Les anticipations rationnelles
On les distingue d’abord
des anticipations myopes, où les acteurs prévoient que la situation future sera
identique à la situation actuelle. On les distingue également des anticipations
adaptatives, où les individus extrapolent les évènement récents du passé vers
l’avenir.
Les anticipation rationnelles sont un postulat
plus ambitieux que les deux autres dans la capacité des acteurs d’évaluation des
risques. Cela n’implique pas que leurs prévisions seront confirmées.
Comment se forment les anticipations
rationnelles ? Quels sont les effets possibles de leur existence présumée ?
Quelle est leur véritable pertinence théorique pour décrire la réalité ?
I/ Formation des anticipations rationnelles
A/ Hypothèses du modèle des anticipations rationnelles.
- Les AR sont une hypothèse de
la nouvelle école classique (NEC) pour lesquels les agents sont rationnels,
maximisateurs, l’économie est en équilibre et les prix flexibles. Les acteurs
économiques disposent de toute l’information disponible.
- Le marché est dit
efficient, c’est à dire qu’il permet la diffusion immédiate et effective
de cette information.
- Les acteurs intègrent cette
information disponible de façon immédiate à leurs prévisions et donc à leurs
décisions de marché.
- Le tâtonnement walrassien
n’est plus utile pour décrire l’ajustement des prix sur ce marché ; il se fait
automatiquement
- Condition cadre : les
acteurs connaissent les lois économiques et sont donc en mesure de déterminer
seuls les conséquences de tout phénomène économique.
B/ Les
anticipations rationnelles sur les marchés et dans la stratégie des entreprises.
- Les marchés financiers
répondent de façon partielle à cette idée d’anticipation rationnelle. En
effet, l’existence de collecteurs intermédiaires d’information (ex :
Télé- rate, qui actualise les prix des monnaies), et l’existence de
serveurs qui calculent en temps réel les prix des actifs en
fonction de l’offre et de la demande font des marchés financiers et monétaires
des marchés efficients.
-
C’est dans la capacité des entreprises à prévoir les risques, à
anticiper de façon juste les évolutions de prix et de marché que celle-ci
seront en mesure de prendre les meilleures décision. Ainsi, les
arbitragistes monétaires, qui achètent et vendent les monnaies en fonction
des écarts temporaires de valeurs relatives doivent en effet disposer de toute
l’information disponible en temps réel pour prévoir au mieux les évolutions de
chacune des monnaies. Le marché monétaire mondial est quasiment efficient,
et si les techniques de collecte d’informations fonctionnent, les
anticipations, sur ce marché sont rationnelles. Les société de gestion des
risques (assurances, institutions financières et bancaires) mettent
effectivement en place des instruments d’évaluation de plus en plus pertinent
pour anticiper rationnellement les phénomènes de marché.
II/ Effets des anticipations rationnelles
A/ Anticipation
rationnelles et inflation et politique monétaire
- L’effet d’une relance
monétaire est conditionné par le niveau d’illusion monétaire. Une
augmentation secrète de l’offre de monnaie ne se traduit pas à court
terme par de l’inflation. C’est ce qui s’est passé pendant la première guerre
mondiale. Les gouvernements utilisaient la planche à billet, de façon
discrétionnaire, pour financer leurs dépenses de guerre. Ce n’est qu’après la
guerre que les monnaies européennes ont vu leur valeur drastiquement diminuer,
ce qui a causé de forts taux d’inflation, particulièrement en Allemagne.
- Le postulat des
anticipations rationnelles contredit dès lors toute efficacité des relances
monétaires. Pour la NEC, Les agents prévoient que l’augmentation de
l’offre de monnaie se traduira tôt ou tard par une augmentation des prix. Ils
vont alors demander une augmentation des salaires
nominaux qui maintiendra le coût du travail et réduira d’autant l’effet de la
relance monétaire. Celle-ci ne
fera que relancer l’inflation, sans aucune amélioration du chômage. Comme
ils font cette anticipation, les dirigeants d’entreprises ont intérêt à
augmenter les prix, pour ne pas être pris en défaut par cette augmentation de
salaire, ce qui réalise en fait l’anticipation à plus court terme encore.
- Aujourd’hui, les
instruments d’actualisation de l’information réduisent l’illusion monétaire et
donc les possibilités de relances monétaires se traduisant par une
augmentation de l’activité, sans inflation. C’est l’une des raisons qui amène
les décideurs européens à limiter les objectifs de la BCE à la stabilité
monétaire et des prix. La BCE doit en effet déterminer, avant toute
décision sur le niveau d’offre de monnaie, quelles seront les anticipations
des agents monétaires, en présumant leur caractère rationnel. C’est
pourquoi, d’une part, les réunions de la BCE se font à huit-clos, pour éviter
que leurs décisions fuitent à l’avance. C’est aussi pourquoi la BCE
maitient, depuis sa création une politique soumise à des règles prudentielles
strictes.
