Le droit face au phénomène des sectes en France

 

Phénomène ayant émergé dans les années 1960, les sectes ont pris ces dernières années une ampleur nouvelle, depuis les affaires médiatisées du Temple solaire, ou du clonage raëlien. L’ampleur des manipulations mentales en cause, la gravité des crimes causés, ou l’importance des dettes fiscales incombant aux sectes ont en effet suscité la curiosité des médias, et des législateurs (trois rapports en huit ans). Les juges ont également dû se prononcer, dans la mesure où, faute d’une volonté claire du législateur d’intervenir dans le domaine de la croyance, ils furent les derniers remparts de la loi, lorsque ces groupes utilisaient leur qualité de religions pour justifier leur contournement du droit.

 

Si la définition du dictionnaire du mot secte est relativement neutre, « ensemble de personnes qui professent une même doctrine » (Robert), le mot est de plus en plus utilisé dans son sens plus péjoratif. On entend en effet par « secte » une organisation religieuse, fondée sur des croyances généralement farfelues, qu’un culte permet de matérialiser, et autour duquel se crée une vie sociale, attractive pour des gens en perte d’identité devenant psychologiquement dépendants de la secte.

 

Touchant la question de la croyance, et donc celle du for intérieur, les sectes sont par nature difficiles à incorporer, à encadrer par le droit. Spécifiques par leur contenu par rapport aux personnes morales de droit commun (associations ou sociétés), mais prenant pourtant leur forme, les sectes ne se différencient pas, sur le plan légal, de toute organisation sociale. Pourtant, elles ne sont ni des associations normales, ni des religions reconnues, puisqu’un très petit nombre d’entre elles dispose de la qualification de « cultuelles ».

 

La France se distingue par ailleurs des autres pays, généralement plus libéraux en matière de législation religieuse. La Loi de 1905 de séparation de l’Eglise et de l’Etat organisait déjà un régime spécifique pour les organisations de culte, notamment pour leur régime fiscal. Dans ce schéma, les sectes ne trouvent pas leur place puisqu’elles ne sont généralement pas reconnues comme des religions (contrairement à de nombreux pays), et qu’elles se classent dans la catégorie des personnes morales de droit commun que sont les associations et les sociétés. S’interroger sur les droits et les sectes c’est justement chercher leur identité juridique, c'est-à-dire les caractères spécifiques qui les différencient des autres personnes morales de droit commun.

 

Trois difficultés se posent dans le traitement d’un tel sujet.

D’abord, la connotation péjorative du mot secte rend possible toutes les stigmatisations, et rend difficile la création d’une qualification légale a priori par le législateur.

La seconde difficulté découle de la première. La « secte » n’étant pas qualifiée juridiquement dans sa nature, le législateur ne peut que difficilement édicter des mesures spécifiques à leur égard. Lorsque le juge devra se prononcer, il ne pourra s’attacher qu’aux actes et aux conséquences des actes dommageables ou délictuels des sectes, sans préjuger de la véracité de leurs dogmes. D’autre part, le juge, même sans qualification légale de la secte, peut prendre en compte le caractère religieux de la personne morale en cause, en ne pouvant que s’attacher qu’aux effets de ces organisations, et non à leur nature.

Enfin, le sujet pose la question de la territorialité du droit, et de ses limites, puisqu’un grand nombre de ces groupes dépassent le cadre des frontières, comme a vocation à le faire tout mouvement qui prétend à l’universalité.

 

Il s’agira donc de voir comment est appréhendée la notion de secte en droit français (I) et quelles conséquences juridiques découlent des actes des sectes lorsque les juges sont amenés à les juger (II).

 

 

 

 

 

I. La notion de « secte » en droit français

 

A-  Une notion non définie juridiquement

 

1-     Les raisons de l’absence d’une définition juridique

 

Il n’existe pas en droit français de définition du terme « secte », et ce terme est absent de la législation, ce qui explique qu’il soit systématiquement mis entre guillemets.

 

Pourtant, l’absence de définition n’est pas due à un désintérêt des pouvoirs publics pour le phénomène, qui a fait l’objet de nombreuses réflexions parlementaires et gouvernementales. Deux rapports parlementaires ont en effet été réalisés sur le thème : le rapport Vivien en 1985, « Les sectes en France, expression de la liberté morale ou facteurs de manipulation », et le rapport Gest-Guyard, « Les sectes en France », en 1995. Quant au pouvoir exécutif, il a créé l’Observatoire Interministériel sur les Sectes par décret du 9 mai 96 et la mission interministérielle de lutte contre les sectes par décret du 7 octobre 1998.

 

Le dernier rapport parlementaire rappelle que « l’Etat, fidèle à son indifférence à l’égard des religions, n’a jamais donné une définition juridique de celles-ci. », donc il y a « impossibilité juridique de définir les critères permettant de définir les formes sociales que peut revêtir l’exercice d’une croyance religieuse, à fortiori de distinguer une église d’une secte. ».

 Les raisons de cette absence sont multiples.

 

-         un sens commun péjoratif

 

La première raison tient au caractère péjoratif et diffamatoire du terme de secte dans le langage courant, bien qu’une telle connotation soit absente du sens originaire du mot. Pour une meilleure appréciation du phénomène sectaire et du danger qu’il peut causer, le rapport Gest-Guyard procédait à une classification des mouvements sectaires. Mais de nombreux mouvements, à cause justement du caractère péjoratif du mot « secte », ont tenté d’en empêcher la publication, qu’ils accusaient de violer le principe de laïcité. Cependant, par arrêt du 21 octobre 1998, le Conseil d’Etat a disposé que le rapport ne violait aucune disposition législative relative à la diffusion de l’information et répondait à un but légitime d’information du public. De plus, la Cour de cassation criminelle, dans son arrêt du 28 avril 1998, précise que « le fait d’assimiler une communauté à une secte ne peut constituer une diffamation en raison de l’imprécision du concept de secte ». Toutefois, l’allégation erronée d’appartenance à une secte peut être considérée comme un « véritable dénigrement », selon la jurisprudence du  TGI de Paris du 1er avril 1988. La censure est d’autant plus inéluctable que l’accusation d’appartenance à une secte s’accompagne d’allégations non justifiées de comportements malhonnêtes dangereux pour la société.

