Les politiques économiques face aux contraintes extérieures
La
question posée n’a de sens que dans la situation du changement du contexte
économique mondial que l’on connaît depuis les années 1970s avec la croissante
mondialisation. Celle-ci a renforcé les contraintes extérieures pour les
politiques économiques nationales (budgétaires et monétaires) :
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contraintes
commerciales, financières et de changes. Cf. l’objectif d’équilibre externe.
Dans ces conditions, l’existence d’une contrainte extérieure accrue
interdit-elle toute politique économique autonome ?
I/ Si la mondialisation
croissante rend effectivement fictive toute politique économique nationale
indépendante des contraintes extérieures, …
1) La contrainte commerciale :
Ø Mondialisation
commerciale et productive.
Ø L’impossible recours
au protectionnisme.
2) La
contrainte financière :
Ø Globalisation
financière et mobilité des capitaux.
Ø Le piège de la dette
et le poids de la crédibilité.
3) La contrainte de changes :
Ø Flexibilité des taux
de changes & balance des paiements.
Ø Le risque du cercle
vicieux de la monnaie faible.
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Comment s’émanciper de ces contraintes extérieures dans ces conditions ?
L’interdépendance qui résulte du contexte de mondialisation empêche-t-elle donc
toute politique économique autonome ?
II / … Cette interdépendance
n’en autorise pas moins la recherche de nouveaux cadres de régulation rendant
possible une certaine emancipation des politiques economiques vis-à-vis des
contraintes extérieures.
1) Les stratégies
conjoncturelles :
Ø La politique de
désinflation compétitive.
Ø Les stratégies
coopératives.
2) Les stratégies
structurelles :
Ø L’action sur la
compétitivité structurelle : favoriser une croissance « qualitative ».
Ø L’action sur le
chômage structurel : l’inéluctable partage.
3) La formation d’unions
régionales : l’exemple de l’UEM.
Ø Rappel : les « droits
de seigneuriage » des EU depuis 1a seconde guerre mondiale.
Ø L’Euroland : un îlot
d’autonomie ?
Conclusion :
Non, les contraintes extérieures, aussi grandes
soient-elles depuis une vingtaine d’années, n’interdisent pas une politique
économique autonome. Il s’agit simplement de savoir s’en émanciper en adoptant
de nouveaux cadres de régulation ou en utilisant à son profit la mondialisation.
L’indépendance totale des politiques économiques n’est sans doute pas possible,
mais l’autonomie au sein d’un certain cadre imposé l’est.
Bibliographie :
ADDA,
Jacques. La mondialisation de l’économie. 2 volumes. La Découverte, 1997.
(Repères)
CABANNES, Michel. La politique macroéconomique. Armand Colin, 1994.
(Cursus)
GENEREUX, Jacques. Introduction à la politique économique. Le Seuil,
1997. (Points Economie).
KRUGMAN,
Paul & OBSTFELD, Maurice. Economie internationale. De Boeck, 1995.
Problèmes économiques n°2.598 du 6 janvier 1999 (Economie internationale) :
article « Mondialisation, inégalités et efficacité des politiques économiques »
de P.-N. GIRAUD.
Introduction :
La
question posée n’a de sens que dans la situation du changement du contexte
économique mondial que l’on connaît depuis les années 1970s avec la croissante
mondialisation. Quelques chiffres : taux d’importation/d’exportation en 1970 =
14.9% / 15.7% en France. En 1996 : 21.4% / 23.8% (~ taux d’ouverture multiplié
par deux)… Or, la mondialisation, accompagnée du naufrage du système de Bretten
Woods (flexibilité des taux de changes), a renforcé les contraintes extérieures
pour les politiques économiques nationales (budgétaires et monétaires) :
contraintes commerciale, financière et de changes. L’objectif d’équilibre
externe étant un des 4 coins du carré magique de Kaldor, c’est-à-dire un des
principaux objectifs de politique économique, l’existence d’une contrainte
extérieure accrue interdit-elle donc toute politique économique autonome ?
I/ Si la
mondialisation croissante rend effectivement fictive toute politique economique
nationale indépendante des contraintes extérieures, …
1) La contrainte commerciale :
Ø Mondialisation
commerciale et productive.