B/
Anticipations rationnelles et politique budgétaire
1.
Si les anticipations sont rationnelles, les décisions budgétaires ont un
impact rapide sur les réaction des agents, et les décideurs politiques doivent
les prendre en compte. Les évolutions prévues des impôts, les effets d’une
augmentation du budget ou d’une relance économique par l’emprunt, ou encore les
effets d’un déficit public étant présumées anticipées par les agents, les
décideurs doivent soumettre leurs décision à une évaluation préliminaire
approfondie.
2.
Un accroissement prévu des impôts peut entraîner chez les ménages la
constitution d’une épargne de précaution, ou bien l’orientation de leurs fonds
sur des actifs défiscalisés. De même, l’augmentation du taux d’intérêt à court
terme conséquente à cet accroissement budgétaire (par effet d’éviction) sera
prévu par les agents économiques, qui ralentiront leurs emprûnts, ce qui réduira
d’autant l’effet de la relance par le budget. La réaction des agents sera
différente si cette augmentation du budget se fait par l’impôt ou par l’emprunt.
3.
Une augmentation de la dette publique aura un effet prévisible sur les
prix relatifs des actifs, et sur leurs risques respectifs. Les agents
concentreront leurs financement sur des actifs les plus sûrs. Si les autres
actifs sont facilement substituables aux bons du Trésor, l’incidence de cette
dette sur les décisions d’investissement dans tel ou tel actif sera faible.
4.
De même un accroissemnt du déficit public aura des incidences prévues sur
la balance des paiements et donc sur le taux de change. C’est ainsi que le
financement du déficit américain par la création monétaire a occasionné une
baisse de la crédibilité du dollars. Le modèle MINILINK de l’OCDE montre les
effets d’une baisse des dépenses publiques sur les taux de change et d’inflation
et se fonde sur l’hypothèse des anticipations rationnelles. Dans ce modèle,
toute réduction des dépenses publiques a un effet immédiat à la baisse sur le
niveau d’inflation et sur le taux de change
C/ Les anticipations
auto-réalisatrices
- Lorsque le marché est
efficient, les anticipations rationnelles accélèrent la matérialisation de
la prévision. Par exemple, de mauvaises anticipations sur l’avenir
incitent les ménages à accroître leur épargne de précaution, et les
entreprises à ne reconstituer que faiblement leurs stocks, ce qui a pour effet
de réellement déprimer l’activité.
- C’est sur les marchés
financiers que les anticipations auto réalisatrices sont les plus visibles. Ce
sont généralement les marchés financiers et notamment monétaires, qui
réagissent le plus rapidement à, par exemple, une annonce de relance
monétaire. Dans les années 70, l’utilisation par des banques centrales de
l’instrument monétaire pour relancer l’activité se heurtait à la réactivité
rapide des acteurs monétaires internationaux. Ceux-ci prévoyaient à moyen
terme une baisse de la valeur monétaire, et vendaient immédiatement la devise
incriminée, ce qui avait pour effet de créer des attaques spéculatives qui
réduisait à court terme la valeur monétaire.
- Enfin, l’analyse
béhavioriste met l’accent l’unité sociale et la proximité qui existe dans le
milieu financier. Une information rendue publique par le simple bouche à
oreille dans une bourse tendra à se diffuser très rapidement sans même qu’il y
ait eu d’annonce officielle. Là encore, le délai avant que cette prévision se
réalise sera d’autant plus réduit que le milieu est soudé et agit de façon
grégaire ou suiviste, ce qui est le cas du secteur financier.
D/
Anticipations rationnelles et théorie des jeux en situation d’oligopole.
- En situation de
d’oligopole, chaque entreprise peut en principe déterminer son prix
librement ; elle dispose d’une marge de manœuvre qu’elle n’aurait pas en
situation de concurrence pure et parfaite. Elle doit cependant
prendre en compte la réaction de ses concurrents. L’entrepreneur doit
anticiper les attitudes possibles des autres, liées à ses propres décisions.
Le postulat des anticipations rationnelles, dans ce cadre, aboutit à
l’hypothèse équilibre non-coopératif, puisque l’entrepreneur sait par
avance quelle sera l’attitude exacte des autres entreprises en réaction à ses
décisions – par exemple de baisser ses prix pour accroître ses parts de
marchés - : les autres entreprises baisseront également leur prix , ce qui
aura pour résultat de réduire ses marges et profits. Dans le cas d’un duopole
de Cournot (où l’entreprise détermine elle-même ses prix), l’hypothèse des
anticipations rationnelles conduit à l’équilibre du marché.
