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Les cours d'économie du forum des étudiants de Sciences Po
Au cours des quinze dernières années, sous l’impulsion de la politique de la concurrence de l’Union européenne et dans la perspective de l’achèvement du marché unique, les industries de réseau ont connu une évolution très rapide, de structures monopolistiques à des régimes de concurrence plus ou moins étendue. Le terme « industries de réseau » recouvre toutes les activités qui supposent l’utilisation d’un réseau. Il s’agit, entre autres, des secteurs des télécommunications, de l’énergie (gaz et électricité), du transport ferroviaire ou aérien, et des services postaux. Or, ces marchés présentent des caractéristiques d’offre et de demande qui favorisent la concentration des entreprises et la formation de monopoles. On peut alors se demander dans quelle mesure la libéralisation des industries de réseau est possible, et sous quelles conditions la concurrence peut être viable. Cela revient à s’interroger sur les modalités et les limites éventuelles du processus de libéralisation dans de tels secteurs. Il apparaît alors, qu’étant donné les spécificités de l’offre et de la demande dans les industries de réseau, l’accès au marché constitue l’enjeu essentiel du processus de libéralisation (I). Cependant, la concurrence dans de tels secteurs demeure, d’une part, fragile du fait d’une tendance à la réapparition d’obstacles à la concurrence, et d’autre part, imparfaite (II).
I-Les spécificités de l’offre et de la demande dans les industries de réseau font de l’accès au marché l’enjeu essentiel du processus de libéralisation.
A. Des économies d’échelle (du côté de l’offre) et des externalités de réseau (du côté de la demande) qui se renforcent mutuellement font obstacle à la libéralisation du marché.
Tout d’abord, la demande est caractérisée par d’importantes externalités de réseau. En effet, à prestation de service inchangée, la satisfaction du consommateur s’accroît avec le nombre d’utilisateurs que le réseau comprend (cf réseau téléphonique). Il y a bien un effet externe positif puisque le raccordement au réseau de nouveaux clients augmente la valeur des services existants, amélioration de la satisfaction du consommateur qui ne passe pas par le système des prix. De plus, un nombre croissant d’utilisateurs incite l’opérateur du réseau à diversifier et à améliorer la qualité de ses services (cf augmentation de la fréquence des trains et des destinations desservies), rendant le réseau encore plus attractif. S’engage alors un cercle vertueux qui renforce l’avantage compétitif de l’opérateur leader sur le marché.
L’offre, quant à elle, se caractérise par des rendements croissants, des économies d’échelle. En effet, la conception et la construction d’un réseau impliquent des investissements très importants (cf réseau TGV). Face à ces coûts fixes très élevés, les coûts variables sont souvent quasi nuls. Le coût marginal de la fourniture de ces services est donc décroissant, rendant impossible l’entrée sur le marché de nouveaux concurrents qui feraient face à des coûts supérieurs et dont l’activité ne serait donc pas rentable. On parle alors de monopole naturel.
Enfin, l’offre et la demande interagissent selon un principe de rétroaction positive qui renforce la tendance à la concentration. L’opérateur qui domine le marché est, en effet, doublement avantagé car ses clients potentiels bénéficient à la fois du maximum d’externalités de par le nombre d’utilisateurs, et des prix les plus bas grâce aux économies d’échelle. Il attirera ainsi de nouveaux clients et renforcera encore plus son attractivité. Les industries de réseau engendrent ainsi une dynamique de monopolisation. Face à de tels obstacles à la libéralisation, on peut se demander pourquoi et comment la Commission européenne a initié un vaste processus de libéralisation dans les industries de réseau dans les années 1980. B.Les fondements de la libéralisation des industries de réseau : un processus facilité par l’évolution technologique et motivé par la recherche d’une efficacité accrue.