 

-         un phénomène peu homogène

 

Même si une définition juridique peut prendre ses distances par rapport au sens commun d’un terme, la diversité que présente ce sens commun rend difficile la théorisation juridique.

Le sens commun du mot « secte » renvoie à une conception très large des sectes. On y inclut aussi bien des groupes protestants marginaux traditionnels, que des croyances extrêmement bizarres, des activités magiques, ainsi que des pratiques économiques thérapeutiques. Il est difficile de concevoir une définition juridique unique qui englobe ou qui corresponde à cette vision hétérogène des sectes. Il serait non seulement injuste, mais aussi inopportun du point de vue de la prévention, de faire un amalgame entre des groupements religieux minoritaires honorables et inoffensifs, et des structures gravement pathologiques ou violentes.  De ce point de vue, les critères utilisés par les renseignements généraux et repris par le rapport Gest-Guyard sont purement descriptifs et illustrent cet amalgame. En effet, ce rapport opère une distinction entre les différents types de groupes plutôt qu’entre leurs pratiques (critères : mouvements « nouvel âge », mouvements « satanique », mouvements guérisseurs, mouvements orientalistes, groupes alternatifs, groupes « évangéliques », mouvements apocalyptiques, mouvements occultistes, mouvements parapsychologiques, mouvements ufologiques, mouvements syncrétiques). S’en remettre à un sens commun pour qualifier juridiquement les sectes serait s’en remettre au verdict de l’opinion publique, contraire au principe d’ « indifférence » de l’Etat vis-à-vis des pratiques religieuses des individus.

 

2-     Une définition juridique possible ?

 

S’il n’existe pas de définition des sectes en droit positif, est-il envisageable pour le législateur d’en adopter une? Et quel serait son contenu, en tenant compte des difficultés évoquées plus haut ?

Une telle définition devrait remplir un certain nombre de critères :

D’une part respecter les principes constitutionnels touchant aux libertés individuelles, ainsi que le cadre du droit international (CEDH, art 10).

D’autre part, une telle définition devrait avoir pour but de tirer de la définition des sectes des conséquences du point de vue de l’application de certaines règles juridiques, d’avoir des effets juridiques (application aux sectes d’un certain régime juridique en matière de liberté religieuse, de liberté d’association, de droit fiscal…). Pour cela, il faudrait donc qu’elle soit claire, cohérente et opérationnelle, pour pouvoir être appliquée par des organismes administratifs et par des tribunaux.

 

Deux types de définition peuvent être envisagées : une définition substantialiste, et une définition à partir des comportements.

 

-         Les tentatives de définition substantialiste

 

Une approche substantialiste suppose de définir les sectes à partir du contenu même de leur croyance ou des idées qu’elles véhiculent.

 

Une telle approche pose tout d’abord la question du caractère religieux des mouvements sectaires. Les croyances des sectes sont-elles des croyances religieuses ? Statuer sur cette question se révèle épineux, car l’un des risques encourus est de voir les sectes utiliser le qualificatif de « religion » comme une sorte de « label de qualité », leur permettant d’utiliser les arguments d’atteinte à la liberté de pensée ou de croyance pour se protéger. Dans une plaidoirie de la cour d’appel de Lyon  du 28 juillet 97, une secte soutenait par exemple: « Les principes constitutionnels de liberté d’opinion, même religieuse, et de laïcité de la République interdisent que la qualification d’escroquerie soit appliquée à une religion ». Entrer dans ce débat comporterait deux risques : celui de voir certaines sectes dissimuler des pratiques répréhensibles sous couvert de liberté religieuse, ou à l’inverse le risque de criminaliser certains mouvements. Le caractère religieux d’un mouvement n’étant jamais en lui-même un critère d’appréciation en droit civil ou pénal, il ne parait donc pas nécessaire de se prononcer sur le caractère religieux des sectes dans une définition juridique substantialiste de celles-ci.

 

Philippe Gast[1] propose de définir les sectes à partir de deux autres éléments : la méconnaissance des « principes républicains » et le caractère « délirant » de la croyance.

Par principes de la République, Gast entend, pour ce qui touche aux associations, un fonctionnement démocratique (droit de contrôle des membres sur les dirigeants, l’obligation des dirigeants d’obtenir l’approbation de leur gestion…), des règles garantissant la transparence, et la séparation des compétences.  

Pour mettre en exergue le caractère « délirant » de certaines croyances, il propose la constitution d’une « commission de spécialistes », qui déterminerait si l’organisme en voie de constitution présente au caractère « contraire aux données acquises de la science », celles reconnues incontestables par les académies scientifiques.

Les associations qui ne respecteraient pas ces critères se verraient refuser la liberté d’association.

 

            Cependant, la mise en œuvre pratique de ces critères n’est pas sans poser de sérieux problèmes. En effet, en suivant une telle définition, beaucoup de groupements autres que les sectes se verraient refuser une reconnaissance juridique (beaucoup d’associations non sectaires ne rempliraient pas les critères de fonctionnement démocratique et de transparence ; et en ce qui concerne le caractère « délirant » de certaines croyances ou idées, les associations religieuses risqueraient de ne pas être les seules incriminées et d’autres associations, comme celles de voyance, pourraient être condamnées).

