Le vendredi 23 avril 2010

 

La réforme de l’Etat


 

Constante de l’action administrative depuis ses origines, la réforme de l’Etat a connu, des Lois de 1972 et 1982 à la réforme constitutionnelle de 2003 en passant par les Lois DCRA ou LOLF, des formes variées. Entité par nature réorganisable, selon le principe de mutabilité, l’Etat est une structure évolutive, en fonction des contextes historiques, idéologiques, financiers et politiques.

 

Le principe de mutabilité énonce ainsi, parmi les autres « Lois fondamentales de Rolland », que les services publics doivent être « adaptés à l’évolution des besoins collectifs et aux exigences de l’intérêt général », et qu’aucune entrave juridique aux transformations de l’Etat ne puisse être posée. Signe de la permanence de la mutabilité, les premières lois de déconcentration (nommées « lois de décentralisation » à l’époque ) prirent place en 1852 et 1861 et définissaient les pouvoirs des préfets.

 

            Le Conseil d’Etat a toujours accompagné le processus de réforme de l’Etat tant en terme de propositions (rapport Picq, 1994) que de contrôle juridique des décrets de décentralisation ou de déconcentration, ou encore par sa jurisprudence prétorienne par laquelle il a encadré l’évolution du pouvoir hiérarchique. Le Conseil Constitutionnel a également eu à se prononcer en la matière, avant le vote de la réforme constitutionnelle du 13 mai 2003 portant décentralisation.

 

La réforme de l’Etat a pris ces dernières années de nouveaux visages (Autorités Administratives Indépendantes - AAI - contractualisation, LOLF, etc...) qui s’articulent autour du couple traditionnel décentralisation – déconcentration, deux procédés qui, par des voies différentes, tendent au même but : rapprocher l’administration des administrés. Le sujet nous invite donc à développer les diverses formes de réorganisations administratives au travers desquels les dirigeants peuvent affirmer « réformer l’Etat », acte éminemment politique.

 

Parfois cette action se heurte à des refus et exige un certain niveau de légitimité politique pour celui qui l’entreprend. C’est pourquoi a été créé un Ministère délégué à la réforme de l’Etat. Celui-ci doit réaliser un compromis entre les objectifs tantôt convergents, tantôt contradictoires de rapprocher l’administration des citoyens, et d’assurer la plus saine gestion des deniers publics.

 

Autour du couple traditionnel décentralisation/déconcentration (I) s’articulent les formes nouvelles de la réforme de l’Etat, qui peinent parfois à s’imposer face aux obstacles politiques (II).

 

I/ Déconcentration et décentralisation, les deux formes principales de la réforme de l’Etat, organisent un réaménagement des pouvoirs entre les différentes autorités publiques

 

A/ La décentralisation opère une redistribution relative des compétences entre l’Etat, les collectivités territoriales et les AAI.

 

à Définition : transfert d’attributions de l’Etat à des institutions juridiquement distinctes de lui et bénéficiant, sous la surveillance d’une autonomie de gestion. Le seuil de la décentralisation est franchi lorsque la loi accorde, à des organes élus par une collectivité personnalisée, un pouvoir de décision sur tout ou partie des affaires locales. La décision est prise au nom et pour le compte d’une collectivité locale par un organe qui émane d’elle.

 

à Distinction : Décentralisation territoriale (de l’Etat vers les collectivités territoriales) / décentralisation technique (d’une autorité territoriale vers une Institution spécialisée). La loi de 1972, en créant la Région, fait de la décentralisation territoriale. La loi de 1978, en créant la CNIL, fait de la décentralisation technique.