Ce processus de libéralisation a été rendu possible par l’évolution technologique qu’ont connue ces secteurs. Tout d’abord, de nouvelles technologies ont réduit le coût de développement de certaines infrastructures et donc limité les phénomènes d’économie d’échelle. Un monopole naturel n’est donc pas une réalité figée mais une structure vouée à évoluer avec l’évolution des coûts. De plus, la diversification technologique ainsi que le développement de nouveaux produits par une multitude de petits entrepreneurs privés ont également rendu ces secteurs plus concurrentiels. La libéralisation favorise à son tour l’innovation, les entreprises cherchant à se positionner sur de nouveaux créneaux pour échapper à la concurrence. Enfin, une concurrence nouvelle s’est développée entre différentes technologies fournissant des services partiellement substituables (cf TGV et avion), rendant nécessaire un renforcement de la compétitivité de chacun des secteurs pour faire face à ces nouvelles menaces.
La libéralisation des industries de réseau a, en effet, pour but de renforcer la compétitivité des entreprises de ces marchés par le démantèlement de monopoles nationaux sous-optimaux et la constitution de réseaux trans-européens compétitifs susceptibles de concurrencer les leaders mondiaux sur ces marchés. La libéralisation de ces secteurs permet également d’offrir des services plus concurrentiels aux entreprises susceptibles de s’installer dans un pays de l’Union et qui en sont grosses consommatrices (cf entreprises grosses consommatrices d’électricité). La libéralisation se révèle donc nécessaire dans la recherche d’une efficacité accrue, favorable tant au consommateur qu’à la compétitivité européenne. Elle semble, en outre, être rendue plus aisée par les évolutions technologiques qui atténuent les dynamiques de monopolisation dans ces secteurs, sans pour autant faire disparaître les barrières à l’entrée constituées par des coûts fixes qui demeurent importants.
C. L’accès au réseau apparaît dès lors comme l’enjeu essentiel du processus de libéralisation.La libéralisation des industries de réseau repose en premier lieu sur la réglementation de l’accès au marché. Cet accès se fait à travers des infrastructures, les « facilités essentielles », qui sont, pour les fournisseurs de services finaux, « un point de passage obligé (…) qui ne peut pas être dupliqué ou contourné à des coûts raisonnables» (cf. réseau ferré, aéroports). Or, ces infrastructures appartiennent souvent à l’opérateur historique anciennement en monopole. La libéralisation suppose de réglementer l’accès à celles-ci pour éviter tout abus de position dominante de l’ex-monopole.
Un premier enjeu est celui de la tarification de l’accès aux infrastructures pour les nouveaux entrants. Pour instaurer une concurrence effective, il faut que ce tarif ne soit ni trop élevé, ce qui constituerait une barrière à l’entrée, ni trop faible car cela permettrait l’entrée de concurrents inefficaces et découragerait l’ex-monopole à entretenir et moderniser le réseau. Dans la recherche de cet équilibre, de nombreux pays ont retenu le principe d’orientation vers les coûts : le prix d’accès doit couvrir les coûts d’exploitation et de renouvellement des infrastructures, permettant le maintien de la qualité du réseau et l’entrée de concurrents au moins aussi efficaces que l’opérateur historique. Ce principe a été préféré à un tarif basé sur les coûts d’opportunité qui, de surcroît, prend en compte le manque à gagner qu’engendre pour l’ex-monopole l’entrée de nouveaux concurrents. Mais cette perte est très difficile à apprécier et sa compensation institutionnalise la rente que s’appropriait l’ex-monopole. Un nouvel enjeu dans la recherche de cet équilibre concurrentiel est celui de la détermination de ces coûts d’exploitation et de renouvellement. Elle est généralement le résultat du croisement de deux estimations : une qui s’appuie sur les coûts comptables de l’opérateur historique (incluant ainsi ses possibles inefficacités) et une autre qui calcule les coûts théoriques d’un opérateur efficace. Dans le secteur des télécommunications en France, les coûts comptables de France Télécom ont été utilisés de façon transitoire alors qu’une méthode inspirée de la seconde solution a été utilisée par la suite. La fixation d’un prix « juste » dépend donc, en grande partie, de la fiabilité des informations relatives aux coûts de l’opérateur historique. Or, la séparation des activités d’exploitation des infrastructures et de fourniture de services concurrentiels de l’opérateur historique permet de disposer d’informations plus fiables sur les infrastructures et les coûts de celui-ci. Cette séparation peut n’être que comptable et permet d’isoler les coûts d’exploitation qui seront facturés pareillement aux nouveaux entrants et à la filiale de l’opérateur historique fournisseuse du service concurrentiel. C’est ce qui s’est passé pour France Télécom contrairement à AT&T aux Etats-Unis qui a été démantelé en huit entreprises en 1982. En France, il y a eu séparation physique dans le transport ferroviaire avec la création du Réseau Ferré de France en charge des voies ferrées, et dans l’énergie avec le Réseau de Transport de l’Electricité responsable du réseau de même nom.
