élevant de 4% au cours de 1997, de près de 7% en 1998 et de 5.7% en 1999. Le retard accumulé pendant les 7 années de « croissance molle » avait rendu nécessaire l’adaptation des capacités de production. Or, il est encourageant que les investissements d’extension de capacités de production, favorisés par de bas niveaux de taux d’intérêt à long terme (5% en 1998-99) se redressent progressivement à partir de 1997. Schéma de reprise qui pourrait être durable. Côté tardif du renouvellement du capital fixe n’est finalement peut-être pas si mal selon certains, car permet de se mettre à la pointe de la technologie. - Les outils à la disposition des autorités économiques pour mettre cet excédent d’épargne au service de la « durabilité » de la croissance : Le tout est ensuite de savoir si la composition de l’épargne est ou non optimale, i.e. la plus favorable possible à la croissance de l’économie française. La composition de l’épargne détermine en effet l’orientation des investissements. Ainsi, par exemple, si l’on prend l’exemple de l’épargne administrée (épargne de court terme, liquide), elle est une spécificité française qui ne va pas sans influencer l’évolution générale de l’épargne. Les taux réglementés, parfois très avantageux par rapport aux taux courts, constituent ainsi l’un des principaux outils à la disposition des autorités afin de canaliser les flux d’épargne en fonction des divers objectifs, les trois priorités étant : l’insertion sociale (épargne populaire, épargne logement, financement des HLM via les livrets A…), le développement du tissu des PME (via les CODEVI) et le financement des retraites (en assortissant par exemple les PEP d’avantages fiscaux). Les pouvoirs publics, via la fixation des taux de rémunération, de certaines contraintes réglementaires et de fiscalité incitative, peuvent ainsi influencer directement l’épargne de court terme. Mais plusieurs remarques peuvent être faites à ce sujet : 1°) il s’agit très largement d’une spécificité française amenée à disparaître du fait du mouvement de déréglementation. 2°) Ces mesures coûtent cher : e.g. les ressources collectées sur livret A coûtent aujourd’hui plus cher que les ressources collectées au cours du marché. 3°) Réforme de fond du 5 juin 1998 : baisse générale des taux d’intérêt administrés, et mise en place d’une réforme reliant le taux du livret A aux taux courts du marché. ó Cette évolution est sans doute fondée si l’on prend en compte le faible niveau de l’inflation et des taux courts de marché : contribue à rétablir la hiérarchie entre actifs risqués et non risqués pour un degré de liquidité équivalent, et réduit le coût de financement du logement social et du financement aux PME. Bref, en décourageant l’épargne « opportuniste » de court terme (encouragement à la consommation) et en favorisant les investissements (PME), les autorités font preuve de raison et semblent décidées à établir une épargne plus conforme à la situation économique de la France. L’autre pan de la politique économique en matière d’épargne dépend bien entendu de la BCE, qui, en fixant ses taux directeurs, influe directement sur les taux courts (interventions sur le marché monétaire) et par là, à moyen terme, sur les taux longs. Or, après une période de baisse des taux (1998-1999) qui n’a pu que profiter à l’investissement, la BCE augmente à nouveau ses taux, ce qui peut sembler paradoxal tant avec l’idée qu’il faut soutenir la croissance des investissements qu’avec le fait que l’excédent d’épargne de long terme exerce une pression à la baisse sur les taux de long terme…Certes, les taux longs ne reflètent pas obligatoirement les évolutions des taux courts et reflètent bien davantage les conditions financières générales (équilibre épargne / investissement), mais dans ce cas, ceci voudrait dire que l’on pourrait se diriger vers une hausse des taux courts (cf. BCE) parallèle à une baisse des taux longs (excédent d’épargne sur l’investissement), ce qui est… particulièrement inquiétant : il a en effet été démontré qu’une telle inversion de la courbe des taux était un signe cyclique de l’annonce d’une récession à court terme ! A cela deux issues : soit l’investissement croît assez vigoureusement pour freiner la baisse des taux longs et éviter la surchauffe ; soit la BCE évite d’augmenter ses taux… Pas trop le choix, donc. C’est tout le problème de la durabilité de la croissance française actuelle qui est en cause ici. 2. Une épargne de long terme amenée, de surcroît, à être renforcée par les réformes attendues en matière d’épargne salariale et d’épargne retraite.