 

            Le rapport Gest-Guyard comporte également des tentatives de définition substantialistes des sectes : les sectes sont, pour ce rapport, des « religions à ne pas reconnaître à part entière ». Elles ne peuvent pas être légitimement reconnues comme association cultuelles car elles n’ont pas pour objet exclusif l’exercice public d’un culte. De surcroît, les sectes méconnaissent les « lois de la République ». Enfin, les « bons » et les « mauvais » cultes devraient être déterminés par un « haut conseil des cultes… mais il ne précise par sur quels critères la distinction doit être opérée, et on peut considérer qu’une telle distinction, si elle était opérée par les pouvoirs publics, pourrait être considérée comme empiétant sur la liberté d’opinion des individus.

 

            Tenter de définir les sectes de manière substantielle apparaît donc éminemment risqué, et suppose, si l’on suit à la lettre les critères évoqués plus haut, de restreindre les activités de nombreux autres groupements. Il parait donc, même si c’est moins ambitieux, plus satisfaisant de se borner aux faits, et de définir les sectes du point de vue des comportements qui les caractérisent.

 

-         Les tentatives  de définition par les comportements

 

Une telle démarche parait plus objective que la tentative de définition des sectes de manière substantielle, dans la mesure où elle s’appuie sur des faits avérés.

 

Cependant, elle rencontre plusieurs problèmes :

D’une part il s’agit d’une définition a posteriori, puisque les appréciations des comportements ne peuvent se faire qu’après qu’ils se soient manifestés. Ce qui n’est donc pas totalement satisfaisant du point de vue de la prévention des dérives. D’où la nécessité de prévention, préconisée par l’Observatoire National des sectes.

D’autre part, si les comportements en cause ont un caractère délictueux, le comportement pourra être réprimé sans passer par une définition de la secte. Mais si le comportement n’a pas de caractère délictueux, mais est néanmoins néfaste (but lucratif, effets peu favorables à la santé des adeptes…), se pose le problème de la méthode pour le sanctionner, tout en sauvegardant la liberté individuelle. En effet, certains comportements caractéristiques des sectes ne sont pas néfastes en soi, mais le deviennent quand ils se manifestent dans un certain contexte. Par exemple, il n’est pas problématique en soi d’être méfiant par rapport à la médecine traditionnelle, mais le refus de toute forme de soins médicaux, qui caractérise certains adeptes, peut se révéler dramatique. La différence entre le normal et l’anormal n’est pas le plus souvent la question de la nature de comportement incriminé, mais la question de son degré.

 

Le rapport Gest-Guyard essaie de trouver une solution à ces problèmes en recourant à une liste d’indices utilisée par les renseignements généraux. Cette technique du « faisceau d’indices », même si elle s’éloigne d’une définition, a l’avantage d’être applicable en pratique.

Dix indices sont énumérés :

-         déstabilisation mentale

-         exigences financières exorbitantes

-         rupture avec l’environnement

-         atteinte à l’intégrité physique

-         embrigadement des enfants

-         discours antisocial

-         troubles à l’ordre public

-         démêlés judiciaires

-         détournement de circuits économiques

-         infiltration des pouvoirs publics

Cependant, ces « indices » restent vagues, certains d’entre eux pouvant s’appliquer à des multiples organisations, et ne peuvent constituer une définition juridique de la secte – les différentes sectes étant concernées plus par certains critères que d’autres. Au mieux peuvent-ils servir de guides.

De plus, il faudrait pouvoir leur adjoindre des critères d’intensité : à partir de quel moment y a-t-il « trouble de l’ordre public » ? Comme le fait remarquer, à juste titre, Jean-Marie Woeherling, « la protection contre les sectes ne doit pas aboutir à marginaliser, voire à criminaliser les personnes dont le seul tort est de ne pas partager le conformisme ambiant ». S’il y des « dérives sectaires », il ne faut pas non plus aboutir à des « dérives antisectaires »… La crainte de ces dérives est la raison principale de l’absence d’une législation anti-sectes.

 

 

B- l’absence d’une législation anti-sectes

 

Face au problème des sectes, l’Etat doit trouver un équilibre entre la liberté de croyance et d’association de ses citoyens et les dérives que peuvent engendrer certains groupements.

           

            On ne peut nier que l’inflation des mouvements sectaires (172 sectes, 160000 adeptes, 100000 sympathisants  ce qui correspond à un accroissement de 60% en 12 ans) et l’inflation du contentieux qui y a trait, pose la question de la pertinence d’une législation anti-sectes, aujourd’hui inexistante. Une de ses justifications serait la protection de l’ordre public (l’ordre public étant défini comme la sécurité des personnes et des biens ainsi que la sûreté de l’Etat). L’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 dispose que nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. Plus récemment, l’arrêt du Conseil constitutionnel, du 12 juillet 1977, introduit la possibilité de légiférer en disposant que la liberté individuelle peut faire objet de restriction en cas de menace d’atteinte à l’ordre public.

 

            Cependant, une législation anti-sectes se heurterait, en plus du problème de l’absence de la définition juridique du terme, à des obstacles constitutionnels et en droit international.

 

-         Obstacles en droit constitutionnel

 

             La notion de normalité sociale constitue un obstacle à toute législation anti-secte en droit constitutionnel. En ce qui concerne la normalité familiale, la Constitution de 1946 dispose que la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. Cet article a été interprété par le Conseil d’Etat le 23 janvier 1987 comme le droit de mener une vie familiale normale, qui doit être concilié avec la sauvegarde de l’ordre public, qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle. Une famille normale est donc une famille acceptable sur le plan culturel (voir l’arrêt du Conseil d’Etat du 13 août 1933). Or cette disposition entraîne les juridictions sur un terrain plus que polémique et l’hétérogénéité des modèles familiaux empêche la définition d’une famille normale. L’Etat ne peut donc juger les sectes via l’impact qu’elles ont sur l’organisation de la famille.

