Les projections concernant l’équilibre
des régimes de retraite : principaux résultats et facteurs d’incertitude
« Gouverner, c’est prévoir » disait P. Mendès-France en 1954. Cinquante ans plus
tard, cette maxime se pose avec une grande acuité. La réforme du 21 Août 2003 a
mis en exergue les difficultés financières à venir du système des retraites, et
la nécessité de modifier le système de l’assurance vieillesse.
Cet
impératif procède en premier ressort des prévisions démographiques et
économiques concernant l’équilibre des différents régimes de retraite (général,
ARRCO, AGIRC, CANCAVA, ORGANIC, CNAVPL, régimes spéciaux) à l’horizon 2020-2040.
Plus que jamais, ce sont le prévisions qui guident les nécessités présentes, ce
qui tendrait à valider l’hypothèse économique des anticipations rationnelles.
Pourtant,
et cela ressort clairement du sujet, l’épistémologie et la pratique ont depuis
longtemps confirmé le proverbe chinois « on ne peut jamais être sûr des
prévisions, surtout quand elles concernent l’avenir ». Les sciences humaines ne
sont pas des sciences dures et la liberté humaine rend illusoire toute
modélisation exacte.
Les
prévisions en question se fondent sur la continuation de l’évolution de la
période actuelle, toute chose égales par ailleurs. Il est possible que le
système change, ou que les variables exogènes (ex : démographiques) évoluent
d’une autre manière. Le contenu des réformes à venir tout comme les variables
exogènes (démographie, emploi), sont incertains, même si l’on peut envisager des
modèles-types.
Il s’agit
donc de synthétiser les prévisions existantes, à la racine des réforme présentes
et à venir du système de retraite (I), et d’en évaluer les limites, inhérentes à
tout méthode sociologique quantitative (II).
I/ Les différentes prévisions mettent en
évidence une détérioration inéluctable de l’équilibre des comptes des régimes de
l’assurance vieillesse
A/
Les études sur l’environnement démographique du système de retraite mettent en
évidence des causes structurelles à l’aggravation des déficits
1)
Le vieillissement de la population. La baisse du taux de fécondité
(1,8 enf./femme) combinée à l’accroissement de l’espérance de vie (75h/82f)
conduit à un accroissement du pourcentage de personnes de plus de 65 ans.
L’accroissement de la population, contenu à 0,34 %. Tout ceci conduit à la fois
à un accroissement du nombre de retraité, et du niveau (du temps) des pensions
servies. Cela a également une incidence sur la prise en charge de la dépendance.
2)
La baisse du nombre d’actifs (du fait de la baisse de la natalité
couplée à la baisse du taux d’activité – notamment des jeunes et quinquas) rend
difficile de dégager des recettes suffisantes, d’autant que des baisses
successives de charges viennent altérer ces recettes. Une enquête DARES (2000)
table sur une stabilisation à venir de ces taux d’activité à un niveau inférieur
aux autre pays développés.
3)
Tout ceci aboutit à une baisse du ratio contributeurs/bénéficiaires
(actifs/inactifs). En 2025, ce ratio est de 1 actif pour 1 retraité. Même un
accroissement fortuit de la natalité, ou une baisse du chômage de 3% ne serait
pas en mesure de financer les déficits attendus, le système ayant été créé à une
époque où ce ratio était quasiement de 3 pour 1.
B/
Les projections des comptes 2020-2040
1)
Des déficits amenés à augmenter, et à alourdir la dette publique.
« L’arrivée à maturité » des systèmes de retraite consiste en le passage à la
retraite de la génération du baby-boom. Le rapport Charpin de 1998 met en
évidence que le nombre de personnes arrivant à l’âge de la retraite seront plus
nombreux que les actifs entrants sur le marché du travail. Les actifs, finançant
l’assurance vieillesse ne seront plus assez nombreux pour financer un niveau
égal de prestation. Les spécialistes parlent de « faillite » ou de « déficit
abyssal ». C’est à partir de 2007 que le besoin de financement est amené à se
faire sentir.