 

à La loi Defferre de 1982 relative « aux droits et libertés des communes, des départements et des régions », faisant le constat d’une faible efficacité des politiques centralisées dans nombre de domaines, a voulu développer la vitalité territoriale en donnant aux collectivités les moyens d’une action propre, tout en les des citoyens. Elle a pour ce faire profondément modifié le régime du contrôle de tutelle et par conséquent l’organisation du pouvoir hiérarchique au sein des collectivités territoriales. La tutelle d’un préfet sur un Maire par exemple doit maintenant être définie par le législateur pour la décentralisation territoriale et par l’autorité réglementaire pour la décentralisation technique. En l’absence d’un texte définissant les modalités de la tutelle sur une institution, l’autorité décentralisée ne peut plus se voir exercée ce pouvoir par une autre autorité (CE, Assoc des anciens élèves de l’ENA, 1993). C’est le cas notamment pour les AAI, celles-ci étant par exemple libres d’édicter des règlements.

 

à Depuis cette Loi, le préfet n’a plus de pouvoir d’instruction ni de réformation de décision prises par les autorités décentralisées dans leurs compétences propres. L’autorité de tutelle garde un pouvoir d’annulation, mais il se limitera à un simple contrôle de légalité, et à un contrôle « restreint » par le juge, c-à-d plus de contrôle d’opportunité des décisions prises par l’autorité décentralisée (mais déjà CE, Bartoli, 1970). Le préfet a cependant un devoir de déférer à la juridiction administrative les arrétés ou les contrats illégaux, comme organisé par la loi de 1982. En matière d’aménagement urbain, ce déféré aura force suspensive.

 

à Vingt ans après les lois « Defferre », la réforme constitutionnelle de 2003 est une nouvelle étape censée « servir la démocratie locale et la réforme de l’Etat, assurer la proximité et la cohérence par une nouvelle relation Etat-région, par le département, la commune et l’intercommunalité ». Elle organise la France autour du principe d’organisation décentralisée (art 1er), constitutionnalise le principe d’autonomie financière des collectivités territoriales (article 72-2), reconnait le concept de subsidiarité en donnant aux collectivités territoriales le pouvoir de décision autonome dans le champs de leurs compétences (art. 72 al. 3). Elle ouvre la possibilité de faire des Lois ou des règlements comportant des dispositions expérimentales (art 37-1 et surtout 72-4), ainsi qu’un un droit à la pétition et au référendum local (art 72-1). Elle n’a cependant pas eu pour le moment de prolongements contentieux.

On notera cependant que les transferts de compétences combinés à un financement étatique flou, et à la montée en puissance des ressources propres (art 72-2), entrainent nécessairement un accroissement des impôts locaux, sans réduction des impôts nationaux. Sur les referendums consultatifs locaux, on notera qu’une Loi de 1992 avait déjà tenté de la organiser sans véritable succès. Par ailleurs des dispositions réglementaires ultérieures à 2003 ont fortement encadré ces réferendums. Enfin, la question de la péréquation interregionnale n’est pas abordée dans cette réforme et risque d’accroître les inégalités géographiques.

 

à Les AAI sont une autre forme de décentralisation et traduisent la diversification et la spécialisation croissante de l’activité administrative. CNIL, CSA, ART, AMF, CConcurrence, CdB, etc... Ces AAI n’ont plus d’autorités de tutelle et peuvent prendre des règlements, des décisions individuelles ainsi que faire des rapports et propositions. Formes modernes de structures administratives, elles se multiplient sous l’influence européenne, sont indépendantes et impartiales. Leurs Présidents ne peuvent être mutés avant la fin de leur mandat. Elles agissent au nom de l’Etat et sont budgétairement rattachées à un ministère (CE, COB, 1993). Jacques Attali, dans la Voie humaine propose de faire des AAI un modèle de gouvernance étatique pour l’avenir.

 

B/ La déconcentration : entre redéploiement des compétences et prégnance du pouvoir hiérarchique

 

à Définition : au sein d’une même institution le pouvoir de décision par les autorités les plus élevées est transféré à des autorités moins élevées dans la hiérarchie interne de l’institution. Dans la déconcentration, la décision est toujours prise au nom de l’Etat par l’un de ses agents ; il y a seulement substitution d’un agent local au chef de la hiérarchie.