Cependant, le plus souvent, l’accès au marché ne peut être, même pour un opérateur efficace, illimité car le réseau comprend des contraintes de capacité (cf fréquences hertziennes pour téléphonie mobile, sillons ferroviaires et créneaux de vols aériens) qui impliquent une sélection des opérateurs. Celle-ci peut s’effectuer selon deux modalités d’efficacité inégale : la sélection administrative et la mise aux enchères. Pour les licences de troisième génération, la Commission européenne a laissé, aux Etats membres, le choix entre les deux méthodes. La première solution, retenue par la France pour favoriser des opérateurs français, présente des inconvénients majeurs : le prix trop élevé fixé discrétionnairement par les pouvoirs publics a fait qu’il n’y a eu, pour quatre licences offertes, que deux candidats qui ont ensuite fait pression sur les pouvoirs publics et sont parvenus à diviser le prix par huit, amenuisant les recettes fiscales ainsi perçues par l’Etat. L’autre solution mise en œuvre en Allemagne et au Royaume-Uni a permis de sélectionner les plus efficaces car les offreurs disposent d’une meilleure information que l’administration sur les biens en enchère et leur prix.
Le succès d’un processus de libéralisation dans les industries de réseau suppose un encadrement réglementaire rigoureux des conditions d’accès au marché fixant un prix permettant une concurrence effective, et sélectionnant les opérateurs les plus efficaces. Cependant, une fois surmontées ces barrières à l’entrée, la concurrence demeure fragile et imparfaite dans ces marchés nouvellement libéralisés.
II-Pérennité et limites du processus de libéralisation dans les industries de réseau.
En effet, étant donné les caractéristiques de l’offre et de la demande dans ces secteurs, ces marchés libéralisés risquent de ne pas évoluer vers une structure pleinement concurrentielle. Il est donc nécessaire, après la suppression des droits spéciaux et exclusifs que détenaient l’ex-monopole, de réglementer et contrôler les pratiques des opérateurs pour garantir la pérennité du processus de libéralisation et contrer la réapparition de distorsions de concurrence. On remarque, en effet, aujourd’hui des mouvements de concentration dans les industries de réseau. Ainsi, le marché des télécommunications est dominé par de grands groupes tels que Vodaphone et France Télécom qui regroupent respectivement treize et onze opérateurs. Des mécanismes institutionnels et réglementaires sont nécessaires pour prévenir de possibles distorsions de concurrence. Les autorités nationales de régulation et de concurrence en coordination avec la Commission européenne assurent ce contrôle.
A. Le maintien d’un cadre concurrentiel dans les industries de réseau suppose un strict contrôles des fusions et des ententes.
En effet, dans les industries de réseau, la conjonction d’économies d’échelle et d’externalités de réseau favorise la concentration de l’offre et la réapparition de monopoles. Pour maintenir une concurrence effective, les autorités de régulation et de concurrence doivent donc veiller à ce que les fusions n’aboutissent pas à un pouvoir de marché trop important. Au sein de la Commission européenne, la Merger Task Force peut ainsi interdire une fusion ou l’autoriser à certaines conditions telles que la cession de certaines activités pour empêcher tout abus de position dominante. Ainsi, la fusion entre Vodaphone et Mannesmann n’a été possible qu’après la cession d’Orange à France Télécom.
Les industries de réseau présentent également des caractéristiques qui favorisent les ententes. En effet, d’après la théorie des jeux répétés, le caractère concentré de ces insdustries, les contacts répétés des différents opérateurs sur plusieurs marchés et la transparence des prix due au nombre réduit d’offreurs rendent hasardeux les comportements opportunistes d’un membre d’une entente car il s’expose à des représailles. La Commission, en vertu de l’article 85 du Traité, veille à interdire toute pratique d’entente.