2)
En 2020, on estime que le ratio actifs/inactifs sera de 1. Il
était de 3 en 1970 et 2 en 1990. Dès lors, à prestations égales, le niveau des
cotisations est amené à doubler. Inversement, à cotisation égales, les
prestations doivent fortement décroître. Si aucun des deux paramètre ne se
modifient le besoin de financement devrait s’élever à 70 MD€.
3)
En 2040, le phénomène s’accroît. Le rapport actif/inactifs, à
évolution égale, devient négatif. Le déficit attendu s’élève à 130 Md€
(soit dix fois plus que le déficit actuel de la protection sociale).
4)
Les déficits devraient d’abord toucher les régimes spéciaux, puis les
« non non » (ORGANIC CANCAVA, CNAVPL), puis le régime général, enfin les régimes
de cadres AGIRC et ARRCO.
5)
Cela signifie par ailleurs un décalage de plus en plus grand entre ceux
qui auront validé une retraite à taux plein et ceux qui auront une retraite
incomplète. Le système favorise en effet ceux qui auront cotisé plus longtemps
(par le biais d’une décote de pension si la liquidation se fait avant le nombre
de trimestre nécessaire).
II/ Les facteurs d’incertitude proviennent des
variables conjoncturelles
A/
La variable de l’emploi
1)
Les recettes des régimes d’assurance vieillesse étant
indépendantes (jusqu’à nouvel ordre) des dépenses, elles sont en
mesure, en période de croissance d’apporter la contribution nécessaire à
l’équilibre des comptes. Assises sur la masse salariale, les recettes impliquent
un niveau élevé d’emploi et un plus fort taux d’activité pour financer
l’accroissement structurel des dépenses (pour les causes identifiés plus haut).
Or, ce paramètre dépend des mesures de politiques de l’emploi et des
conjonctures futures.
2)
Les interprétations découlant des prévisions peuvent être
optimistes ou pessimistes. Cet espoir est ténu, et ne peut se substituer à
une réforme qui limite les déficits à venir en période de crise éventuelle. Si
la prévention s’avère moins coûteuse que la réaction dans l’urgence, une
attitude plutôt pessimiste apparaît plus responsable. Le scénario du Conseil
d’Orientation des Retraites, table sur des prévisions optimistes (4,5 % à 7% en
2015), eu égard à la situation actuelle de l’emploi (10 % officiels).
3)
Autre facteur d’incertitude pour l’avenir : le niveau
d’immigration limité depuis les réformes Pasqua de 1993 à environ 50 000 par
an (et de sa natalité. Cette immigration est en mesure de jouer de façon
positive sur le ratio actif/inactifs, ceux-ci étant traditionnellement des
travailleurs (hormis le cas de l’immigration illégale qui peut, elle, peser à la
baisse sur les comptes). Le taux officiel de d’accroissement de la population
résultant des migrations s’élève à 0,07 pour cent (40 000 personnes).
4)
L’apport du fond de réserve des retraites pour la couverture des
besoins de financement reste incertain. Il s’agit d’une épargne collective,
nationale, qui permet d’utiliser les surplus des périodes d’excédents en période
de déficit. Il s’élève en 2004 à 10 Md€.
B/
Les effets des réformes actuelles
1)
Le système de retraite est configuré autour de quatre paramètres
principaux : le nombre d’annuités, l’âge de la retraite, le montant des
cotisations et montant des prestations (taux de remplacement – actuellement de
75% à 80%).
2)
La Loi du 21 Août 2003 se donne pour objectif de financer 35 % des
déficits attendus à l’horizon 2010. Une nouvelle réforme est prévue en 2008.
Elle repousse à 40 annuités, pour tous, le temps de cotisation permettant de
bénéficier d’une retraite à taux plein.. Par ailleurs, du côté des recettes, le
taux de la cotisation vieillesse du régime général sera relevé de 0,2 points.
Dorénavant, le calcul des droits à la retraite prendra en compte les 25
meilleures années de cotisations. En contrepartie, elle intégrera les années
d’études.