L’interdépendance commerciale
accrue (cf. supra) accentue la contrainte extérieure de la politique économique
dans la mesure où elle rend la balance commerciale beaucoup plus sensible aux
écarts de croissance et de progression de la demande entre pays partenaires : si
la propension à importer est élevée, toute relance isolée dans un pays
provoque rapidement un déficit commercial important. En 1975, par exemple,
la relance Chirac, injectant entre autres mesures 21 milliards de FF dans
l’économie, a eu un effet pervers immédiat sur le solde commercial (- 19
milliards FF), accentué par le différentiel d’inflation avec les principaux
partenaires commerciaux. Il en fut de même pour la relance Mauroy de 1981-1982.
De plus, au fur et à mesure du temps, le développement des échanges engendre des
habitudes de consommation des produits étrangers et des relations stables
entre entreprises nationales et étrangères, d’où le fait que les flux d’échanges
deviennent de moins en moins élastiques aux variation des prix relatifs,
et qu’en fin de compte, les variations du taux de change sont donc de moins en
moins efficaces pour rééquilibrer une balance commerciale déficitaire ou
excédentaire.
En ce qui concerne la mondialisation de la production, elle résulte de
la multinationalisation croissante des entreprises. Les
entreprises, en effet, choisissent la localisation optimale de chaque
établissement selon le coût et l’abondance des facteurs de production (L,
facteurs de production), selon la proximité des marchés destinataires des
produits, ou encore pour contourner des mesures protectionnistes limitant les
importations (entreprises japonaises en Europe, par exemple). Les entreprises se
mondialisent aussi par des alliances stratégiques avec des partenaires
étrangers, des prises de participation dans le capital de sociétés étrangères,
etc. Dès lors, l’emploi et l’investissement dans un pays dépendent de plus en
plus des choix stratégiques de sociétés étrangères & les entreprises nationales
dépendent de façon croissante de la situation économique des pays où elles sont
localisées, si bien que la mondialisation de la production tend à renforcer
celle des échanges et des mouvements de capitaux et à limiter d’autant les
marges de manœuvres des Etats en matière de contrôle des échanges ou des
mouvements de capitaux, sans compter la sensibilité accrue aux crises
extérieures (cf. la crise asiatique, la crise russe, ou encore plus
récemment la panique face à la crise brésilienne… Risque systémique).
Ø L’impossible recours
au protectionnisme.
Le possible avantage à un recours au protectionnisme pour rétablir alors une
certaine autonomie de la politique économique nationale est une illusion
pour toute une série de raisons : les importations d’un pays ne se développent
pas uniquement en raison d’une agression commerciale par des produits étrangers,
mais aussi pour satisfaire les besoins internes pour des B & S qu’il ne produit
pas lui-même ; l’adoption de mesures protectionnistes par un pays conduirait
logiquement ses partenaires à limiter à leur tour l’accès à leur marché
intérieur (mesures de rétorsion) ; l’expérience a montré que le développement du
commerce international est une source de croissance mondiale (irréversibilité du
processus de mondialisation) ; le déficit extérieur peut-être le résultat de la
recherche du plein-emploi par un soutien de l’activité ; à long terme, le
protectionnisme détruit plus d’emplois qu’il n’en sauve. Il n’est que deux
cas où le protectionnisme se trouve justifié : la protection des industries
naissantes et quand la libre circulation des B & S n’est pas réciproque.
2)
La contrainte financière :
Ø Globalisation
financière et mobilité des capitaux.
Les années 1970-80s ont vu exploser les mouvements de capitaux à court terme
parallèlement à la libéralisation des marchés financiers (série de
réformes entreprises à partir essentiellement du milieu des années 1980). On a
ainsi pu parler de la « révolution des 3 D » : déréglementation,
désintermédiation & décloisonnement. Le développement des moyens de gestion
informatique et de télécommunication a en outre favorisé l’apparition d’un
vaste et très fluide marché mondial des capitaux. Or, il est un fait que la
mobilité des capitaux retire toute autonomie à la politique monétaire d’un
pays en régime de changes fixes (cf. les triangle de Mundell-Fleming & les
mécanismes via les taux d’intérêts) ; on ne peut alors rétablir une certaine
autonomie de la politique monétaire qu’en renonçant à la fixité des taux de
changes (ce qui a effectivement eu lieu avec le naufrage du système de Bretten
Woods) ou en contrôlant la mobilité des capitaux, cette seconde possibilité
étant en fait exclue dans le contexte d’une économie mondialisée (cf.
libre-circulation des capitaux en Europe depuis le 1er janvier 1990).