B. La concurrence est également menacée par la position avantageuse que conserve l’opérateur historique. Pour prévenir toute distorsion de concurrence, il faut veiller à empêcher l’ex-monopole de procéder à des subventions croisées qui faussent la concurrence. Les opérateurs historiques avaient recours à ce mécanisme de subventions croisées pour compenser des segments d’activité non rentables par les ressources tirées de ses activités rentables. Ainsi, la téléphonie locale était en partie financée par les excédents de la téléphonie longue distance. Cette pratique peut être tolérée dans une situation de monopole, de transferts entre activités en monopole, et de transferts d’activités concurrentielles vers des activités protégées. Mais un opérateur historique peut aussi utiliser les ressources issues de ses segments monopolistiques pour baisser ses tarifs dans les segments concurrentiels, ce qui constitue une barrière à l’entrée. Ces distorsions sont condamnées par Commission européenne pour abus de position dominante (art.86, 90 et 92) et prévenues par la séparation physique entre plusieurs entités indépendantes.
Cependant, même avec l’interdiction des subventions croisées et la réglementation de l’accès à son réseau qui amenuise ses droits de propriété sur ses actifs, l’opérateur historique conserve un avantage concurrentiel. En effet, dans la majorité de ces secteurs, les opérateurs historiques a eu le temps, entre l’annonce de la libéralisation et sa mise en place effective, de s’adapter aux nouvelles structures de marché. Ils se sont ainsi positionnés sur de nouveaux marchés comme France Télécom dans le domaine de l’Internet. Leurs efforts leur ont ainsi permis de rester leader au moment de l’entrée des nouveaux concurrents. Cet élément souligne les limites du processus de libéralisation dans les industries de réseau. C. Une libéralisation imparfaite. Force est de constater que l’ouverture à la concurrence dans les industries de réseau, en plus d’être constamment menacée et remise en question par des tendances à la concentration, ne s’est faite qu’à des degrés divers et reste largement imparfaite. Seul le secteur des télécommunications est totalement ouvert à la concurrence. On peut alors se demander si ce caractère inachevé ne s’explique que par des résistances politiques ou s’il repose également sur des fondements économiques faisant obstacle à une libéralisation totale de ces secteurs. La lenteur de la libéralisation dans les secteurs ferroviaires, énergétiques et postaux où seuls certains segments sont ouverts à la concurrence reflète, en effet, des blocages politiques. Cependant, des facteurs structurels aussi bien économiques que sociaux expliquent que la libéralisation de certains de ces secteurs ne pourra être qu’imparfaite.
En effet, malgré les progrès technologiques, certains segments constituent toujours des monopoles naturels. Ainsi, par exemple aujourd’hui, on considère que les voies ferrées et la signalisation ferroviaire relèvent toujours d’activités non concurrentielles contrairement à l’exploitation et à la maintenance du matériel roulant. On retrouve la même opposition entre attribution des créneaux horaires aériens d’une part, et exploitation des lignes, maintenance et ravitaillement des avions d’autre part. Si les progrès technologiques sont appelés à faire évoluer ces distinctions, certaines activités semblent vouées à demeurer hors du champ du marché (cf. créneaux horaires aériens), soulignant la spécificité et les limites du processus de libéralisation dans les industries de réseau.