             Il en est de même avec la question de la normalité religieuse. Parler de normalité religieuse revient à définir le terme de religion et, de fait, à distinguer les « bons » et les « mauvais » cultes. Or la culture juridique est favorable aux grandes religions établies. Si on définit les sectes par rapport à la religion, cela signifie indirectement que l’Etat institue des catégories entre les religions révélées supposées honorables et légitimes, et d’autres croyances non acceptables par la société. D’après la jurisprudence une congrégation religieuse est identifiée grâce à trois critères :

-         la vie en communauté

-         le fait que les membres soient liés par des vœux

-         l’existence d’une règle approuvée par l’Eglise.

Ce dernier point exclut de fait de nombreux mouvements néo-religieux et opère donc une discrimination par défaut. De surcroît, comme le disait le doyen Carbonnier, « formuler des distinguos reviendrait à restaurer la hiérarchie du XIXème siècle entre cultes reconnus et cultes non reconnus », et à s’immiscer dans la liberté de croyance des individus. Ce qui permettrait à un culte d’être reconnu par l’Etat serait la plupart du temps son caractère institutionnalisé, et sa représentativité. Or, dans un contexte de pluralité et de laïcité, penser en terme d’institutionnalisation est contestable, et la notion de représentativité serait une entrave à l’apparition de nouveaux mouvements  religieux. Les Eglises protestantes évangéliques par exemple seraient perçues comme des sectes du fait de leur caractère minoritaire. Par ailleurs le principe de liberté de conscience rend le contrôle du corpus dogmatique impossible. En se basant par exemple sur la prévention de comportements dangereux, il s’agirait de légiférer sur des potentialités et cela se traduirait par une intrusion dans la sphère de l’autonomie individuelle. De plus la justice doit juger des faits, soit l’appartenance à une secte répond de la liberté individuelle soit d’une infraction pénale. Il serait donc non pertinent d’établir une législation prohibitive.

 

-         Obstacles en droit international

 

L’absence de législation s’explique aussi par les orientations prises par le droit international à propos des libertés individuelles. En droit international, les nouveaux mouvements religieux sont assimilés à n’importe quel groupement, défini comme un ensemble de personnes qui ont des attitudes et un comportement commun, avec un objectif commun qui conditionne la cohésion des ses membres. Etre définis comme groupements leur donne donc un certain nombre de droits :

 

-         le droit à la réunion pacifique (articles 20 de la DUDH (1948), 21 du PIDCP (1966) et 11 de la CEDH (1950)) :

Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, et l’autorisation préalable pour ouvrir un lieu de culte n’est acceptable que si le contrôle se fait sur des conditions formelles et non en vue de restreindre l’activité de certaines confessions. Sur ce point, la France a d’ailleurs été condamnée pour violation de l’article IX de la CEDH. Les tribunaux français avaient en effet condamné les Témoins de Jéhovah, en raison de la création d’une maison de prière sans autorisation. La France a été reconnue coupable d’ingérence dans leur droit à la liberté de manifester leur religion par le culte et l’accomplissement de leurs rites.

Il existe toutefois des restrictions licites à ce droit, définies par l’art 11 §2 de la CEDH. Celles-ci doivent être prévues par la loi d’un Etat membre et être nécessaires dans une société démocratique à la réalisation de certains buts. Elles correspondent à la sécurité nationale, la sécurité publique, la défense de l’ordre et la prévention du crime, la protection de la santé ou de la morale, ainsi qu’à la protection des droits et libertés individuelles. La nécessité de clarté de ces critères et de prévisibilité doit protéger les individus des arbitraires administratifs.

 

-         la liberté d’association, par la décision du Conseil des ministres du 21 février 1954 :

 « Les Etats ne sauraient être invités à prendre des mesures fondées sur un jugement de valeur relatif à des cultes ou à des croyances » dans le cas de créations d’associations. La dissolution ou l’interdiction d’une association doit poursuivre les buts énumérés par l’article 11 §2 de la CEDH.

 

L’absence de législation anti-sectes s’explique donc par un refus de porter atteinte à la liberté de conscience, d’opinion et de religion, reconnues à la fois dans la Constitution et en droit international. C’est ce que concluait le rapport Gest-Guyard en 1995: « la meilleure façon de riposter au développement des sectes dangereuses n’est sûrement pas la plus spectaculaire, sous la forme d’une législation anti-sectes que l’ampleur de notre arsenal juridique ne rend pas nécessaire et qui risquerait d’être utilisée un jour dans un esprit de restriction de la liberté de pensée. L’essentiel est bien d’utiliser pleinement les dispositions existantes, leur application systématique et rigoureuse devant permettre de lutter efficacement contre les dérives sectaires. » L’application de la règle de droit existante aux effets nocifs des actes des sectes est l’objet de la seconde partie.

 

 

II. le droit ne s’attache qu’aux effets des actes des sectes

 

A) Les atteintes à la personne:

 

Il existe deux catégories d'activités sectaires attentatoires à l'intégrité des personnes: les comportements de commission et la conduite abstentionniste.