De même, la mobilité des capitaux rend l’efficacité de la politique
budgétaire plus faible en régime de changes flexibles du fait des
mécanismes qui résulte de l’afflux des capitaux parallèlement à la montée des
taux d’intérêt (appréciation du taux de change => baisse de compétitivité).
Ø Le piège de la dette
et le poids de la crédibilité.
En fait, la contrainte financière d’équilibre des échanges extérieurs ne
joue vraiment que dans le long terme, car dans le court terme
l’Etat peut emprunter des capitaux et même rembourser les capitaux empruntés en
contractant de nouveaux emprunts à l’étranger. Le risque est alors pour lui de
tomber dans le piège de la dette et de buter contre une contrainte de
solvabilité qui entamerait sa crédibilité internationale (cf. les pays
émergents), mais pour les PI on en arrive rarement jusque là, surtout si l’on
considère que la charge de la dette peut se trouvée allégée si le pays attire
des capitaux étrangers pour des investissements directs. Du moment que
l’endettement ne compromet pas sa capacité à générer un revenu suffisant à long
terme pour en supporter la charge, cela peut même constituer un signe de
richesse et de puissance (cf. EU dans les années 1980).
3) La contrainte de changes :
Ø Flexibilité des taux
de changes & balance des paiements.
La contrainte des changes est la seule qui se manifeste réellement à court
terme. Si ce n’est pour quelques zones régionales (cf. SME puis maintenant
l’euro), la flexibilité des taux de changes est de plus désormais une réalité.
Même, le marché des changes est incroyablement fluide (le montant des
transactions quotidiennes y est estimé à plus de 1200 milliards de dollars par
jour soit l’équivalent d’un an de commerce mondial en 4 jours !) et par
conséquent très sensible aux mouvements spéculatifs, d’où son extrême
puissance et le peu d’autonomie qu’il en résulte pour les politiques économiques
nationales : compte tenu de l’ampleur comparée des capitaux spéculatifs d’une
part et des réserves de changes des banques centrales d’autre part, une banque
centrale isolée peut difficilement résister plus de quelques heures à un
mouvement de spéculation massif contre sa monnaie (seule chance : coordination
internationale comme en 1987). Rappel : BP = BTC + BC = d(RC).
Ø Le risque du cercle
vicieux de la monnaie faible.
Le risque est celui du cercle
vicieux de la monnaie faible : dépréciation (ou dévaluation) / inflation
importée / déficit extérieur / spéculation contre la monnaie. Ceci n’est pas
durable (épuisement des réserves de changes). Inversement, cercle vertueux de
la monnaie forte via la pression de la concurrence qui pousse à la recherche
de compétitivité structurelle, et à la désinflation.
=>
Comment s’émanciper de ces contraintes extérieures dans ces conditions ?
L’interdépendance qui résulte du contexte de mondialisation empêche-t-elle donc
toute politique économique autonome ?
II / … Cette interdépendance n’en autorise pas moins la recherche de
nouveaux cadres de régulation rendant possible une certaine emancipation des
politiques economiques vis-à-vis des contraintes extérieures.
1) Les stratégies
conjoncturelles :
Ø La politique de
désinflation compétitive.
Une possibilité réduite d’autonomie des politiques économiques conjoncturelles
nationales consiste à mener une politique plus vertueuse que ses concurrents
immédiats afin d’enclencher le cercle vertueux d’un change fort, d’une
compétitivité commerciale dominante et d’une puissance financière, sans compter
les avantages d’un différentiel d’inflation. Tel était l’objectif de la
politique de désinflation compétitive (1983-1993 en France). Cependant, malgré
ses résultats très positifs (stabilité du taux de change FF/ DM ;
désinflation, compétitivité retrouvée), ses coûts sociaux et financiers
ont finalement porté atteinte à sa crédibilité (maintien d’un chômage élevé
malgré l’austérité salariale). De plus, ce genre de stratégie de politique
économique voit ses avantages limités quand tous les pays adoptent la même
(puisqu’il s’agit de créer un différentiel).
Ø Les stratégies
coopératives.