Un autre obstacle à une libéralisation totale de ces secteurs réside dans le fait que certaines activités de ces industries de réseau constituent des services publics. Or, l’accomplissement de telles missions suppose d’exercer des activités non rentables au nom de l’intérêt général. Un monopole pouvait financer celles-ci par des subventions croisées entre activités rentables et non rentables (cf. péréquation tarifaire permise par le timbre-poste unique). Or, de nouveaux entrants se concentreraient sur les segments les plus rentables en pratiquant des tarifs inférieurs, obligeant l’ex-monopole à baisser ses prix, menaçant ainsi les segments non rentables de son activité. Pour éviter cela, l’article 16 du Traité d’Amsterdam a reconnu la possibilité de déroger aux règles de la concurrence s’il est prouvé que le service d’intérêt général en question nécessite une telle exemption pour être mené à bien. Ces impératifs de concurrence et d’intérêt général ont pu néanmoins dans une certaine mesure être conciliés à travers le concept de « service universel » développé par la Commission. Ainsi, les opérateurs n’ayant pas une obligation de service universel doivent, selon un principe de proportionnalité, abonder un fonds de service universel ou acquitter des droits d’accès, en plus des droits d’accès aux infrastructures, pour financer le service universel fourni par un ou plusieurs autres opérateurs. La Commission a tenté de concilier les concepts à travers la notion de service universel. L’exemple des services publics souligne une fois de plus que l’ouverture à la concurrence n’est pas synonyme d’une déréglementation totale mais nécessite, au contraire un encadrement réglementaire très strict, soulignant les risques engendrés par un processus de libéralisation mal encadré comme ce fut le cas au Royaume-Uni dans le secteur ferroviaire et celui de l’électricité.
Pour être effective et pérenne, la libéralisation des industries de réseau implique non seulement l’abolition des droits spéciaux dont bénéficiait l’opérateur historique, mais aussi l’adoption d’un cadre réglementaire rigoureux, et la mise en place de mécanismes institutionnels pour les faire respecter, afin de permettre un libre accès au marché et d’empêcher tout abus de position dominante. La libéralisation des industries de réseau suppose donc un interventionnisme réglementaire particulièrement important qui permet, en outre, d’encadrer les restrictions à la concurrence résultant du maintien de certains monopoles naturels et nécessaires à l’accomplissement de missions de service public. Même si la libéralisation n’est pas totale, la pression exercée par les nouveaux entrants, les autorités de régulation et celles de la concurrence reproduit, en quelque sorte, la pression concurrentielle.
La libéralisation des industries de réseau (2ème exemple)
INTRODUCTION
Les industries de réseau regroupent des activités aussi diverses que les services des télécommunications, les services postaux, la fourniture d’énergie et les services de transport ; elles sont qualifiées d’industries de réseau dans la mesure où leur activité suppose l’utilisation d’un réseau, que celui-ci soit téléphonique, postal, électrique ou ferroviaire. Ces activités, stratégiques autant sur le plan économique que sur le plan politique et social, ont évolué à partir des années 1980 d’une structure monopolistique à un régime de concurrence plus ou moins étendu, évolution qui trouve son fondement non seulement dans des raisons économiques, mais surtout dans les mesures de libéralisation adoptées par les institutions communautaires, avec à leur tête la Commission européenne. Il convient alors de s’interroger sur les justifications, les modalités de mise en œuvre et les degrés de réalisation de ce processus d’ouverture à la concurrence des industries de réseau, l’enjeu final étant le rôle et l’organisation économique des missions de service public dans ce contexte. Comment peut-on envisager la conciliation de la libéralisation avec le maintien des missions de service public ? La libéralisation remet en cause les structures monopolistiques des industries de réseau au nom d’impératifs de concurrence et d’efficacité. La libéralisation donne ainsi lieu à la mise en œuvre d’une régulation complexe et doit être conciliée avec les missions de service public.
I. Les structures monopolistiques des industrie de réseau sont remises en cause par le processus de libéralisation, au nom d’impératifs de concurrence et d’efficacité.