 

à Les décrets du 13 novembre 1970, et ceux du 10 mai 1982, ainsi que la Charte de la déconcentration (décr. du 6 février 1992 qui organise la sous-délégation) font du Préfet l’autorité déconcentrée de principe, notamment en matière d’aménagement du territoire, d’investissement économique et social. Ils organisent un recours accru à la délégation et à la subdélégation de pouvoir dans le but de désencombrer des niveaux hiérarchiques supérieurs, et de rapprocher l’administration des citoyens.

 

à La sphère de compétence du pouvoir hiérarchique supérieur est intact. Celui-ci garde un pouvoir d’annulation rétroactif de légalité et d’opportunité. L’autorité supérieure est tenue d’exercer son pouvoir hiérarchique en cas d’erreur de l’autorité à qui il a délégué ce pouvoir (CE, Mars, 1992). De même lorsque le Maire se prononce en tant qu’autorité de l’Etat (et non de sa commune) il est placé sous l’Autorité du Préfêt qui doit controler ses actes. (CE, Ville de Paris 1992)

 

à Le couplage décentralisation-déconcentration fait des autorités déconcentrées les interlocuteurs des autorités décentralisées, plutôt que leurs contrôleurs. Mais ce couplage n’est-il pas un doublon inutile et coûteux ? La réforme de l’Etat pourrait-elle s’orienter vers une unification des autorités ? Certains parlent d’une possible future « suppression du canton ou du département ».

 

C/ « Les prolongements contractuels de la décentralisation »

 

à Définition : La contractualisation consiste en un accroissement des contrats liant l’Etat et les autres administrations dans le but d’effectuer des missions de services publics. Elle traduit le passage d’un Etat prescripteur à un Etat négociateur. Contrat de plan Etat-région, Contrats de ville, contrats locaux de sécurité, etc... Les contrats se multiplient entre les entreprises publiques, les collectivités territoriales, disposant de nouvelles compétences.

 

à La contractualisation constitue un prolongement de la décentralisation. Dès 1899, Hauriou remarquait un lien entre la décentralisation et la multiplication des accords conclus entre les administrations pour assurer la marche des services publics (CE, Admin. des pompes funèbres, 1899). Ces contrats peuvent avoir pour objet les transports, l’exécution de travaux publics, la planification économique, l’aménagement du territoire. Il peuvent également organiser l’autonomie des autorités décentralisées par rapport à l’Etat. La loi de 1982 prescrit par exemple que toute aide financière doit être prioritairement accordée par le biais de contrat de plan, et oblige les deux parties, dont l’Etat, à respecter ses engagements (CE, Comm urbaine de Strasbourg, 1988), sauf disposition législative nouvelle contraire.

 

à On notera aussi que la décentralisation s’est accompagnée de l’intercommunalité, celle-ci se faisant également au moyen de contrats entre communes dans le cadre des compétences que celles-ci souhaitent mettre en commun. Les Lois Voynet (1997) et Chevènement (1999) favorisent la création de communautés urbaines, d’agglomération ou de communes, et de syndicats intercommunaux, eux-mêmes concourant à multiplier les formes de contractualisation.

 

Transition : L’action de l’Etat, se déploie maintenant au sein de ce qu’on peut appeller une gouvernance multiforme, faite de transferts de compétences multidirectionnels, et d’engagements contractuels non moins diversifiés. Mais cette nouvelle gouvernance est insuffisante sans une réforme des différentes structures de l’Etat, de ses pratiques avec les administrés, de son budget, et de son organisation centrale.

 

II/ Rapprocher les citoyens des administrations tout en assurant une saine  gestion : la modernisation de l’Etat est multiforme mais se heurte parfois à des obstacles insurmontables

 

A/ Rapprocher les citoyens des administrations : les Lois DCRA, Dutreil et Bertrand.