- Si les anticipations
rationnelles peuvent s’appliquer en des cas particuliers à la théorie des
jeux, en postulant que les acteurs font l’exacte anticipation de la réaction
de ses concurrents, dans la réalité, il existe de nombreuses hypothèses ou ce
concept apparaît inapproprié. Dans le dilemme du prisonnier par exemple, il
existe l’hypothèse de trahison. Elle consistant pour un des prisonniers à
faire croire à son comparse qu’il ne parlera pas, tout en trahissant la parole
donnée, ce qui le laisse libre et fait porter toute la peine sur son rival. Le
traître, rationnel, devrait anticiper une radicalisation de la guerre des prix
par sa victime. En matière économique, une entreprise peut faire une fausse
collusion, en trahissant sa parole, et en engageant une guerre des prix non
anticipée par son concurrent. On le voit dans ces exemples, le modèle des
anticipations rationnelles est difficile à intégrer en matière humaine hors de
cas restreints où l’incertitude reste importante car les actions des agents
sont libres et non coordonnées.
III/ Limite de
la pertinence des anticipations rationnelles
A/ La
persistance du principe d’incertitude
- Malgré les technologies de
l’information et de la communication qui permettent une collecte immédiate de
l’information disponible, il n’est pas dit que les acteurs en déduiront la
bonne évaluation de marché. L’incertitude sur l’avenir persiste et reste une
donnée centrale dans la gestion des risques. Le principe d’incertitude et la
théorie du chaos s’appliquent intégralement dans le domaine économique, même
si les moyens de réduire l’imprévisibilité des marchés sont toujours plus
perfectionnés. LE risque zéro n’existe pas.
- En 2000, le crack boursier
mondial a illustré cet état de fait. Malgré des anticipations positives,
malgré la croyance en l’existence d’une nouvelle révolution industrielle,
affirmée par les médias et les analystes, personne n’a pu prévoir le brusque
retournement financier. C’est bien la preuve que malgré l’importance des
moyens de diffusion de l’information et la diversité des instruments
d’évaluation disponibles, les acteurs ne peuvent prévoir de façon parfaitement
efficace les phénomènes de marchés.
- C’est pourquoi, dans leurs
stratégies de gestion des risques, les Institutions financières couvrent leur
risques par des investissements moins rentables, mais sécurisés (bons du
Trésor, obligations notamment). Cela illustre le fait que même sur les marchés
dits « efficients », les agents ne présument pas de la rationalité de leurs
anticipations.
B/ Un concept faiblement opérant
- Les anticipations
rationnelles ne s’appliquent en réalité que dans des domaines économiques très
restreints, notamment financiers ou monétaires. Dans la grande majorité des
marchés de biens et de services, il n’existe pas de moyens techniques pour que
les information sur les prix soient disponibles immédiatement. De même les
instruments d’évaluation sur les marchés financiers ne sont pas
généralisables. Les anticipations rationnelles ne sont donc pas une constante
du monde économique dans son ensemble, mais un paramètre à prendre en compte
sur certains marchés. Si une banque centrale devra prévoir la réaction du
marché face à une action sur les taux et postuler la rationalité des
anticipations des agents privés, on ne peut généraliser cela aux ménages dans
leurs transactions courantes.
- Les agents ne font en
général pas d’anticipations rationnelles, mais plutôt adaptatives, étant donné
que la collecte d’information a un coût marginal croissant et un bénéfice
marginal décroissant. Plus on fera de recherche sur les prix dans un marché,
plus cela nous coûtera cher, sans pour autant que nous puissions obtenir de
nouvelles informations pertinentes. De même, plus on recherchera sur les prix
dans un marché, moins le bénéfice associé à cette recherche sera important.
- L’existence d’asymétries
d’information est une constante du monde économique et contredisent la
possibilité d’anticipations rationnelles en matière humaine. Elles existent
entre producteurs et consommateurs, entre managers et actionnaires, entre
entreprises concurrentes. Dans ce cadre, les anticipations rationnelles
postuleraient que les acteurs sont omniscients, ce qui n’est pas le cas (cf.
II-C)
Les anticipations rationnelles
sont donc une hypothèse néo-classique utilisée à l’appui de raisonnements
néo-classiques partisans. Elles ne sont validées que dans un certain nombre de
domaines de l’activité économique où les moyens techniques permettent une
actualisation en temps réel des informations disponibles et leur intégration au
prix des actifs. Elles ne permettent cependant pas d’élaborer des anticipations
catégoriques, car les agents économiques sont libres et leurs décisions non
coordonnées. Elles permettent tout au plus, dans certaines structures de marché
de prédire les comportements possibles des concurrents mais ne surpasse pas le
principe d’incertitude.
Biblographie : P. Samuelson et Nordhaus, Economie, Economica, 36ème
éd, 2001
J. Stiglitz, Principes d’économie moderne, 2001, De Boek
http://www.oecd.org/dataoecd/60/51/2502670.pdf