A) Des justifications théoriques et techniques La libéralisation des industries de réseau conduit à distinguer entre les activités qui continuent de relever d’un monopole, et les activités qui sont libéralisées. Cette distinction se fait sur la notion de rendements d’échelle croissants. L’infrastructure du réseau est un monopole naturel, et la libéralisation ne remet pas en cause ce monopole (que celui-ci soit public ou privé), tandis que l’exploitation du réseau est ouverte à la concurrence. Les activités du monopole naturel sont des activités à rendements d’échelle croissants, c’est-à-dire des activités pour lesquelles il existe de fortes économies d’échelle (le coût moyen de production d’une unité diminue avec le nombre d’unités produites) : ce phénomène peut s’expliquer entre autres par les coûts fixes très élevés que suppose la création d’une industrie de réseau (ex : coût de construction d’une voie de chemin de fer). Il est alors plus efficace qu’une seule firme desserve le marché, dès lors que la demande totale correspond à la taille minimale optimale. En plus des volumes d’investissements nécessaires au démarrage, les coûts de maintenance et d’adaptation (secteurs à forte intensité capitalistique) justifient aussi une gestion sous forme de monopole. Les nouvelles théories économiques des réseaux ont aussi insisté sur le fait que les infrastructures sont des biens dont les choix techniques sont souvent irréversibles à long terme (effet d’hystérèse) en raison des coûts de changement de réseau (switching costs). Il existe donc « naturellement » des coûts d’entrée et de sortie tels qu’ils constituent des barrières à l’entrée de nouveaux concurrents. Ces théories ont par ailleurs montré que la tendance au monopole naturel s’explique essentiellement par le fait qu’il s’agit d’activités de réseau justement : plus le réseau est utilisé, plus les agents ont intérêt à les utiliser. On parle d’un effet « boule de neige » ou d’un effet « club ». On distingue aussi un effet d’envergure, qui correspond au fait qu’une industrie de réseau a intérêt à gérer plusieurs services simultanément, avec le même réseau (ex : le trafic voyageur et le trafic fret sur le réseau ferré). Pour ce qui concerne l’exploitation du réseau, la gestion d’activités sous forme de monopoles, alors qu’il n’existe pas de rendements d’échelle croissants, a fait l’objet de plusieurs critiques fondées sur la théorie économique, mettant en cause leur efficacité économique. La théorie néo-classique érige la concurrence en modèle dans la mesure où elle constitue la situation la plus favorable à l’économie en général et au consommateur : en satisfaisant les notions d’optimum économique de Pareto et de souveraineté du consommateur, une situation concurrentielle élimine tout sur-profit. La structure de monopole au contraire entraîne un transfert de surplus du consommateur vers le producteur (un monopole produit une quantité inférieure à un prix supérieur par rapport à une situation de concurrence pure et parfaite). Ce transfert de surplus n’est cependant pas condamnable du strict point de vue de l’efficacité économique ; la condamnation réside dans la « perte sèche » du monopole, qui correspond en fait à une perte de surplus pour l’ensemble de la collectivité. Dès lors, une politique de la concurrence vise à réglementer ou démanteler les monopoles. D’autres critiques ont été formulées à l’encontre du monopole : certains parlent d’une inefficience productive, les coûts moyens et les coûts marginaux de production augmentant en l’absence de pression concurrentielle ; d’autres ont mis l’accent sur l’inefficience du monopole dans une perspective dynamique : les entreprises de monopoles fourniraient un faible effort de R&D. La libéralisation des industries de réseau est également due à d’autres facteurs techniques et économiques : - Une concurrence nouvelle est apparue, entre différents moyens pour une même fin : dans les transports, la concurrence air/rail est accentuée par le développement de trains à grande vitesse ; de même, la concurrence naît entre les services de télécommunications et du câble. - Des produits nouveaux ont été créés par une multitude de petits entrepreneurs privés (dans le domaine des télécoms, par exemple, comme conséquence de l’introduction du numérique), et les diversifications techniques se sont multipliées. - La concurrence pousse les entreprises à chercher les meilleurs tarifs, éventuellement par la délocalisation (ex : les entreprises grosses consommatrices d’électricité sont sensibles aux différences de prix entre pays). - Les consommateurs adoptent de nouveaux comportements, plus exigeants sur la différenciation des produits et sur les prix. - Les financements publics paraissent plus difficiles, au moment même où les financements privés sont plus aisés.