3)
Elle maintient intacte l’âge de la retraite (60 ans avec un dispositif de
départ précoce pour les personnes ayant commencé à travailler avant 18 ans),
tout comme le taux moyen de remplacement, c.à.d., le niveau des pensions par
rapport au salaire antérieur. Aucune étude ne mesure encore l’impact avéré de
cette réforme. Cependant, des dispositifs de bonifications incitent à la
continuation de l’activité après 60 ans, indexé à la baisse du temps de travail
(ou des revenus pour les artisans, commerçants et professions libérales). Un
salarié réduisant de 20 à 40 % son temps de travail pourrait toucher 30% de ses
droits à la retraite, en étant bonifié de 3% par ans pour les prestations
futures.
4)
Les résistances sociales : un facteur d’incertitude prépondérant.
Savoir si de nouvelles réformes du système des retraites sont possibles dépend
particulièrement de l’acceptation par les partenaires sociaux, qui gèrent les
caisses d’assurance vieillesse. Leur volonté de réformer le système, comme le
contenu des négociations et des propositions futures reste un facteur
d’incertitude quant à la réalisation effective des prévisions.
5)
Il est également possible d’envisager la substitution des annuités par
un système de points. Les assurance complémentaires utilisent déjà ce
système de points, et permettent d’individualiser les droits à la retraites.
Tout déséquilibre des comptes seraient tout simplement mutualisés par
l’augmentation du prix du point.
C/
La financiarisation de la question des retraites : la capitalisation
1)
Face à un système public qui ne pourra à terme, et toutes choses égales
par ailleurs, assurer des prestations suffisantes, on peut tabler sur une
montée en puissance du système de retraite complémentaire par capitalisation.
Actuellement, la retraite complémentaire est obligatoire. Mais celle-ci n’est
pas forcément par capitalisation.
2)
On notera que la capitalisation ne change pas, en soi, le problème de
la dégradation du ratio actifs/inactifs. Elle procède avant tout d’un choix
individuel (ex : Plan d’Épargne en Action) ou collectif (sociétés d’assurances
et institutions de prévoyance, PREFON pour les élus). Au contraire, en cas de
dégradation des comptes de ces institutions, le risque est plus élevé que si
c’est l’État qui apporte le crédit nécessaire. Au final, la retraite
complémentaire, amené à accroître son importance à l’avenir, créera une retraite
à deux vitesses. Dans l’ensemble, ce système ne peut se substituer à un noyau
dur géré par l’État et les partenaires sociaux.
3)
Il est possible d’envisager une importation de pratiques de pratiques
d’États voisins, comme les fonds de pension ou la contribution de
retraite d’entreprise. Il s’agit d’une tout autre logique, celle de l’épargne
individuelle. Le développement de l’épargne salariale est un trait marquant de
la fin des années 1990. Jusqu’à présent, les gouvernements n’ont pas voulu
donner trop d’importance à ces dispositifs qui pourraient perturber le
fonctionnement des régimes existants. Le cas ENRON, dans lequel l’argent des
salariés était engloutis dans des investissements infructueux, montre les
limites d’un tel système.
4)
En tout cas, la privatisation totale du système de retraite est
quasiment impossible. En effet, la génération d’actifs au moment du
changement de système devraient payer deux fois. Pour les retraites des
personnes âgées actuelles, et pour elles-mêmes par capitalisation. Une telle
modification supposerait un retour transitoire aux solidarités familiales.
Malgré les
incertitudes, les conclusions sont donc évidentes. Le système de retraite n’est
pas en mesure de pourvoir au financement des générations partant à la retraite
dans une dizaine d’années. Les réformes sont donc nécessaires, et ne pourront se
faire sans douleur. Elles consisteront nécessairement en des mesures
défavorables aux retraités voire aux cotisants, et rend par ailleurs nécessaire
une modification des structures du système, comme par exemple un découplage
entre le financement des régimes et la masse salariale. Plus ambitieux, une
régularisation massive des sans papiers pour intégrer à la communauté des
travailleurs français ces exclus du marché du travail légal et réduire le niveau
de l’économie souterraine qui échappe aux prélèvements obligatoires.