Ceci nous permet d’en arriver aux avantages d’une stratégie coopérative entre
les différents Etats, c’est-à-dire d’une politique économique coordonnée dans un
but précis. Ainsi les vraies chances d’une politique de relance dans le contexte
mondialisé actuel se situent dans une réelle coordination internationale qui
neutraliserait en partie la contrainte extérieure. Le principe est simple :
cf. la théorie des jeux et l’équilibre non optimal de Nash en cas de
stratégie non coopérative. Relance généralisée des importations = relance
généralisée des exportations, tout le monde y gagne. Cf. le cas européen où ¼ du
chômage pourrait être qualifié de conjoncturel… De même, seule une coopération
des différentes banques centrales pour abaisser simultanément leur taux
d’intervention sur les marchés monétaires peut entraîner une baisse des taux
sans modifier les différentiels d’intérêt entre pays. Quelques exemples
de coordination vraiment efficaces : le SME ; les accords du Plaza (22.09.1985)
pour faire baisser le dollar en douceur ; ou encore les accords du Louvre
(22.02.1987). Pessimisme cependant quant au sentiment de solidarité entre
les nations.
2) Les stratégies
structurelles :
Ø L’action sur la
compétitivité structurelle :
Si les politiques conjoncturelles
sont par nature dépendantes du contexte international et des réactions qu’elles
entraînent, il n’en est pas de même des politiques structurelles,
nettement plus autonomes et même particulièrement vertueuses dans le contexte de
concurrence internationale. On a vu à la séance n°5 la théorie classique de la
croissance et ses limites ainsi que l’existence d’une théorie de la
croissance endogène (P. Romer) pour laquelle on peut distinguer quatre
sources d’amélioration de la productivité à long terme : l’accumulation de
connaissances par l’investissement ou par les activités de R & D, l’accumulation
de capital humain et le développement des infrastructures (financières,
transports,…) par les pouvoirs publics. En stimulant une croissance
« qualitative » (au sens où elle passe par une amélioration de la qualité de
l’offre : meilleure compétitivité structurelle, croissance « endogène » du
secteur protégé), toute politique économique nationale autonome en ces domaines
(éducation, réseaux d’infrastructures pertinents,…) peut s’avérer extrêmement
bénéfique (rente technologique, croissance, spécialisation,…).
Ø L’action sur le
chômage structurel : l’inéluctable partage.
Je serai plus court sur ce point car il fera l’objet d’un exposé lorque l’on
abordera la question des politiques économiques dans le contexte de la
mondialisation. On peut simplement dire qu’il existe de nombreuses pistes de
politique économique autonome pour réduire le chômage structurel : réduction
& réaménagement du temps de travail (avec réduction des salaires) ; le partage
des profits (modèle de Weitzman) ; la subvention à de nouveaux emplois ; la
fiscalisation en partie de la protection sociale ; une politique de réinsertion.
3) La formation d’unions
régionales : l’exemple de l’UEM.
Ø Rappel : les « droits
de seigneuriage » des EU depuis 1a seconde guerre mondiale.
Position éminemment favorable des EU qui n’eurent pas à supporter une
contrainte extérieure de changes, le dollar US étant la première monnaie de
réserve et de transaction mondiale. Cf. les « déficits jumeaux » des années
1980. Déficits budgétaire et commercial, envolée des taux d’intérêts et du
dollar, mais contrainte extérieure limitée à une certaine éviction par le taux
de change (en fait minime puisque les EU n’exportent que 10% de leur PIB).
Importations européennes ou japonaises peu chères. Désinflation. Efforts
intenses de gains de productivité.
Ø L’Euroland : un
nouvel îlot d’autonomie ?
On attend de
l’euro de nombreux avantages : allégement considérable de la
contrainte extérieure du fait de l’importance du commerce intra-communautaire ;
de plus, l’euro risque d’acquérir le statut de monnaie de réserves et de
transactions internationales, ce qui veut dire que la fraction des échanges que
les pays européens seront en mesure de payer dans leur propre monnaie pourra
s’étendre progressivement ; la contrainte financière sera aussi allégée du fait
de la crédibilité accrue de la zone euro (BCE indépendante, etc.) ; enfin, l’UEM
redonnera une marge de manœuvre plus étendue au seul instrument de politique
économique qui reste actif au niveau national : la politique budgétaire.
Mais le Pacte de stabilité la mettant pour le moment dans un carcan, un budget
fédéral européen ou une solidarité financière accrus seraient sans doute
bénéfiques.
Conclusion :
Non, les contraintes extérieures, aussi grandes
soient-elles depuis une vingtaine d’années, n’interdisent pas une politique
économique autonome. Il s’agit simplement de savoir s’en émanciper en adoptant
de nouveaux cadres de régulation ou en utilisant à son profit la mondialisation.
L’indépendance totale des politiques économiques n’est sans doute pas possible,
mais l’autonomie au sein d’un certain cadre imposé l’est.