B) La construction européenne a enclenché le mouvement de libéralisation des industries de réseau La libéralisation des industries de réseau a commencé aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne dans les années 1980. Elle s’est poursuivi ensuite en Europe avec la construction européenne. Cette libéralisation se fonde sur l’idée que la mise en place de mécanismes concurrentiels est seule à même de constituer, dans les secteurs de réseau comme dans d’autres, de véritables marché européens intégrés à la compétition internationale. Les institutions communautaires, et la Commission en particulier, ont impulsé un processus progressif mais inéluctable d’ouverture à la concurrence de ces industries. C’est d’abord la déréglementation du transport aérien en trois phases (1987, 1990, 1993), puis la déréglementation des télécommunications au 1er janvier 1998, la déréglementation étant moins avancée en matière de transport terrestre, de postes, d’électricité et de gaz. L’article 154 du traité vise à replacer les industries de réseau dans le cadre d’un système de marchés « ouverts et concurrentiels ». Il est attendu d’une telle libéralisation une meilleure efficacité, donc des gains de productivité qui diffuseront des externalités positives dans le reste de l’économie, des prix plus bas (du fait de la baisse des coûts de production) et des services plus compétitifs et de meilleure qualité pour les consommateurs, des salaires plus élevés pour les salariés, et des rémunérations supérieures pour les actionnaires. Par ailleurs, un démantèlement des monopoles peut supposer l’arrivée de concurrents, donc une diversification de l’offre, ce qui encourage le caractère substituable des biens et des services entre eux et donc atténue la dépendance du consommateur envers une firme particulière.
II. La libéralisation des industries de réseau donne lieu à une régulation complexe, et doit être conciliée avec les missions de service public
A) La libéralisation mise en œuvre en Europe est complexe et très encadrée
1/ Le degré d’ouverture varie selon le secteur. La logique retenue est celle d’une ouverture progressive des marchés qui consiste à supprimer les droits spéciaux ou exclusifs dont bénéficiaient un ou plusieurs opérateurs sur les marchés concernés. Le degré d’ouverture a fait l’objet d’une approche pragmatique par la Commission. Des critères permettant de distinguer les segments de marché ouverts à la concurrence de ceux pouvant être maintenus provisoirement dans la sphère du monopole ont été établis. Ils relèvent soit de la nature du service (télécoms, postes), soit de la définition du consommateur final.
2/ La Commission surveille surtout les opérateurs « historiques ». Le mécanisme de régulation doit contrer les possibles défaillances du marché. Les opérateurs « historiques » sont susceptibles de rester dominants sur les marchés libéralisés, par exemple parce qu’ils détiennent des infrastructures ; leur tendance naturelle sera d’abuser de leur position dominante en empêchant l’arrivée de nouveaux concurrents (ex : empêcher l’accès à ces infrastructures de réseau), et donc de constituer de nouveau un monopole. Deux voies peuvent être suivies pour éviter ces entorses à la libéralisation : - assurer aux nouveaux producteurs un accès libre et non discriminatoire à l’infrastructure de réseau. C’est la doctrine des « infrastructures essentielles » de la Commission, selon laquelle « une entreprise qui possède ou gère elle-même une installation essentielle, c’est-à-dire une installation ou une infrastructure sans laquelle ses concurrents ne peuvent offrir des services à leurs clients, et qui leur refuse l’accès à l’installation, abuse de sa position dominante ». - empêcher l’opérateur dominant de procéder à des subventions croisées de nature à fausser la concurrence sur les marchés libéralisés (ces subventions de la part d’une entreprise dominante permettent à une entreprise secondaire de l’emporter sur des concurrents par des offres rendues possibles non par l’efficacité ou la performance, mais par un soutien artificiel). L’application de règles de concurrence ex post permet de supprimer ces subventions croisées ; un contrôle préalable peut aussi être instauré avec le principe de séparation comptable imposé aux entreprises qui restent titulaires de droits spéciaux ou exclusifs sur certains marchés.
3/ L’exemple du secteur des télécommunications. Au 1er janvier 1998, le marché européen est réalisé avec l’ouverture à la concurrence de ce secteur. Toutefois, la libéralisation ne concerne pas tous les pays puisque 5 Etats y dérogent. La directive européenne sur la déréglementation des télécommunications offre deux possibilités aux concurrents pour entrer sur ce marché. D’une part, les nouveaux entrants peuvent construire leur propre réseau mais cette solution suppose un fort investissement qui constitue de fait une barrière à l’entrée. C’est pourquoi une 2e solution est proposée aux nouveaux entrants : les opérateurs peuvent se connecter sur des points de réseau déjà existants et construire éventuellement un réseau de taille réduite. En France, l’Autorité de régulation des télécommunications a été mise en place en janvier 1997. Le rôle de cette autorité administrative indépendante consiste à définir les grandes orientations et donc des règles, et à veiller au respect de la concurrence. Globalement, la déréglementation s’est traduite par une concentration du secteur avec la domination de grands groupes : Vodaphone (13 opérateurs), France Télécom (11 opérateurs), British Telecom (7opérateurs), Telefonica et Telecom Italia (5 opérateurs), Deutsche Telecom ( 4 opérateurs). Les opérateurs historiques ont su anticiper la libéralisation de leur secteur, ce qui leur a permis de rester leader au moment de l’arrivée de la concurrence. Ils restent donc des noyaux durs autour desquels gravitent les nouveaux entrants.