- L’essor de l’épargne salariale : le débat autour du rapport Balligand - Foucauld. Cf. le débat actuel autour de l’épargne salariale, comme annoncé en introduction. La rémunération des salariés comporte fréquemment une partie variable, en sus du salaire. Placée selon certaines modalités, cette fraction de la rémunération, à laquelle s’ajoutent les versements du salarié, prend le nom d’épargne salariale. Cette dernière peut s’avérer très lucrative, si toutefois elle est correctement gérée et ses liens avec celui concernant l’épargne retraite. Mais là n’est pas le problème. Ce qu’il est intéressant de noter est que la réforme à venir s’apprête à renforcer l’épargne à long terme en bloquant sur 15 ans le PEELT, avec sorties en rentes (Aubry) ou en capital (position du MEFI). Le syndicats s’opposent à une sortie en rentes en cela qu’elle s’assimilerait trop à une épargne retraite. Quoi qu’il en soit, l’épargne salariale est déjà spectaculaire : pas moins de 187 milliards FF investis dans les quelque 3477 fonds agréés par la COB. L’argent provient de 4 sources : de la participation tout d’abord, de l’intéressement ensuite, puis vient l’abondement et enfin les versements volontaires du salarié. Ainsi, l’avantage de l’épargne salariale ne tient pas seulement au renforcement de l’épargne à long terme mais aussi à l’intéressement (au sens large) des salariés aux résultats de l’entreprise et par là à la croissance économique. C’est donc un cercle vertueux d’effort d’épargne / investissement qui est ici visé. Beaucoup reste cependant à faire : cf. stocks options (simple toilettage pour le moment). - L’épargne retraite : le débat autour des fonds de pension. En ce qui concerne le débat sur les retraites, c’est un débat complexe qu’il ne sera possible d’aborder que très rapidement ici, puisque ce n’est pas directement le sujet. On ne peut que souligner l’urgence d’une réforme (cf. supra, arguments démographiques) et les réticences générales en France vis-à-vis des fonds de pension. Les marges de manœuvre du Gouvernement s’avère donc relativement limitées en matière d’épargne retraite. De ce point de vue, on ne peut manquer de noter les attraits des boulevards ouverts par l’épargne salariale afin d’introduire par étapes une retraite par capitalisation… Mais mêmes problèmes démographiques du système des fonds de pension + système par répartition plus fondée quand taux d’intérêt réel < taux de croissance de l’économie (modèle de croissance à la Solow)… Ainsi l’abondance d’épargne (économie surcapitalisée) pourrait être un moyen de sauver le système par répartition. Dilemme de politique économique ? En effet, cela amènerait à un renforcement de l’épargne à long terme avec les risques de déstabilisation évoqués plus haut si la reprise de l’investissement n’est pas confirmée. Croissance durable (investissements massifs, baisse des taux longs stoppée) ou système de retraites par répartition (épargne massive favorisée par des masures réglementaires et fiscales, taux longs en baisse, risque de surchauffe - récession), il y a un choix à faire, dans les circonstances actuelles de l’économie internationales. Tierces solutions : recours à l’immigration économique (aide à la croissance et au système de retraites). Conclusion :Epargne de long terme abondante en France. Mais ne peut être dite « excessive » qu’au regard des objectifs qui peuvent être fixés à l’épargne. Or, cf. reprise vigoureuse de l’investissement + défis de long terme de l’économie française (réforme du système de retraites, durabilité de la croissance) => l’abondance de l’épargne en France aujourd’hui est finalement très « relative ». Surtout que les déséquilibres mis en lumière peuvent sembler menaçants : cf. risques d’un inversement de la courbe des taux. En tous cas, le contraste avec les EU est saisissant, et il est loisible de se demander lequel des deux modèles est le plus menacé de déséquilibres intrinsèques. La « Nouvelle économie » pourra-t-elle se passer durablement d’épargne ? L’économie française saura-t-elle convertir à temps son épargne à long terme si massive et durable en croissance « durable » ?
Ressources bibliographiques :
[1][1] Comprise ici comme comprenant les actions ou OPCVM actions, l’assurance vie, les placements sous forme de livrets et comptes à taux réglementés. L’épargne à court terme, plus liquide et amenée à être consommée très rapidement sera, de fait, ici écartée du sujet : on voit en effet mal en quoi elle pourrait être « trop » abondante, puisqu’elle ne constitue qu’une réserve de liquidités qui sera consommée dans un court terme. [2][2] Remise en cause du théorème de Modigliani-Miller via la prise en compte de l’incertitude propre aux marchés.
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