 

1. Les comportements de commission:

 

            On retrouve dans cette première catégorie les atteintes à l'intégrité physique ou psychique de la personne. Certaines sectes assènent à leurs membres nombre de violences volontaires, comme les violences mortelles et criminelles, ou encore les mutilations et l'infirmité permanente, ou moins graves, des violences dites légères, c'est-à-dire n'entraînant pas une incapacité de travail totale ou partielle. Tous ces faits correspondent à une répression très graduée. Il faut remarquer que dans le cas des sectes, ces faits connaissent des circonstances aggravantes, faisant par exemple passer un délit de base en crime; la protection des mineurs de moins de quinze ans, même s'il y a erreur sur l'âge ou ignorance, et la protection des personnes particulièrement vulnérables (femmes enceintes, malades, handicapés mentaux ou physiques, jeunes adultes...), à condition que leur vulnérabilité soit apparente ou connue de l'auteur, présentent un intérêt particulier dans le cadre des activités illicites des sectes. Concernant les mineurs, l'hypothèse de suraggravation est aussi prévue par la loi si les violences sont causées par un ascendant ou toute personne ayant toute forme d'autorité sur eux (pouvant résulter de la simple cohabitation) et aussi prévue si les faits sont habituels. Le législateur a donc donné les moyens aux victimes ou à leurs proches d'intenter plus aisément un procès pour abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse. Par ailleurs, les personnes morales déclarées responsables pénalement de ce délit peuvent encourir des sanctions graves allant dans certains cas jusqu'à la dissolution ou la fermeture temporaire ou définitive

 

            Mais plus couramment, le droit répréhende les atteintes sexuelles, comme le viol ou tout autre acte d'agression sexuelle forçant le consentement de la victime, en usant de la violence, ou par menace, contrainte ou surprise. On se souvient des agissemments de la secte du Mandarom, dont le "messie cosmoplanétaire" avait été accusé pour viols et tentatives de viol, encourant quinze de réclusion criminelle. Dans ce cas aussi, des circonstances aggravantes peuvent durcir le jugement. Ces circonstances aggravantes font l'objet d'une attention spéciale lorsque l'on dispose de preuves écrites, montrant le caractère constant et délibéré de ces délits. Mais ses écrits sont souvent uniquement à usage interne et destinés aux adeptes confirmés. Mais de tels documents sont donc très difficiles à obtenir, et ils sont plus instructifs sur les méthodes des sectes que toutes les informations, plus ou moins partielles, que l'on peut avoir par ailleurs, car ils constituent en eux-mêmes, par leur caractère auto-accusateur la démonstration de la préméditation. On peut citer le livre de Raël, La géniocratie, où il parle de "l'éducation sensuelle" des enfants, "pour qu'ils comprennent comment y trouver du plaisir ce qui est nettement plus important et véritablement épanouissant". Et certaines sectes peuvent aussi être accusée de proxénétisme, car certains sectateurs forcent leurs membres à le faire.

 

            Il est à noter aussi que certaines atteintes à la santé des personnes peuvent résulter de l'exercice illégal de la médecine, qu'il s'agisse d'un diagnostic, de la pratique d'examens d'investigation, de soins et manipulations divers, voir même la délivrance de prescription. On peut aussi envisager que les dirigeants ou les membres d'une secte soient accusés pour tortures et actes de barbarie, qui peuvent toucher des activités religieuses comme les séances d'exorcisme. Donc en prétendant guérir ses adeptes par des prières ou l'imposition des mains voire l'exorcisme, tout sectateur est passible de la prison.

 

            Dans le cas des comportements actifs, on retrouve évidemment aussi les assassinats, c'est-à-dire les homicides volontaires aggravé par la préméditation, à savoir " le dessein formé avant l'action de commettre un crime ou un délit déterminé ". La préparation et le calme de l'homicide entraîne la réclusion criminelle à perpétuité pour son auteur. Une telle reconnaissance du fait de préméditation met à la disposition du tribunal un élément d'appréciation, qui peut être utilisé à l'encontre de sectes dangereuses. Ainsi, nombre de délits de droit commun, qui font parfois partie des méthodes employées pour la mise en état de faiblesse, pourraient être appréciés comme plus graves si la préméditation était établie.On se rappelle notamment des agissements de la secte du Temple solaire: les suicides collectifs étaient avérés mais certaines personnes ont bel et bien été assassinées. De plus, celui qui incite au suicide en fournissant les moyens d'y parvenir encourt trois ans d'emprisonnement, cinq ans dans le cas d'un mineur de 15 ans, pour délit de provocation au suicide tenté ou consommé. D'ailleurs le législateur engage la responsabilité du groupe, c'est-à-dire les complices du crime ou délit "qui ont, avec complaisance, aidé ou assisté l'auteur ou les auteurs de l'action, dans les faits qui l'auront préparée ou facilitée.

 

            On peut aussi penser que si des attentats étaient perpétrés par une secte telle la secte Aum au Japon, ses auteurs seraient poursuivis pour actes attentatoires commis "intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur".

 

 

2. La conduite abstentionniste:

 

            Le législateur est aussi intervenu et a créé des infractions d'abstention. Un scientologue par exemple a été condamné pour avoir substitué à un traitement médical contre l'épilepsie un traitement à base de vitamines et de saunas, entraînant la mort de la membre. Le tribunal de grande instance de Dijon s'est donc basé sur une infraction courante, la non-assistance à personne en danger pour motiver son jugement. De même, le fait de ne pas s'inquiéter de l'état de santé d'un enfant, négligence ayant entraîné la mort du nourrisson, atteint de rachitisme a entraîné la condamnation de membres de l'Ordre apostolique, qui considère que "les enfants (leur) ont été confiés par Dieu" et qu'ils "ne voulaient pas les confier à n'importe qui", puisque l'ordre inculque le rejet de la médecine traditionnelle. Les périodes de jeûnes prolongés font aussi partie des infractions d'abstention, car leur répétition peut gravement nuire à la santé de celui qui le pratique. Ces atteintes sont qualifiées de "crimes de privation de soins ou d'aliments", pouvant entraîner la mort.

 

 

 

B) La protection de la famille:

 

 

1. Le couple

 

            Le législateur consacre la liberté de religion des adultes, garantie par la Constitution. Néanmoins, le mariage n'est officiellement célébré que devant un officier civil. La Révolution a institué le mariage comme un acte civil. Une célébration religieuse n'est pas interdite, mais elle devait, pendant la Révolution, se dérouler après l'union civile. La célébration religieuse ne peut se substituer au mariage civil.