B) La libéralisation des industries de réseau doit aujourd’hui trouver un équilibre avec le maintien des missions de service public. Dans la tradition française, l’accès universel de ces services était la principale justification su statut juridique spécial des industries de réseau, de leur situation monopolistique et de leur appartenance à l’Etat. De façon générale, les dispositifs mis en place avec la libéralisation distinguent nettement, pour les raisons économiques qu’on a vues en 1ère partie, ce qui relève du monopole du fait des économies d’échelle (l’infrastructure), et ce qui relève de la concurrence (les services qui peuvent être fournis par plusieurs prestataires en concurrence). La coexistence entre secteur public et secteur privé est organisée. La question fondamentale est celle de la manière dont le cahier des charges et la tarification peuvent permettre de concilier deux objectifs : le maintien de la prise en charge de l’intérêt général et la concurrence. Des charges trop lourdes sur l’opérateur chargé du service public remettent en cause sa mission ; des charges trop légères lui donnent un avantage excessif par rapport aux autres concurrents. Trois grands mécanismes peuvent être adoptés : l’opérateur privé doit prendre en charge certaines activités d’intérêt général ; il ne les prend pas en charge, mais il paie une redevance ; il a le choix. Cette opération est loin d’être neutre. Dans une situation de monopole, les services les plus rentables financent les pertes des services déficitaires selon un système de péréquation, ce qui permet par exemple un service de télécommunication selon les mêmes tarifs dans les zones urbaines et rurales. Dans un système de concurrence, les tarifs sont proposés en fonction de leur coût réel, ce qui revient à baisser les prix pour les consommateurs auparavant pénalisés par la péréquation, et à les augmenter pour les autres. L’opérateur peut même décider d’abandonner la prestation des services non rentables. Ces risques ont cependant été pris en compte dans le cadre du processus de libéralisation des industries de réseau. La Commission a tenté de réconcilier libéralisation et service public à travers la notion de « service universel », utilisée dans une communication de 1993, puis reprise dans les directives de libéralisation. Elle se définit comme un « service minimal défini d’une qualité donnée, qui est accessible à tous les utilisateurs indépendamment de leur localisation géographique et, à la lumière des conditions spécifiques nationales, à un prix abordable. » Il s’agit donc d’une obligation de mettre à la disposition des consommateurs une offre standardisée et accessible à tous, obligation qui peut justifier l’application de règles dérogatoires au principe de libre concurrence pour les entreprises chargées d’un service d’intérêt économique général (SIEG). L’intérêt de cette notion est d’être conçue dans un esprit de complémentarité avec les mesures de libéralisation, et d’être envisagée au niveau communautaire ; les limites des SIEG résident encore pour l’instant dans leur place mal définie au sein des politiques communautaires. Une directive-cadre est en cours d’élaboration pour clarifier leur statut.
CONCLUSION La libéralisation des industries de réseau a donc donné lieu à la mise en œuvre d’une régulation complexe. L’un des principaux enjeux de cette libéralisation est de trouver un équilibre entre la concurrence et le problème de l’inégalité d’accès au service public qu’elle entraîne. Cette difficile conciliation a apparemment trouvé un début de solution au travers de la notion de service universel, mais le processus de libéralisation n’est pas terminé, et il convient donc d’élaborer des systèmes pleinement satisfaisants de ce point de vue.
Pénard, T., « L'accès au marché dans les industries de réseau : enjeux concurrentiels et réglementaires », in Revue internationale de droit économique, n°2-3, 2002.
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