 

B/ Une nouvelle architecture budgétaire pour réformer l’Etat : la LOLF

 

à L’ordonnance du 2 janvier 1959, Constitution financière de l’Etat paraissait, il y a quelques années, encore quasi-intangible. La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) a exigé un environnement politique exceptionnellement favorable. L’affaire de la « cagnotte » de 1999 a révélé le manque de transparence et de contrôle parlementaire ainsi que la rigidité du budget. La nomenclature budgétaire privilégiait les moyens au détriment des objectifs et des résultats. Certaines règles techniques étaient devenues inadaptées, encore davantage avec l’encadrement européen.

 

à La LOLF simplifie la nomenclature budgétaire afin « d’en améliorer la lisibilité et d’en permettre une gestion moins éclatée ». La culture du management, de la transparence et de la responsabilité sont les axes essentiels de cette réforme des finances publiques.

 

à La nouvelle architecture du budget de l’Etat est significativement améliorée dans le sens d’une plus grande cohérence dans l’agencement des programmes et la répartition des crédits. Pour le budget général, ce nouveau cadre budgétaire rassemble 34 missions, dont 9 missions interministérielles, 132 programmes et près de 580 actions. Cette présentation permet de renforcer le rôle du Parlement et d’assurer une plus grande fongibilité des crédits au sein des programmes.  En outre, le Parlement est mieux associé aux décisions majeures relatives à la réforme budgétaire et son pouvoir d’amendement est amélioré.

 

à Le Gouvernement souhaite effectuer un pilotage de l’administration par la performance (avec des objectifs et des indicateurs de performance qui guideront l’action de l’Etat) et améliorer le mode de gestion des crédits (contrôle de gestion et évaluation), au niveau central et déconcentré.

 

à La nouvelle gestion financière et comptable permet de mieux décrire le patrimoine de l’Etat et de donner une plus grande liberté aux ordonnateurs de dépenses. La réussite de sa mise en oeuvre, en 2006 dépendra de la capacité des acteurs de la dépense et de la comptabilité de l’Etat à travailler ensemble, de manière cohérente et articulée.

 

C/ La réforme des ressources humaines de l’Etat reste néanmoins des plus complexes.

Le total des charges de personnel s’élève à 107,3M d’euros, soit 45% de l’ensemble des dépenses de l’Etat, pour un effectif de fonctionnaires s’élevant à 5,7M. Ces dépenses de rémunération ont  nettement augmenté sur la période 1994-2004.

Avant la LOLF on avait un problème de lisibilité de la dépense de personnel et de dispersion de ces crédits de personnel. En effet, les différents contrats brouillaient la  lisibilité au budget.

Le budget 2006 avec la LOLF prévoit 2 modifications :

Les plafonds d’emploi tout personnel confondu pour chaque ministère ; ce qui permet de limiter les emplois et d’obliger l’administration à raisonner en fonction d’une logique de performance.

 

            Par ailleurs, la fongibilité asymétrique des crédits  suppose que les dépenses hors titre 2 ne peuvent pas donner lieu à des dépenses de personnel mais par contre les dépenses  de personnel peuvent être reconverties en des dépenses de fonctionnement ; ce qui permet de faire des économies de personnel (les préfectures étaient déjà passées en régime LOLF).

 

       En outre, l’efficacité de la gestion des effectifs de l’Etat est remise en cause par de nombreuses rigidités structurelles (budgétaires et statutaires) ; cf cadre statutaire des fonctionnaires ( ils bénéficient de la garantie de l’emploi ; ils ne peuvent être licenciés pour des motifs ne tenant pas à leur personne).

      Une profonde transformation de l’administration aura aussi lieu dans les années à venir, dans la mesure où d’ici à 2010, 45% des fonctionnaires partiront à la retraite.

L’échec de la réforme Sautter qui visait à instaurer davantage de cohérence dans l’organisation de l’administration en opérant de difficiles ajustements en personnel prouve que les réformes sont difficiles.