 

            Les époux peuvent pratiquer n'importe quelle religion, et même en changer. Dans le cas concret des sectes, il se peut qu'un seul époux en soit membre, et le seul recours pour l'autre époux souhaitant divorcer est de faire constater des usages abusifs de ses droits ou des manquements, fondés sur ses convictions. Le respect des obligations résultant du mariage délimite l'obligation de tolérance entre époux en matière religieuse. Dès lors, il appartient au juge de qualifier l'éventuelle "faute" matrimoniale pour prononcer le divroce.Selon le législateur, il existe une double exigence pour un tel jugement:"Le divorce peut être demandé par l'un des époux lorsque des faits constitutifs d'une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage sont imputables à son conjoint (Dans certaines sectes, au vu de la liberté sexuelle qui y est prônée, les membres pratiquent systématiquement l'adultère, violation à l'obligation de fidélité.) et rendent intolérable le maintien de la vie commune." Dans le cas des témoins de Jéhovah, les membres refusent de participer aux fêtes familiales et donc le second critère est rempli en raison du prosélytisme ou fanatisme.

 

2. L'enfant

 

            Une prérogative des parents est de veiller à l'éducation morale des enfants, donc ils peuvent aussi dispenser une éducation religieuse. Leur monopole dans ce domaine entraîne la possibilité pour les parents de défendre l'enfant même contre son gré vis-à-vis des agissements de tiers, qui seront alors reponsables d'un préjudice moral. Puisque les parents exercent conjointement l'autorité parentale (ou à la mère seule dans le cas d'un enfant naturel, né hors mariage), il suffit de l'intervention d'un seul parent pour empêcher les abus de la secte sur l'enfant, jusqu'à sa majorité, puisqu'un arrêt rendu par la Cour de cassation réfute l'existence d'une prémajorité religieuse, et aussi pour demander la réintégration du logement familial, car l'abandon de domicile ne peut se faire "sans permission des père et mère". Si l'un des parents est membre d'une secte, il lui faut le consentement de l'autre parent pour que leurs enfants fassent partie de la secte.

 

            Mais le juge peut intervenir à plusieurs instants, notamment en fixant la résidence habituelle de l'enfant en cas de divorce ou en confiant l'autorité parentale à un seul parent. Bien qu'il ait le droit d'être entendu par le juge, l'enfant ne peut que se prévaloir de son intérêt, et non de ses souhaits, considérés par le juge, qui privilégie en règle générale la stabilité d'implantation de l'enfant. Une mère raëlienne s'est vu confier la garde de ses trois filles, malgré le danger de dérive sexuelle soulevé par le père, car ce n'est qu'à titre exceptionnel que le juge décide de rompre les liens de l'enfant avec son milieu religieux. Il peut aussi réduire ou suspendre la possibilité du parent n'exerçant pas l'autorité, en matière de visite et d'hébergement.

 

            En dehors des cas d'atteintes à la santé, comme le refus de tout traitement médical, qui reste un droit des parents, les cas d'atteinte à l'intégrité corporelle sont fréquents et peuvent tomber sous le coup d'une sancyion pénale. Mais les atteintes les plus fréquentes sont psychiques, notamment les cas d'enfermement imposé par la discipline. "Le juge peut se saisir d'office à titre exceptionnel", notamment en matière d'éducation, phénomène encouragé par les Conventions internationales, surtout si les parents renoncent à leurs fonctions éducatives. Ce dernier point est important car le juge peut intervenir dès le signalement par les services sociaux. Néanmois, "dans l'application de l'assistance éducative, il doit être tenu compte des convictions religieuses ou philosophiques du mineur et de sa famille", ce qui interdit au juge d'imposer sa propre conception de l'éducation.

 

            Pour en revenir à la tâche des services sociaux, qui est une des clés de la lutte contre les dérives sectaires, il faut noter que ceux-ci peuvent régulièrement voir l'enfant grâce à diverses dispositions prévues par la loi, comme la vaccination obligatoire ou encore les conditions de travail par exemple, mais aussi et surtout dans le contrôle de la scolarisation des enfants, notamment au travers des dispositions relatives à l'ouverture et au fonctionnement des établissements privés

 

            Dans des cas très rares, le juge peut aussi procéder au placement de l'enfant dans une institution ou le confier à une autre personne. Dans le cadre de cette assistance éducative, "l'intérêt de l'enfant est alors apprécié par rapport aux comportements normaux dans la société laïque", ce qui implique un préjudice pour les sectes.

 

C/ Le droit économique relatif aux sectes constitue le lieu privilégié de leur justiciabilité

 

Sur 182 contentieux pénaux relatifs aux sectes, 104 concernent des affaires économiques. L’escroquerie, l’abus de confiance et la fraude fiscale sont les qualifications privilégiées. Actuellement, on dénombre 17 affaires en cours relatives à des cas d’escroquerie, d’abus de confiance, de travail clandestin et de blanchiment d’argent. On notera cependant que les plaintes sont rares, soit parce que les fraudes sont rares, soit parce que les situations de dépendances induites par la secte dissuadent les individus de porter plainte. On remarque ainsi un fort taux de désistement des procès, les sectes préférant dédommager les victimes avant que leur image ne soit ternie. En ajoutant les 16 affaires de fraude fiscale, on aboutit à une dette estimée par le rapport parlementaire « l’Argent et les sectes » à près de 550 Millions de Francs, qui reste impayée, et impunie, car les sectes sont très souvent tournées vers l’international.

 

1)      Statut juridique des sectes et obligations économiques et fiscales

 

Les sectes sont le plus souvent constituées en vertu de la Loi de 1901, et peuvent être des associations déclarées, non déclarées ou associations à caractère cultuel. A ce titre, elles poursuivent un but non lucratif et licite. Leur régime juridique provient autant du droit des organisations religieuses (Loi de 1905) que de celles relative au droit des personnes morales de droit privé en général (Loi de 1901). Dans 80% des cas, il s’agit d’associations déclarées non reconnue comme cultuelles. Pour ce faire, elle doivent déposer leurs statuts à la préfecture qui peut interdire sa publication à raison d’ordre public. Cependant un grand nombre d’entre elles ne sont même pas connues de l’administration et ne déposent pas leurs comptes.

 

Certaines associations revendiquent le statut de religions reconnues (témoins de Jéhova, Scientologie, etc... qui leur est acquise dans de nombreux pays plus libéraux en la matière) dans le but, notamment, de bénéficier des avantages fiscaux offerts aux organisations cultuelles par un statut fiscal dérogatoire (notamment en matière de cotisations sociales). Par l’arrêt Kokkinakis, la CEDH a reconnu aux Témoins de Jéhovah le droit de manifester leur religion. Les autorités françaises continuent cependant de considérer que cela ne confère pas le statut cultuel à cette association.

 

Quelques associations se sont vu reconnaître par la jurisprudence le statut d’association cultuelle. Mais la multiplicité des affaires relatives parfois à la même secte, du fait de sa localisation décentralisée (ex : témoins de Jéhova) aboutit à une jurisprudence éclatée. Le conseil d’Etat peut reconnaître ou pas le caractère cultuel à une association. Lorsque les décisions sont favorables à l’association, l’administration fiscale interjette appel systématiquement, preuve que les conséquences économiques du statut juridique des sectes sont importantes et que les différentes autorités publiques n’ont pas le même point de vue.

 

 

Les sectes peuvent aisément user et abuser de la création de tout type de personnes morales, qu’il s’agisse d’associations ou de sociétés. Les sectes peuvent ainsi ouvrir des sociétés à but lucratif (S.A.R.L., Société Immobilière, etc...) afin de pourvoir aux services demandés par l’exercice du culte. Pour ce qui est des sectes internationales (Scientologie, Raëliens, Moon), celles-ci n’hésitent à créer de véritables réseaux d’organismes permettant de brouiller les cartes. L’évasion fiscale, les montages financiers et les dons en liquide sont monnaie courante en la matière. On note ainsi de nombreuses fraudes à la TVA et à l’impôt sur les sociétés grâce à des pratiques de gestion douteuse.

 

2)      Les produits financiers des sectes sont soumis à un régime qui n’empêche pas les abus.

 

Le comportement fiscal des sectes est douteux ; elles sont souvent condamnées sur cette base. Nombre d'entre elles ont des comptes bien remplis ainsi que des patrimoines immobiliers conséquents.

 

Ces associations n’ont en principe pas le droit de recevoir de libéralités. Elles sont cependant en droit d’attendre de leurs membres que ceux–ci leur fassent des dons ou legs sous de strictes conditions. Seules les associations reconnues peuvent recevoir tant des libéralités entre vifs que des legs testamentaires.

 

Lorsqu’elles sont déclarées elles peuvent recevoir des dons de l’Etat et des particuliers, recueillir les cotisations sociales de leurs salariés ou organiser des réunions payantes. Elles sont normalement assujetties au Code des Impôts, au droit du travail et doivent cotiser pour la sécurité sociale. Cependant, en tant que les associations bénéficient d’une présomption de non-lucrativité qui les soustrait au contrôle fiscal lourd, les sectes ne paient pas d’impôts avant qu’il ait été prouvé qu’elles ne poursuivent pas de but lucratif. Dans les faits, elles parviennent ainsi à se soustraire à l’impôt en ne déclarant pas leurs activités lucratives, en ne déclarant pas leurs dons, et en utilisant orientant l’argent de leurs sectes vers leurs propres entreprises, malgré les importants profits qu’elles réalisent.

 

La loi de 1905 relative à la séparation des Eglises et de l’Etat prohibe en principe que le financement public des organisations religieuses, notamment en matière de bien meubles et immeubles leur appartenant. Elle permet le financement privé. Or, disposant du statut d’association, celles-ci pourraient recevoir des financements publics. Par ailleurs, toute association qui souhaiterait obtenir des dons doit obtenir une autorisation de tutelle par la préfecture. Celle-ci permet à la puissance publique d’effectuer un contrôle a priori et a posteriori.

 

Toute personne morale qui reçoit de l’argent des ses membres ne doit orienter le produit de ces ventes et de ces dons que vers l’exercice du culte lui-même. L’utilisation de ces fonds à d’autres fins est prohibée. C’est sur cette base que la jurisprudence est la plus complète. En effet, l’utilisation de l’argent de la secte ne doit pas servir au train de vie du gourou.

 

La jurisprudence réalise ainsi un équilibre entre le principe de liberté religieuse, et le devoir, pour toute personne morale, de respecter les lois et règlements en matières économiques et fiscales. Comme l’énonce l’arrêt CA Lyon, Eglise de Scientologie, de 1995 « (…) dans la mesure où une religion peut se définir par la coïncidence de deux éléments, un élément objectif, l’existence d’une communauté même réduite et un élément subjectif, une foi commune, l’Eglise de Scientologie peut revendiquer le titre de religion et développer en toute liberté, dans le cadre des lois existantes, ses activités y compris ses activités missionnaires, voire de prosélytisme ; », avant d’ajouter que ces associations dispensant, moyennant des paiements croissants, des cours, des séances d’audition, des cures de purification, pouvant aboutir, au moins dans certains cas, à une véritable manipulation mentale, constituaient des entreprises ayant pour seul objet ou pour objet essentiel, la captation de la fortune des adeptes grâce à l’emploi des manœuvres frauduleuses ci-dessus décrites : que le délit d’escroquerie est ainsi caractérisé ; »

 

 On remarquera que l’utilisation de dons peut servir à obtenir des réductions d’impôt sur le revenu. Or, cette loi ne concerne que les dons aux associations à caractère humanitaire, sportives ou socioculturelles, dénominations sous laquelle certaines sectes parviennent à s’affilier, alors que le produit de ces dons ne concerne que marginalement de telles activités, annexes à l’activité cultuelle coeur de métier de la secte.

 

On peut cependant raisonnablement s’interroger sur les effets de cette tolérance, notamment lorsqu’on la corrèle avec le phénomène de « dépendance » quotidienne  sociale, morale et intellectuelle, l’état d’assujettissement, d’ignorance des membres de sectes. Un individu peut se ruiner pour sa secte sans que celle-ci soit poursuivie, si elle utilise en effet le produit de ces dons à des fins religieuses. De même, certains adeptes donnent toute leur « quotité testamentaire disponible » à leur secte, ce qui aboutit à une pénalisation de leurs propres enfants qui ne peut être poursuivie judiciairement. C’est pourquoi le rapport les sectes et l’argent préconise la mise en place d’un délit de manipulation mentale.

 

3) Sectes et droit du travail

 

Le droit des sectes en matière de contentieux prud’homal est également nuancé et réalise le même équilibre de principes. Un individu ne peut être licencié à raison de ses croyances religieuses quelles qu’elles soient, en vertu du principe général de non-discrimination dans l’accès au travail. Cependant, la jurisprudence a posé des limites à ce principe général en ce que la rupture du contrat de travail n’est pas irrégulière si le licenciement s’opère en raison de prosélytisme répété, notamment s’il s’agit de cadres formateurs.

 

Les sectes n’hésitent pas à abuser du faible contrôle social auquel elles sont soumises. Associations déclarées, elles ont le droit de signer des contrats de travail. Mais la relation de dépendance qui les lient à la secte, aboutit à des salaires forts réduits, voire à des recours abusifs au bénévolat, venant nourrir les profits personnels du gourou. Le faible nombre d’employés déclarés pour des sectes qui contiennent plusieurs dizaines de milliers d’adhérents traduit l’existence de dissimulation de l’emploi salarié, et de contournement des obligations de sécurité sociale.

 

Le cas de l’Eglise de Scientologie est exemplaire. En 1978, cette secte a décidé de suspendre ses paiements de cotisations sociales. Le Tribunal de la Sécurité sociale a donné raison aux URSSAF, et a mis en liquidation judiciaire cette organisation. Celle-ci continue pourtant à opérer en France en toute impunité, sans payer les URSSAF. On le voit dans cet exemple, le contentieux judiciaire n’épuise pas le contentieux réel. Le Code pénal punit pourtant de deux ans d’emprisonnement et 30 000€ d’amende, et permet de dissoudre la personne morale.

 

 

 

Conclusion

 

La qualification de secte est donc confuse, incertaine, et pose des problèmes lorsque le contentieux porte sur leur dénomination largement péjorative. L’information doit en effet rester mesurée et il ne faut pas que la qualification parfois hâtive d’un mouvement  comme secte donne le droit de se livrer impunément à une « chasse aux sorcières » médiatique. Illustrant le caractère libéral de la loi de 1901 et 1905 les tribunaux se refusent à établir une catégorie juridique autonome, celle de secte, qui dérogerait au régime général des relations entre l’Etat et les religions. Plutôt que d’attaquer frontalement les sectes par une législation ad hoc, attitude certes médiatique mais contestable face à des mouvements si hétérogènes, le choix d’une approche judiciaire plus nuancée, au cas par cas, a été fait pour sanctionner les dérives des sectes.  Une telle approche, qui ne punit les mouvements qu’a posteriori, une fois les délits commis, suppose pourtant d’être complétée par une politique de prévention du phénomène sectaire, pour être vraiment efficace.

Cependant, les dérives de certaines d’entre elles sont sanctionnées par les juges civils et pénaux, au même titre que toute personne morale de droit commun. Les sectes ont suscité de très nombreux jugements dans toutes les branches du droit, signe de la multiplicité des modes d’influence des sectes sur leurs adeptes. Droits de l’Homme et des enfants, droit de la famille, droit fiscal, droit du travail sont concernés par la question. Les faiblesses de la territorialité du droit français sont également soulevées, lorsque ces mouvements sont transnationaux. Le droit pénal des personnes morales, récemment réformé par la Loi Perben II, ne peut ainsi s’appliquer qu’aux ramifications françaises de ces sectes, et laisse impuni les actes condamnables d’un gourou Français à l’étranger. Le cas Raël est exemplaire en la matière. Français, l’individu se vante aux Etats-Unis de faire naître des enfants clonés, délit puni, par l’article 511 du Code pénal, de dix ans de réclusion criminelle et de 150 000 € d’amende. Malheureusement, aucune convention internationale n’existe en la matière et, au contraire, nombre de sectes appartiennent et collaborent avec des grandes organisations internationales, comme l’ONU, ou ses satellites (UNESCO, HCR, etc...), et la position française face aux religions tient plus de l’exception que de la règle générale au niveau international. Chargées en France d’un passé historique lourd, les relations entre l’Etat et les cultes, et la question de la laïcité restent des questions toujours sensibles, mais doivent être sujet à débat dans le cas des sectes, pour que l’Etat puisse avoir une action préventive, face aux sectes, dans un souci de protection de l’ordre public et des personnes.

 

 

 

 

Bibliographie :

-         « les sectes et le droit », Michel Huyette, in Recueil Dalloz 99, Chroniques, n°38

-         Les sectes et le droit en France, sous la direction de Francis Messner, 1999, PUF

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[1] Article paru dans les Petites Affiches, n°125, 1994

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